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Palestine occupée - 21 décembre 2018
Par Ahmad Saadat
Ahmad Sa’adat, secrétaire général du Front populaire pour la libération de la Palestine est en prison en Israël depuis 2006, après avoir été enlevé en compagnie de plusieurs camarades lors d’un assaut violent des forces israéliennes contre la prison de l’Autorité palestinienne, à Jéricho. Avant l’attaque israélienne, il avait été emprisonné dès 2002 par l’Autorité palestinienne, sous surveillance américaine et britannique.
L’emprisonnement d’éminents Palestiniens comme Sa’adat a joué un rôle dans les élections du Conseil législatif palestinien, en 2006, à l’issue desquelles le parti législatif associé au Hamas, le Bloc du changement et de la réforme, l’a emporté. Moins d’une semaine avant la prestation de serment des élus de l’AP, les forces armées israéliennes attaquaient la prison de Jéricho, tuant deux Palestiniens.
Depuis, Sa’adat a été condamné à une peine de 30 ans dans une prison israélienne, même s’il n’a pas été accusé de l’assassinat de Rehavam Ze’evi. Le tristement célèbre ministre du tourisme israélien, d’extrême droite, avait été assassiné par des combattants du FPLP après que, le 29 août 2001, l’armée israélienne avait elle-même assassiné le secrétaire général du FPLP, Abu Ali Mustafa, dans son bureau de Ramallah, en lançant depuis un hélicoptère un missile de fabrication américaine. Plusieurs des camarades de Sa’adat avaient été condamnés à la prison à vie, après le raid.
Les dirigeants israéliens ont montré à de nombreuses reprises qu’ils craignaient l’influence politique de Sa’adat. Celui-ci a été placé en isolement pendant trois ans, un isolement qui a pris fin à l’issue de la grève massive de la faim de Karameh, en 2012. Il écrit et diffuse des déclarations depuis sa prison, grâce au travail imaginatif de ses compagnons de détention et camarades qui s’arrangent pour que les écrits et les analyses des prisonniers palestiniens ne soient pas coupés du monde extérieur.
Voici une interview du dirigeant de gauche palestinien emprisonné, Ahmad Sa’adat, secrétaire général du Front populaire pour la libération de la Palestine. Elle a été publiée pour la première fois le 9 novembre 2018 dans le journal italien Il Manifesto.
Q. Comment évalueriez-vous la situation actuelle en Palestine et l’attitude de l’administration américaine sous Donald Trump ?
Tout d’abord, j’aimerais vous remercier pour cette interview. Il est absolument important de communiquer avec les lecteurs italiens et d’expliquer la vision palestinienne de gauche concernant la situation actuelle en Palestine et dans la région. Nous considérons les États-Unis sous l’administration Trump comme une puissance extrêmement dangereuse, non seulement pour le peuple palestinien et pour notre région, mais également pour tous les peuples du monde. On dit souvent que la seule différence entre Trump et les anciennes administrations américaines est que Trump révèle le visage hideux réel du capitalisme et de l’impérialisme en portant l’utilisation du pillage, de l’hégémonie et de l’exploitation à un niveau extrême.
La déclaration de Trump concernant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État israélien et le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Avivà Jérusalem est la continuation naturelle de 100 ans de colonisation en Palestine et de la Déclaration Balfour de 1917. Elle fait intégralement partie de la tentative en cours de liquider les droits palestiniens et d’accélérer le nettoyage ethnique de notre peuple, particulièrement à Jérusalem. Les Palestiniens de partout rejettent politiquement la tentative de Trump d’éliminer la cause palestinienne. Notre peuple résiste et rejette cette tentative non seulement par des mots, mais aussi par des actions : le lancement d’une vraie insurrection populaire héroïque à Gaza – la Grande Marche du Retour, dans l’esprit de la Première Intifada et avec la participation du FPLP et d’un large éventail des forces politiques palestiniennes.
