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Palestine occupée - 18 mars 2014
Par Wa'd Abbas
Wa'd Abbas est en quatrième année de littérature anglaise et en administration des affaires à l'université de Birzeit, près de Ramallah, en Palestine occupée.
Dans la nuit du 10 mars, deux Palestiniens ont été abattus. Le matin suivant, quatre Palestiniens ont été tués - un par les forces de l'occupation en Cisjordanie, et les autres pendant un raid israélien sur la Bande de Gaza. Quatre Palestiniens tués en 24 heures, et alors ? Le monde semble allait très bien. J'ai l'air d'aller très bien et je suis certaine que quiconque lit ces lignes va bien aussi. Il ne fait pas bon vivre dans un monde où l'on perd si facilement la vie et où les gens tournent si facilement la page.
Un des jeunes palestiniens tués était Saji Darwish, un étudiant de 19 ans de mon université, Birzeit. Le conseil des étudiants et l'administration de l'université lui ont préparé un hommage, pour l'honorer et nous permettre de lui faire nos adieux.
Toute ma vie j'ai essayé d'éviter les funérailles. Je suis lâche quand il s'agit de la mort. Ce n'est pas quelque chose que je peux gérer, accepter ou comprendre facilement. Néanmoins, quand j'ai appris la mort de Saji, j'ai mis un chemisier noir, j'ai pris mon keffiyeh et je suis allée à l'université participer à son hommage.
Plusieurs milliers d'étudiants, d'employés et d'enseignants étaient là - debout au milieu du campus de l'université, attendant, dans un silence total, dans le chagrin. Nous l'attendions. Nous attendions Saji.
Soudain, de loin, nous avons entendu des gens chanter. Je ne pouvais pas comprendre ce qu'ils disaient, mais cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose : Saji approchait. Dans un silence profond, le seul son audible était le battement de milliers de cœurs, unis pour la première fois.
Les chants se sont rapprochés, et les battements de notre unique cœur ont résonné de plus en plus fort.
Les étudiants de Birzeit portent le corps de Saji Darwish, le 10 mars 2014
Et puis, il était là. Porté par ses amis, ses collèges, ses professeurs et les étudiants, criant pour lui de tous leurs cœurs :
Saji, l'étincelle qui a allumé la flamme de la révolution
Saji le martyr, n'est pas parti en vain"
Ceux qui avaient encore de la voix ont crié pour lui tandis que les autres ont pleuré en silence. Nous pleurions, ou criions, ou reprenions notre respiration, ou tremblions. Tous sauf lui. Saji était calme, serein et déterminé.
Plus tard, nous avons découvert que Saji était l'un des nombreux Palestiniens qui refusent de se taire, et qui résistent par tous les moyens possibles. S'il pouvait jeter des pierres sur les colons qui attaquaient son village, il le faisait. S'il pouvait aller à une manifestation contre les négociations inutiles, il y allait. S'il y avait une manifestation contre le mur d'apartheid illégal et inhumain, il y allait, sans poser de question. Quand un Palestinien était tué, il allait à son enterrement et criait son nom aussi fort qu'il pouvait - exactement ce qui s'est passé pour lui pendant son propre enterrement.
Il n'était pas silencieux. Il n'était pas passif. Il était un combattant de la meilleure façon qui pouvait l'être. Et si nous voulions vraiment lui rendre hommage, le moins que nous pouvions faire était de le montrer tel qu'il était.
C'est la raison pour laquelle une photo qui a été partagée sur beaucoup de réseaux sociaux me dérange si profondément.
Jusqu'à présent, il n'a pas été confirmé que Saji était vraiment en train de jeter des pierres sur les colons et les soldats qui les protégeaient - puisque, vous le savez, la plupart des gens supposent que les forces de l'occupation israélienne ont besoin d'une raison pour tirer sur et tuer des Palestiniens. Néanmoins, c'est dégoûtant de se servir de Saji d'une telle manière, seulement pour impressionner la "communauté internationale" - à qui est destinée cette photo - et obtenir sa sympathie.
"Mon nom est Saji Darwish. Aujourd'hui, j'ai été abattu d'une balle dans la tête par les soldats des FIO pendant que je nourrissais mes chèvres. Vous ne lirez pas cette information dans les médias occidentaux, parce que je suis palestinien."
Dégoûtant est même loin du compte.
Il n'y a aucune honte à lutter contre l'occupation. Ce qui est honteux, ce n'est pas de contre-attaquer mais de fabriquer des histoires juste pour cadrer avec le rôle de victime qui n'aidera jamais ni ne modifiera la réalité dans laquelle nous vivons. Oui, nous sommes victimes de l'occupation israélienne, mais cela ne veut pas dire que nous devions être des victimes impuissants, passives et sans espoir.
Nous devons être comme Saji, faisant tout ce que nous pouvons pour refuser l'occupation. S'il s'agit de jeter des pierres sur les les colonies illégales israéliennes et sur les soldats israéliens, alors qu'il en soit ainsi. S'il s'agit de sauter par dessus le mur d'apartheid au risque d'être abattu au lieu d'être humilié à un checkpoint, alors qu'il en soit ainsi. S'il s'agit de refuser de retirer un drapeau palestinien de nos maisons parce que pour une raison ou une autre il terrifie les autorités israéliennes, alors qu'il en soit ainsi.
Mais dire que l'un de nos jeunes combattants contre l'occupation a été tué simplement parce qu'il nourrissait ses chèvres, pour obtenir l'approbation de gens et de partis qui s'en fichent, est vraiment perturbant.
Saji n'est pas la victime ici ; ce sont ceux qui sont d'accord avec cette photo, qui la partagent et qui l'approuvent qui sont les victimes. Les photos de ce genre confirment l'hypothèse que pour avoir raison et pour gagner le soutien des gens, nous ne pouvons qu'être les victimes. Quelles sont les raisons ? Peut-être voulons-nous être plus "pacifiques" que "violents" ; peut-être sommes-nous fatigués qu'on nous traite de terroristes. Mais aucun de ces motifs ridicules n'a d'importance.
Des posters de ce genre induisent que c'est mal de résister à l'occupation israélienne. Comme l'a dit un jour un de mes professeurs : "L'occupation elle-même est un crime, pas d'y résister."
Saji et tous les autres Palestiniens qui refusent la réalité de l'occupation et qui contre-attaquent chaque jour ne sont pas des victimes ; ceux qui ont honte de riposter le sont.
Etre une victime n'est pas un choix, mais être une victime passive oui. Il est temps de décider de quel côté nous voulons être.
Sa'ad, le frère de Saji, pendant les funérailles, son keffieh éclaboussé du sang de son frère
Source : Maan News
Traduction : MR pour ISM
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