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Jérusalem -

Silwan : Qu’y a-t’il derrière ?

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A l'heure actuelle, les fouilles à Silwan sont devenues synonymes d'une campagne particulièrement agressive visant à expulser de leurs foyers Siyam et ses voisins pour y installer à leur place un cadre conservateur d’Israéliens agitateurs de drapeau et armés de fusils : depuis 1991, la première fois qu’un Palestinien local a été expulsé de sa maison pour faire place à des colons, un petit groupe de familles juives s’est installé au milieu de dizaines de milliers de Palestiniens Silwanis, et tout indique que ce n'est qu'un début.

Silwan : Qu’y a-t’il derrière ?


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Fawad Siyam ressemble à un mélange de punk de rue et d’ancien du village. Athlétique, brun et mal rasé avec souvent une cigarette au coin de la bouche et le regard légèrement amusé, il a un air de Jean-Paul Belmondo, si l’on peut imaginer la star d’A Bout de Souffle dans le rôle d’un organisateur de communauté palestinienne qui parle couramment cinq langues, marié à une Serbo-bosniaque avec deux enfants en bas âge et qui mène peut-être un ultime combat pour sauver son village de la destruction.

Né un an après l'annexion en 1967 de ce village, Silwan, à Israël, Siyam, est le le septième d’une famille de neuf enfants qui a littéralement grandi avec l'occupation et, en même temps, a vu évoluer Silwan, d’une enclave rurale plongée dans la torpeur en un bidonville fourmillant -- maintenant l’un des quartiers les plus pauvres et les plus en difficulté de Jérusalem-Est.

Pendant tout la vie de Siyam, les habitants de Silwan ont été considérés comme des "résidents", et non des citoyens, d'Israël, c'est-à-dire qu'ils paient leurs impôts à la municipalité et obtiennent très peu en retour : ils ne peuvent pas voter aux élections nationales, ils n'ont pas d'école secondaire locale, pas de bureau de poste et aucun parc public. Certaines maisons ne sont même pas reliées au système d'égouts ou au réseau électrique. Mais à l’entendre, malgré toutes ces difficultés, l’enfance de Siyam a été d'une certaine façon simple et presque pastorale.

Quand il était petit, sa grand-mère paysanne récoltait les légumes dans son jardin et les vendaient sur le marché, et sa famille a vécu en grande partie de leurs terres, en cueillant les olives et les citrons dans leurs arbres, et en élevant des moutons et des poulets.

À l'instar de ses frères aînés, Siyam a commencé à travailler très jeune, en lavant des voitures et en vendant des sucettes et des boissons fraiches aux touristes – aussi bien des juifs que des arabes - qui venaient dans la Vieille Ville voisine et à Silwan où se trouvent les plus anciennes parties de Jérusalem.

Samuel II dit que ce secteur était autrefois la ville du roi David. Dans l'Evangile de Jean, c'est ici, à Siloé, que Jésus a élaboré un remède miracle composé d’argile mélangé à du crachat et d'eau de la piscine du village et a rendu la vue à un aveugle.

Silwan est située en bas du versant sud, juste en dessous de la mosquée Al-Aqsa et du Mur des Lamentations, et comme le raconte Jawad Siyam en se souvenant de son enfance, les villageois vivaient confortablement avec – ou sans connaissances universitaires précises- les multiples couches de l'histoire et de la culture autour d’eux, qu’elles soient cananéenne, juive, perse, hellénistique, romaine, byzantine, islamique, ottomane ou des croisés. Les anciennes tombes et leurs terrasses étaient leurs propres arrière-cours caillouteuses.

Il existe des histoires sur comment, pendant les combats de 67, les gens se sont cachés dans les réseaux de tunnels secrets sous le village.

Malgré le silence qui a souvent entouré ces histoires - comme s'il s'agissait d'un trésor enterré dont on parle en chuchotant, et non de ce qu’ils sont probablement : des cours d'eau datant de 2000 ans - les Silwanis considéraient les antiquités comme faisant partie de leur passé, et ils ont bien accueilli les archéologues juifs qui sont venus y faire des fouilles à la fin des années 1970.

