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Egypte -

l’État du Sinaï (3/3) : Le refuge des radicaux et des hors-la-loi

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L'inexistence de la présence de l’État dans le Sinaï signifie que la région a longtemps été dominée par divers groupes de voyous, des militants islamiques aux trafiquants d'êtres humains. De nombreuses raisons expliquent que la montée de l'extrémisme religieux dans le Sinaï semble être une conséquence logique ou peut-être même inévitable, et la première d'entre elles est l'absence de l’État sous toutes ses formes, ce qui a transformé cette partie de l’Égypte en un terrain fertile pour n'importe quel groupe en concurrence avec l’État sur sa souveraineté.

l’État du Sinaï (3/3) : Le refuge des radicaux et des hors-la-loi

Les Forces de sécurité égyptiennes près de leurs véhicules blindés avant une opération militaire dans le nord de la péninsule du Sinaï le 8 Août 2012 (Photo: AFP - Stringer)
Le Sinaï est revenu à la souveraineté égyptienne en même temps que la confrontation entre l’État et les groupes islamistes armés s'accroissait.

Avant l'occupation israélienne et le retour ultérieur du Sinaï à l'Égypte, une tendance soufie traditionnelle prévalait parmi les habitants de cette région depuis des décennies. Le salafisme a cependant commencé à s'infiltrer de toutes parts.

La violence s'est exercée au début de la part des adeptes de différentes écoles du soufisme contre les adeptes des nouvelles idées wahhabites.

Said Aatik, membre de la Coalition des jeunes révolutionnaires au Sinaï, explique qu'après le déclenchement de la révolution du 25 janvier et l'effondrement et le retrait du ministère de l'Intérieur, les services de sécurité ont disparu du Sinaï. Des groupes armés ont surgi pour reprendre leurs rôles et avec l'aide des groupes islamistes radicaux, ils ont établi la sécurité dans les villes du Sinaï, dont Sheik Zuweid. Ils ont conclu des accords avec ces groupes pour protéger les installations, devenant ainsi une nouvelle variable de l'équation.

L'importance de ces groupes s'est avérée après le vendredi 29 juillet 2011, lorsque les Islamistes seuls ont manifesté place Tahrir. La force des mouvements islamistes, et le premier parmi eux, les Frères Musulmans et leur domination politique ont ajouté à l'influence de ces groupes.

Aatik dit que lorsque les Frères Musulmans ont pris le pouvoir, ils ont cherché à transformer le Sinaï en un lieu de compétition avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA) dans le but d'envoyer au monde le message qu'ils étaient capables d'imposer la sécurité et de garantir la stabilité pour le Sinaï et Israël. Un autre facteur qui a renforcé la main des groupes salafistes fut la décision du Hamas de nettoyer Gaza de ces groupes et de les expulser de la Bande de Gaza.

Ismail Alexandrani, chercheur en sociologie politique, pense - d'après son étude sur le terrain - que les groupes jihadistes et Takfiri sont des créatures des services de sécurité qui gravitent hors du contrôle des services du renseignement.

Un certain nombre d'observateurs maintiennent qu'il n'y a pas de groupes affiliés à al-Qaïda dans le Sinaï. Quelques groupes essaient cependant d'imiter al-Qaïda et ses pratiques, et l'environnement socio-politique, en particulier le long des zones frontalières au nord, avec Israël et Gaza, est favorable à la croissance et à la propagation de leurs idées.

L'organisation des Black Banners (Bannières noires), qui vient de la ville de Sheikh Zuweid, est considérée comme une des organisations bien connues présentes dans le Sinaï et ses environs à Gaza le long de la frontière égyptienne. Cibler la statue d'Anwar Sadat et le poste de police n°2 à al-Arish et tuer plusieurs officiers de l'armée et de la police, fin juillet 2011, sont quelques-uns des actes qui leur ont été imputés. Ainsi que de faire sauter par trois fois le sanctuaire de Sheikh Zuweid.

Jihadistes salafistes, Takfir wal Hijra, Ansar al-Jihad, Tawhid et Jihad, Beit al-Maqdis et le Conseil consultatif des Moudjahiddines sont quelques-uns des groupes qui ont également émergé dans le secteur. On pense que les deux derniers groupes viennent de la Bande de Gaza. Ils ont annoncé il y a deux mois qu'ils avaient mené une opération visant un autobus israélien et fait exploser le gazoduc.

