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ISM France - Archives 2001-2021

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Salfit -

Issa Souf : "J’éprouve de la pitié pour vous parce que vous êtes devenus des tueurs"

Par

Issa Souf, un Palestinien militant pacifiste écrit aux deux soldats à cause desquels il passera le restant de ses jours dans une chaise roulante.

II a longuement pensé aux deux soldats qui debout au dessus de lui ont empêché sa famille de lui venir en aide, alors qu’il était couché sur le chemin de terre, une balle logée dans sa moelle épinière, sentant le sang se répandre dans son ventre, et la paralysie le saisir. « Lève-toi !, Lève-toi ! » a hurlé un des deux soldats, mais il en était incapable. Quelques minutes plus tôt un des deux avait tiré sur lui, peut-être le blond mal rasé, peut-être celui aux cheveux noirs, il ne le sait pas.

Une balle tirée de très près, vingt ou trente mètres, de la direction d’où apparaissaient les soldats. La balle entra par l’épaule et se ficha dans la moelle épinière. Issa était près de la maison et appelait les enfants pour qu’ils ne soient pas blessés par les gaz lacrymogènes lancés par les soldats. Cette balle changea sa vie en un instant : il serait paraplégique jusqu’à la fin de sa vie. C’était le 15 mai 2001, le jour de la « Naqba » (catastrophe), correspondant à l’anniversaire de la fondation d’Israël en 1948.

Il y a deux mois, le 15 mai 2004, trois ans après cet incident, Issa décida d’écrire une lettre ouverte aux deux soldats anonymes. Il a décidé de rendre ce texte public.

Souf, 39 ans, est un militant pacifiste bien connu dans les cercles israéliens de gauche. Ward, son fils âgé de trois ans, s’accroche à lui. Le garçon est né peu avant l’incident et n’a jamais vu son père debout. Faïssa, son épouse, est enceinte de deux mois grâce à une insémination artificielle – à cause de son handicap à lui – et le couple attend à présent des jumeaux.

Ils habitent à Hares, le village en face de la ville et colonie d’Ariel. La plus grande partie des terres du village a été confisquée pour construire la colonie de Revava, les zones industrielles de Barqan et la partie occidentale de Ariel. Maintenant, le mur, s’il est construit ici, menace le reste des terres.


Hares est connu également pour avoir eu sa part de violences de la part des colons. Depuis que Sharon est au pouvoir, dit Souf, les colons laissent aux forces de défense israéliennes (IDF) le soin de harceler la population et ils ont cessé leurs raids.
Le village de trois mille habitants en a perdu quatre au cours de l’actuelle ‘Intifada’, dont deux enfants. Des colons et des soldats ont déraciné deux mille oliviers, dont les plus jeunes avaient été plantés il y a cinquante ans.


Souf a fait des études de journalisme à Naplouse puis des études d’éducation physique en Jordanie où il a acquis son diplôme. Il a travaillé comme prof. d’éducation physique à Jéricho. Il a enseigné la non-violence à ses élèves, dit-il. Il est hanté par une histoire du prophète Ali dans laquelle un juif crache sur Ali qui dégaine son épée, puis décide de laisser aller le juif. "Pendant la première année de l’‘Intifada’ nous avons cherché une méthode pour résister, d’arrêter les nombreuses attaques contre les gens et les propriétés.

Nous ne croyions pas en la lutte armée. Les êtres humains sont sacrés, tous les êtres humains. Dieu a donné la vie et seul Dieu peut l’enlever. Nous avons commencé, Naouaf – mon frère aîné – et moi, à créer et renforcer les liens avec les Israéliens qui croient en la paix et en nos droits sur cette terre.

Nous avons des liens étroits avec Neta Golan, avec Ta’ayoush (un groupe de coopération juifs-arabes), avec les Médecins pour les Droits Humains et l’organisation Arrêtons l’Occupation.
Nous avons également des contacts avec des gens à l’étranger qui appellent à la paix. »


Un mois avant sa blessure, une jeep s’est arrêtée et un soldat a lancé une grenade qui a touché la maison. « Dans nos maisons il y a des enfants et des femmes enceintes. Deux jours avant ma blessure mes frères sont allés vers une (autre) jeep et ont dit aux soldats : « Il y a des femmes et des enfants dans la maison, pourquoi jetez-vous des bombes lacrymogènes ? Nous ne lançons pas de pierres, nous ne sommes un danger pour personne ».