Beaucoup de villageois ont été employés sur ces fouilles, comme ils l'avaient été lors des autres depuis le XIX e siècle. "Ce n'était pas politique", insiste Siyam. "C’était un travail."

Lorsque des protestations violentes ont ensuite éclaté autour du site, les manifestants étaient des Juifs Ultra-orthodoxes qui s’opposaient avec véhémence à des possibles profanations de tombes juives. Les Palestiniens de Silwan étaient, pour leur part, profondément heureux de ces fouilles.

Ces jours font, hélas, aussi partie de l'histoire ancienne. A l'heure actuelle, les fouilles à Silwan sont devenues synonyme d'une campagne particulièrement agressive visant à expulser de leurs foyers Siyam et ses voisins pour y installer à leur place un cadre conservateur d’Israéliens agitateurs de drapeau et armés de fusils : depuis 1991, la première fois qu’un Palestinien local a été expulsé de sa maison pour faire place à des colons, un petit groupe de familles juives s’est installé au milieu de dizaines de milliers de Palestiniens Silwanis, et tout indique que ce n'est qu'un début.

Tandis que la richesse archéologique de Silwan est souvent une source de fierté pour les villageois, la présence de ces mêmes strates souterraines semblent maintenant représenter pour eux presqu’une menace existentielle : Creuser un Tunnel signifie Tuer un Village, peut-on lire en arabe et en anglais sur une banderole accrochée à l'entrée de la tente de protestation où les hommes passent une grande partie de leurs soirées, sous la surveillance constante de plusieurs caméras de sécurité appartenant aux colons.


Comment un tunnel peut-il tuer un village?

Ou, pour dire les choses en termes légèrement différents : "Voulez-vous savoir comment tout cela a commencé?"

Ainsi tonne l’acteur israélien souriant et bedonnant, vêtu d’un feutre et d’une veste safari, qui raconte le film en 3-D projeté régulièrement au centre des visiteurs de la Ville de David, le parc national géré par l'organisation de colons Elad (un acronyme hébraïque pour "Dans la Cité de David "), une claque au milieu du quartier bondé de Palestiniens à Silwan.

Des volutes de fumées de sacrifice s’élèvent et des chœurs célestes babillent sans relâche tout au long de cette extravagance kitsch – comme dans les films de Cecil B. DeMille et le jeu vidéo de Lara Croft Tomb Raider – dont l’animation vidéo de toute nouvelle technologie s’abat comme un pilote de combat à l’esprit messianique sur les murs de dessins animés et les vallées en carton de la ville, «comme c’était" il y a 3000 ans.

En fait, il serait plus précis de dater ce récit particulier des origines à environ deux décennies et demie, avec l'arrivée à Silwan, d’"un commandant d’une unité d'élite de l’armée", David Be'eri, qui fondera Elad quelques années plus tard, en 1986.

Selon le somptueux site internet d’Elad, celui-ci explique, en utilisant le surnom de Be'eri, que lorsque "Davideleh a visité pour la première fois la Cité de David ... [elle] était dans un tel état de délabrement et d'abandon que les anciennes fouilles menées autrefois étaient encore une fois cachées sous les ordures et les déchets .... Inspiré par l'histoire des découvertes archéologiques faites auparavant dans la Cité de David, et par l'aspiration des Juifs à revenir à Sion, Davideleh a quitté l'armée pour fonder [Elad]. "

Bien que le site ne le dit pas tout à fait aussi crument, la véritable mission de Be'eri était d’effacer le village palestinien de Silwan et de le remplacer par la Cité Juive de David'.

