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ISM France - Archives 2001-2021

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Jénine -

Situation de famille

Par

Le père: en prison. Le frère aîné, membre du Hamas, lui aussi en prison. La mère, elle aussi en prison, sans jugement et avec une tumeur dans la tête. Cinq enfants tout seuls dans le camp de réfugiés de Jénine. La maman ne peut même pas téléphoner.

Leurs visages livrent tout: le regard sombre et pas le moindre soupçon de sourire sur les lèvres. Des enfants vieillis, habitués à la souffrance et à la dureté de la vie. Pas de signe de vie, ni signe de joie: ils sont assis sur le divan sale au centre de la pièce inachevée, déroulant leur histoire dure avec une expression glacée. Bientôt un an qu'ils n'ont pas vu leur père. Bientôt six mois qu'ils n'ont pas vu leur mère, depuis qu'elle aussi a été arrêtée. Même sa voix, ils ne l'ont plus entendue depuis.

Difficile à croire. Israël qui a emprisonné la mère sans jugement, ne l'autorise même pas à téléphoner à ses enfants. Pas même un coup de téléphone pour se préoccuper du sort de ses cinq enfants laissés sans père ni mère? Justice, pitié, humanité? Rien de tout ça, seulement «procédures», «questions de sécurité» et insensibilité.

Asem, 16 ans et Imad, 15 ans, les deux frères aînés, jetés avec les deux plus jeunes enfants, seuls, sales, dans la maison détruite du camp de réfugiés de Jénine. Les deux plus petits, Hamzi, 11 ans, et Sajida, 7 ans, esquissent encore de temps en temps un sourire embarrassé, mais ce sourire aussi est crispé, triste à faire peur. Seule la pince dans les cheveux de Sajida vient rappeler que c'est une petite fille. Des enfants du Hamas, mais des enfants.

Le père, Jamal, est accusé d'appartenir au Hamas; la mère, Asma, atteinte d'un cancer, est en détention administrative, emprisonnée sans accusation ni jugement; et Abed, qui suivait le chemin de son père, à été condamné récemment à 87 mois de prison. La maison a été incendiée lors de l'incursion de l'armée israélienne dans le camp.

La famille Abu al-Haija. Quelqu'un s'est-il soucié de considérer sa situation? Les services de l'administration pénitentiaire: «La détenue de sécurité se voit interdire les communications téléphoniques en vertu de la procédure s'appliquant à l'ensemble des détenus de sécurité en Israël». Le porte-parole de l'armée israélienne à propos du verdict prononcé à l'encontre du fils aîné: «Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'accusé a mentionné l'emprisonnement du père ainsi que la maladie de la mère». La mère était encore libre. Maintenant, elle aussi est en prison: elle ne vient pas et ne téléphone pas et ses enfants ne peuvent pas lui rendre visite. Et cela depuis de longs mois, sans mère ni père, seuls au monde.

Deux cages à oiseaux, une grande et une petite, dans un coin de la pièce sombre, dans la maison ravagée et incendiée que maintenant, après qu'elle soit restée un an comme ça, des habitants du camp se sont engagés à remettre en état. Les cages sont neuves. La maison a été dévastée par un missile et une charge explosive au cours de l'incursion de l'armée israélienne dans le camp de Jénine il y a un an. Il n'est quasiment rien resté de son contenu. Le fils aîné, Abed al-Salam, a été arrêté lors de l'incursion. Le père a été arrêté quelques mois plus tard. L'armée israélienne dit que le père était porte-parole du Hamas pour la région de Jénine.

Le gazouillis des oiseaux enfermés donne à la maison une apparence de sérénité. A travers la pénombre de la pièce, l'image de deux enfants dormant avec leurs vêtements en début d'après-midi sur le divan placé dans un coin de la chambre d'hôte, poussiéreuse. Des ouvriers du camp sont occupés à plâtrer les murs carbonisés. Des restes de repas des ouvriers et des matériaux de constructions traînent partout, même sur le divan et sur la table, seuls meubles dans un grand espace vide. Côté extérieur, la maison est déjà peinte en blanc et son aspect resplendissant est trompeur lui aussi.

Lors de l'incursion en avril de l'année passée, les soldats ont cherché le père, Jamal Abu al-Haija. Ils ne l'ont pas trouvé et ont emmené à sa place son fils aîné, âgé de 18 ans. Quatre mois plus tard, au mois d'août, le père a lui aussi été pris. Quelques mois se sont passés jusqu'à ce que la mère, Asma, elle aussi soit arrêtée et envoyée à la prison de Neve Tirza, personne ne sait pourquoi et sur quelle base. Détention administrative: pas d'accusation, pas de jugement. De grandes photos du père et de son fils, dans un cadre en bois, sont posées sur le sol et contre le mur dans un coin de la pièce, attendant d'être accrochées quand la remise en état sera achevée. Le père, vieilli, sourit d'un air embarrassé. On n'expose pas la photo de la mère et on n'est pas même disposé à la montrer un instant: c'est une femme.

