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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Rami Kaplan : Je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de faire des trucs pareils…

Par

in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 22 octobre 2002

L’année dernière, Rami Kaplan était un commandant, loyal, dans l’armée israélienne.
Aujourd’hui, il va devant un tribunal pour apporter la preuve que l’occupation des territoires palestiniens est illégale. Il explique ici à notre correspondant, Jonathan Steele, comment la destruction d’une orangeraie à laquelle il se trouvait obligé de participer l’a amené à abaisser sa mitraillette.
The Guardian.

C’est à Gaza que le major Rami Kaplan, un « vétéran » (âgé de seulement vingt-neuf ans) de la prestigieuse Brigade Blindée de l’armée israélienne a commencé à prendre conscience de son ras-le-bol. Il ressentait de plus en plus de malaise face aux ordres reçus, et à sa dernière convocation pour sa période militaire annuelle de réserviste, il a dit : « lô ! » (Non, en hébreu, ndt).

Aujourd’hui, après un mois passé dans une prison militaire, il passe à l’attaque. Avec sept autres refuseniks, il est le porteur d’une pétition sans précédent, qui sera remise à la Cour Suprême d’Israël.

Leur plaidoirie ne consiste pas à dire qu’ils ont le droit d’être objecteurs de conscience. Ils vont plus loin. Ils affirment que l’occupation par Israël des Territoires palestiniens (Cisjordanie et bande de Gaza) est illégale et qu’en tant que soldats, il est de leur devoir de ne pas se rendre complice d’une entreprise illégale.


C’est là une nouvelle avancée dans l’histoire des refuseniks, qui commencèrent à être connus, dans l’opinion publique, au début de cette année, lorsque deux cents officiers de réserve signèrent une lettre ouverte expliquant leur mouvement de protestation. Aujourd’hui, le nombre des signataires approche les cinq cents (491, précisément).


Michael Sfard, l’un des avocats des refuseniks, reconnaît que leur pétition comporte une large mesure de ‘chutzpah’ (culot, provocation).

En effet, la Cour Suprême a déjà rendu plusieurs jugements sur la légalité de différentes pratiques de l’armée israélienne, allant de la démolition de maisons (de familles de kamikazes) jusqu’à la déportation de personnes suspectées de menées terroristes.

Mais le fait d’utiliser les tribunaux afin de commencer à attaquer la base de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, qui se poursuit depuis trente cinq ans, voilà qui est tout à fait sans précédent. Deux choses ont changé, explique Sfard.

D’une part, la réaction militaire d’Israël à l’intifada palestinienne, au cours des deux années écoulées, a occasionné d’innombrables violations des droits de l’homme. Globalement, cette répression est devenue un « mécanisme systématique de punitions collectives».

En droit international, les représailles collectives contre la population de territoires militairement occupés sont délictueuses.

D’autre part, en tant que puissance d’occupation, Israël a certains droits, mais certains devoirs lui incombent, aussi. La pétition argue du fait qu’il est désormais très clair qu’Israël a failli à ses devoirs de protection de la population palestinienne d’une manière tellement grave et générale que c’est l’ensemble de l’occupation elle-même qui a été de ce fait rendue illégale


Rien ne prédestinait Kaplan à devenir un adepte de la cause refusenik. Au début, il aimait la vie militaire, à tel point qu’il avait rempilé pour trois ans, comme officier professionnel, après ses trois années de service militaire obligatoire, et il avait eu de l’avancement, devenant commandant d’une compagnie de blindés, grade dans lequel il commandait une centaine d’hommes.


Son premier service au front fut au Liban, où il a été chargé, pendant une courte période, d’une base installée dans le château médiéval de Beaufort (remontant aux Croisades).

«Jusqu’en 1997, un large consensus existait en Israël sur la nécessité de notre présence au Liban, jugée indispensable à la protection des régions nord d’Israël.
J’étais jeune, et je n’avais pas les connaissances qui m’auraient permis de porter un jugement sur ce qui se passait autour de moi. Nos contacts avec la population libanaise étaient réduits au strict minimum», dit Rami Kaplan.


Une courte affectation en Cisjordanie , durant la première Intifada, au début des années 1990, l’amena à commencer à douter. Il trouvait que l’on demandait à l’armée de jouer un rôle policier.

«J’ai eu horreur de ça, dès le début. On opérait dans des villes, et c’est nous qui y faisions régner l’ordre et qui dirigions tout. J’avais horreur de pourchasser des gamins qui jetaient des pierres. Une fois, on a envoyé des dizaines de troufions pour aller arrêter un gosse de dix ans, dont le nom était inscrit dans je ne sais quelle foutue liste», dit Kaplan.