Depuis, Elad a fait de sérieux progrès dans cet objectif. Financé par des gens comme le roi du Bingo de Miami, Irving Moskowitz, et, semble-t’il, par plusieurs magnats russes bien connus, le groupe a refusé de divulguer les noms de la plupart de ses donateurs, bien que selon le Registre des organisations à but non lucratif d’Israël, en 2005 seulement, elle a recueilli 7 millions de dollars. (Un rapport de l'année dernière publié dans Ha'aretz déclarait que le responsable du registre "envisageait la dissolution d’Elad" à la suite du refus du groupe de divulguer les noms de ses clients.)

Ces secrets et ce manque de transparence sur tous les fronts semblent faire partie de la stratégie d’Elad : ce qui a pour but de rendre très difficile pour les personnes de l'extérieur de savoir exactement ce qui se passe.

Cependant, une chose est claire : Elad a acheté, obtenu par subterfuge et volé des maisons palestiniennes dans le quartier - parfois en falsifiant des documents et en achetant des collaborateurs locaux pour qu’ils fournissent des preuves en soutien de la fraude, d'autres fois en forçant de pauvres propriétaires palestiniens à vendre par des menaces et d'énormes quantités d'argent liquide.

De temps en temps, ils ont utilisé la force pour revenir dans des maisons où vivait un petit groupe de Juifs Yéménites à la fin du XIXe siècle, mais plus souvent ils ont utilisé intelligemment la Loi sur les Biens des Absents d’Israël, qui permet à l'Etat d'exproprier des terres palestiniennes

Au début des années 1990, l'État a transféré l'ensemble des terres de cette catégorie au Fonds National Juif, qui, à son tour, a loué les propriétés de Silwan à Elad - sans émettre d’appel d’offres ou sans suivre l'une des procédures légales habituelles.

Et ce, malgré le fait qu’Elad n'ait jamais tenté de cacher sa politique ou ses projets pour ce qu'il appelle pudiquement une "revitalisation résidentielle." Comme l’a dit plus directement l’un de ses porte-parole à un journaliste en 2006, l'objectif est «de prendre pied dans Jérusalem-Est et de créer une situation irréversible dans le bassin saint autour de la Vieille Ville."

La plus intelligente de toutes a été la décision d’Elad de choisir l'archéologie comme moyen de gagner les cœurs et les esprits du grand public juif israélien. Bien entendu, l'archéologie est depuis longtemps une espèce de passe-temps national en Israël, une discipline "scientifique" qui, dans ce contexte culturel particulier, s’est souvent transformée en un domaine créateur de mythes (voir sous: Masada).

Depuis les premiers jours de l'Etat, l'archéologie a fourni des éléments et des supports frappants qui ont aidé aussi bien les Israéliens laïcs que religieux à dramatiser les histoires qu'ils aiment se raconter sur leur lien historique avec la patrie moderne.

L'utilisation de l'archéologie par Elad est peut-être totalement cynique, menée plus par le désir d'établir des faits ethniques sur le terrain que d'explorer ce qui se trouve sous le sol: Après tout, les colons sont rapides à couler des fondations et à construire des maisons-forteresses sur les reliques déclarées si précieuses au peuple juif. Toutefois, leur plan a fonctionné à merveille.

Après quelques disputes juridiques en 1998, l'Autorité chargée de la Protection de la Nature et des Parcs Nationaux d'Israël et la municipalité de Jérusalem ont abandonné à Elad la gestion de la zone autour des murs de la Vieille Ville, y compris le parc archéologique de la Cité de David, en fournissant au groupe marginal d’importants revenus et une légitimité.

Elad a, à son tour, utilisé l’argent de l'Autorité chargée de la Protection de la Nature et des Parcs Nationaux d'Israël pour effectuer des fouilles dans le secteur en son nom - en finançant et en surveillant de près tous les travaux de fouilles qui y ont lieu.