Le matin de l’incident un ami d’un magasin en contrebas de la route a appelé et prévenu : « L’armée approche, il faut mettre les femmes et les enfants en sécurité à l’intérieur des maisons. Mon fils était âgé d’un mois et demi, et j’ai dit à ma femme de ne pas sortir de la maison. J’ai fermé la porte derrière moi et ai ordonné à tout le monde de rentrer dans les maisons. Les femmes ont eu le temps d’emmener les enfants et je me suis avancé jusqu’à la maison de mon père. Tout à coup, j’ai entendu le bruit sec d’une arme à feu automatique. Je suis tombé. Pourquoi ? Qui ? Comment ? Je n’ai rien su à ce moment- là. Au bout de deux minutes

j’ai vu deux soldats au-dessus de ma tête. « Lève-toi ! Lève-toi ! ». J’ai essayé, mais je n’y arrivais pas. J’ai dit aux soldats : « Vous m’avez tué et vous me dîtes de me lever ? »

Ma voix faiblissait. Les soldats sont restés au-dessus de moi pendant vingt minutes. Ils n’ont laissé approcher personne. Ma mère, mon père, mes frères ont essayé, mais ils ne les ont pas laissé s’approcher. Les soldats ont lancé des grenades paralysantes et tiré en l’air. Je croyais que j’étais en train de mourir. J’ai dit aux soldats : « Soyez humains, laissez les gens m’aider, je vais mourir ».

Lorsqu’il se réveilla à l’hôpital le médecin lui dit qu’il resterait paralysé à vie.

« Ils ne pouvaient pas traiter cette blessure à l’hôpital Rafidiah (Naplouse) de sorte que mes frères organisèrent une opération à l’étranger. La Jordanie est le pays le plus accessible. J’y suis resté trois mois. Toute la famille m’a accompagné. Je vous raconte ceci en vitesse. Vivre cela est une autre chose. Et toute la famille a vécu cette histoire. Minute après minute.


Quand je suis rentré ils avaient transformé la maison : les portes, les toilettes, la cuisine. J’ai tout accepté. Je n’ai pas demandé pourquoi cela m’est arrivé, comme d’autres le font. J’ai commencé une nouvelle vie, sans colère.


Mais je n’ai pas reçu les soins de rééducation corrects. Mes trois frères étaient auprès de moi jour et nuit. Pour me mettre du lit sur la chaise, de la chaise aux toilettes. Une vie dure. Nous avons cherché des centres de rééducation. Un ami anglais qui vivait au village et dont la femme était paralysée m’a donné l’adresse de Stoke Mandeville en Angleterre, la plus vieille institution au monde avec les meilleurs spécialistes. J’y suis allé – avec les documents et visas nécessaires - grâce à l’aide d’une Israélienne des Médecins pour les Droits Humains. Mon frère et moi y avons passé un mois et demi. Cela a coûté beaucoup d’argent. J’ai eu une bonne rééducation et ma vie est devenue plus facile : je peux me déplacer et prendre soin de moi tout seul ».


Ses liens avec des Israéliens persistent. « Non seulement ils persistent mais ils se sont raffermis. Mes sentiments n’ont pas changé. Je ne ressens de la haine pour personne. Seulement pour les politiciens qui font de nous, les gens du peuple des deux côtés, les victimes de leurs luttes pour le pouvoir et leurs intérêts. Les Israéliens me rendent visite. Nous avons de nombreux amis israéliens. Ils dorment chez nous et mangent avec nous. Nous ne haïssons pas les Juifs ni les Israéliens. S’il y a de la colère, c’est à l’égard de la méthode de gouverner, qui est la cause de toutes ces souffrances.

Le soldat qui a tiré est également une victime. Je suis convaincu qu’il est une victime. Je le plains. Il est plus victime que moi-même. J’ai été victime une fois, il l’est dix fois. Il n’est pas facile de vivre toute une vie avec le sentiment d’avoir tué quelqu’un. Ce n’est pas facile du tout. Un jour j’ai écrasé un chat en voiture. J’en étais malade toute un semaine. L’image du chat mort sous les roues de ma voiture ne me quittait plus. Si cela arrive à un être humain et non à un chat, je ne crois pas que la personne puisse vivre avec cela. Comment va-t-il se comporter avec sa femme et ses enfants et ses amis ? C’est une question que je me pose.

Chacun d’entre nous veut être fort. Le problème est de savoir comment utiliser cette force. Si je suis le plus fort, cela ne signifie pas que je peux m’imposer aux autres, les tuer sans aucune raison, prendre leurs droits, simplement parce que je suis fort.

Je pense au soldat tout le temps. Pas pour me venger. Je crois qu’il n’a pas eu de chance. Une victime comme moi, sinon plus.