La mère dirigeait les travaux de réfection de la maison, elle s'est occupée de la remise en état de deux pièces et elle a été arrêtée. Le financement de la rénovation provient de l'UNRWA. La porte de la maison est encore criblée de balles. Depuis la destruction de leur maison, les enfants ont erré entre les appartements successifs loués pour eux par le comité du camp, la maison de leur tante et leur propre maison en réfection: Banan, âgée de 17 ans, élève de 12e s'apprête à passer les examens de fin de cycle et étudie maintenant chez sa tante; Asem est en 10e à l'école Shar'in en ville; Imad est en 9e à l'école de l'UNRWA dans le camp; Hamzi est en 5e et Sajida en 1ère.

Jamal, leur père, est fils de réfugié de Ein Hod. Âgé aujourd'hui de 42 ans, il a vécu, dans les années 80, en Arabie Saoudite et au Yémen où il était instituteur. (Un des ouvriers évacue les restes de nourriture moisie de la table du salon) En 87, le père est revenu au camp de Jénine et a donné des cours particuliers de Coran à des enfants. Son père, décédé il y a quelques mois, était imam de la mosquée de Jénine. Jamal a été arrêté plus d'une fois, déjà à l'époque de la première Intifada. Il a passé quelques années dans les prisons israéliennes et il a aussi une fois été arrêté par l'Autorité Palestinienne pendant neuf mois. Il était libre depuis 99. Son fils Asem raconte que son père est parfois apparu sur Al-Jazeera et à la télévision d'Abu Dhabi, d'abord comme représentant du camp et porte-parole de l'Intifada dans la ville et plus tard, comme représentant du Hamas. Mais, insistent les gens occupés à la rénovation de la maison, dont un est un proche de la famille, Jamal est un «politique du Hamas» pas un militaire.

Le gazouillis des oiseaux redouble. Les enfants ont un air triste et négligé. La petite Sajida est un peu plus soignée, avec de petites boucles d'oreilles rouges. Elle change de robe pour la photo de famille. Quel souvenir gardera-t-elle de son enfance? Ils dormaient au deuxième étage quand l'hélicoptère Apache a tiré un missile vers leur maison. Le magasin du rez-de-chaussée a commencé à brûler. Les enfants et leur mère se sont dépêchés de descendre vers la pièce où nous sommes en ce moment.

Le deuxième jour de l'incursion, les soldats sont arrivés et ils ont tiré dans les portes de la maison. Ils sont revenus le lendemain et ont ordonné aux hommes de sortir. Asem dit qu'ils ont fait sauter deux charges dans la maison, dans le salon et dans la cage d'escalier. Ensuite ils ont ordonné à tous les voisins de se rassembler dans un seul appartement. «Pendant trois jours, nous sommes restés là», raconte Asem sèchement. Tout le quartier dans un seul appartement, des dizaines d'habitants, Asem ne sait pas combien. Après trois jours, on leur a ordonné de sortir de l'appartement-prison et de quitter le camp de réfugiés. Ils sont partis à pieds, les mains vides, vers la ville. En route, ils ont vu deux cadavres, se rappelle Imad. Ils les connaissaient: Wada Shalbi et Abdel Karim Sa'adi, des voisins. Ils sont restés chez le grand-père maternel, Mohamed Sabani, jusqu'à la fin de l'incursion. Sans nouvelle du père. Au retour, ils ont vu ce qu'il restait de leur maison.

Il a été difficile de leur trouver une maison: aucun propriétaire n'était prêt à louer sa maison à une famille recherchée. L'armée israélienne étant susceptible de venir la détruire. Au cours de l'année écoulée, les enfants ont erré entre trois appartements loués. Leur père, ils l'ont vu une fois brièvement, il y a six mois, au tribunal de Salem, trois mois après son arrestation. Depuis lors, il est détenu, en isolement, à la prison de Beer Sheva. Le frère, Abed al-Salam, est à la prison de Shata et, il y a deux semaines, il a été condamné, comme on l'a dit, à plus de sept ans de détention pour appartenance au Hamas.

La mère a été arrêtéele soir de fête. Ils sont revenus d'une visite de famille à l'occasion de la fête du Sacrifice, il y a quatre mois, et à deux heures et demie du matin, les soldats sont venus une nouvelle fois. De nouveau des coups à la porte, de nouveau des coups de feu, de nouveau l'ordre donné aux enfants de sortir au beau milieu de la nuit. Il faisait froid et pluvieux. Avec la mère, ils se sont réunis dans un magasin proche, pour trouver refuge pendant que les soldats fouillaient la maison. Que pouvaient-ils encore chercher, alors que le père et le frère n'étaient déjà plus là? Difficile à savoir. Passé plus ou moins une demi-heure, on leur a ordonné de retourner à la maison et c'est alors que les enfants ont entendu une détonation. Le petit Imad était effrayé. Le commandant a ordonné à Asma, la mère, de l'accompagner dehors. Asma avait peur de sortir et de laisser les enfants seuls. L'officier lui a dit en arabe qu'ils comptaient l'arrêter. Quel est le problème? a-t-elle demandé. «On vous expliquera ça en prison».

