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Ramallah - 31 mars 2004
Par Rebecca
Quand les autres militants revenaient de Palestine, et écrivaient sur les jeunes soldats, je me sentais toujours mal à l'aise. C'était si paternaliste et si condescendant et quelque peu inutile dans la description des forces d'occupation.
Alors je suis venue ici et j'ai été confrontée aux soldats et j'ai compris que ce n'était pas de leur jeunesse qu'il était question mais de leur immaturité , de leur manque de compétence et de compréhension du monde ; la peur dans leurs yeux.
C'est terrifiant de penser qu'un individu de dix huit ans, en proie aux inquiétudes et aux problème de son âge, dispose du droit de domination.
C'est terrifiant d'observer combien les soldats ont la trouille de gamins de douze ans qui n'ont dans les mains que des pierres.
J'étais à Jérusalem pour Pourim, cette fête juive où tout le monde se saoûle. Je n'ai pas supporté de voir tout ce monde agir comme des idiots, se déguiser et s'amuser à 10 m. de la "Ligne Verte". C'était absurde. J'avais l'impression d'être dans un théâtre de l'absurde après avoir passé les deux derniers très longs jours à regarder de jeunes soldats jouer à la guerre.
A Beit Liqya,le mur est en construction sur une colline et le village proprement dit se trouve sur la colline d'à côté. Entre les deux, une large vallée où je suis descendue aujourd'hui avec palestiniens âgés et des militants internationaux pour affronter les soldats et essayer d'établir un chantier. Cette zone est protégée par une injonction de justice ordonnant que le travail de construction s'arrête une semaine mais les soldats s'en foutent.
J'a i d'abord pensé n'être qu'une observatrice légale. Me tenir debout, essayer de parler aux soldats et leur demander pourquoi ils enferment les gens dans cet unique espace ; Pourquoi les civils palestiniens n'ont pas le droit de circuler librement sur leurs propres terres ?
Mais quand un groupe de femmes est arrivé, et qu'un des soldats à commencé à les repousser un peu, je suis intervenue. Pendant tout ce temps les shebabs étaient sur la colline la plus proche du village, attendant de voir ce qui allait arriver.
On ne pouvait pas leur dire de descendre pour une action directe.
Ils n'auraient sans doute pas reçu l'autorisation de le faire étant donné que les soldat ne mesurent pas la force qu'ils utilisent contre la jeunesse palestinienne. La "non-violence" n'est simplement pas une option.
Je ne sais pas vraiment ce que j'espérais. Je pense que les soldats ressemblaient beaucoup à des flics et la manifestation semblait bien ordinaire. De temps à autre on voyait une fusée éclairante et inexpliquée. On entendit des balles en métal recouvertes de caoutchouc partir du sommet de la colline à proximité des shebabs, mais n'avons jamais vu lancer aucune pierre. Si par moment, il y avait des grenades assourdissantes, c'était plutôt calme.
Mais j'avais oublié que les soldats ne sont pas des flics, et que peu importe notré désir d'établir un lien entre l'occupation ailleurs et ce qui se passe chez nous, ça n'a rien à voir avec le NYPD (New York Police Department).
La principale différence c'est que lorsque les flics se satisfont d'arrêter quelques bonshommes ou de contenir simplement une foule, l'armée israélienne croit que son pays est en guerre contre des enfants de douze ans. Ces soldats ne peuvent repartir que quand ils ont gagné la bataille.
D'abord ils ont tiré des grenades assourdissantes. Ils en ont tiré deux dans une foule de femmes qui n'avaient pourtant pas participé aux manifestations. Ils ont créé le chaos si bien que les hommes ont aussitôt battu en retraite pour se protéger des balles, mais il y avait une corniche près d'eux, les femmes et les jeunes filles ne pouvaient plus aller nulle part.
Elles étaient effrayées, et moi aussi, et sont tombées par terre en essayant de se protéger les unes les autres. L'armée pouvait dès lors les considérer comme "hors d"usage" mais ça n'a pas suffi.
L'armée s'est mise à tirer des grenades assourdissantes sur le groupe de femmes, elles éclataient au-dessus de leurs têtes, dans leurs dos, mettaient parfois le feu à leurs vêtements. Finalement nous avons pu nous relever. Comme d'habitude je me suis éloignée lentement.
Des soldats m'ont poussée dans le dos avec leurs matraques en me disant de partir, quand l'un des types avec lequel j'avais parlé quand nous nous étions mis en rang pour partir a décidé de se précipiter sur moi. Je l'ai regardé dans les yeux comme je l'aurais fait pour un flic, et lui ai dit de se tirer de là, ce qu'il a fait.
Ensuite un gosse a été touché par une balle de métal et de caoutchouc tirée à 1,50m de son ventre. Un soldat l'a bougé avec sa matraque, et a demandé à quelqu'un d'autre de le ramasser. C'était la première fois que j'escortais une ambulance sous un tir de balles en caoutchouc.
Ils ont aussi tiré à balles réelles sur les shebabs de la colline sans qu'on puisse dire ce qu'ils visaient. Devant un petit garçon qui pouvait bien avoir huit ans, un soldat gesticulait en manipulant une grenade assourdissante dont il était en train de retirer la goupille.
Les shebabs lançaient des pierres depuis la corniche qui s'étendait sur 30 yards en face des soldats en vers la vallée ou nous nous trouvions. En dehors de ça, il n'y a rien eu de la part des soldats qui nous entouraient.
Mais alors quelque chose de vraiment bizarre a eu lieu. C'est probablement la chose la plus étrange que j'aie vue de toute ma vie; l'armée s'est mise en ordre de bataille.
Un ou deux soldats sont restés à courir autour des arbres sen e mettant à couvert et se protégeant l'un l'autre avec leur fusil, ils fonçaient sur la colline pendant que les snipers visaient et tiraient des balles en caoutchouc.
