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Cisjordanie -

Interview avec deux ambulanciers palestiniens : « Ils se moquent que nous soyons du personnel médical ou pas. Ils prennent tout pour cible. »

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Témoignages recueillis le 16 juin 2013 par l'équipe Ramallah-Nabi Saleh d'ISM

M. et A. sont deux ambulanciers indépendants qui assistent régulièrement aux différentes manifestations organisées contre l’occupation en Cisjordanie. Les forces israéliennes répondent régulièrement à la résistance populaire palestinienne avec une extrême violence, y compris en faisant usage de tirs de grenades de gaz lacrymogène, de billes d’acier recouvertes de caoutchouc et de balles réelles. Partant de la constatation qu’il y a généralement des blessés et que l’hôpital le plus proche est souvent bien éloigné des villages où se déroulent les manifestations, la présence de personnel médical est essentielle et grandement appréciée par les manifestants.

Interview avec deux ambulanciers palestiniens : « Ils se moquent que nous soyons du personnel médical ou pas. Ils prennent tout pour cible. »

Les manifestants à Nabi Saleh vendredi 14 juin (Photo Tamimi Press)
Vendredi dernier 14 juin, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec M. et A., à l’occasion de la manifestation hebdomadaire de Nabi Saleh, à laquelle ils sont présents de façon régulière.

International Solidarity Movement : Depuis combien de temps êtes-vous ambulanciers secouristes ? Pourquoi avez-vous choisi d’être bénévoles ?
M. : Depuis 2009. Au départ, je travaillais dans un projet des Jeunes de la Croix Rouge danoise, puis j’ai rejoint le Croissant Rouge.
A. : Je suis bénévole depuis 2004. Je le suis parce que j’aime aider les gens et ça correspond à la façon dont je veux me rendre utile.

ISM : Vous vous rendez sur de nombreuses manifestations en tant qu’ambulanciers secouristes – pourquoi pensez-vous que ces manifestations sont importantes pour la communauté et pour la Palestine ?
M. : Eh bien, c’est mieux d’agir que de ne rien faire. Et puis, lorsqu’il y a des personnels médicaux présents sur les manifestations, les gens ont plus de courage pour aller sur le front parce qu’ils savent que nous sommes là pour les aider au cas où quelque chose arrive.
A. : Comme vous le savez, nous vivons sous occupation, et donc les gens doivent agir et faire quelque chose pour y mettre fin. Nous devons manifester et participer aux manifestations à tout moment et en tout lieu.

ISM : Nabi Saleh, pour l’exemple, bénéficie d’une large couverture médiatique. Quelles sont les manifestations moins connues auxquelles vous êtes présents et en quoi sont-elles différentes ?
M. : Parfois, il y a des manifestations de nuit à Ofer, et personne n’en sait rien. Cela fait partie des manifestations non connues. A Qalandiya également, il n’y a pas de journalistes, il n’y a pas souvent de personnel médical, juste quelques personnes sont là. Je me rends parfois sur ces affrontements. A. y est toujours.
A. : Oui, j’y suis toujours, à Ofer, à Qalandiya. Mais personne ne sait rien de cela. Tous les médias sont à Ni’lin, Bil’in, Nabi Saleh – les villages situés à l’extérieur de Ramallah. Ces autres lieux, personne n’en sait rien, spécialement les médias. Quoi qu’il en soit, je pense que les endroits où il n’y a pas de médias peuvent être une bonne chose pour les shabab (les jeunes palestiniens) car ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent pour la résistance.
M. : Mais c’est aussi une bonne chose pour les soldats, eux-aussi peuvent faire ce qu’ils veulent et personne n’est là pour les filmer.
A. : C’est ce qui est différent. Mais même si les médias sont là, les soldats israéliens peuvent faire tout ce qu’ils veulent, personne ne peut les arrêter, nous le savons bien.


