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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Un moment personnel et politique

Par

A tous ceux qui récusent en leur for intérieur, l’horreur qui a lieu en leur nom au delà de la Ligne Verte (les frontières d’avant la guerre des Six jours) et à l’intérieur,
à tous ceux qui s’opposent à l’horreur mais y prennent part pour des périodes limitées à un an,
et à tous ceux qui savent mais préfèrent ignorer la disparition des mécanismes de défense,
ce livre demande qu’ils libèrent ce qu’ils refoulent et qu’ils rapprochent le personnel du public, le personnel du politique.

Il y a trois ans, j’avais 28 ans quand je suis tombé sur un article du Pr. Meira Weiss : "The Chosen Body: The Politics of the Body in Jewish Society in Israël".

A l’époque j’étais commandant dans une unité de réserve des Forces israéliennes de Défense et le jour précédent j’étais revenu à la maison après avoir fait un service vingt-huit jours dans les collines du sud d’Hébron.

J’avais trouvé l’article dans ma boîte à lettre et je l’ai parcouru avec plaisir.

Après un mois de checkpoints, d’arrestations et d’embuscades des services de sécurité du Shin Bet, l’idée de plonger dans un débat sur la signification du corps humain dans l’histoire du sionisme, un thème qui m’a toujours fasciné, paraissait être excellente pour l’âme.

La référence à Max Nordau et à son judaïsme zélé en réaction au judaïsme de la diaspora était particulièrement intéressante.

Dès le début de l'article, mes yeux sont tombés sur les lignes d’un poème d’ Yitzhak Laor :
« Ainsi, mères, il vous faut langer votre fils dans son uniforme, lui donner la potion carthartique de l'armée pour que tombe sa fièvre, pour abolir sa naïveté, pour disloquer le désir quotidien, ce désir d'amour, son aiguillon, l’aiguillon de la nation, l'armée et l'odeur de la blessure l' exciteront, le bruit des coups de feu lui apportera des rêves humides, les généraux lui mettront la peur au ventre,
O délicieux sacrifice, qu'en sera-t-il quand vous aurez grandi ?
Serez-vous parachutiste ? Parachutiste et homme ?
Et après ça ? La tombe.


O Jérusalem Extrait du poème "Rue Jérusalem" dans "As nothing" Hakibbutz Hameuchad, 1999


Avant d'avoir lu ces lignes je ne connaissais pas grand chose de la poésie de Laor. Mais moi aussi j'étais parachutiste et j'espérais aussi, comme tout le monde que j’étais un homme et les généraux m'ont vraiment mis la peur au ventre.

Lire ces lignes, quelque temps après cette violence qu’est un mois de réserviste, rempli du sens de la droiture, n’était pas chose facile.

Je me rappelle que pendant un moment déroutant j’ai senti que je regardais quelque chose que je ne devais pas voir.
Ce que c’était, je n’en savais rien, mais le même vendredi après-midi je suis sorti pour acheter tous les livres de Y.Laor que j’ai pu trouver.


J’ai feuilleté rapidement le premier livre que j’avais trouvé et je suis tombé sur ce poème :
«Une nuit pluvieuse, nous marchions dans les rues d’une ville occupée sous couvre-feu. Devant nous un type du Shin Bet, notre responsable, nous qui étions responsables d’un indicateur enveloppé d’une couverture percée de deux trous pour les yeux (nous vivrons, nous vivrons pour toujours, l’ange de la Mort est entre nos mains) mais la voix est toujours celle de Jacob : c’est la Voix de l’Organisation Juive de Combat.
Qui êtes vous ?
Je suis Mordechai Aielewicz et vous qui êtes-vous ?
Je suis Mordechai Anielewicz ?
Et vous qui êtes-vous ?
Je suis Mordechai Anielewicz ?
«I Itzik»
Extrait de "Night In a Foreign Hotel," Hakibbutz Hameuchad,1992_»


Ce poème, aucun étranger ne peut le comprendre, en tout cas pas quelqu’un qui n’a jamais marché dans une nuit pluvieuse avec un coordinateur du Shin Bet devant lui, vingt soldats derrière et un palestinien qui doit dénoncer son voisin et l’envoyer pour interrogatoire dans les caves du Shin Bet.

Huit ans après, ce poème m’explique avec une clarté douloureusement aveuglante pourquoi j’ai été un partenaire de cette horreur qui s’est déroulée dans un oued près de Naplouse et le pourquoi de cette terrible conspiration du silence qui s’est installée entre moi et mes soldats à propos, de la torture presque fatale infligée à un garçon de 14 ans, et pourquoi ces livres dans la bibliothèque de mes parents sur les communautés juives détruites pendant l’Holocauste, et pourquoi les visites de l’oncle Daniel au Kibboutz Lohamel Haghettaort quand j’avais cinq ou six ans.

Laor a exactement enfermé dans son écriture ce qui n’était encore pour moi que très vague.