L'écrivain et activiste originaire du Sinaï, Massaad Abu Fajr, fait valoir qu'une des raisons de la présence d'armes dans le Sinaï est la politique de certains services de sécurité qui soutiennent le crime organisé pour leurs propres fins.

Selon des rapports récurrents, les armes viendraient par voie terrestre depuis le Soudan et seraient enterrées dans le désert jusqu'à ce qu'un acheteur se présente, qu'il s'agisse de tribus qui ont besoin d'armes principalement en raison de la nature géographique et démographique de la région, ou de la Bande de Gaza - contrôlée par le Hamas depuis 2007 - ou de contrebandiers.

La contrebande d'armes était si répandue qu'Israël a frappé une caravane allant du Soudan à l'Égypte. On a dit à l'époque que la caravane arrivait d'Iran et était destinée au Hamas. On pense que les tribus des al-Rashaida et al-Sawarka régentent le commerce des armes dans le Sinaï, en particulier au nord.

La principale source d'armes était le Soudan-est et ses zones de conflit, mais après la chute de Kadhafi, la Libye est devenue une source d'armes supplémentaire. Il existe de nombreux types d'armes dans le Sinaï, des Kalachnikov aux armes antiaériennes et aux lance-roquettes.

Alexandrani classe les armes trouvées dans le Sinaï en plusieurs catégories :

1) les armes régulières utilisées par les forces armées égyptiennes, qui sont différentes suivant les 3 zones - A, B et C. L'armée égyptienne utilise des armes moins puissantes dans la zone C, et plus puissantes dans la zone A ;

2) les armes personnelles légères utilisées par les forces internationales de maintien de la paix stationnées dans la zone C et à la frontière avec la zone B ;

3) les armes traditionnelles utilisées par les tribus et les clans et qui ne sont soumises à aucun accord. Ce sont des armes petites et moyennes, comme celles que l'on trouve dans les familles de la Haute Égypte et que la nature de la région exige ;

4) les armes personnelles qu'on trouve dans toutes les maisons, dont des armes blanches ou des armes légères de protection ;

5) les armes du commerce soumises à la loi de l'offre et de la demande par les tribus, les contrebandiers et autres ;

6) les armes de la résistance, qui se recoupent avec les armes du commerce. Mais les deux diffèrent en termes de motivation et d'objectif. Cette catégorie n'est pas liée à la seule résistance islamique mais à tous les types de résistance frontalière ou à la résistance contre Israël, et même contre les contrebandiers et les groupes violents et Takfiri.

Alexandrani parle également de la présence d'armes utilisées à des fins idéologiques ou non par des groupes Takfiri et des gangs du crime organisé. Ces armes ne passent pas par des zones habitées par des tribus réellement nationalistes le long de la frontière car elles sont opposées à tout armement interne, sauf pour les tribus présentes dans les zones frontalières. Les armes à usage criminel sont comme les armes traditionnelles, sauf qu'il y a un niveau de professionnalisme dans leur utilisation offensive mais non-défensive qui maintient l'équilibre du pouvoir parmi les tribus.

Pour comprendre les événements du Sinaï, il faut connaître Jabal al-Halal - lieu des dernières opérations des forces armées après l'incident du carrefour Karem Abu Salem.

Jabal al-Halal, qui se situe au milieu du Sinaï, à 60 km au sud d'al-Arish, avait déjà été la cible d'attaques et d'opérations des forces de sécurité.

Jabal al-Halal est une montagne rocheuse, éloignée de la vallée, qui a toujours été le refuge des groupes extrémistes et des hors-la-loi. Les forces israéliennes d'occupation n'ont jamais été en mesure de la contrôler tout au long de leur présence dans le Sinai. C'est précisément de Jabal al-Halal que plusieurs opérations ont été lancées par la faction égyptienne al-Saika et les Bédouins fedayins.

Cette montagne est très accidentée, ses points d'entrée et de sortie sont difficiles, ce qui en fait un lieu de refuge et une base de lancement pour des groupes armés et des hors-la-loi.

Jabal al-Halal, qui fait 40 km de large et 60 km de long, est constituée de collines rocheuses d'une altitude de 2000 m, et elle est habitée par les tribus al-Sawarka au nord, et al-Tarabin et al-Tayaha au centre. Bien qu'elle soit rocailleuse, la montagne est riche en pâturage et en herbe. Dans cette région, le bétail est appelé "halal" - du nom de la montagne où les gens vivent de l'élevage.