ISM : Pensez-vous que la présence d’internationaux, tels que les ISMers, fait une quelconque différence dans les manifestations en Palestine ?
M. : En fait, il y a une différence entre les internationaux et les ISMers. Certains internationaux aiment être là parce qu’ils pensent qu’ils vont libérer le pays, mais en vérité, ils ne font rien, à part semer de plus en plus la pagaille. Mais certaines personnes, comme les ISMers, apportent au moins quelque chose. Ils essaient d’aider de manière organisée. Enfin, ça dépend des internationaux, certains viennent juste pour voir ce qui se passe, certains viennent pour prendre des photos, il y a des différences. Ca dépend de quels internationaux on parle.
A. : Je dirais comme lui, pour résumer, il y a des gens qui viennent juste pour prendre des photos, comme si c’était une aventure. Ils pensent que c'est aventureux de se rendre en Cisjordanie , alors ils viennent. Et il y a des gens qui viennent pour soutenir la cause palestinienne et la résistance populaire.
M. : Pour certains, c'est comme un jeu.
A. : Oui, ils pensent qu’il y a de l’aventure – ils se disent « allons voir ça, allons essayer ».

Photo
Des secouristes palestiniens évacuent un jeune palestinien blessé par les tirs des soldats israéliens pendant des affrontements devant la prison d'Ofer (Photo by Activestills)


ISM : Certains ambulanciers secouristes sont morts. Pensez-vous que les personnels médicaux sont délibérément pris pour cibles pendant les manifestations ?
M. : Il y a une différence entre nous, personnels médicaux qui travaillons sur le terrain, et les personnes qui travaillent dans les ambulances. Les forces israéliennes visent beaucoup les ambulances à Gaza, et aussi l’hôpital ici. Mais, oui, parfois, ils nous visent également. Quelquefois, ils tirent simplement directement sur nous. S’il n’y a pas de médias, alors c’est exactement ce qu’ils font. Ils l’ont fait à Ofer, et ici aussi à Nabi Saleh, plusieurs fois. Une fois, on lui [montrant A. du doigt] a tiré dessus – ils ont tiré droit sur lui avec une grenade de gaz lacrymogène. Directement sur lui. Il a esquivé le tir juste à temps, ce qui lui a évité de le prendre en pleine tête.
A. : Ils ont essayé de me tuer !
M. : Une fois, ils m’ont visé alors que je me trouvais avec simplement deux ou trois autres manifestants avant la manifestation – parce qu’il n’y avait pas de médias présents et que c’était avant que la manifestation ne débute, ils ont tout simplement tiré droit sur moi. Alors oui, parfois, ils nous visent, ouais. Ils s’en foutent.
A. : Ils pensent que nous sommes Palestiniens et que par conséquent, nous devons mourir. Ils se moquent que nous soyons du personnel médical ou pas. Ils prennent tout pour cible.
M. : Egalement à Qalandiya, le Jour de la Nakba, ils [les forces israéliennes] ont commencé à empêcher de laisser passer les ambulances du PMRC (Société Palestinienne d’Aide Médicale) et du Croissant Rouge – ils ne veulent pas qu’ils aident les shabab parce que s’il y a plus d’ambulances présentes, alors les jeunes vont tout simplement continuer, parce qu’ils savent que s’ils se font tirer dessus, quelqu’un sera là pour les prendre en charge et les aider.

ISM : Vous nous avez parlé de l’armée israélienne vous visant à la tête – que pouvez-vous nous dire de vos blessures ?
M. : Oui, ce jour là, je marchais dans sa direction [A], et ils ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes directement sur lui, dans son dos, alors j’ai crié pour le [A] prévenir, il s’est retourné, a esquivé, et a juste reçu deux tirs dans les jambes. Ils [les soldats israéliens] ont appelé l’ambulance présente et leur ont dit « Ouais, un de vos toubibs s’est fait tirer dessus ».
A. : C’est vrai, ils ont appelé le chauffeur et lui ont demandé « comment va le toubib ? Si vous voulez l’emmener à l’hôpital, vous pouvez passer par le checkpoint – vous pourrez traverser. » Mais en fait, ils voulaient m’arrêter. Je ne suis pas parti avec l’ambulance.
M. : Un moment après, l’ambulance a évacué une autre personne et les soldats l’ont stoppée et immobilisée pendant 15 minutes – le temps de fouiller l’ambulance.
A. : Ils ont demandé au chauffeur « où est le toubib ? » - le chauffeur m'a appelé et m'a dit « ils te cherchent. » Ils m'avaient pris pour cible - il m'avait tiré dessus à très courte distance, peut-être 40m. Il l'a vu - et puis ils voulaient m'arrêter. Les blessures ? Je ne sais pour lui [M], mais moi, j'ai été blessé plusieurs fois. A Nabi Saleh, à Ofer, à Qanaldiya, à Bili'in.
M. : Une fois, ils ont tiré directement sur nous juste ici [il montre] mais j'ai fait comme ça [il fait le geste d'esquiver] - alors il a été touché.
A. : Je suis comme un aimant.

