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Jérusalem - 12 septembre 2011
Par Huda al-Imam
Le samedi est généralement une journée de travail intense. Les visites au site mamelouk de Kahn Tankaz et au Hammam al-Ayn, mon lieu de travail dans la vieille ville de Jérusalem, commencent de bonne heure. Certains viennent pour la visite de la bibliothèque avec Khader Salemeh, Jack et Lara sont venus de Al-Ma'mal avec des artistes qui se produiront dans le Spectacle de Jérusalem d'octobre, d'autres viennent s'inscrire aux cours d'Arabe, des amis et des étrangers, des passants, font un arrêt, et tandis que je m'activais, une femme aux yeux bleu-vert, aux cheveux argentés, arrive et me dit qu'elle s'appelle Naheel. Naheel, une cousine que je n'ai dû voir que deux fois dans ma vie. La deuxième et dernière fois était il y a à peine quelques semaines, pendant Ramadan, lorsque je suis allée à Amman pour faire une présentation au "Muntada al-Quds".
Naheel s'assoit dans mon bureau et pendant que je continue mon travail sans lui prêter vraiment attention, signant une lettre, finissant un mail à Wendy, répondant à Omar au sujet du concert... elle me parle des maisons de sa famille, dans le quartier de la Colonie allemande : "Ils les ont mises en vente, Huda...". "Naheel, il faut que tu les achètes. Trouve l'argent et achète vos maisons ! Ne fais pas la même erreur que moi ; lorsque la maison de mon père a été mise en vente, j'ai pris contact avec les gars qui travaillent à l'Autorité palestinienne... pour qu'ils l'achètent et la transforment en galerie, ou centre culturel... pffffff... ils n'ont rien fait. Nous devrions tous acheter nos maisons, même si ça semble schizophrénique !"
A 17h, nous avons quitté la Vieille Ville. "Naheel, as-tu le temps de me montrer vos maisons ?" Parce que chaque fois que je roule le long de la Colonie allemande/grecque appelée maintenant 'Emek Refaim', ma mère me dit : "Ah, ici il y a la maison de Im Sari Aweidah, 'shou kanat hilweh !" Quelle est belle !
Nous sommes sorties par la Porte de Damas vers la rue Salah Eddine, puis nous avons roulé vers Sheikh Jarrah pour dire bonjour à ma mère et nous avons traversé la ligne verte invisible des rues de l'ouest, rue des Prophètes et rue Musrara, où se trouvent les magnifiques maisons de Hikmat Sharif Nashashibi, la maison Tourjman dans laquelle George Baramki a vécu, aujourd'hui le Musée de la Couture.
Les arches de l'immeuble de Adel Aref Aweidah
En descendant vers Mamilla à gauche, Naheel me dit : "Ils ont gardé nos arches, tout ce bâtiment à l'entrée du centre commercial Mamilla était à mon père." Avant 48, il louait deux niveaux, au rez-de-chaussée il y avait le Café Picadilly et à l'étage, "al-Fundok al-'Assri".
Je roule le long de la "ligne du tramway de Jérusalem" où le train circule entre 'Baq'aa al Fo'a', Baq'aa-le-haut et Baq'aa-le-bas, aujourd'hui le nom de la rue, c'est Emek Refaiim.
La maison, en fait deux maisons mitoyennes que les frères partageaient, est mise en vente. En 48, elles ont été enregistrées en vertu de la Loi des absents d'Israël. Le père et l'oncle de Naheel n'étaient pas absents ; ils avaient été pris en otage. Aujourd'hui, elle est à vendre. "Si la maison de mon père a été vendue 3 millions de dollars par Udi Kaplan en 1998, le lot doit valoir 6 millions, puisque c'est le double de surface de maison et de terre."
La maison de Naheel est située en face de celle de mes parents. Mon père aimait beaucoup sa mère, 'Aysheh Aweidah, alors il a vendu un morceau de terrain dans la rue Salah Eddine, dans la partie Est de la ville, pour acheter un terrain à une famille grecque et y construire une maison pour sa mère, pour qu'elle vive dans le même quartier que son père et sa famille. Naheel me décrit les arbres et les fleurs du jardin, les verts abajour ; les amis du quartier, Muna, 'Ajaj Nweihed, al Hout... dar Muna, "Les Muna chrétiens, pas les musulmans..." Pas besoin de préciser familles chrétiennes, musulmanes, il est évident, d'après l'architecture et les histoires qu'on m'a racontées et que j'ai lues, que c'est "l'élite" qui vivait dans ces quartiers, des Palestiniens et un ou deux noms libanais, elle évoque "la famille Samaha", toutes à gauche et à droite de Baq'aa. Elle me raconte leurs aventures avec le train chaque fois qu'il passait au fond de leur jardin. "Si le conducteur nous voyait, il nous aspergeait de vapeur chaude". Montant les marches toujours ornées de céramiques orientales fleuries, elle dit : "C'est ici que nous avons reçu la mère du chanteur Farid al-Atrash"... Sa fille Asmahan venait de mourir et ce soir-là, elle a chanté, malgré sa tristesse." "Ta tante Ni'maty était très excitée de la recevoir, dans notre grand salon !"