Lorsqu’il quitta l’armée pour rentrer à l’université et se préparer à la carrière d’enseignant, ce n’était pas par esprit d’objection, explique-t-il. Il allait faire ses périodes de réserviste (un mois chaque année), très ‘relax’. Pour lui, retrouver ses potes de son unité, qui quittaient comme lui provisoirement leurs divers emplois civils pour un mois de réserve, c’était un peu comme s’il était en congés, en compagnie d’amis, quelque part.


Mais les choses changèrent, pour lui, en avril 2001.

La seconde intifada faisait rage, et le bataillon de chars de Kaplan, dont il était le commandant en second, était cantonné à la limite de la bande de Gaza. Une de ses missions consistait à surveiller la barrière qui sépare Gaza d’Israël.

Une autre était de protéger la route d’accès (réservée) à Netzarim, un complexe de colonies lourdement fortifié, avec miradors de tir et grillages infranchissables, au centre de la bande de Gaza.

«Garder les colonies est devenu l’un des principaux boulots de l’armée. Nous étions plus de soldats, à garder Netzarim, qu’il n’y avait de colons, à l’intérieur», m’explique-t-il.


Kaplan n’a assisté à aucune atrocité, mais ce qu’il a vu a suffi à susciter son trouble. Il en vint à la conclusion qu’Israël menait une entreprise coloniale, dans laquelle les Palestiniens n’avaient pratiquement aucun droit.

L’une des taches régulières de l’armée israélienne consistait à couper les arbres fruitiers, les vignes et les palmiers des agriculteurs palestiniens. Il y avait, à cela, une explication tactique. Il ne s’«agissait pas de punir les Palestiniens», nous disait-on, mais de «rendre plus difficile les infiltrations».


Parfois, les Palestiniens lançaient des charges explosives ou des roquettes, mais la plupart des gens qui tentaient de s’infiltrer étaient des civils qui voulaient aller travailler en Israël. J’ai refusé de procéder aux missions de destruction de vergers, et mon commandant accepta mon retrait. Une fois, j’ai dû le remplacer, et je le regrette beaucoup. C’était atroce, de voir nos tanks et nos bulldozers ravager les vergers. Moi, il fallait que je surveille les opérations, assis au sommet d’une colline avoisinante. Et il fallait que j’observe tout ça avec des jumelles militaires très puissantes…», m’explique-t-il.


«On voyait des Palestiniens, sortant de petites maisons misérables. Un soldat gueulait : «Y z’ont des flingues !».

Mais, moi, avec mes jumelles hyper perfectionnées, je voyais qu’ils n’avaient que leur baluchon sur l’épaule. On voyait très nettement que ce n’était pas une courroie de fusil, ce qu’ils tenaient à la main. Ils voulaient aller cueillir autant d’oranges qu’ils le pourraient, avant que leurs orangers soient abattus.

Cette scène m’a dévasté. Je ne pouvais pas parvenir à croire que j’étais en train de jouer à ce sale jeu-là. Du côté israélien de la barrière, personne n’aurait eu l’idée de couper un quelconque arbre. Si nous avions dû le faire, nous aurions dû verser des indemnités. Mais l’idée d’indemniser les Palestiniens, vous imaginez bien, n’est encore venue à personne…»


Kaplan trouvait horrifiant que deux officiers subalternes, après un débat oiseux, puissent prendre, l’esprit dégagé la décision de couper les arbres des vergers sur une profondeur de 200 mètres ou de 500 mètres. Or cela se produisait souvent, «de manière totalement arbitraire», dit-il.


Il a remarqué aussi que des officiers s’ingéniaient à détourner les règlements militaires au maximum. «Les instructions du chef d’état major vous interdisent de tuer qui que ce soit, sauf dans des circonstances extrêmes. Mais j’avait l’impression qu’au niveau des régiments, les officiers se donnaient une importante marge de sécurité. Ils plaçaient très bas la barre déclenchant les ripostes, afin de protéger leurs hommes. Cela leur permettait de remplir leur mission, avec une certaine aisance. L’esprit de commandement devenait de plus en plus relatif», explique-t-il.


Kaplan a perdu la foi en la justice de la cause.

«Si vous êtes commandant, vous devez y croire à fond et il faut que vous ayez un certain charisme aux yeux de ceux que vous commandez. J’avais perdu le sentiment d’avoir la frite. J’étais vidé – je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Je ne pouvais plus me lever le matin ni faire ce qu’on m’ordonnait de faire. Toute la mission semblait stupidité, perte de temps et d’argent», explique-t-il.

Son commandant n’avait pas le moral non plus. Mais, comme beaucoup d’autres officiers supérieurs, explique Kaplan, il espérait que le gouvernement trouverait un moyen d’arrêter l’Intifada et retirerait l’armée (des Territoires). Mais en attendant, il fallait bien qu’ils fassent leur boulot.

