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Gaza - 18 juin 2017
Par Mersiha Gadzo
Les coupures de courant sont un problème permanent dans la Bande de Gaza assiégée depuis une dizaine d’année, mais cette semaine, la situation s’est encore aggravée. Dimanche dernier, Israël a accepté la demande de l’Autorité palestinienne (AP) de réduire de 40 pour cent l’électricité de Gaza, en accord avec la décision du président de l’AP Mahmoud Abbas de réduire le montant que prend en charge l’AP pour la fourniture d’électricité de Gaza.
Deux millions de personnes dans la bande de Gaza assiégée reçoivent moins de quatre heures d'électricité par jour [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Actuellement, les deux millions de résidents de Gaza reçoivent environ quatre heures d’électricité par jour et ils vont perdre encore de 45 à 60 minutes. Les installations médicales de Gaza ont déjà du mal à fonctionner avec une électricité limitée principalement par des générateurs pour pouvoir s’occuper des patients.
On a également appris, par un email envoyé à Al Jazeera par Robert Piper, nommé par l’ONU coordonnateur humanitaire et du développement pour les territoires palestiniens, que les réserves de carburant de Gaza pourraient être épuisées « d’ici la fin du mois de juin ou au début de juillet au plus tard. »
La Bande de Gaza a besoin de 450-500 mégawatts par jour, mais n’en reçoit actuellement que la moitié. On considère que la réduction de l’électricité est une tentative d’Abbas de paralyser le gouvernement rival du Hamas à Gaza.
Jusqu’à maintenant, Israël a fourni à Gaza 125 mégawatts d’électricité, ou 30% des besoins en électricité. Les lignes électriques de l’Egypte ne fournissent que 27 mégawatts par jour, et elles fonctionnent rarement.
La seule centrale électrique de Gaza, qui fournit 60 mégawatts, a cessé de fonctionner en Avril par manque de carburant. Avant son arrêt, l’AP a supprimé une exemption fiscale sur le diesel, ce qui a doublé son prix.
Al Jazeera a discuté avec des habitants de Gaza pour savoir comment la crise de l’électricité affectait leurs vies.
Riham Salim Bahtiti – 28 ans - Shujayea, Gaza-ville
La vie du fils de Riham Bahtiti dépend entièrement du nébuliseur, qui ne fonctionne qu’à l’électricité [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Mon fils est né avec une maladie pulmonaire congénitale ; son poumon droit est plus gros que le gauche. Quand il n’y a pas d’électricité, j’ai peur qu’il meure. J’ai peur pour mon fils, sa vie dépend entièrement du nébuliseur qui lui donne de l’oxygène. Dès qu’il commence à jouer ou à courir, il a immédiatement besoin d’oxygène.
Une fois, il a eu besoin d’oxygène et il n’y avait pas d’électricité et pas de carburant pour faire marcher le générateur à la maison [pour se servir du nébuliseur]. Je l’ai emmené à toute vitesse à l’hôpital, mais ils n’avaient pas de carburant pour faire fonctionner les nébuliseurs.
Tout ce que j’ai pu faire, c’est le ramener à la maison. Je me suis assise dans un endroit ouvert et j’ai fait un éventail avec du papier pour le ventiler et l’aider à respirer.
Ma maison a été détruite pendant la guerre, le plafond est maintenant en tôle ondulée et il y fait rapidement très chaud et étouffant.
Manar Bahtiti – 27 ans - Shujayea, Gaza-ville
Manar Mahtiti, à gauche, travaille dans le service administratif de l’hôpital Al Ahli, à Gaza-ville [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
J’ai trois nébuliseurs à la maison, que j’ai achetés moi-même. Je fais de mon mieux, je voulais faire quelque chose pour aider. Entre 60 et 70 personnes de mon quartier sont venues chez moi pour se servir des nébuliseurs au cours des neuf dernières années.
Chaque jour, cinq ou six patients viennent pour essayer d’avoir trois ou quatre séances de 15 minutes. Ils arrivent à 1h ou 3h du matin, dès qu’il y a de l’électricité. Sinon, nous utilisons le générateur, mais quelquefois nous ne pouvons pas acheter le carburant.
S’il y a de nouvelles réductions d’électricité, les hôpitaux seront surchargés. Si nous n’avons que deux heures de courant, chacun devra limiter la durée de sa séance ; cela va provoquer beaucoup de pression et de stress parce qu’il y aura si peu de temps.
Les hôpitaux ont déjà appris aux patients à avoir leurs séances chez eux parce qu’ils ne peuvent pas garantir des séances à tous.
Nous vivons dans une situation très critique parce que c’est un des quartiers les plus pauvres de Gaza. Nous ne sommes qu’à 500m de la frontière israélienne et en cas d’urgence, le taxi met beaucoup de temps pour arriver jusqu’ici et nous emmener à l’hôpital.
