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Gaza - 21 mars 2012
Par Slimane
Slimane, dont le nom a été changé, est militant d'ISM et vit en Palestine occupée depuis plusieurs mois.
Les phrases toutes faites résonnaient encore, venues du bruyant silence tapageur des médias a la botte... "Quelques heurts sporadiques, et habituels, ont été signalés ailleurs à Jérusalem-Est entre Palestiniens et forces de sécurité".
Ce, tandis que les puissances mondiales, chantres et donneuses de leçons des voies suprêmes de la sacro-sainte démocratie, y allaient de leur couplet en des phrases creuses voulant ménager le chou et la chèvre, mais où l'oreille un peu au fait de la réalité de ces temps et ces terres percevait clairement une préférence pour le chou, et où la chèvre pouvait bien se dessécher dans l'attente d’acquérir une valeur le jour où de sa peau on pourrait faire un tapis exotique pour décorer les salons parisiens ou new-yorkais.
Les Palestiniens de Silwan, à Jérusalem Est, "se heurtent' avec l'armée de l'occupant sioniste, en 2011
"Nous appelons, par ailleurs, à nouveau les parties israélienne et palestinienne à rester engagées dans les efforts visant à relancer les négociations directes et à faire des compromis en ce sens".
Ces phrases sans substance avaient beau s'empiler à perte de vue sur les bureaux des rédactions et les rubriques "en bref" de l’actualité internationale des journaux, au point de sembler boucher la vue de tout autre horizon possible quant a la réalité des vivants du quotidien...
Ces tirades prémâchées et préméditées pouvaient bien remplir les vitrines des communiqués officiels des ambassades, des consulats, des ministères des Affaires étrangères et autres dépêches d’État, elles se faisaient transparentes, s'effilochaient dans le rien qu'elles étaient, un brouillard de fiel d’où je voyais surgir les "histoires".
Les histoires... celles des gens, celles qui ont des yeux, des visages, des larmes et des souvenirs, des photos qui restent accrochées sur le mur d'un salon, des journées qui ne sont pas seulement des dates mais des matins et des après midi, des nuits, avec un soleil brûlant ou une pluie dont on se souvient... des jours à jamais gravés, parce que l'espace d'un instant a été suffisant pour transformer des existences.
Ces petites histoires que l'Histoire ignore, écrase, efface sous les phrases et les dates officielles, manipulables à souhait tant dans l'instant médiatique que dans le temps Historique. Ce n'est pourtant que là que tout a un sens, une réalité, une vérité ; dans ces millions de vies, singulières et uniques où ce ne sont pas des chiffres que l'on gagne ou perd, mais bien des femmes, des maris, des pères, des oncles, des fils, des grand mères, des sœurs, des voisins, des amis, des amours...
Ce sont ces "histoires" (et si le mot est beau, il est faible lorsqu'il s'agit d'existences vécues, souvent perdues, racontées par ceux qui restent, ces "vraies" personnes qui sont autant de quelqu'un, comme vous, comme moi) qui s'installent face à mes yeux et dans mes oreilles alors que je vois sans sentir ces annonces officielles via un écran ou l'autre.
Le vôtre d’écran occidental, comme celui que je croise sur Tv5 Monde, a bien dû afficher le mot Gaza ces derniers jours, illustrant le propos d'une minute d'images de gens se lamentant autour de quelques brancards, et de commentaires du style "suite à des tirs de roquettes palestiniens, Israël a répondu, etc..."
A moins que, branchés sur une chaine israélienne, vous n'ayez eu droit à la version "25 a 0", dont le cynisme abject laisse sans voix et sans mots, mais illustre bien une certaine volonté eu égard aux "efforts visant à relancer les négociations directes et à faire des compromis en ce sens".
Mais derrière cette "information", qui vit, qui espère, mange et pleure, rit et marche, court sur le bord de mer ou sous les obus de l'aviation, attend qui de l'eau ou de électricité sera rétablie en premier, se demande si la maison sera détruite aujourd'hui ou demain par un bulldozer ou une bombe, regarde la mer sans espoir ou tourne les yeux vers un grillage sans fin, rêve de partir étudier ailleurs ou simplement voir son grand-père inaccessible parce que de l'autre coté, pourtant à peine à 30 km... ? Qui sont les êtres singuliers qui font ces "chiffres" de morts parmi ce million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants survivants dans un ghetto balnéaire méditerranéen que l'on verrait de Saint-Tropez si on le voulait bien... ?