Le sens de la mission que j’avais quand je me suis engagé dans l’IDF était basé en partie sur ces livres et sur ce douloureux et simple message que ne nous ne permettrions pas que l’Holocauste des Juifs d’Europe se répète quel qu’en soit le prix à payer, mais quand le prix moral est devenu plus lourd, que seul le sens de la mission a pris le dessus.

« Qui es-tu ?» me suis-je alors demandé, tandis que je regardais désespérément le garçon perdre progressivement conscience.

Je suis Mordechai Anielewicz répond Yitzhac Laor en moi-même.
Je suis un combattant de la liberté.
Je combat contre l’ennemi Nazi-Arabe, je ne suis pas un occupant, je ne suis pas cruel et certainement pas immoral.


Souvenirs dérangeants

Soudain, comme s’ils n’avaient jamais été là, un flot de souvenirs a commencé à m’assaillir et à me troubler.

L’homme de 50 ans qui revient d’un mariage et qui se déshabille pendant que ses enfants font une insepction de routine, ce moment de vigilance qui m’a poussé à retenir la main d’un soldat avant qu’elle n’atterrisse sur le visage d’une vieille femme, et le vieil homme, et le checkpoint et le couvre feu et la dispersion d’une manifestation et ce commandant de compagnie qui m’a remplacé et s’est fait tuer une demi journée après notre poignée de main et que nous nous soyons quitttés au moment où on a ouvert le tunnel du Mur de l’Ouest.


Quelque chose dans les textes de Laor me parlait de ce qu’à l’intérieur de moi j’avais fermé et renié.

J’ai continué à feuilleter les livres et quand je suis arrivé à un autre poème, dans le second livre de poèmes de Laor, j’ai été sonné comme d’avoir reçu un coup de poing américain dans le ventre et il m’a accompagné pendant des mois, je l’ai lu et relu :

"En pitié, l’offrande brulée ? Comme un commandement ? Comme un âne ?"

Avec toute cette soumission ? Du Negev à Moriah pour y être sacrifié ?

Faire confiance à ce père qui se lèvera le premier pour le tuer ?

Qu’on le laisse emprisonner son père.

Son seul père, Abraham, est en prison, dans un hospice, dans une cave chez lui, pour n’être pas massacré.

Isaac, Isaac, rappelle-toi ce que ton père a fait à ton frère Ismaël.

-"This Fool Yitzhak" from "Only the Body Remembers," ("Ce fou d’Isaac" tiré de "Seul le corps se souvient" Adam Modan Publlisher 1985



Ces lignes me ramènent immédiatement à Barak, mon copain de bataillon, qui est tombé au cours de sa dernière période de réserviste à Kfar Darom quand un obus de mortier l’a tué là où il se trouvait, là où il n’aurait pas dû être, et le commandant du bataillon, toujours la figure du père, qui a dit lors de la cérémonie du souvenir que la mort inutile de Barak qui défendait une colonie juive isolée dans les territoires était commandée par la réalité : « Un lien dans la chaîne du sionisme ».

Croire un tel père, qui sera le premier à se lever pour le tuer ?

Et en fait, quel père croire ?

Et envers qui le père, le parent, est-il le plus loyal : envers son fils ou envers son Etat ?

La préférence aveugle pour un Etat, même quand ce dernier est inconséquent, sert-elle l’Etat ou lui nuit-elle ?

Voilà, j’ai vingt-huit ans, je reviens chez moi après encore une période de réserviste à Gaza et je me pose des questions qui commencent à percer même cette armure de rigueur dont je suis habillé depuis des années.

Et ces mots très forts de Laor reviennent en écho à mes oreilles : « Avec tant de soumission ? Avec tant de soumission ? Avec tant de soumission ?»



Intensément politique

Depuis j’ai refusé de servir dans les territoires et l’association Ometz Lesarev (Le Courage de refuser) a été créée, je suis retourné encore et encore aux textes de Yitzhak Laor et maintenant aussi à « Leviathan City » son dernier livre.

Dans les livres les plus récents de Laor, il y a un fort courant souterrain entre le personnel et le politique et ça recommence.

De ce point de vue, dans « Leviathan City » (la ville du Leviathan), il y a l’apogée du processus entamé dans « Night in a foreign Hotel - 1992 » (Nuit dans un hôtel étranger) et continue dans « And Loveth many day – 1996 (Et tu aimeras des
jours et des jours) et « As nothing » 1999 (Comme de rien).

Ca a été le processus de la fin personnelle et de la fin politique du spectre qui devient plus proche jusqu’à ce que, dans ce dernier livre, ils deviennent presque une seule personne.

Dans « Leviathan City », il est presque impossible de continuer de parler d’un Laor personnel et d’un Laor politique.

Il n’y a qu’un poète qui est tout à la fois complètement politique et complètement personnel.

La voix est celle d’une personne et d’un poète à travers de la vie de qui la « situation » passe et affecte tout ce qu’il possède, accrocheur et refusant de renoncer.

L’enfant, l’épouse, les heures d’insomnie solitaires dans la nuit, la mémoire, l’acte même d’écrire, tout est politique.