Au cours des années, Elad a réussi, en utilisant divers moyens, à mettre la main sur de nombreux espaces publics de Silwan : des parcelles plantées d’arbres et de petites parcelles de verdure qui étaient accessibles aux habitants et qui sont maintenant clôturés, fermés à clé et considérés comme des sites archéologiques, non accessibles aux villageois. (Encore une fois, la construction d’une maison de colons sur ces mêmes sites suit souvent.)


Comme il fallait s'y attendre, les découvertes qui ont été dénichées depuis ont été transformées sans aucune honte en histoire juive sélective du lieu où tant de civilisations se sont installées au cours des siècles : Par exemple, il y a quelques années, Eilat Mazar, l’une des archéologues employée par Elad (et par le Centre Shalem, un groupe de réflexion conservateur de Jérusalem), a découvert une série de murs de pierres anciennes, qu’elle affirme - malgré un manque flagrant de preuves matérielles – appartenir au palais du roi David.

Plus récemment, des employés d’Elad ont creusé sous les maisons des habitants palestiniens – pour nettoyer à la main un canal de drainage que les archéologues financés par Elad ont affirmé provenir du Mont du Temple et avoir été utilisé par les Juifs qui fuyaient la ville des conquérants romains en 70 avant Jésus-Christ.

Plus bas, ils semblent creuser une galerie qui, un jour, reliera la piscine historique de Siloé aux fouilles du Mont du Temple. Et juste à droite, à côté des maisons situées au nord du village, il y a une énorme tranchée de fouilles soutenue par des murs massifs en béton, où du matériel lourd et d’importantes équipes de mineurs essayent d'atteindre la base rocheuse, à environ 12 mètres sous la surface.

Pendant ce temps, d’importantes fissures inquiétantes ont commencé à apparaître sur les murs des maisons des Palestiniens à Silwan.

Quand Jawad Siyam et plusieurs de ses proches et des voisins ont déposé une plainte auprès de la Cour suprême d'Israël dans le but de mettre fin à ces fouilles destructrices, lui et tous les autres respectueux de la loi mais pas tout à fait des citoyens qui ont signé la plainte ont été immédiatement jetés en prison ou placés en résidence surveillée - sur la base d'accusations forgées de toutes pièces d'avoir troublé la paix et endommagé des biens.

Bien que les personnes arrêtées aient été relâchées après avoir passé une nuit en prison, une injonction temporaire d’arrêt des fouilles a finalement été délivrée par le tribunal (une décision définitive sur la question est en suspens), le message était clair : osez porter plainte devant les autorités et votre vie deviendra un enfer.

Il est frappant de constater que chaque personne qui a signé la plainte a été immédiatement emprisonnée - certaines d'entre elles ont été arrêtées dans leur lit avant l'aube. Depuis lors, tous les signataires ont été maintes fois interrogés, placés en garde à vue et, en général, harcelés par la police et Shin Bet, les services de sécurité israéliens.


Toutefois, aussi scandaleuses que soient ces actions, la prise de contrôle de cette zone en par une organisation de militants d'extrême droite comme Elad semble gêner très peu d’Israéliens. Rien que l'année dernière, 350.000 touristes de toutes sortes se sont baladés - et ont payé les frais d'entrée – du parc national de la Cité de David d’Elad, où les brochures sur papier glacé racontent une histoire qui s’arrête brutalement il y a 1938 ans, avec la destruction de la Deuxième Temple, et reprend à la fin du XIX e siècle avec l’arrivée dans la ville de l'expert britannique Charles Warren et ce petit groupe de Juifs yéménites. (Les habitants Palestiniens arabes de Silwan, passés et présents, sont totalement absents de cette version des faits.)

Certains de ces visiteurs du parc ne sont, suppose t’on, pas au courant du contrôle des colons sur le site, d'autres le savent et ne s’en soucient pas. Mieux de belligérants Juifs avec des armes de guerre à proximité d’Arabes pleins de rancœurs – où est la logique ?

