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ISM France - Archives 2001-2021

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Liban -

Liban : Assassinats, élections et Palestine – Interview de Samah Idris *

Par

> christoff@resist.ca

Stefan Christoff réside actuellement au Liban, comme correspondant spécial d’Electronic Intifada, il fait des reportages sur les combats actuels en vue de la justice sociale. Membre d’International Solidarity Movement, Stefan milite également activement à Indymedia Beyrouth. On peut le contacter à l’adresse e-mail suivante : christoff@resist.ca

Cette interview donne une vision critique des changements du panorama politique libanais, tels que les voit un important intellectuel de ce pays, Samah Idriss, cofondateur de la Campagne de boycott des soutiens d’Israël et rédacteur en chef de la revue artistique et culturelle libanaise basée à Beyrouth, Al-Adab
L’entretien s’est déroulé en août dernier à Beyrouth, abordant divers sujets relatifs à la vie situation libanaise actuelle, tout en replaçant les changements politiques majeurs intervenant au Liban dans leur contexte régional (moyen-oriental). parlementaires.

Idriss évoque la vague de manifestations d’"opposition" qui a commencé à déferler après l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafiq Hariri, le retrait syrien consécutif du Liban et les récentes élections

Idriss analyse également la relation entre certains personnages politiques libanais (notamment celles qu’entretint Rafiq Hariri) avec les élites politiques et économiques syriennes, et la lutte de libération du peuple palestinien.


Stefan Christoff [SC] : Pouvez-vous nous faire part de votre analyse sur les dernières élections législatives libanaise. Je serais particulièrement intéressé par votre vision des relations entre ces élections et la vague de manifestations de l’"opposition" libanaise exigeant le retrait des troupes syriennes du Liban ?…

Samah Idriss [SI] : Les manifestations de rue n’avaient pratiquement aucun rapport avec les résultats des dernières élections législatives libanaises. Le résultat de ces élections avait, en revanche, tout à voir avec la décision prise par le régime syrien de retirer son armée, en raison de sa crainte des conséquences possibles de l’adoption de la résolution 1559 par le conseil de sécurité de l’ONU.

S’ajoute à cela le fait que les Etats-Unis avaient décidé que le temps était venu, pour la Syrie, de quitter le Liban, si les Syriens voulaient persister à refuser de liquider le Hizbollah, de désarmer les camps palestiniens et de coopérer à la "feuille de route" en faisant pression sur les Palestiniens afin que ceux-ci mettent un terme à leur guerre d’usure légitime contre l’occupation israélienne, tout en empêchant totalement des "infiltrés" de tuer des militaires et des sous-traitants "civils" [lire : des supplétifs, ndt…] américains, en Irak.

A l’évidence, la Syrie ne pouvait pas satisfaire aux deux dernières de ces exigences : les Palestiniens mènent leur propre guerre de libération.
De la même manière, le plus gros des opérations militaires, en Irak, n’ont pas grand-chose à voir avec des infiltrations provenant de pays frontaliers de l’Irak ; l’armée américaine a elle-même avoué que moins de 5 % des combattants ayant participé à l’insurrection de Fallujah étaient étrangers à l’Irak.

La Syrie ne pouvait faire rien de plus qu’exercer des pressions sur les dirigeants palestiniens basés à Damas, ce qu’elle fit : aujourd’hui, les factions palestiniennes disposent tout juste de bureaux d’information, en Syrie. Sur le front irakien, les Syriens ont effectivement arrêté beaucoup d’hommes fidèles à Saddam et désireux d’en découdre, et ils ont également remis quelques "infiltrés islamistes" à leurs régimes impitoyables respectifs.

La Syrie a aussi érigé un mur tout au long de la frontière syro-irakienne, afin d’empêcher les gens de passer éventuellement en Irak, mais ce mur n’est pas aussi haut que le mur d’apartheid israélien !

Le gouvernement syrien a même commandé aux Etats-Unis des jumelles spéciales de vision nocturne, du même type que celles utilisées par le gouvernement américain pour tenter de dissuader des migrants Mexicains de pénétrer sur le territoire américain [avec un succès des plus mitigés, ndt].

En ce qui concerne le Hizbollah, la Syrie ne peut pas attaquer ce parti, car cela serait trop dommageable pour ses relations étroites avec l’Iran, en particulier en des temps où les Etats-Unis menacent de bombarder l’Iran jusqu’à ce qu’il retourne à l’âge de pierre s’il ne met pas un terme à ses projets nucléaires pacifiques…

En résumé, les Etats-Unis avaient besoin d’une victoire rapide et facile pour compenser ses échecs dans la région, en particulier en Irak et en Palestine.
"Pourrait-il y avoir une conquête plus prometteuse que celle du Liban, pays déjà tourmenté par des décennies de despotisme et de tutelle syriennes ?" pensèrent les Américains.