2) Quelle stratégie permettrait actuellement de reconstruire un puissant mouvement de libération palestinien ?
La tâche principale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui réside dans le projet de remettre sur pied et de reconstruire le mouvement palestinien de libération nationale. Le tout premier objectif national palestinien aujourd’hui consiste à placer la Palestine, une fois de plus, sur la voie de la libération en définissant et affirmant à nouveau l’essence de la lutte palestinienne. C’est-à-dire le retour des réfugiés et la mise en place d’une société libérée, laïque et démocratique en Palestine – et non « l’État palestinien d’après les frontières de 1967, à côté d’Israël ».
Une rupture historique et dévastatrice s’est produite au sein du mouvement palestinien après la signature des accords d’Oslo en 1993. Elle a déformé la véritable signification de notre lutte et l’essence du conflit. Toute une génération de Palestiniens est née et a grandi, depuis la signature de ce document catastrophique le 13 septembre 1993 à Washington, D.C. Depuis lors, le mouvement palestinien a été anéanti, complètement divisé et a sombré dans le chaos.
Quant aux tâches immédiates, il est d’une importance extrême de rétablir le front de libération nationale palestinienne, l‘OLP (Organisation de libération de la Palestine), si vous voulez, afin de créer les conditions nécessaires à la renaissance du mouvement palestinien et de la révolution palestinienne. Nous venons d’une perspective différente de celles du Fatah et du Hamas, et nous nous sommes engagés en faveur d’une véritable unité nationale qui comprendra notre cadre progressiste et qui devra s’appuyer sur la représentation et la participation populaires. Toutes les classes palestiniennes doivent participer à ce processus et les classes populaires ne doivent pas être exclues de la direction du mouvement comme elles l’ont été ces 40 dernières années. La liberté de la Palestine sera gagnée par le peuple et non par les élites.
3) Quelle direction politique alternative le FPLP suggère-t-il ?
Nous pensons que la prémisse de changement est la participation populaire qui permettra aux Palestiniens de participer à la lutte et au processus décisionnel politique, d’une façon qui soit efficace et sensée. Ceci requiert non seulement de lutter contre l’occupation, mais également de lutter afin de récupérer ces droits palestiniens à participer à notre propre mouvement. Par exemple, en Jordanie, il y a plus de quatre millions de Palestiniens dont les revendications, les besoins et les appels à l’action pourraient sembler inexistants. Pourtant, ils doivent être entendus. La même chose vaut pour les Palestiniens au Liban, en Syrie et ailleurs, de même que pour ceux vivant en Palestine.
La participation et la direction populaires sont nécessaires pour remettre sur pied le mouvement de résistance contre la colonisation sioniste et pour mener à bien une stratégie de libération de la Palestine. Cela doit également se faire dans la diaspora, de même qu’en Palestine, en Europe et dans les autres endroits du monde où vivent des Palestiniens. Si nos communautés sont sans cesse menacées par toutes sortes de criminalisations, de lois répressives et d’attaques de la droite, nos tâches, dans ce cas, s’en trouveront plus difficiles. La pierre angulaire de notre vision repose sur ceci : le droit du peuple à participer au développement de son avenir. C’est le processus le plus progressiste, le plus démocratique de participation et c’est pour ce processus que nous combattons, au contraire de ceux qui ont imposé au peuple palestinien une hégémonie des élites.
4) Le Front populaire pour la libération de la Palestine a célébré le cinquantième anniversaire de sa création. Comment évaluez-vous la situation du Front aujourd’hui ?
Le Front a conclu sa Septième Convention au début 2014 et nous sommes proches, désormais, de sa Huitième Convention. Ce sera une occasion pour tous nos camarades en Palestine et ailleurs d’estimer les forces et faiblesses de notre Front et d’évaluer ses avancées et ses régressions.