Même le journaliste de Ha'aretz soi-disant colombe, Danny Rubinstein, n’y voit pas de honte en terminant un éditorial critique à l'égard des projets de colonisation d’Elad en demandant: «Mais qui peut rester insensible à la plus importante étude du passé de Jérusalem qui est actuellement révélée par les fouilles dans la Cité de David ?

Le professeur d'archéologie de l’Université de Tel Aviv, Rafi Greenberg, lui en voit. Alors qu’il mène des visites archéologiques alternatives que lui et un petit groupe de collègues israéliens du même avis ont commencé à effectuer autour de Silwan et du site de la Cité de David - dans des efforts modestes mais concertés pour lutter contre la version grossièrement faussée présentée par Elad et les archéologues qu’il paie - sa voix a un ton légèrement las, bien qu'il s'agisse d'une lassitude teintée d’une note de colère qui semble presque, dans ce paysage, prophétique.

Etant arrivé sur le site en tant qu’étudiant bénévole en 1978 où il est resté comme un membre du personnel jusqu'en 1982 et a rencontré sa future épouse parmi les truelles et les seaux (ce sont ces mêmes fouilles, financées par l'Université Hébraïque, dont se souvient Jawad Siyam dans son enfance), Greenberg est aussi profondément attaché à cet endroit, car il est profondément troublé par ce qui se passe - à Silwan, en Israël, dans sa profession.

"En archéologie, nous ne sommes pas du tout formés à relier ce qui se trouve au-dessus et en-dessous du sol», explique-t-il après une visite de Silwan. "J'ai appris, en tant qu’archéologue, à faire une distinction totalement hermétique entre la science et la vie quotidienne. J'ai toujours été politiquement actif, mais je n'ai jamais pensé que [la politique] avait un rapport avec le travail scientifique."

Peu à peu, Greenberg a commencé à voir que ces distinctions n’étaient pas possibles, et à comprendre que creuser de façon responsable - et éthique - signifie prêter attention à la vie de ceux qui vivent au-dessus du sol et à la manière dont les fouilles les affectent.

Pour des oreilles étrangères, cela semble être du simple bon sens, mais dans le contexte israélien tendu, c’est tout sauf cela. (Parfois ce contexte va bien au-delà des frontières physiques de l'Etat juif, comme ce fut le cas avec le récent scandale au sujet de l’affaire du poste de titulaire d’une anthropologue du Collège Barnard, Nadia Abu El-Haj, qui a écrit une critique de l'archéologie israélienne qu'elle a appelée "une auto-fabrication territoriale».)

Greenberg et la poignée d'autres qui sont impliqués dans les visites alternatives - qui sont effectuées en hébreu et en anglais et comprennent une vue d'ensemble archéologique approfondie du site ainsi qu'un court arrêt à la tente de protestation pour entendre les récits de plusieurs habitants de Silwan - sont considérés par d'autres archéologues israéliens comme jouant avec le feu; leur travail dans Silwan est considéré comme "politique".

Traduction:
• S'identifier à la situation des Palestiniens dont la vie quotidienne est bouleversée au nom de l'archéologie biblique est un acte «politique».
• Prendre d'énormes quantités d'argent et fournir un sceau d'approbation professionnel aux fouilles fortement douteuses d’une organisation de colons fanatiques dont le but déclaré est le nettoyage ethnique de l'une des parties les plus sensibles des bien immobiliers au Moyen-Orient n'est pas politique.

"Mon interprétation," dit Greenberg, "c'est que les archéologues sont des enfants naïfs dans leur perception politique .... Ils veulent tout simplement ne pas savoir. Ils veulent creuser dans le sol, se salir les mains, trouver des trucs sympa, et c'est vraiment un trop grand effort mental pour eux que de réfléchir à l'impact de leurs actes sur la société."

Donc, oubliez la société, lui dis-je. Qu’en est-il au moins, de normes professionnelles? Comme l'a expliqué Greenberg au cours de la visite, les fouilles à Silwan sont menées d’une façon des plus tendancieuses - avec des bulldozers qui déblaient à la hâte d’immenses zones et de nombreux niveaux sont démantelés dans une course pour atteindre la roche-mère "juive".