A rendre l’entreprise des Etats-Unis particulièrement prometteuse était le fait que le Liban comporte des partis qui avaient déjà par le passé travaillé main dans la main avec les Israéliens : les Forces libanaises, par exemple ; et avec les Américains, comme le Mouvement Patriotique Libre, sous la houlette de Michel Aoun, un ancien général.

Les Etats-Unis et la France ont contraint le conseil de sécurité à adopter la résolution 1559, et la Syrie s’est retirée – aucunement par peur des manifestations libanaises – mais de crainte d’avoir à subir le même sort que l’Irak de Saddam Hussein.

Il faut aussi bien prendre conscience du fait que l’intervention syrienne au Liban, qui a débuté en juin 1976, en pleine guerre civile, est intervenue avec l’approbation totale des Etats-Unis, et en particulier d’Henry Kissinger, désireux de stopper l’avance prise par des formations palestiniennes et de gauche sur les milices libanaises de droite.

En 2005, le temps était venu, pour ce même pays qui avait approuvé l’intervention syrienne, d’exiger le retrait de la Syrie du Liban, afin de pouvoir offrir à l’opinion publique américaine et de faire valoir au plan international une nouvelle "victoire de la démocratie", similaire aux "victoires" géorgienne et ukrainienne.

Comme résultat de l’immixtion américaine pour les beaux yeux de la "démocratie", nous nous retrouvons, à l’issue des dernières élections législatives, dans une situation qui ressemble point pour point au panorama politique qui permit la guerre civile.
De vieux seigneurs de la guerre sont de retour dans l’arène et ils contrêlent le pays, comme les Jumblat, Berri et autre Ja’ja’. Toutefois, de nouveaux acteurs ont également fait leur entrée en scène, tel Sa’d al-Hariri, qui n’est en rien opposé à la politique américaine dans la région, et le Hizbollah, avec lequel les Etats-Unis n’accepterons de discuter "que" s’il se désarme [excusez du peu…], c’est-à-dire : s’il accepte d’être mis à la merci de Sharon et du ministre israélien de la Défense, Shaul Mofaz !

Notre condamnation de la ruse pro-démocratie américaine ne vaut pas quitus et admiration pour la Syrie, notez-le bien. Il est important de ne pas ignorer les très graves exactions perpétrées par le régime syrien au Liban, car ce sont bien elles qui sont responsables des sentiments anti-syriens exprimés lors de l’énorme manifestation d’opposition organisée à Beyrouth le 14 mars dernier, ainsi qu’au cours des dernières élections.

La présence syrienne au Liban, maintenant… Beaucoup de Libanais affirment que la présence politique et militaire syrienne, de très longue durée, au Liban, n’aurait pas été possible sans une complicité de certaines élites libanaises, au plus haut niveau.

Tout au long de la présence syrienne au Liban, beaucoup de dirigeants politiques, qui forment aujourd’hui ce qu’il est convenu d’appeler l’ « opposition » ont joué des rêles fondamentaux. Aussi vous pouvez légitimement élargir la question à la complicité de certains dirigeants politiques libanais dans la présence syrienne au Liban, et en particulier, de ceux qui, tout au long des dernières années, ont appelé au retrait syrien…

Beaucoup des politiciens qui ont appelé au retrait syrien étaient les principaux bénéficiaires de la présence syrienne dans le pays.

Le Parti Socialiste Progressiste de Walid Jumblat a largement bénéficié de la tutelle syrienne, qui lui a permis d’acquérir plus de pouvoir, à des postes gouvernementaux, et plus de contrêle, "grâce" à la guerre civile, sur les régions "druzes" du pays. Jusqu’à tout récemment, quiconque critiquait la Syrie se voyait dénoncer par Jumblat en tant qu’agent israélien ou américain !

Jumblat n’a jamais accusé les Syriens d’avoir assassiné son père, Kamal Jumblat, chef du Mouvement National Libanais, une coalition de partis de gauche libanais, et sa "conviction" que ce sont bien les Syriens qui ont fait le coup, le 16 mars 1977, relativement récente, ne change rien à ce fait.

Feu Rafiq al-Hariri entretenait des relations excellentes avec certaines élites syriennes, tant politiques que financières. Hariri n’a que très rarement manifesté son désaccord sur leur interférence dans la vie politique libanaise, et la corruption politique et économique qu’ils semaient dans le pays.

Ses partisans prétendent aujourd’hui qu’il aurait souvent critiqué la Syrie "en coulisses", mais même si c’était vrai, cela ne le distinguerait en rien des autres hommes politiques qui, afin de sauvegarder leurs intérêts propres, ne se sont jamais préoccupés de dénoncer les machinations syriennes.