Naheel et moi étions détendues, tout à notre plaisir de nous imaginer parcourant la maison, allant vers la chambre qu'elle partageait avec ses sœurs, et qu'elles transformaient en salle de classe. C'était très agréable de la suivre dans ses souvenirs des jours heureux.
Naheel devant la maison de sa famille
Mais le malheur devait arriver, semble-t-il, et au lieu de traverser vers la maison de mon père, nous avons choisi de prendre la voiture "hay bayt iben 'amti Fareed" et d'aller voir la maison de son frère Fouad, juste à côté. J'ai garé la voiture une minute pour prendre une photo avec Naheel avant qu'elle quitte le pays le lendemain matin. Je ne me suis même pas permis de cueillir une grenade rose, nous étions en dehors du jardin, quand "Yo'av" (je pense que c'est son nom) et sa mère sont sortis de la maison en nous criant dessus et en m'agressant, "Va voir l'AP qui t'a envoyée ici !" "Va au tribunal, ne viens pas ici !"... ne me permettant ni de partir, ni de prendre la voiture. Pour montrer ses muscles, "Yo'av" a appelé la police ! (j'ai expliqué à Naheel que quand "Yo'av" m'a vu la toute première fois dans la rue, son père, qui m'avait reconnu, l'a enguirlandé pour ne pas avoir appelé la police, donc maintenant, chaque fois qu'il me voit, il appelle tout de suite les flics !) Il a garé sa voiture dans le sens de la largeur de la rue Uzya, qui est étroite, en face de la maison de mon père, où il vit aujourd'hui, pour m'empêcher de partir. J'aurais pu laisser la voiture et partir à pied avec Naheel, mais je n'avais rien à craindre, au contraire. J'ai demandé à Naheel si elle voulait partir, et elle m'a dit, "Ça va, voyons la suite !"
J'ai fait le 100 pour demander à la police de venir me libérer. Evidemment, nul besoin d'expliquer que la police israélienne n'est pas venue me secourir, mais m'arrêter. Deux policiers se sont approchés, nous ont ordonné de monter dans le fourgon, et quand j'ai demandé, "Pourquoi ?", il a sorti les menottes... et nous a emmenées au poste de police Moriaya, dont j'ai découvert que c'est aussi une prison. Pendant que j'y étais, j'ai vu quelques adolescents palestiniens, les pieds ligotés, marchant en titubant et les policiers qui les escortaient ayant en main leurs cartes d'identité vertes, ce qui veut dire qu'ils étaient des "infiltrés", comme Israël appelle ceux d'entre nous qui viennent de Cisjordanie .
Personnellement, je suis habituée aux appels à la police de Yo'av et de la famille Blunberg qui vit aujourd'hui dans la maison de mes parents. Je suis aussi habituée aux arrestations, mais ce n'est pas plus agréable pour autant. Cette fois, j'étais inquiète pour Naheel parce qu'elle avait un visa de tourisme. Inquiète aussi parce que malgré son énergie et son esprit jeune et combattant, elle a 76 ans. Alors j'ai décidé de me calmer pour éviter de passer la nuit en prison. Et il y avait aussi l'anniversaire de mon voisin Franz, que je ne voulais pas manquer.
Le chef de la police (d'origine irakienne) qui nous a interrogées était moins agressif que ceux qui nous ont arrêtées.
- Tu crois que je vais voir la maison de mon père à Shufat ou à Bagdad comme tu le fais ?, m'a-t-il répété plusieurs fois en criant.
- Oui, vous allez à Sheikh Jarrah et vous prétendez que vous y avez des propriétés qui datent de centaines d'années... oui, vous avez expulsé les Ghawi, les Al-Kurd, les Hannoun, et beaucoup d'autres de chez eux, à Sheikh Jarrah... Oui, les Juifs revendiquent des droits à indemnisation en Egypte..."
Puis je me suis tue, pensant à Naheel, dehors en pleine nuit, à mon fils, à ma mère...
- C'était la maison de ton père. Aujourd'hui, ça ne l'est plus. Alors arrête d'aller là-bas, laisse ces gens tranquilles, laisse les vivre en paix. Ecoute-moi bien, Huda. Tu m'écoutes ? Tu veux m'écouter ? La prochaine fois qu'ils m'appellent pour me dire que tu es dans la rue ou que tu rodes autour de la maison de ton père, je te mets en prison et je te traine au tribunal jusqu'à ce qu'on t'expulse !
Voilà, mon week-end commence bien... je suis sortie, merci Hani, merci François. J'irai me baigner à Jaffa demain, pour essayer de me rafraîchir !
La maison du père d'Huda al-Imam, à al-Qods
Source : Corpus-Separatum
Traduction : MR pour ISM
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