Quelquefois, nous transportons les patients de notre quartier à moto parce que c’est le seul moyen de transport que nous avons.
Amina* - 66 ans – Gaza
La famille est restée sans eau pendant trois jours [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Israël joue avec nous. Nul ne sait de combien d’heures nous disposerons – une, deux, trois ou quatre. Ils m’ont expulsé de ma maison (en 1948) et maintenant, ils se servent de l’électricité pour contrôler nos vies. Quand Israël coupe l’électricité, c’est un autre type de guerre.
La crise de l’électricité a un impact sur tout. Ne serait-ce que recharger son portable est un problème. Que faire en cas d’urgence ? Nos vies n’ont plus de sens, ils contrôlent tout. Que veulent-ils encore de nous ?
Mes petits-enfants ont très peur dans le noir, ça les rend nerveux. Quand ils veulent aller aux toilettes la nuit, nous les accompagnons.
Nous nous servons de petites batteries pour avoir de la lumière, mais elles ne durent que de six à huit heures et ensuite nous n’avons pas d’électricité pour les recharger. Ce n’est pas comme si nous pouvions utiliser des bougies. Nous allons tous mourir !
Nous n’avons pas d’eau pour prendre un bain. Cela fait trois jours que la municipalité n’a pu nous fournir d’eau. Il n’y pas d‘électricité pour faire fonctionner les pompes à eau, pas assez d’électricité pour remplir les réservoirs. Nous achetons tous l’eau aux camions-citernes qui viennent jusqu’ici. Ca nous coute entre 50 et 150 shekels (de 15 à 40€) par mois pour acheter l’eau aux camions, c’est très cher.
Les générateurs que nous avons dans le quartier sont très bruyants, on ne peut pas faire de siestes. Ils tournent jusqu’à 1h du matin, ça crée des problèmes entre voisins.
Couper le courant de cette manière est pire que la guerre que nous avons vécue. Nous ne pouvons rien y faire. Si le problème empire, nous descendrons dans les rues et demanderons à la communauté internationale de trouver une solution.
* Le nom d’Amina a été changé pour respecter son anonymat.
Muhammad Hamid – 21 ans – Jabaliya
Muhammad Hamid (au centre) dit que lui et ses collègues de la boucherie à Jabaliya [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Quand j’ai entendu qu’Israël allait réduire l’électricité, la première chose que j’ai fait et d’aller faire réparer mon générateur. Il nous sert à faire fonctionner les plumeuses à volailles. On peut le faire à la main mais le travail n’est pas aussi bien fait et ça prend beaucoup de temps, et les clients ne veulent pas attendre.
L’utilisation d’un générateur est un poids financier énorme. Ca nous coûte entre 60 et 70 shekels (15 à 18 €) par jour. Certains jours, nous n’avons aucun revenu parce que tout l’argent part dans le fonctionnement du générateur.
Abu Muhammad et Karam Swisay - Zeitoun, Gaza-ville
Abu Muhammad, à gauche, dit qu’ils sont devenus insensibles à la situation à Gaza [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Nous avons traversé trois guerres, alors ces informations ne nous impressionnent pas. Nous n’avons peur de rien.
Ma femme à un fibrome pulmonaire et doit être reliée à un concentrateur électrique d’oxygène 24h/7j.
Quand il n’y a pas d’électricité, nous dépendons des cylindres de gaz. Nous en avons 3, nous en utilisons un par jour.
Tous les deux jours, je vais au centre d’ambulance pour les remplir. Mais quelquefois, ils n’ont pas de courant eux non plus, alors il faut que j’attende quelques heures avant que les cylindres soient pleins, ou bien je reviens à la maison et je retente ma chance le lendemain.
Mais il n’y a pas que l’électricité. Certains de ses médicaments coûtent plus de 1.000 shekels (254 €). Avec mes fils, nous essayons de couvrir les coûts, et certains voisins et organisations caritatives participent financièrement.
Tareq Al Saqqa – 46 ans – Gaza-ville
Tareq al Saqqa est directeur général de la société d’appareils ménagers Al Saqqa Co. [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Le plus gros problème est que quand l’électricité est coupée, puis est rétablie, les machines à laver que nous vendons reprennent le programme de lavage au début, alors il faut à nouveau deux heures avant qu’il se termine. Nous avons demandé aux fabricants à Tel Aviv d’apporter des améliorations à ce problème, mais ils ont pensé que nous plaisantions. Ils ne nous ont pas cru. Ils nous ont demandé, « De quelles coupures de courant parlez-vous ? » La plupart des appareils doivent marcher au moins quatre heures pour parvenir à une efficacité optimale.
En ce qui concerne nos réparations sur les appareils, les coupures de courant entraînent également une corrosion de l’acier de beaucoup de télévisions et de réfrigérateurs. Lorsqu’il fait chaud et qu’il n’y a pas d’électricité, tout le monde ouvre ses fenêtres et ses portes pour avoir de l’air frais, mais à force le haut degré d’humidité abîme les appareils.