Une jeep est arrivée pour se recharger en munition et ils se sont protégés les un les autres comme dans les films de guerre pendant qu'ils retournaient lentement vers la jeep, se cachant derrière elle avec des snipers qui se déplaçaient vers des points plus favorables sur la colline tandis que les autres rechargeaient.
C'était bizarre parce que je n'arrêtais pas de me demander de quoi ils pouvaient bien se protéger. Ils ne se comportaient pas comme dans un jeu rituel de guerre ; à certains moments un ou deux plongeaient sur le sol et tiraient en position allongée tandis que les autres, au dessus d'eux, lançaient des coups d'oeil furtifs tout autour de nous, qui étions à ce moment assis sur les rochers, fumant et félicitant les shebab.
J'ai alors compris pourquoi ce n'est pas le NYDP, pourquoi l'occupation est fondamentalement différente. C'est le jeu de la guerre. L'idée essentielle, c'est qu'ils sont menacés que dès lors qu’ils doivent répondre, et non seulement pour obtenir le contrôle de la situation par n'importe quel moyen, mais pour gagner la guerre,. La différence pourrait n'être que sémantique, mais c'est en fait un problème de légitimité. L'anéantissement est une fin qui convient.
Ils ne turent pas parce qu'ils ont peur mais parce qu'ils sont là pour tuer, ils existent pour tuer.
Qu'importe, la presse internationale et moi, avec mon passeport bleu qui paraît aussi absurde dans une situation pareille qu'un chapeau vert ou un brassard rouge, ne peuvent rien faire changer, parce que rien qui ressemblerait à une opinion publique n'existe dans cette guerre.
Ce que les gens ne peuvent voir c'est que c'est une guerre dans laquelle les adversaires sont des enfants avec des cailloux et les champs de bataille de simples bâtiments.
Tout le monde dit ici : «Nous ne détestons pas les Juifs, nous détestons l’occupation».
Mais nous ne sommes pas supposés les croire. Pour justifier qu'il est acceptable que nous, peuple juif, terrorisions le peuple palestinien, nous ne pouvons pas accepter que la haine absolue n’est pas dirigée contre notre identité, mais contre les conditions de notre propre existence.
Les plaintes portées devant la cour suprême israélienne pour arrêter la construction sont signées par deux cents Israéliens des secteurs voisins de Jérusalem (Beit Liqya est juste à l¹extérieur de Jérusalem-Est annexée) parce que ces Israéliens disent qu’ils ne voulaient pas du mur puisqu'ils n’ont jamais eu de conflit avec les Palestiniens de la région et qu’ils savent que la construction du mur ne fera qu’augmenter les tensions et diminuer la sécurité.
Ils ont raison. Beit Liqya, Biddu et tous les autres villages de la région ont été parfaitement tranquilles durant cette intifada, il n’y a eu ni kamikazes provenant d’ici et pas de présence militaire israélienne dans ces villages jusqu’à maintenant. Ce sont les premières pierres de leur vie qu’ont jetées ces enfants..
Après des années de checkpoints, de barrages arbitraires, de restriction de mouvement, sans oublier les dix minutes de route pour Jérusalem, l’impossibilité d’accéder à son lieu de travail, d’aller à Ramallah et dans les universités certains jours d’arbitraire ; les humiliations sans raison et les récits de leurs pères et oncles torturés par les forces israéliennes au cours de la première Intifada, après tout une vie d’oppression, ils s'asseoient et regardent : le sanctuaire de leurs villages est en cours de destruction.
Regardons par dessus l’épaule d’un môme de dix huit ans en uniforme ravi de manger sa confiserie dont il jette le papier d’emballage sur ce terrain où il n’a rien à faire pendant qu’un bulldozer décide de foncer sur les oliviers, l’un après l’autre. Et vous savez qu’ils reviendront encore et encore et encore et que jamais vous n'en aurez fini avec les balles en caoutchouc, les gaz lacrymogènes, et les grenades assourdissantes parce que même si vous vous ruez sur l’armée et passez au travers , ce ne sont pas des policiers.
Ils se contenteront pas de saisir une matraque et de vous arrêter. Si vous traversez une rangée de soldats, surtout si vous êtes un jeune et un mec, vous pouvez mourir.
Aujourd’hui l’armée a dit avoir vu un jeune Palestinien avec une arme bricolée maison et capable de tirer des balles. Comme les femmes, les hommes, les internationaux et moi avons essayé de revenir au village en haut de la colline, les soldats nous ont empêchés de traverser la corniche pour nous protéger pendant qu’ils tiraient à balles réelles sur les shebabs en fuite.
Puis ils ont lancé des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes sur nous tandis que nous dévalions la colline. De nouveau, comme ils s’accroupissaient derrière les rochers pour viser les jeunes en train de s’échapper, je n’ai pu m’empêcher de penser :
"Qu’est qu’on a bien pu leur raconter pour qu’ils puissent penser qu’ils doivent se protéger des pierres ? Et pourquoi le reste du monde leur fait-il confiance ?"
Comme je l’ai dit à l’un des soldats au début de la journée, quand ils n’agissaient encore que comme un petit groupe de flics : le pire qui pouvait lui arriver aujourd’hui, c'est qu’une pierre aille ricocher sur son casque . Je luj ai dit, à propos des shebabs là-haut sur la colline : "C’est quoi, le pire qui puisse leur arriver aujourd’hui ?"
Il a haussé les épaules, en tripotant son fusil. J’ai alors regardé par dessus son épaule les énormes bulldozers arrachant les oliviers ultimes ressources de survie pour cette communauté et j’ai continué de penser : "que peut-il bien arriver de plus ici ?"
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS pour ISM-France
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