Et à l’autre extrême, chaque attaque terroriste, chaque fait d’occupation, chaque injustice morale, tout est absolument personnel.

A cet égard, il est possible de voir dans le poème qui ouvre « Leviathan City » « Poème pour quitter et garder un grand Amour » ce qui seul détermine tout le livre.

Le poème, qui ouvre dans un ton personnel d’abandon (dans la traduction anglaise par Edeet Ravel) :
"J’abandonne…
Je ne jouerai plus de violon/ Quoique je l’ai gardé, gardé pendant quarante ans…
Je ne dormirai plus avec des étudiants…
Je ne me souviendrai pas de ceux qui m’ont battu quand j’étais enfant…
Je ne marcherai plus dans les nuits de printemps/ Main dans la main du superbe Michal avec le superbe Michal" se transforme dans un glissement qu’ont ressent à peine en un poème profondément politique.


Cela finit par ces mots :
" Ne parlez pas d’amour de la patrie"
Pas au sortir de la douleur du désir/ Mais parce que personne ne pourrait aimer un cimetière/ Et que l’odeur des bourgeons est/ l’odeur de l’abattoir"

Et le lecteur qui se frotte les yeux à la fin de sa lecture, retourne au début du poème et ne comprend pas à quel moment tout cela à commencé et ce que nous avons retenu du superbe Michal de cette «boue épaisse et noire /dans les camps du voisinage » jusqu’à l’odeur de l’abattoir.

Il relit de nouveau, lentement, cherchant où tout cela a commencé et il trouve :
« Il y a cette ambiguïté insaisissable du mot « trahir » qui peut indiquer soit un manque de foi soit une traîtrise et dans le texte original en hébreu. Il y a une ligne brisée entre le mot traîtrise et le mot « ba’aravim » (qui peut signifier « soirs » ou « arabes »).

Ce mot initialement résonne comme s’il faisait référence à ces « nuits de printemps » mais il devient rapidement clair pour nous que le mot pourrait se comprendre comme « Arabes »



Rapport d’enquête

Pendant un moment Laor évoque la trahison comme l’opposé de l’amour du superbe Michal et nous laisse croire que c’est un poème personnel, mais aussitôt, nous réalisons que nous sommes déjà profondément sur un terrain politique.

Le vrai coup pourtant tombe sur nous à un autre moment quand nous réalisons soudain - et c’est là que réside la grande force de ce poème en particulier et du ce livre en général – qu’il n’y a jamais eu deux moment ici, mais un seul moment qui se trouve être tout à la fois deux choses : absolument politique et absolument personnel ».

« Leviathan City » est un rapport d’accusation qui ne laisse pas de répit sur l’impuissance de la situation actuelle à distinguer entre la vie à la maison et le combat dehors. C’est la grande chose à laquelle ce livre confronte ses lecteurs.

Par la vertu de sa cohérence et l’expérience d’une vie aux yeux clairs, le livre réclame du lecteur honnête qu’il reconnaisse si et pourquoi il choisit pour lui-même de brouiller cette unité du personnel et du politique, c’est-à-dire si et pourquoi il choisit de se barricader dans le confort de sa vie et d’ignorer l’horreur à l’extérieur.

A tous ceux qui récusent en leur for intérieur, l’horreur qui a lieu en leur nom au delà de la Ligne Verte (les frontières d’avant la guerre des Six jours) et à l’intérieur, à tous ceux qui s’opposent à l’horreur mais y prennent part pour des périodes limitées à un an, et à tous ceux qui savent mais préfèrent ignorer la disparition des mécanismes de défense, ce livre demande qu’ils libèrent ce qu’ils refoulent et qu’ils rapprochent le personnel du public, le personnel du politique.

Il leur demande de se connecter avec ce lieu d’où ils agissent de par la force la plus intime et pas seulement par idéologie calculée.

Dans « Leviathan City » nous rencontrons un Laor qui est plus pénétrant que jamais, vivant au milieu de son peuple, incapable de fermer les yeux un moment et incapable de supporter que les autres ferment les yeux.

Aussi dans ce livre, Laor agit non seulement comme un poète merveilleux mais peut-être, par-dessus de tout, comme un prophète du blâme


C’est une poésie dérangeante, menaçante pour beaucoup et ennuyeuse pour beaucoup, qui touche le lecteur là ou ça fait mal de ne rien faire.

C’est une poésie de l’inconfort qui pousse à l’action, une poésie qui ne cherche ni approbation parentale ni aucune autre approbation, une poésie qui libère des limites de la critique du discours, et une poésie qui, à travers le discours ininterrompu entre un fils et son père, trouve une place personnelle qui révolte et dégoûte.

Le temps est venu de mettre une barrière entre ceux qui obéissent aux ordres et ceux qui refusent. Point.



Sauf exception, les traductions de la poésie sont de Viviane Eden avec Yitzhak Laor

Source : www.haaretz.com/

Traduction : CS pour ISM-France

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