Les colons construisent des maisons juste au-dessus des reliques, et des conclusions extrêmement fragiles sont tirées sur la base de l'idéologie nationaliste et d’une lecture littéraliste des textes bibliques, et non sur la base des fragments et pierres réelles qui sont déterrées au cours des fouilles. Les parties de croix historiques ne sont pas préservées.

Au lieu de l'habituel calendrier pour creuser - avec une saison de fouilles suivie d’un mois au laboratoire – les fouilles dans la Cité de David ont lieu toute l'année, mettant à rude épreuve les normes professionnelles et ne laissant aucun temps pour une analyse approfondie.

Ce sont de « mauvais scientifiques », dit Greenberg. Il croit que d'autres archéologues israéliens ne sont pas satisfaits de ce côté de choses, tout comme ils sont sans doute mécontents de la participation d’Elad dans les fouilles.

En 1992, sous le gouvernement Rabin, un comité d'enquête de l’Etat avait publié un rapport bien senti sur les activités des organisations de colons à Jérusalem-Est et accusait en particulier Elad pour ses actions à Silwan; plusieurs années plus tard, une action en justice a été intentée contre Elad pour avoir endommagé volontairement des antiquités et ignoré les décisions de justice.

En 1998, un groupe d'archéologues de l'Université Hébraïque a demandé à la Cour suprême, de protester contre la participation d'un groupe privé comme Elad dans la gestion du site, la plainte a été retirée après que les autorités aient promis de lancer un appel d'offres.

Pendant ce temps, Elad n’a fait que resserrer son emprise sur Silwan depuis ces diverses décisions, et la grande majorité des archéologues israéliens (y compris les signataires de la plainte déposée auprès du tribunal en 1998) se sont tus. Greenberg met cette absence de protestation au compte de la même méfiance des archéologues locaux envers la "politique" et à ce qu'il appelle le "grand désespoir" qui a déferlé sur une grande partie de la société israélienne au cours de la dernière décennie, le sentiment que la lutte contre l'extrémisme – qu’elle soit culturelle ou politique - est déjà perdue.

Mais la fatigue n'est pas une excuse dans une situation aussi catastrophique. Ni les déclarations laborieuses d'objectivité professionnelle comme celle faite ce printemps par Shuka Dorfman, le directeur de l'Administration des Antiquités Israélienne, qui a proclamé (dans un contexte un peu différent mais lié), "A l’ instant où vous dites que Jérusalem est un territoire occupé, c’est politique .... J’ai l’interdiction de faire des calculs politiques. Je fais un travail purement professionnel. Nous devons laisser ces questions aux décideurs. L’archéologie n'appartient pas aux archéologues. "

Alors, à qui appartient-elle, peut-on s’interroger ? Et si ce n'est pas maintenant, alors quand ce «pur travail professionnel" devient-il une complicité totale dans quelque chose d'aussi terrible que l'expulsion de personnes innocentes de leurs maisons?

Plusieurs collègues de Greenberg de l'Université de Tel Aviv ont récemment publié un article dans un journal professionnel, rejetant fermement et sèchement la notion que les pierres découvertes sur le site de la Cité de David faisaient partie du palais du Roi David.

Pourtant, même s’il est clair, d’après cet article, que les auteurs désapprouvent fermement les méthodes utilisées par les archéologues d’Elad, ils semblent peu disposés à se lever et à demander à l'Administration des Antiquités Israélienne financée par les contribuables (et l'Université Hébraïque, sous les auspices de laquelle ces fouilles sont effectuées) de cesser leur soutien à un aussi mauvais travail.

Inutile de dire que leur critique ne se limite qu’à des fragments chalcolithiques, de marques de tasse et à une datation de l’Age de Fer; Le nom d’Elad n'est pas mentionné une seule fois, tout comme sont totalement évitées les larges implications sociales des fouilles.