Après l'attentat de Taba en 2004, la police a déclenché une campagne de sécurité, tentant désespérément de faire le siège de la montagne pour poursuivre les groupes armés qui étaient accusés d'être impliqués dans l'incident.

Le blocus a duré plusieurs mois et n'a conduit qu'au meurtre du leader de l'organisation Tawhid et Jihad, Salem al-Shanoub, et à l'arrestation de centaines de gens des tribus du Sinaï. Le même scénario s'est reproduit après l'attentat de Sharm al-Sheikh en juillet 2005.

Suite au vide sécuritaire dans le Sinaï après la révolution du 25 janvier, des groupes armés et radicaux ont opéré à Jabal al-Halal, qui s'est transformé en centre névralgique pour leurs opérations et leur présence au milieu du Sinaï et le long des frontières avec la terre palestinienne occupée et Israël.

La sécurité égyptienne a accusé ces groupes d'être à l'origine des attaques sanglantes contre le poste de police n°2 à al-Arish le 29 juillet 2011, qui a tué cinq personnes.

Jabal al-halal est revenue sur le devant de la scène en devenant la cible des forces armées, qui l'ont bombardée et passée au peigne fin plusieurs fois dans le cadre de l'opération Nisr 2 (Aigle 2), menée par l'armée après les incidents de Rafah et du carrefour Karem Abu Salem. L'opération visait des groupes terroristes soupçonnés d'être impliqués dans l'assassinat des garde-frontières égyptiens.

Des militants estiment cependant que cette campagne, tout comme les campagnes de sécurité précédentes, ne sera pas productive même si elle déploie l'armée de l'air parce qu'elle ne fera pas la distinction entre les cibles terroristes et civiles qui cohabitent dans cette région montagneuse.

Les groupes islamistes radicaux ne sont pas la seule cible des autorités égyptiennes dans le Sinaï. Il y a aussi le phénomène du crime organisé dans lequel des garde-frontières égyptiens sont impliqués et qui a conduit à la multiplication des armes et au trafic d'êtres humains vers Israël. Les filières de clandestins comptent parmi les commerces illégaux les plus rentables et elles impliquent des gangs du Sinaï qui profitent de l'absence d'inspection le long des frontières égypto-israéliennes poreuses.

Les immigrants viennent des pays d'Afrique qui souffrent de guerres et de famine comme le Niger, l’Éthiopie, le Soudan et l’Érythrée. Ils arrivent à passer en Égypte et à traverser le Sinaï, qui représente pour eux une voie vers Israël.

Les filières de clandestins commencent au Canal de Suez, où les infiltrés traversent le tunnel Martyr Ahmed Hamdy et les passeurs les attendent avec un guide sur une route parallèle en direction des cités du nord jusqu'à Rafah. Kobri [pont] al-Salam est une des autres routes qu'empruntent les immigrants, car il n'y a pas de présence sécuritaire lourde. Lorsque les forces armées ont commencé à contrôler strictement ces points de sortie, les passeurs ont fait traverser le canal aux immigrants sur de petites embarcations.

Les itinéraires des passeurs sont concentrés autour de la ville de Rafah et dans les villages frontaliers voisins de Gaza et d'Israël, où se trouvent des camps pour les Africains.

Les Africains qui fuient l'enfer de la famine et de la guerre dans leurs pays sont souvent victimes de marchands d'organes. Les passeurs enterrent les corps de ces victimes dans des fosses communes appelées "Tombes des Africains" tandis que d'autres sont enlevés et torturés.

Des rapports soulignent que certains responsables de la sécurité ferment les yeux sur ce commerce interdit au niveau international parce qu'ils en tirent profit. Après tout, les contrebandiers et les passeurs sont connus des forces de sécurité et des tribus. Les tribus sont horrifiées par ce commerce illégal et regardent avec mépris les membres des tribus qui s'y adonnent.

Ces dernières années, le trafic d'êtres humains a concerné surtout des Africains, alors que par le passé, c'était surtout des femmes d'Ukraine, de Russie et de Géorgie. Il va sans dire qu'une coordination criminelle existe entre les gangs du Sinaï et leurs homologues en Israël.

L'article en arabe ici.


L'article en français dans son intégralité :

- L’État du Sinaï (1/3) : Survivre seul

- L’État du Sinaï (2/3) : L'arrière-cour du banditisme en col blanc

Source : Al Akhbar

Traduction : MR pour ISM

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