Asma a refusé de se lever et l'officier a menacé: «Si vous ne vous levez pas, nous vous emmènerons de force». Les enfants ont vu et entendu. Asma, âgée de 37 ans, souffre depuis 99 de tumeurs à la tête, du type méningiomes. Elle a déjà été opérée deux fois et les enfants disent qu'elle devait subir une nouvelle intervention tout de suite après la fête. Sa vue est atteinte et elle souffre de violents maux de tête. Comment va-t-elle aujourd'hui? Les enfants n'en ont évidemment pas la moindre idée. A l'administration pénitentiaire, on se veut apaisant: elle a été examinée.

Hamzi et Sajida ont attrapé leur mère par ses vêtements et ne la lâchaient pas. «Ne t'en va pas, ne t'en va pas», criaient-ils. Ils racontent que le soldat les a repoussés et qu'il a emmené leur mère. Asma a été poussée dans une jeep et ils ne l'ont plus vue depuis. C'était le 2 février. Elle a été envoyée en détention administrative pour une période de six mois qui peut encore être prolongée sans fin. Les enfants sont restés seuls, paniqués. A cinq heures du matin, les voisins sont venus demander ce qui se passait. Ils ont emmené les enfants à la maison de la tante.

L'assistante à la porte-parole de l'administration pénitentiaire, Hannah Nitzan, à propos de l'arrestation de la mère: «Il s'agit d'une prisonnière placée en détention administrative sur un ordre émis par l'armée israélienne. La détenue a été atteinte d'un cancer dans le passé. Lors de son arrivée dans l'administration pénitentiaire en date du 11.02.03, une série d'examens médicaux ont été entrepris afin d'évaluer son état de santé et de contrôler qu'il n'y a pas de récidive du cancer.

En détention administrative, elle s'est vue interdire les communications téléphoniques en vertu d'une procédure qui est d'application pour tous les prisonniers de sécurité en Israël. L'administration pénitentiaire permet des visites de famille dans la mesure ou l'armée autorise l'entrée de visiteurs venant des Territoires».

Le porte-parole de l'armée israélienne, à propos du père et du fils: «Jamal Abu al-Haija a été arrêté le 26.08.02. Le 27.11.02, un acte d'accusation a été introduit contre lui, le déclarant membre du Hamas remplissant une fonction dans cette organisation (l'accusé est porte-parole du Hamas pour la région de Jénine), et l'accusant d'établissement d'un lien pour l'exécution d'attentats-suicides et d'implication dans l'envoi du terroriste qui a perpétré l'attentat-suicide dans l'autobus au carrefour de Meron, en août 2002.

«Son fils a été arrêté le 10.04.02 et, le 26.03.02, un acte d'accusation a été introduit contre celui-ci, visant son appartenance au Hamas, la fabrication en grand nombre de bombes, l'utilisation d'une de ces bombes contre un char de l'armée israélienne et le fait de s'être adressé de la part d'un membre militaire à un autre afin de voir si ce dernier était prêt à exécuter un attentat-suicide au nom de l'organisation. Le 20.05.03, il a reconnu les faits repris dans un acte d'accusation revu, dans le cadre d'un arrangement plaidé, a été déclaré coupable et condamné à une peine de 87 mois de prison. Parmi les arguments de l'avocat de l'accusé, étaient rappelés la détention du père ainsi que la maladie de la mère».

A propos de la détention administrative de Asma, toujours le porte-parole: «Au cours d'une audience en révision judiciaire, le 20.03.03, Tamar Pèleg, l'avocate de la détenue, a déclaré que sa cliente était atteinte d'un cancer et a même présenté un rapport médical détaillé sur son état de santé. Le juge militaire a confirmé l'ordre de détention administrative pour toute la période fixée tout en se référant, sur son état de santé, à l'appréciation professionnelle du médecin de prison. Ces arguments ont aussi été mis en avant lors du jugement en appel le 13.05, mais là encore, le juge a confirmé la décision première, tout en rappelant la demande que la détenue soit examinée et soignée en accord avec l'appréciation du médecin de la prison».

Sajida répandsur elle un parfum bon marché. «Je veux maman», dit-elle et elle se couvre le visage de ses mains. «Il n'y a personne pour veiller sur nous», dit Hamzi. Les cinq enfants viennent parfois à la maison, pour voir comment avancent les travaux de réparation. Asem, le frère le plus âgé à être encore là, est responsable des cages à oiseaux.

Source : www.haaretz.com

Traduction : Michel Ghys

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