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Espagne - 18 août 2016
Par El Diario
A peine 30 kms séparent la maison de la famille Tamimi de la plage la plus proche. Eux, cependant, mesurent cette distance autrement : par le nombre de contrôles frontaliers, de barbelés, d´interrogatoires et "d'humiliations quotidiennes" dont ils souffrent à cause de l´armée israélienne, et qui empêchent Bassem et ses enfants de connaître la mer, et "la liberté en général".
Nisreen Tamimi à la plage, en Espagne, avec les enfants des familles Tamimi et Azzeh
Ils vivent dans le village de Nabi Saleh, en Cisjordanie -territoire Palestinien occupé- où le rythme du mouvement pacifique de résistance est donné par les femmes et les enfants. "Disons que le rôle de l'homme, à la différence de ce qui se déroule dans d´autres endroits de la Palestine occupée, est très secondaire. Ce sont elles et les enfants qui mènent et dirigent les manifestations," décrit Manu Pineda, activiste et membre de l´association Unadikum.
Ce fut précisément cette particularité qui l'a poussé à vouloir organiser une conférence, au Parlement européen, sur le rôle des femmes dans la résistance palestinienne, en faisant venir en Europe quelques-unes des membres de cette famille. Mais le voyage prévu fut autre. "Ils me remercièrent beaucoup pour ma proposition, mais ils me prièrent de faire tout mon possible pour réussir à faire sortir les enfants de là-bas pendant quelques jours." Ils ne réclamaient pas des vacances, mais de faire une pause dans le rythme de leur vie. Là-bas, décrit Pineda, les enfants luttent contre l'armée pratiquement dès l'âge de cinq ans. "Ils ne connaissent pas autre chose."
Presque à l´improviste et sans aucune expérience antérieure dans le domaine de la coopération, l'association Unadikum lança un projet différent. Ils feraient venir en Espagne, pendant quelques jours, dix enfants de deux familles, celle des Tamimi et celle d'Hashem, qui mourut gazé par les Israéliens en octobre l´année dernière à Hébron, devant sa fille Hahan d´à peine cinq ans.
La fillette est restée muette depuis, jusqu´à ce que le contact avec une plage espagnole de Méditerranée, le mois dernier, lui redonne un sourire dont sa propre mère ne se souvenait pas. A ses côtés, le plus jeune des frères était apeuré, non pas à cause des armes et des cris habituels, mais comme un enfant qui, avec l'innocence de ses sept ans, goûte l'eau de mer et est surpris par son goût salé.
La plupart des enfants ne l'avait vue qu'à la télévision et en photos. Certains autres, les plus chanceux, l´avaient observée avant, une seule fois dans leur vie, ce fameux jour où leur père avait demandé l'autorisation d'aller prier, lors du Ramadan, à une mosquée des environs, il y a quelques années. Serrés dans une voiture, ils s'étaient échappés pour regarder les vagues au loin, par le pare-brise, et sentir le sel à travers les vitres baissées.
17 juillet - après un voyage plein d'embûches et de difficultés, les 10 enfants palestiniens et les adultes qui les accompagnent arrivent à l'aéroport de Madrid, pour vivre, pendant deux semaines, comme des enfants, et être traités comme tels.
Bien qu'ils aient du mal à le croire, c'était maintenant réel. "Lorsqu´ils sont arrivés en Espagne, ils ont mis du temps à tout assimiler. Ils ne comprenaient pas qu´ils pouvaient bouger librement, sans être soumis à des contrôles constants, sans qu´on les arrête ou les interroge," explique Pineda, qui se rappelle qu´outre le fait de voir la mer et de visiter l´Europe, "ce qu´ils ont réellement apprécié, c´est une sensation quotidienne de liberté qu´ils n´ont jamais."
Contrôles incessants pour sortir de Palestine
Arriver ne fut pas facile. Les contrôles dont ils souffrent quotidiennement furent multipliés par le nombre de kilomètres prévus pour le voyage en Espagne. Lors d'un de ces contrôles, des soldats israéliens ont détenu Bassem Tamimi et sa fille Ahed, qui durent revenir au village avant de réussir à partir quelques jours plus tard.
L´ainé des Tamimis n'a cependant pas pu venir. A 19 ans, il était depuis plus de 10 mois en prison avec 22 autres compagnons de son équipe de football, enfermés sans qu´aucune accusation ne fut portée à leur encontre. Ils ont été libérés le 28 juillet, juste lorsque les membres de leur famille revenaient de notre pays.
Le diner des retrouvailles familiales fut plein de contrastes : les anecdotes que le jeune homme avait vécues en prison, et celles du voyage de ses frères et sœur en Europe. "Ce sont des réalités opposés, à des années-lumière," rappelle Pineda.
Briser les stéréotypes
"A aucun moment nous avons essayé de leur faire la charité. Je crois que lorsque les Palestiniens eux-mêmes nous l'ont demandé, c´était une manière de recharger les accus pour qu'ils puissent continuer à fonctionner parce qu´ils étaient épuisés. Nous avons compris que nous étions en train de les aider pour qu´ils puissent continuer à résister," décrit l´activiste.
Il essaie de justifier les critiques qu´a reçues Unadikum, une ONG de dénonciation politique, pour avoir organisé une action humanitaire de ce genre, sans précédent dans sa trajectoire de défense du peuple Palestinien. "A voir que nous nous démarquions de ce que nous faisons habituellement, on nous a demandé, 'pourquoi maintenant ? pourquoi ces enfants et pas d´autres ?' et je crois que le "pourquoi X et pas Y" est un argument utilisé habituellement par ceux qui finalement ne font rien, ni pour X ni pour Y," explique-t-il.
"L'effort valait la peine !"
Unadikum a jugé que le projet n´était pas incohérent avec sa trajectoire, car, en plus de stimuler les jeunes, il servirait d'outil de sensibilisation et dénonciation. "Ils ont passé quelques jours en colonies de vacances avec des enfants espagnols qui jusque là ignoraient complètement ce qui se passe en Palestine ; de sorte qu´ils ont développé de la tolérance, de l´empathie et ont appris, eux et leurs familles, sur la réalité de ce qu'on vit là-bas," a ajouté Pineda.
A leur retour, à nouveau les barbelés, les contrôles, les questions. Cette fois, la réponse fut quelque peu différente. "Les forces d´occupation m'ont demandé ce que j'avais fait en Espagne. L´interrogatoire a duré des heures," a dit Muhammad, le fils ainé de Bassem, qui ajoute : "Je leur ait dit que pour la première fois, je savais ce qu'était la liberté et que je l'avais touchée de mes mains."
Voir les photos du séjour ici sur la page Facebook de Manu Pineda
Source : El Diario
Traduction : Gwendoline Taffin/MR
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