«Je lui ai demandé : «Que se passera-t-il, si nous devons un jour couper les arbres des vergers sur une profondeur de 5 kilomètres et non plus de 500 mètres, sous prétexte que les Palestiniens commencent à détenir des roquettes à un peu plus longue portée ?»»


De retour à l’université, à la fin de sa dernière période de réserviste, Kaplan décida d’écrire afin de partager les expériences douloureuses qui pesaient sur sa poitrine. Par prudence, il plaça son récit dans un cadre fictionnel.

«Aller contre le système, c’était très difficile. Je ne pensais pas encore à l’objection de conscience. Je ne voulais pas laisser tomber mes camarades, officiers et simples soldats», se souvient-t-il.


Son récit, paru dans un quotidien israélien, causa quelques remous, et on l’invita à faire des conférences sur les campus. Puis il y eu la décision prise, cette année, par un groupe d’officiers, de refuser d’aller servir en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces officiers lancèrent une pétition. Il fallu dix jours d’hésitation à Kaplan avant de se résoudre à la signer.


Franchir le pas, toutefois, signifiait pour lui qu’il s’engageait dans l’action politique. Israël, à l’instar de la plupart des autres sociétés occidentale, est affecté, depuis quelques décennies, par la culture libérale de la « fin des idéologies » et la culture d’individualisme et de consumérisme qui vont avec, m’explique Kaplan.

Mais en Israël, il y a un facteur supplémentaire. Sous le poids des attentats suicides, estime-t-il, la société israélienne a tendance à devenir de plus en plus passive et renfermée. Les gens se replient sur eux-mêmes sur le cocon familial, et pratiquement, beaucoup n’écoutent plus la radio ni ne regardent la téloche.

«En un sens, les colons et les refuseniks ont bien des points communs. Nos options politiques sont opposées, mais nous sommes les deux seuls groupes, dans la société israélienne, à vouloir agir au nom de quelque chose qui dépasse, quelque part, nos petites personnes», me dit-il.

Boostée par la dynamique du mouvement des refuseniks, la prise de position de Kaplan sur l’occupation est aujourd’hui beaucoup plus radicale.

«Les gens demandent pourquoi je ne suis pas en train de défendre Israël contre les kamikazes qui commettent les attentats suicides. Mais si j’étais troufion dans les territoires, je ne serais pas en train de protéger les gens, ici à Tel Aviv. Au contraire.
C’est le rôle joué par l’armée dans les territoires qui est la cause des attentats à Tel Aviv.
En faisant le soldat, je mettrais ma famille en danger, ici », affirme-t-il. « Il faut être complètement aveugle pour penser que des gens soumis à l’oppression ne vont jamais se révolter.
Les attentats suicides sont un phénomène nouveau.
Il a fallu trente ans, pour que cela arrive. Trente ans… vous vous rendez compte ?
Cela vous dit à quel point la situation dans les territoires est catastrophique», conclut Kaplan.


Il se dit encore sioniste et il est fier de la tolérance de la société israélienne. Dans d’autres armées, les réfractaires ne sont pas aussi bien traités (qu’en Israël), dit-il.

«Quand j’ai décidé d’objecter, personne, dans ma famille, parmi les voisins ou mes amis ne me l’a reproché. Leurs réactions allèrent du respect de ma position à un soutien affiché. Un officier de mon bataillon, lui-même colon, m’a dit : «Je respecte ta décision, mais ne cesse pas d’aimer les juifs et la nation d’Israël
Cela m’a surpris, mais heureusement surpris», me dit Kaplan, qui affirme que le mouvement des refuseniks continue à rencontrer chez les Israéliens un soutien bien plus étendu, fût-il silencieux, que ce que les médias laissent paraître.

L’armée a admis qu’un tiers, seulement, des réservistes ont rejoint leurs unités, l’an dernier, bien que la majorité d’entre eux aient trouvé des excuses médicales ou autres, au fait qu’ils aient brillé par leur absence.

La situation économique continuant à s’aggraver en Israël, Kaplan pense que de plus en plus de gens vont commencer à critiquer l’occupation.


Aujourd’hui, la Cour Suprême va procéder à sa première audition dans le cadre du procès intenté par les refuseniks. Le gouvernement prend l’affaire très au sérieux et prépare une contre plaidoirie très fouillée.

Même si la Cour déboute les plaignants – toute autre décision de sa part équivaudrait à un véritable tremblement de terre judiciaire – Kaplan et ses collègues sont confiants : ils sont persuadés qu’en critiquant la légalité même de l’occupation, ils contribueront à en rapprocher la fin.


Rami Kaplan a donneré une série de conférences en Angleterre, au Red Rose Comedy Club de Londres et à la Synagogue Libérale de St John’s Wood.
Pour plus d’information, contact e-mail : aviel-luz@yahoo.com.



Article paru dans le Point d'information Palestine
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