Fermer

S'inscrire à la mailing list ISM-France

Recevez par email les titres des derniers articles publiés sur ISM-France.

Votre adresse courriel

Fermer

Envoyer cet article

Votre adresse courriel
Envoyer l'article à
Votre message
Je profite de l'occasion pour m'abonner à la newsletter ISM France.
ISM France - Archives 2001-2021

Imprimer cet article Envoyer cet article
Article lu 1935 fois

Grande Bretagne -

Je lance un défi à Steven Spielberg

Par

in The Independent, 21.01.06

Le film ‘Munich’ de Steven Spielberg est absolument génial ! Tiens, bizarre ; j’entends déjà grommeler certains lecteurs... Le film ne passera en Grande-Bretagne qu’à partir de vendredi prochain. Mais, aux Etats-Unis, des Arabes qui vivent là-bas ont condamné ce film qui traite de l’assassinat en série de Palestiniens après le massacre d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, en le qualifiant de "diatribe anti-arabe qui déshumanise tout un peuple souffrant de sa dépossession et de son occupation".

Des organisations juives ont insinué que Spielberg aurait déshonoré ses racines juives en portraiturant des agents du Mossad en tueurs criminels et en proie au doute, qui finissent par mépriser leur propre pays.

"Il doit y avoir là quelque chose d’intéressant…", me suis-je dit à moi même en prenant place dans mon fauteuil, de l’autre cêté de l’Atlantique, m’apprêtant à regarder le film à grand spectacle (avec force assassinats et flots d’hémoglobine) du célèbre metteur en scène…

Il y a beaucoup d’endroits où vous fermez les yeux : l’assassinat des athlètes, entrecoupé de scènes dans lesquelles le tueur en chef "Avner" est en train de copuler avec sa femme dans un appartement new-yorkais ; l’assassinat israélien d’une call-girl hollandaise qui a séduit un tueur du Mossad en vue de le liquider : elle marche, nue et répandant généreusement son sang sur le plancher de sa péniche, s’efforçant de respirer à travers la blessure causée par une balle en pleine poitrine… Ah, et puis il y a aussi le Cliché Moyen-oriental de l’année.

C’est quand "Avner" - dans une scène totalement fictionnelle - parle avec un réfugié palestinien armé, qu’il liquidera plus tard. Il lui demande : "Entre-nous, Ali… les oliviers de ton père, ils te manquent vraiment ?"

Ben voui, je veux, mon neveu : "Ali", il a une sacrée nostalgie des oliviers de papa !.. Posez cette question à n’importe quel Palestinien habitant les bidonvilles de torchis de Ein el-Helwé, de Nahr-el-Bared ou de Sabra et Chatila, au Liban, et vous obtiendrez la même réponse. Il s’agit là d’une scène aux grosses ficelles et qui se traîne en longueur, où l’approche cultivée et philosophique d’Avner est mise en contraste avec la colère brute et frustre du Palestinien.

Et il y a un tas d’autres âneries. Le meurtre on ne peut plus réel, par la même fine équipe du Mossad, d’un garçon de café marocain parfaitement innocent, en Norvège, a disparu du film – évitant ainsi, j’imagine, l’embarras qu’aurait causé la nécessité de montrer un des assassins se planquant dans l’appartement de l’attaché militaire israélien en Norvège, à Oslo [tiens, décidément, Oslo ?… Ndt]. Une planque dont la révélation n’a pas précisément apporté un immense service aux relations israélo-scandinaves…

Reste que le film de Spielberg a franchi une ligne jaune fondamentale dans le traitement hollywoodien du conflit moyen-oriental. Pour la toute première fois, on voit des espions / assassins israéliens de haut vol non seulement se poser des questions sur leur rêle de vengeurs, mais prendre carrément conscience du fait que la doctrine "pour un œil, un œil ; pour une dent, toute la gueule", ça ne marche pas, c’est immoral, c’est atroce.

Le résultat de l’assassinat d’un des tireurs palestiniens – ou d’un Palestinien sympathisant avec les tueurs de Munich, c’est tout simplement que six autres Palestiniens prennent leur place.

L’un après l’autre, les membres du commando des liquidateurs du Mossad se font eux-mêmes prendre en chasse et dégommer. Avner en vient même à estimer qu’à chaque fois qu’il liquide un Palestinien, cela coûte un million de dollars.

Et puis, il y a la fin du film : le surveillant d’Avner, au Mossad, vient à New York afin de le persuader de rentrer en Israël, mais Avner l’envoie promener après qu’il ait été incapable d’apporter la moindre preuve de la culpabilité des Palestiniens abattus ; alors il décline, écoeuré, l’invitation que lui fait Avner de venir partager le pain et le sel avec lui, à sa table.