Demeure le fait que Rafiq al-Hariri n’a jamais levé le petit doigt publiquement afin de mettre un terme aux vicissitudes infligées par le régime syrien à la "Liberté, la Souveraineté et l’Indépendance" du Liban, cette nouvelle sainte trinité des croyants de la soi-disant opposition libanaise !…

Dans ce contexte, il faudrait avoir l’honnêteté et le courage d’affirmer que la présence syrienne au Liban n’aurait pas été tellement désastreuse que cela s’il n’y avait pas eu la complicité des élites libanaises, dont les gens qui ont conservé le pouvoir après le retrait syrien, tels que les partisans des Berri, Hariri et autre Jumblat…



[SC] : En ce qui concerne les réfugiés palestiniens au Liban, pouvez-vous nous dire l’importance que vous leur accordez, compte tenu des changements politiques dans le pays ? Pensez-vous que le « problème » des réfugiés palestiniens devrait être inclus dans les discussions politiques générales autour de l’avenir du Liban ?

[SI] : J’ai toujours pensé, personnellement, qu’une véritable réforme, dans la région, et même dans la politique intérieure libanaise, n’est possible, si la question des réfugiés palestiniens n’est pas entièrement prise en considération.

Au Liban, il y a plus de 300 000 réfugiés palestiniens, et il n’existe qu’une seule et unique solution à leur calvaire : leur droit à retourner dans leurs maisons, dans leurs villes et villages dans l’ensemble de la Palestine historique, y inclus ce qu’on appelle aujourd’hui "Etat d’Israël".
Il ne saurait y avoir de solution juste, pour les Palestiniens, ni de présent et d’avenir glorieux pour le Liban lui-même, si les réfugiés palestiniens ne se voient pas garantir leur droit au retour.

Ceci étant dit, il convient d’ajouter que, dans l’attente que les Palestiniens puissent retourner chez eux, il faut leur garantir leurs droits civiques et politiques au Liban. Des Palestiniens libres, des Palestiniens dignes, seront plus à même de lutter pour leur libération et leur droit au retour.

Mais assurer aux Palestiniens ces droits citoyens, au Liban, est bon aussi pour le Liban lui-même, ce Liban qui se vante depuis si longtemps du rêle pionnier qu’il a joué dans la Déclaration Internationale des Droits de l’Homme !

Le ministre libanais du Travail a autorisé, récemment, les Palestiniens à postuler à des permis de travailleur étranger, qui leur permettent d’exercer beaucoup de professions dont ils étaient bannis, jusqu’ici.

Cette mesure a été applaudie par la presse, mais les gens n’ont pas suffisamment apporté d’attention au fait que ce changement dans le droit du travail doit absolument être entériné par le Parlement libanais. Sinon, tant que ce ne sera pas fait, de futurs ministres du travail pourraient remettre cette mesure en cause.



[SC] : Concernant la région et la politique libanaise – Pouvez-vous nous dire quels rapports vous voyez entre le trouble politique actuel au Liban et les occupations étrangères qui se poursuivent dans la région, en Irak et en Palestine ?

[SI] : Notre région connaît une guerre totale, menée par les Etats-Unis et Israël, contre la liberté et les intérêts de ses populations. En Irak, les Etats-Unis font la guerre pour contrêler le pétrole, et pour générer un processus de balkanisation de la région, qui assurerait à Israël sa capacité à demeurer le pays le plus puissant.

Pendant ce temps, Israël continue à dénier aux Palestiniens leurs droits fondamentaux, à occuper les fermes de Sheba, au Liban, à voler de l’eau des rivières Hasbani et Wazzani, et à refuser de transmettre les cartes des emplacements des milliers de mines anti-personnel qu’il a semées au sud Liban, depuis 1978.

En Palestine, les Palestiniens luttent afin de conquérir la souveraineté sur leur terre et leurs ressources.

Au Liban, le peuple libanais continue à se battre afin de s’assurer que son pays se débarrasse de futures immixtions visant sa liberté et son indépendance, ces immixtions prenant, récemment, la forme d’"interventions diplomatiques" des ambassadeurs de France et des Etats-Unis. En Irak, le peuple lutte afin de chasser les occupants et leurs contractuels du pays et afin de garantir que l’Irak demeure unifié – même si ce n’est pas nécessairement sous un régime centralisé despotique. Nous menons une guerre commune, parce que nous avons le même ennemi : le complexe économico-militaire israélo-américain.


NOTES :

* Samah Idriss est cofondateur de la Campagne de Boycott des Partisans d’Israël, cofondateur du Club Culturel Al-Saaha, lexicographe, critique littéraire. Titulaire d’un PhD de l’Université Columbia (1991), il dirige la revue artistique et culturelle libanaise Al-Adab, à Beyrouth. Il est l’auteur de deux ouvrages de critique littéraire, de six livres destinés aux enfants (entre cinq et dix ans) et de deux romans destinés à de jeunes adultes et consacrés à la guerre civile libanaise.


** Stefan Christoff réside actuellement au Liban, comme correspondant spécial d’Electronic Intifada, il fait des reportages sur les combats actuels en vue de la justice sociale. Membre d’International Solidarity Movement, Stefan milite également activement à Indymedia Beyrouth.
On peut le contacter à l’adresse e-mail suivante : christoff@resist.ca

Source : Electronic Intifada

Traduction : Marcel Charbonnier

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