ISM :  Alors malgré le fait que vous portiez des tenues de secouristes et des sacs à dos - on peut facilement vous identifier comme secouristes ?
M. : Oui, c'est évident que nous sommes des secouristes, ils ne devraient donc pas nous tirer dessus, ni nous cibler, selon le droit humanitaire international. Mais ils s'en fichent.
A. : En fait, avec cet uniforme, ils nous ciblent, nous sommes visibles - « il y a un secouriste, on peut lui tirer dessus directement ».

ISM : Donc vous avez parlé d'une ambulance qui a été arrêtée au checkpoint et fouillée, faisant obstruction aux soins médicaux. De quelles façons l'armée israélienne entrave-t-elle votre travail ?
M. : En fait, l'histoire de l'ambulance a une explication - ils [l'armée israélienne] sont autorisés à contrôler les ambulances pendant 15 minutes - pas plus. Parce que pendant la seconde Intifada, il y avait un kamikaze à l'intérieur d'une ambulance, ils l'ont arrêtée à Jaba et les Israéliens ont fait venir tous les médias pour qu'ils filment. Alors depuis, ils sont autorisés à arrêter les ambulances et à les contrôler pendant 15 minutes. Ça fait partie de l'accord.
Une fois à Nabi Saleh, ils n'ont pas laissé entrer l'ambulance après qu'une fillette ait été blessée par une grenade lacrymogène. On a passé trois heures à appeler la Croix Rouge, le Croissant Rouge, mais rien. A la fin, ils ont fait venir une autre ambulance de Naplouse - de l'autre côté. Et il y avait un gars qui avait pris une balle caoutchouc-acier à courte distance, elle avait éraflé le sommet de son crâne et il avait une coupure de trois centimères - mais il allait bien. Ils [l'équipe d'ambulanciers] lui ont dit, si on t'emmène à l'hôpital, ils vont t'arrêter. Alors il a décidé de rester à Nabi Saleh. Après ça, quand un gars a été blessé par une balle dum dum - c'est la seule fois qu'ils ont laissé sortir l'ambulance. On a dû emmener les deux autres gars en taxi collectif à l'hôpital de Ramallah.

ISM : Habituellement, combien de blessures traitez-vous pendant une manifestation, et quel genre de blessures ?
A. : Cela dépend ! Si les soldats passent une bonne journée, ils tireront quinze ou seize fois. Mais s'ils sont en colère, beaucoup plus. Vingt, ving-cinq fois.
M. : Ils se servent de grenades lacrymogènes et de balles d'acier recouvertes de caoutchouc - ce sont les pires, parce qu'ils les tirent au hasard et touchent beaucoup de gens. Quand ils tirent à balles réelles, ils visent une seule personne, mais les balles caoutchouc-acier, ils les tirent par volées. Ca dépend aussi si tu comptes l'inhalation des lacrymogènes comme une blessure.
A. : Vous voyez, à Nabi Saleh, il y a à peu près cinq à six blessés par manifestation. Quelquefois davantage. Mais si vous regardez Ofer, dix-huit, dix-neuf - même une centaine, et quelquefois encore plus.
M. : Habituellement, ils n'utilisent que des lacrymogènes et des balles caoutchouc-acier. Je crois qu'à Nabi Saleh, il n'y a eu qu'un gars blessé par balle réelle.
A. : A Nabi Saleh, non, pas qu'un. Trois. Un d'entre eux a été blessé à la jambe sur cette colline, par une balle réelle. Un autre à la main. Et Rushdi, qui est mort l'an dernier, a été blessé à la jambe sur cette colline.