Cela suggère, pour la première fois sur le grand écran, que la politique israélienne à base de militarisme et d’occupation est immorale. Le fait que la caméra se déplace vers la gauche des deux hommes et saisisse une image digitalisée reconstituée des Tours Jumelles, vues à travers la brume, c’est ce que j’appelle personnellement "un grincement".
"Ouais, Steve, n’en fais pas trop tout de même…", me suis-je dit intérieurement ; "merci, mais on avait compris !"

Mais voilà le principal : ce film déconstruit intégralement le mythe de l’invincibilité et de la supériorité morale d’Israël. De ses alliances sulfureuses, aussi – un des personnages les plus sympathiques est un patron âgé de la mafia française qui aide Avner – et son présupposé arrogant que, de tous les pays, lui seul a le droit de pratiquer les assassinats d’Etat.

Peut-être qu’inéluctablement et sans le savoir, l’auteur du roman d’où le film Munich est tiré – George Jonas, qui a écrit Vengeance – a-t-il fait merveille pour déconstruire Spielberg lui-même. "On n’atteint pas à un haut niveau moral en restant neutre entre le bien et le mal", dit-il.

Ce qui rebute pas mal de gens, qui ne vont pas voir ce film, c’est le fait qu’il "traite des terroristes comme des gens comme vous et moi… Dans leur effort afin de ne pas diaboliser des êtres humains, Spielberg et Kushner (Tony Kushner, le scénariste en chef) finissent par humaniser des démons".

Certes. Mais c’est bien là le problème, non ?

Appeler des êtres humains "terroristes" ne les déshumanise en rien, quoi qu’ils aient pu faire.

La question "pourquoi ?" – strictement interdite après les crimes contre l’humanité du 11 septembre 2001 – est pourtant bien exactement la question que pose n’importe quel flic sur le lieu de n’importe quel crime - "quel était le mobile" -, non ?

La coïncidence est sans doute voulue : Aaron Klein a pondu un nouveau bouquin sur Munich, aux éditions Random House. Comme l’a fait observer un recenseur, il donne des mêmes truands du Mossad une description suggérant une équipe plutêt de tueurs de sang-froid que de mercenaires en proie au doute.

Dans un contexte tout à fait différent, il est intéressant d’apprendre que ce Klein, capitaine dans une unité du renseignement de l’armée israélienne, se trouve être également, voyez-vous, le correspondant de Times Magazine à Jérusalem, spécialisé dans les questions militaires…

J’en déduis que cette auguste revue pro-israélienne ne va certainement pas tarder à nommer un militant du Hamas au poste de correspondant chargé des questions militaires en Cisjordanie

Mais peu importe ; là n’est pas la question. Ce qui fait problème, pour certains, ce n’est pas le fait que Spielberg change les traits de ses assassins – ni même le fait que Malte tienne lieu de Beyrouth et Budapest tienne lieu de Paris, dans le film – mais bien, en revanche, le fait que l’entièreté de la structure de supériorité morale d’Israël soit soumise à un examen critique impitoyable et amer ; vers la fin du film, Avner fait irruption au consulat d’Israël à New York, persuadé que le Mossad a décidé de lui faire la peau, à lui aussi…

Bon : chose promise, chose due. Voici mon vrai défi, que je lance à Spielberg.
Un ami musulman m’a écrit un jour pour me recommander le film La Liste de Schindler, mais en me demandant si le metteur en scène lui donnerait une suite, en faisant un film relatant l’épopée de la dépossession des Palestiniens qui fit suite à l’arrivée des réfugiés de Schindler en Palestine

Eh bien, non. En lieu et place, Spielberg a sauté quatorze année, jusqu’à Munich, tout en disant au cours d’une interview qu’à ses yeux, le véritable ennemi, au Moyen-Orient, c’est "l’intransigeance".

C’est faux.

Le véritable ennemi, au Moyen-Orient, c’est celui qui vole leur terre aux autres.

Aussi, à mon tour de poser une question : aurons-nous une épopée spielbergienne sur la catastrophe palestinienne de 1948 et la suite ? Ou bien – comme ces réfugiés aspirant désespérément à un visa, dans le film Casablanca – nous faudra-t-il attendre, attendre, et encore… attendre ?



* Traduit de l'anglais en français par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique
(transtlaxcala@yahoo.com). Cette traduction est en Copyleft.

Faire un don

Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.

Oui ! Je soutiens ISM-France.


Contacter ISM France

contact@ism-france.org

Suivre ISM France

S'abonner à ISMFRANCE sur Twitter RSS

Avertissement

L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.

Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.

D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.

A lire également...
Même lieu

Grande Bretagne

Même sujet

Histoire

Même auteur

Robert Fisk