Compte tenu de l’attitude du type vieille école qui sévit dans le monde archéologique en Israël, Greenberg et les autres personnes impliquées dans les visites alternatives prennent manifestement un risque professionnel en s’exprimant – même s’ils sont très humbles et pragmatiques sur le sujet.

À les écouter parler, il semble qu’ils ont tout simplement estimé que c'était la bonne - et en fait la seule - chose à faire. Et s’ils sont engagés dans un combat pour aider Jawad Siyam et ses voisins à sauver leurs maisons, l'honneur de leur profession est en jeu en raison de la façon dont elle est pratiquée au niveau local.

Yonathan Mizrachi, un autre archéologue qui organise et effectue les visites, m'a dit qu'il veut présenter l'archéologie sous un jour différent. Il a une vision de la façon dont un site comme celui de Silwan, pourrait en fait être utilisé pour enseigner la tolérance: «Quand vous regardez toutes ces cultures ensemble [dans le sol], elles sont moins menaçantes, dites-vous, OK, il y a eu des centaines de cultures ici, et une autre vit juste à côté de nous. "

Pour sa part, Greenberg a une opinion légèrement plus sombre du potentiel de sa profession. «D'une manière générale", dit-il, "Je ne pense pas que l'archéologie soit suffisamment importante pour créer un conflit. En d'autres termes, si l'archéologie mène les gens à un conflit direct qui peut conduire à des effusions de sang, cela n'en vaut pas la peine. Je préfère couvrir le site et attendre des temps meilleurs. S’ils surviennent un jour."

Et cependant, malgré les incertitudes et même la morosité qui planent sur l'avenir de Silwan - il y a quelques semaines, la municipalité de Jérusalem a décidé unilatéralement de changer les noms arabes de diverses rues du centre ville de Silwan par des noms hébreux chargés d’histoire biblique, et du jour au lendemain, la rue Wadi Hilweh s’est transformée en rue des hauteurs de la Cité de David - quelque chose de nouveau et d’optimiste s’est également produit dans le village.
C’est en partie grâce à une plus forte attention causée par les visites alternatives et une série de reportages dans les médias locaux, ainsi que par les mesures juridiques prises pour tenter d'empêcher les colons.

En Juillet, un tribunal de première instance a statué que la municipalité ne pouvait pas exproprier neuf terrains privés libres à leurs propriétaires palestiniens, la ville voulait y créer des aires de stationnement pour les touristes.

La situation dans le village a également acquis une certaine notoriété internationale, puisque la plainte contre l’implication d’Elad à Silwan qui a été signée par une foule d'éminents universitaires du monde entier et continue à circuler, demande aux autorités israéliennes de "mettre fin immédiatement à cette perversion flagrante et à cette dangereuse politisation d'un domaine d'activité universitaire."

Cependant, peut-être plus important, un nouveau type de prise de conscience - et un sentiment de nécessité urgente d'agir - a commencé à se développer parmi les villageois de Silwan. Cela se produit depuis un certain temps maintenant, et c’est à la fois lié et non lié à Elad et à ses bulldozers

Il y a plusieurs années, Jawad Siyam a ouvert un petit centre communautaire au cœur de Wadi Hilweh, son propre quartier et le quartier le plus immédiatement menacé de Silwan.

Siyam a une profonde conscience sociale influencée par des années d'engagement politique: quand il avait 14 ans, il a commencé à participer à des grèves à l'école et à lire Che Guevara et le romancier palestinien et porte-parole du FPLP, Ghassan Kanafani. Puis vinrent les leçons de la première Intifada et plusieurs années passées à l'étranger - au cours desquelles il a obtenu un diplôme en Etudes Américaines à Ankara et un autre dans les communications et le travail social à Berlin.