Baraka a 7 ans, une bonne bouille, des yeux qui rient même quand il a du chagrin, un peu de morve au nez et les genoux écorchés à force de jouer dans les gravats des maisons effondrées alentour et de fouiner à la recherche de ferrailles ; les bouts de fer, ça fait toujours plaisir à son yaba, il le sait ; 10 kg, ce sont, bien négociés, 5 shekels pour la caisse familiale, et c'est bienvenu depuis que le magasin familial a été contraint de fermer avant que d’être détruit, s’étant soudain retrouvé en "zone militaire fermée" pour d'obscures raisons de sécurité émanant des FDI, les forces de défense israéliennes... Baraka ne comprend pas encore l’absurdité de ces raisons quand on sait que tout Gaza est clos et que le contrôle militaire israélien absolu s'étend tout au long du "mur de défense"... Il sait par contre, malgré son jeune âge, qu'il ne faut pas s'aventurer près du grillage de défense, quand bien même il apercevrait le plus bel amas de ferraille ; il a entendu et vu leur voisine pleurer en criant le nom d'Hamid, son petit dernier, qui, attiré par un trésor d'au moins 300 grammes de fil de fer rouillé, s’était aventuré trop près et a reçu comme seule ferraille une balle en pleine poitrine tirée depuis la tour de guet distante de 250 mètres ; après ça Hamid n'est plus jamais revenu jouer avec Baraka, aussi maintenant, il sait qu'il ne faut pas aller par là...
Ayoub Asalya
Ayoub vient de fêter ses 12 ans et sent qu'il commence d’être un grand désormais ; certes ce matin là il va encore à l’école des petits, mais l’année prochaine ça changera, il pourra rejoindre ses amis plus âgés dans la cour des grands et, comme eux, il pourra se faire des coiffures avec plein de gel comme les chanteurs de la télé, et aussi fumer des cigarettes de temps en temps... En marchant dans la lumière de ce matin-la, il rêve tout haut, quand il ira à l’université (si il travaille bien pour obtenir une bourse de l’Autorité palestinienne, cette dernière ne les octroyant qu'au compte-goutte tant ses chefs sont préoccupés d'assurer avant tout leur confortable salaire...), quand il aura de la barbe pour se faire ces dessins ouvragés de poil comme son oncle, quand il se mariera avec la jolie Souad, quand...
Ce matin, il est heureux et plein d'envies pour plus tard, ses yeux pétillent en ce jour de soleil après les jours pluvieux, gris et boueux de la semaine dernière ; il marche en fredonnant sur le chemin plein de promesses de l’école...
Les funérailles de Nayif Qarmout à Gaza, le 13 mars
Nayif est presque un homme, il a 14 ans et l’école, c’était vraiment pas son truc ; rester assis à plus de 35 dans une salle étroite aux fenêtres mal jointées, jamais chauffée, soit faute électricité soit pénurie de pétrole, des livres et des cahiers que l'on n'en finit pas de remplir alors qu'il sent sa tête se vider heure après heure... aussi il a décidé "khalas l’école", il préfère aider son père à l’étal et donner des coups de mains ici et là pour quelques shekels, au moins il est au grand air, au soleil et il y a toujours un thé à partager quelque part ; il lui faut du mouvement, de l'exercice ; il lui faut surtout s'entraîner ! Car il le sait, son truc à lui c'est le football ; il se débrouille plus que bien, il excelle même disent certains, "un vrai Ronaldo, notre Nayif !" disent les vieux ; aussi ce matin, après avoir aidé à installer les étals ou l'on vend des sacs poubelles, des chaussettes ou des bottes de menthe et de sauge, il est venu sur ce coin de terrain vague jouer au foot avec ses copains ; il court sur la terre et évite les flaques mais lui seul sait qu'il est le maillot numéro 9 du Real de Madrid et qu'autour, ce ne sont pas les enceintes du mur israélien et les soldats qui le regardent, mais les 3000 supporters du Parc des Princes à Paris qui l'acclament autour d'une pelouse parfaite... Il court de tout son cœur, dribble de toute son âme, ses yeux luisent des rêves du dedans et de la lumière de ce matin prémices de printemps...