Notre entreprise a subi une perte financière importante car peu de gens veulent acheter des climatiseurs quand il n’y a que quatre d’heures d’électricité – à quoi ça sert ? Nous avons donc perdu l’occasion de les vendre pendant la haute saison. Si le problème continue, la demande locale pour les appareils électriques sera très faible et nous n’aurons plus de revenus ; nous payons beaucoup pour faire entrer les fournitures.
Nous ne pouvons pas dépendre entièrement des générateurs pour faire fonctionner nos magasins. S’il n’y a pas d’électricité et plus de carburant, ce sera l’arrêt total de nos magasins.
Gérer nos magasins avec des générateurs coûts six fois plus cher qu’avec l’électricité ordinaire. Chaque kilowatt de l’entreprise électrique nous coûte 0,5 shekels, et chaque kilowatt du générateur coûte au moins trois shekels (0,8€).
Cela fait 10 ans que nous vivons avec ce problème. Il n’y a pas d’autre solution que de mettre en œuvre un grand projet gouvernemental pour alimenter Gaza avec des panneaux solaires.
Dr Mohamed Abu Selmia – 46 ans – Gaza-ville
Le docteur Mohamed Abu Selmia est le directeur de l’hôpital pédiatrique Al Rantisi à Gaza-ville [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Gaza subit ce problème depuis 10 ans mais ces six derniers mois, le problème s’est aggravé. Maintenant nos générateurs travaillent plus de 20 heures par jour. L’électricité n’est pas disponible de façon continue.
Notre hôpital est le seul hôpital spécialisé pour les enfants à Gaza. Nous avons une dialyse pour les reins, l’insuffisance rénale… les patients ont des traitements quotidiens. S’il n’y a pas d’électricité, le patient ne peut pas avoir de dialyse et il meurt si son sang n’est pas changé quotidiennement.
Nous avons un service de soins intensifs pour les bébés. Cette unité dépend 100 pour cent de l’électricité pour ses moniteurs et ses ventilateurs pour la respiration des patients. La fourniture d’oxygène dépend aussi de l’électricité. S’il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas d’oxygène. Nous devrons fermer l’hôpital [si l’électricité est réduite et s’il n’y a pas de carburant pour les générateurs].
Nous avons le laboratoire, tomodensitogramme et rayons X. Toutes ces machines ont besoin d’électricité en continu. A cause des interruptions d’électricité, nos machines tombent en panne et ne fonctionnent pas de façon optimale.
Sans électricité, nous ne pouvons pas préparer les chimiothérapies pour nos malades atteints de cancer. Si l’électricité est réduite, ça sera une catastrophe. La situation est terrible. Les hôpitaux ne peuvent pas fonctionner sans électricité. C’est pire que jamais.
Ali Hussein – 45 ans – Gaza-ville
Ali Hussein est ingénieur et président directeur général d’un magasin appelé Megapower à Gaza-ville, spécialisé dans les panneaux solaires [Mersiha Gadzo/Al Jazeera]
Ces deux derniers mois, quand les gens ont commencé à entendre les informations sur l’aggravation de la crise électrique et qu’une autre guerre allait arriver dans les prochains mois, la demande de panneaux solaires a été très élevée. Je crois que nous avons eu 200 clients rien que le mois dernier.
Lorsque nous avons ouvert en 2013, nous avons installé des panneaux solaires dans 10 maisons. En 2014, dans 100 maisons ; l’année dernière, 700. Cette année, les ventes ont doublé puisque nous avons déjà équipé 700 maisons.
L’achat de panneaux solaires pour alimenter la lumière, la télévision, les ordinateurs, charger les ordinateurs portables et pour faire fonctionner le réfrigérateur et le congélateur pendant la journée coûte environ 2.000-3.000$ (1.800-2.700€).
Environ 3.000 maisons dans la Bande de Gaza ont installé des panneaux solaires. La situation économique étant très mauvaise, ces sommes sont inabordables pour les familles ordinaires ici.
Il faut aussi beaucoup d’espace pour des panneaux solaires. Nous n’avons pas de grands espaces ici à Gaza comme en Europe. Il faut 1.000m² pour 100 kilowatts.
La crise de l’électricité à Gaza
Pour les deux millions de Palestiniens habitant la Bande de Gaza, l’électricité est un luxe. Depuis que l’unique centrale a cessé de fonctionner en avril dernier (maintes fois bombardée par les forces du régime sioniste qui a ensuite systématiquement empêché l’entrée des pièces de rechange, sans parler des pénuries de carburant provoquées par le blocus israélien, ndt), la Bande assiégée dépend des approvisionnements israéliens et égyptiens.
Source : Al Jazeera
Traduction : MR pour ISM
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