Photo
Un secouriste soigne un manifestant blessé par balle caoutchouc-acier à Nabi Saleh (Photo Tamimi Press)


ISM : Est-ce que des secouristes étaient là quand Rushdi a été tué ?
M. : Non, nous n'étions pas là, parce qu'ils lui ont tiré dessus un samedi - ce n'était pas un jour de manifestation. Ils l'ont d'abord blessé avec une balle caoutchouc-acier pour qu'il ne puisse plus bouger, puis ils lui ont tiré une balle réelle - juste comme ça.
A. : Alors qu'il était au sol. La balle lui a traversé la jambe et s'est arrêtée dans son dos. Il est mort cinq jours après.
M. : Au début, ils n'ont pas permis qu'on l'emmène à l'hôpital - ils ont essayé de l'arrêter.
A. : Oui, ils ont essayé de l'arrêter, ils le tiraient. Quand les balles l'ont touché, il y avait 3 mètres entre lui et les soldats, et il était au sol.

ISM : Vous étiez présents à la manifestation où Mustafa Tamimi a été tué - pouvez-vous nous en parler ?
A. : Je ne sais pas ce que tu veux exactement... Je l'ai vu quand il est mort. Avant d'être abattu, il était sur la colline - un bulldozer était entré dans le village, alors tous les shabab l'ont pourchassé à coup de pierres. La jeep a fait demi-tour là-bas [il montre la route dans le village] et est revenue. Mustafa et quelqu'un d'autre étaient près de la jeep, ils jetaient des pierres - ils étaient à environ 4 mètres. Puis le soldat à l'intérieur de la jeep a reçu un ordre de son commandant, "tire-lui dessus". Alors il a tiré directement dans le visage de Mustafa.

La grenade a pénétré son visage de 5 centimètres - alors quand je me suis approché de lui et que je l'ai regardé, j'ai dit aux autres, "Il est mort. Nous ne pouvons rien faire pour lui." Nous l'avons transporté, mis dans un taxi qui est allé rejoindre les soldats au checkpoint. Le commandant a dit, "Il va bien, mais nous allons maintenant l'emmener à l'hôpital." Mais en fait, ils l'ont gardé une demi-heure au checkpoint, par terre - ils l'avaient sorti du taxi et mis par terre - et ensuite, ils l'ont transporté dans une ambulance militaire jusqu'à un village plus bas, puis dans un hélicoptère à un hôpital en [Palestine] 48, près de Tel Aviv.

Ils l'ont admis à l'hôpital et le médecin a dit, "Son oeil va bien" - mais son oeil n'allait pas bien ! J'avais vu qu'il était sorti de l'orbite, à côté de son visage. Je l'avais ramené sur son visage. Son frère m'a dit, "Le docteur dit qu'il est ok, qu'il vivra, qu'ils opèreront son visage - mais qu'il devra rester à l'hôpital pendant quatre ou cinq mois de soins". Mais je lui ai dit, "Il est mort. Lorsqu'on l'a transporté dans le taxi, il était mort." Mais personne ne m'a cru, tu sais, parce que je ne suis pas médecin. Mais le lendemain, ils m'ont cru, quand l'hôpital a dit, "Il est mort."

Ils [les autorités israéliennes] n'ont fait ça que pour empêcher les gens de réagir - parce que s'ils avaient su qu'il était mort, quelque chose de mauvais serait arrivé. Je pense que si les gens avaient su, ils auraient continué à manifester et il y aurait eu d'autres morts après Mustafa. Mais les soldats sont venus et ont dit, "Il est ok, ne vous inquiétez pas". Ils ont autorisé sa famille et d'autres gens du village à aller le voir à l'hôpital. Ils n'en donnent jamais, mais cette fois, ils ont donné 5 permis à Nabi Saleh. Ils voulaient juste que les gens se calment ce jour-là. Le lendemain, ils ont dit qu'il était mort et l'ont transféré à l'hôpital de Ramallah.


Source : Palsolidarity

Traduction : CR/MR pour ISM

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