Adel a quant à lui 61 printemps et porte son lot de joies et de peines en même temps que sa bêche sur ses épaules, lorsqu'en ce matin il va vers ce petit bout de parcelle préservée afin de prendre soin des oliviers centenaires que les innombrables attaques par air, par mer, ou terre ont miraculeusement épargnés depuis sa naissance ; ce ne sont pas seulement des arbres dont il va prendre soin en ces premiers jours de soleil au sortir de l'hiver, ce sont des symboles qu'il va entretenir, des générations d'hommes, de femmes qui l'ont précédé en ces terres bien avant la création d'Israël, et ils sont la promesse des fruits à éclore, de la survivance d'un peuple malgré tout...
Muhamad a été enfant de Palestine sous la domination anglaise, il a vu les premiers colons sionistes, a vécu l'expropriation de ses terres, l'exode, les camps de réfugiés en Cisjordanie , les guerres de 48, de 67, les enfants partis a l’étranger, les amis réfugiés en Syrie et en Jordanie, les espoirs portés par Arafat, sa mort, les croyances lors des négociations et accords de Camp David, d'Oslo, les Intifadas, la reconnaissance de l’Autorité Palestinienne, puis ce mur de Gaza s’ériger, et celui qui enferme toute la Cisjordanie ... Il a 72 ans aujourd'hui, porte toutes ses espérances et ses peines, ses morts et ses disparus ; ce matin il marche vers les oliviers aux côtés de la seule lumière qui lui reste, la prunelle de ses yeux, son souffle et son cœur, sa fille Fayza qui a 35 ans...
Ce sont donc eux, ces "terroristes" qu’Israël a effacé du monde des vivants en ce matin de mars 2012...
Il a suffi de quelques obus et bombes vengeresses tant qu'aveugles, il a suffit d'un instant, une fraction de seconde, et le corps disloqué de Baraka s'est confondu aux gravats des maisons effondrées, les ferrailles venues du ciel s'immisçant à sa chair à jamais... Le chemin de l’école soudain effacé sous les pieds d'Ayoub, le faisant voltiger 50 mètres en arrière, les chairs en lambeaux s’emmêlant à l’écriture appliquée de ses cahiers désormais sans avenir... Nayif fauché en plein ciel à l'instant où il allait faire une tête qui donnerait la victoire à son équipe... La main d'Adel n'aura pas eu le temps de caresser une dernière fois les branches de l'arbre de paix... Un même bref souffle de mort viendra séparer à jamais Muhamad et Fayza...
Ce sont donc eux, les terroristes sans nom de cette triste partie où le résultat s'affiche 25 a 0 pour les uns, ou à travers un anonymat complice de médias plus "modérés"...
Ils ont été ce matin là 26, hommes, femmes, enfants, à laisser là leur existence dans une ultime souffrance, sans qu'ils sachent d’où et pourquoi venait cette mort tombée du ciel...
Ils ont été plus de 80 à "n’être que blessés", dont on n'entendra plus parler car peu importe aux médias les conditions des heures, des jours et des nuits qui suivront l’épisode de l'information ; peu importe les pères, les mères, les familles et amis qui pleureront, crieront, et porteront à jamais l'innocent perdu, cette vie qui deviendra une photo sur le mur du salon...
Ça vaut quoi, ces anonymes dans la politique internationale ?...
Et pourtant, je le sais, ils sont tout.
Eux seuls "sont" dans toute cette folie faite réalité.
"Suite à des attaques de roquettes palestiniennes, Israël a riposté..."
N'en croyez rien...
Ces quelques roquettes artisanales tombent dans le sable du désert autour de Gaza, Israël a depuis longtemps établi un périmètre de sécurité assez large et efficace pour ne pas risquer la vie de ses citoyens ; ses réponses à quelques tentatives issues de membres du Hamas ou du Djihad islamique sont démesurées et sont seules punitions collectives "pour l'exemple" ; si Tsahal (l’armée israélienne) le veut, elle a les moyens via des drones munis de bombes ou autres technologies d’éliminer précisément un individu chez lui ou dans sa voiture roulant... Les morts anonymes dont vous entendez parler ne sont autres que des civils ; vivant déjà dans une prison à ciel ouvert, on en massacre quelques-uns sans distinction pour faire la leçon.
Israël n'a rien à envier aux atrocités commises lors de la guerre d’Algérie, dont on (non)commémore la fin cinquante ans après ; rien à envier à ce que l'on a fait au Vietnam, en Indochine, en Irak, ou en Europe il y a 70 ans... la seule différence, c'est qu'ici ça dure depuis 60 ans.