Je lui ai écrit parce que j’espère qu’un jour nous pourrons nous rencontrer et que je peux changer quelque chose chez lui. Transformer quelque chose dans sa tête. Purifier son coeur. J’espère pourvoir faire en sorte que les soldats qui ont tué des Palestiniens se rangent de notre côté. Que je puisse les faire passer du côté du crime et de la haine vers celui de la beauté et de la paix.

Trois mille Palestiniens ont été tués. Du côté israélien il y a trois mille soldats qui ont tué. Ainsi l’armée devient une armée d’assassins et de criminels. Dans quelques années cela va transformer la société israélienne en quelque chose qui n’est pas bon. Voyez l’occupation : elle est terrible. Pour nous c’est la mort. Au sens vrai du terme : la mort. Elle prend nos terres, nos droits, notre humanité, elle veut nous nous effacer, nettoyer, comme ils disent dans la rue. Nous ne pouvons pas circuler sur les routes, ni entrer dans les villes, ni nous rendre à l’hôpital sans autorisation. »



Cette année, le jour de la Naqba, la catastrophe officielle et la sienne, personnelle, Issa Souf a écrit une lettre aux soldats qui ont tiré sur lui (l’original est en arabe)


"Je me souviens de vous. Je me rappelle vos visages ahuris lorsque vous étiez debout au-dessus de moi et ne vouliez laisser approcher personne qui puisse m’aider. Je me rappelle ma voix qui faiblissait lorsque je vous ai dit : « Soyez humains et laissez mes parents venir à mon secours ».
Je garde toutes ces images dans ma tête : ma position par terre, ma voix faible, ma respiration courte à cause du sang qui remplissait mes poumons. Je ne vous cacherai pas que malgré cela j’avais pitié de vous. Je me sentais fort parce j’avais des forces insoupçonnées auparavant.


C’était il y a exactement trois ans. J’étais sorti en courant de la maison pour chercher les enfants et les protéger de vos gaz lacrymogènes. Je ne croyais pas que vos balles seraient réelles ou des balles dumdum, qui sont interdites par les lois internationales. J’ai pu mettre les enfants à l’abri de votre feu et je ne regrette pas cela.


Je vous plains parce que vous êtes devenus des assassins. Depuis tout jeune j’ai détesté tuer, abhorré les armes, le sang, tout comme je hais l’injustice et que je la combats. C’est la vie telle que je l’ai comprise comme jeune garçon et c’est cet esprit que j’ai enseigné à d’autres. J’ai mis toute mon énergie au service de la paix et de la justice, et j’ai cherché à diminuer les souffrances causées par l’injustice.

Oui, je vous plains parce que vous êtes malades. Malades de haine, malades de susciter tant d’injustice, malades d’égoïsme, de la mort de la conscience et des allures de pouvoir. La guérison et la rééducation de ces maladies sont, comme pour la paralysie, très longues mais possibles.

Oui j’ai eu pitié de vous, pitié de vos enfants et de vos femmes et je me demande comment ils peuvent vivre avec vous alors que vous êtes des assassins. J’ai pitié de vous qui avez quitté votre humanité et vos valeurs et les préceptes de votre religion et même vos lois militaires parce que cela démolit le moral du soldat, sa force et sa virilité.


J’ai eu pitié de vous de dire que vous êtes les victimes des Nazis d’hier et je ne comprends pas comment la victime d’hier devient le criminel d’aujourd’hui. Cela me fait peur en rapport avec la victime d’aujourd’hui – mon peuple est la victime d’aujourd’hui – et j’ai peur qu’eux aussi deviennent les criminels de demain.

Je vous plains d’être devenus les victimes d’une culture qui considère que pour vivre il faut tuer, détruire, semer la peur et la terreur, imposer son pouvoir à d’autres.

Malgré tout cela je crois à la réparation et au pardon. Je crois qu’il vous est possible de recouvrer votre humanité et votre sens moral. Vous pouvez vous remettre de vos maladies de haine et de désir de revanche, et si un jour nous nous rencontrions, même dans ma maison, soyez sûrs que vous ne me trouverez pas avec une ceinture d’explosifs ni un couteau dissimulé dans ma poche ou les roues de ma chaise roulante. Vous trouverez, au contraire, quelqu’un qui vous aidera à retrouver ce que vous avez perdu.


Vous trouverez ici un enfant doux et fragile, dont l’âge est le même qu’à la seconde où vous avez tiré, et qui ne verra jamais son père debout sur ses jambes, un enfant plein de fierté et de force, même s’il doit pousser la chaise roulante de son père. Même si j’ai des raisons de vous haïr, je ne ressens pas de haine et je n’ai pas de regret.

Issa Souf

Source : www.womenspeacepalestine.org/

Traduction : IWPS

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