Bien avant, il avait commencé à travailler pour différents ONG progressistes européennes à Jérusalem, et il est arrivé à la conclusion que la non-violence est le seul espoir pour les Palestiniens: «Un jour, mon frère m'a dit jeter des pierres, c’est facile, mais prendre un stylo est très difficile. Jeter des pierres - c'est ce que l'occupation veut que nous fassions. Mais si nous faisons que jeter des pierres pendant dix ans, vingt ans, alors qu'aurons-nous? "

Son centre est conçu, en partie, pour fournir à la population de Silwan avec une alternative aux pierres: les enfants étudient l'art et la musique (un jeune couple dynamique - elle est Néerlandaise, il est Israélien - enseignent la guitare, le chant et donnent des cours d’initiation à la musique à l'apparente joie des enfants qui s’entassent dans la petite salle de classe une fois par semaine); certaines femmes locales assistent aux cours d’anglais et d’hébreu et, pendant plusieurs mois, ils avaient organisé un groupe sur la cuisine, qui a cédé la place à des projets pour un livre de cuisine et un nouveau projet: un atelier de broderie traditionnelle.

Les adolescents viennent au centre pour obtenir de l'aide avec leurs devoirs et une petite bibliothèque commence à prendre forme. Cet été, pour la quatrième année de suite a lieu dans le village un camp gratuit sous la responsabilité de bénévoles.

Tout aussi important que les activités qu'il parraine, le centre est destiné, dit-Siyam, à fournir un lieu de rencontre pour les habitants de Silwan. La pauvreté, l'occupation israélienne et la proximité étouffante des colons ont fait des ravages sur le tissu social du village, où la collaboration avec les services de renseignements est devenu monnaie courante et les habitants, selon Siyam, "ne se connaissent pas les uns les autres. Ils se détestent les uns les autres. Ils se soupçonnent mutuellement." L'idée du centre est d'offrir «une place pour tout le monde, où tout le monde peut se rencontrer, un lieu où les enfants peuvent se sentir des êtres humains."

l admet qu'il est peut-être trop tard pour arrêter les colons de s’emparer de Silwan, mais il insiste aussi sur le fait que le blocage de leur expansion n'est pas le seul objectif. Ce qui importe le plus pour lui, c'est ce qu'il appelle "la justice sociale" et son désir de donner le sentiment à la population de Wadi Hilweh qu'ils ont fait tout leur possible pour protéger leurs maisons, leur vie, leur dignité.

Le centre fait partie de cette idée, tout comme la tente de protestation, où - à en juger par l'intense pression exercée la police et le Shin Bet sur les militants locaux - le simple fait que des hommes de Wadi Hilweh soient assis ensemble à prendre une tasse de café est considéré comme une menace par Elad et les autorités, qui préféreraient de beaucoup un village divisé et conquis.
C'est pour cela que Siyam Jawad et ses frères, ses cousins et ses voisins ont décidé de faire face à la brutalité par la normalité, de construire leur tente de protestation comme un salon ouvert aux éléments.

Des chaises en plastique sont dispersées tout autour; un réfrigérateur cabossé, un téléviseur et un matelas défoncé ont été traînés à l’intérieur pour donner au lieu l’apparence d’une maison. Le soir, les hommes viennent ici jouer aux cartes.

Quand elles le peuvent, des femmes de Wadi Hilweh sortir de leurs maisons et viennent dans la tente à un moment donné, la tête couverte, en parlant à vois basse, pour s'asseoir et parler de leurs soucis et de leurs espoirs. L'hiver dernier, les enfants du village s’y sont entassés pour voir la première représentation d’un cirque à Silwan.

Le fils et la fille de Jawad sont trop jeunes pour comprendre ce qui se passe avec les colons, mais ils aiment venir caresser le maigre cheval blanc qui est attaché aux jeunes oliviers que les villageois ont planté autour de la tente. En s’abreuvant dans un fût en plastique et en battant la queue pour éloigner les mouches, la jument assoiffée donne à ce lopin de terre une étrange apparence de paix.

Source : http://www.thenation.com/

Traduction : MG pour ISM

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