Il faut peut-être qu'il y ait "25 a 0" une fois pour que l'on entende parler de Gaza, mais sachez bien que c'est quasiment tous les jours qu'à Gaza ou en Cisjordanie il y a des civils qui sans raison laissent là leur existence parce que Israël l'a décidé, tous les jours que des gens sont blessés, des maisons détruites, des terres annexées, des murs érigés...
Des "dommages collatéraux" involontaires... ?
On peut le croire, on peut ne pas le croire... je ne le crois pas.
Il y a deux semaines, deux enfants, Hamza et Juma, morts car ayant ramassé des munitions "oubliées" par des soldats israéliens... triste omission, incident... ?
Je ne le pense plus.
Je dîne il y a quelque temps avec Sala, il a aujourd'hui 21 ans et... est vivant.
Arrivant, je le salue et lui tends la main droite, il me tend la gauche.
Il y a dix ans, à la fin de la seconde Intifada (qui veut dire soulèvement mais est à l'origine le mot employé pour le soubresaut, la ruade du cheval qui veut se débarrasser de son cavalier), le couvre-feu est de rigueur a Bethléem ; il dure des jours, puis des semaines. Sala et quelques-autres, dans l’insouciance et la force de leur enfance, défient ces règles qui les obligent à rester clos des jours entiers ; ils ont trouvé un coin de terrain vague perdu au milieu des ruelles et vont y jouer à la balle entre deux patrouilles. Un soir, s’apprêtant à rentrer, ils ne retrouvent plus la balle, envoyée au loin Dieu sait où... Si Dieu sait où, Dieu ne doit pas savoir tout, sinon... car le lendemain, revenant sur leur terrain de jeu, ils aperçoivent la balle soudain réapparue. Sala et un camarade se précipitent, se penchent, la ramassent... la balle de tennis jaune explose ! Les deux sont grièvement blessés, des éclats dans tout le corps, des jours de coma... Sala en revient, ses doigts ont disparu ; depuis il préfère tendre la main gauche.
Une blague... ?
Une punition, un exemple, comme les bombes sur Gaza ces derniers jours.
Des actes volontaires et démesurés d'une armée surpuissante sur des civils, sans distinction d'ages, de sexes, de militance ou pas.
Les "histoires"...
Celles des dizaines de milliers de morts des dernières décennies, que seuls peuvent raconter ceux qui vivant encore n'oublieront jamais... celles des dizaines de milliers de blessés, des centaines de milliers de prisonniers (plus de 750.000 palestiniens, hommes, femmes, enfants sont passés dans les prisons d’Israël ces soixante dernières années, sur une population de 5 millions de personnes, dont 1 million et demi sont en prison permanente à Gaza), celles des millions d’expulsés, réfugiés dans des camps dans les pays voisins ou sur leurs propres terres ici en Cisjordanie ..
Millions d'histoires qui devraient nous toucher comme celles de nos propres frères, sœurs, parents, et que l'on laisse disparaitre derrière la fumée délétère de quelques images préfabriquées et quelques lignes creuses d'une Histoire qui nous aveugle dans l'aujourd'hui et fera l'enseignement de demain.
Alors que c'est bien l'"ensaignement" de chaque instant, les larmes et les deuils à cette minute, les vies et les morts qui ont un nom, un visage, qui font la seule Histoire.
Celle que chacun de nous devrait savoir, sentir, sans besoin de l'apprendre, parce que inscrite depuis toujours et à jamais, dans le seul livre qui vaille, celui du cœur... et qui n'est qu'Un.
Et ça continue, recommence, ici et là...
Les vies des peuples pèsent bien peu face aux intérêts géopolitiques, économiques...
A l'heure où tant de moyens de communications, de transports si rapides pourraient nous permettre de savoir, d'aller voir ce qu'est vraiment la réalité ici et là, on n'en n'a jamais si peu réellement su ; l'information se fait uniforme et se "cocacolise" à foison, manipule, tandis que l'on gobe allégrement juste parce que c'est sucré, tandis que savoir la réalité pourrait s’avérer trop amer et désagréable...
Ainsi d'ici et ce "conflit israélo-palestinien", ainsi des actions "humanitaires et démocratiques" en Libye (qui ont fait 160.000 morts et laissant un pays en plein chaos), ainsi de ce que l'on prépare avec la Syrie... et à une autre échelle, ainsi de ces élections françaises qui se voient soudain parées de l'aubaine d'un grand méchant loup appelant un plan Vigipirate et une soudaine union nationale sécuritaire.
Salam...
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