Ces cinq dernières années, nous pouvons dire que le Front a affronté de terribles difficultés et défis suite au siège politique et financier que nous subissons : répression, arrestations en masse et assassinats de cadres. Pourtant, nous avons progressé dans nos capacités militaires à Gaza parce que nous ne sommes pas confrontés aux mêmes conditions qu’en Cisjordanie sous l’occupation et la coordination sécuritaire de l’Autorité palestinienne. Plusieurs camarades – dont moi-même – sont en prison précisément à cause de cette coordination sécuritaire entre l’AP et l’occupant, mais nous ne sommes pas seuls, sur ce plan. Des centaines de cadres ont été soumis eux aussi à l’oppression et à des arrestations.
En termes d’organisation, au sein du Front, nous avons également fait des progrès du côté de la participation des jeunes et du renouveau dans plusieurs aspects différents de notre travail. Il est toujours très malaisé d’accumuler des réussites dans les circonstances que nous connaissons et, ainsi donc, nous sommes toujours engagés dans un processus de construction et de reconstruction.
5) En quoi le FPLP a-t-il changé depuis sa fondation jusqu’à nos jours ?
Le Front a terriblement changé, dans tout ce temps – nous parlons ici d’un demi-siècle. Il y a quatre étapes dans la vie de notre parti. La première, que l’on pourrait appeler « l’époque jordanienne », de 1967 à 1972 ; la deuxième, l’expérience de la révolution palestinienne et du FPLP au Liban, de 1973 à 1982 ; la troisième, la première grande insurrection populaire palestinienne, de 1987 à 1993 et, depuis lors, nous connaissons l’époque de ce qu’on appelle le processus d’Oslo.
Tous ces changements, en fait, ont affecté le Front à divers niveaux : politique, théorique, organisationnel. Ils nous ont affectés comme ils en ont affecté d’autres : les guerres dans la région, les pactes de paix entre régimes arabes et Israël ; la chute de l’Union soviétique et du bloc socialiste au sens large ; le processus de liquidation (également appelé le « processus de paix »). Tous ces facteurs et bien d’autres ont affecté le Front, sa force et son analyse.
Certaines des positions que nous avons adoptées à une époque de repli ont conféré au Front une allure plus « réaliste », mais c’était dû à des contradictions internes au sein même du Front. Nous avons discuté de la chose publiquement dans nos documents des Cinquième, Sixième et Septième Conventions. Le Front s’engage toujours dans l’autocritique et nous n’hésitons pas à mettre le doigt sur nos manquements. Mais la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, de 1992 à ce jour, c’est que le parti, comme notre peuple, est confronté à une crise totale, théoriquement, politiquement, financièrement et sur d’autres plans aussi, et cette crise ne pourra être surmontée que via la résistance et la lutte à tous les niveaux.
6) Comment percevez-vous le rôle du mouvement des prisonniers à l’intérieur des prisons israéliennes ?
Historiquement, le mouvement des prisonniers à l’intérieur des prisons israéliennes a joué un rôle majeur et central dans le combat contre l’oppression sioniste. Cela se perçoit non seulement dans nos confrontations quotidiennes avec l’occupant et dans la responsabilité des prisonniers, en tant que personnes aux tout premiers rangs de la révolution, mais aussi dans notre rôle sur l’ensemble de la scène politique en Palestine.
Nous devons nous rappeler que l’accord de consensus national en faveur d’une unité palestinienne a reçu le nom de « Document des Prisonniers ». Il a été rédigé à l’intérieur des prisons et a constitué la base de toutes les discussions ultérieures en faveur de l’unité nationale du mouvement palestinien. Le mouvement des prisonniers a traversé diverses expériences de campagnes, de grèves de la faim et des vies de prisonniers ont été ôtées sous la torture.
Nous, les prisonniers politiques, avons été appelés l’avant-garde et le cœur de la révolution palestinienne. C’est parce qu’Israël cible toujours les mouvements palestiniens et leurs dirigeants afin de les emprisonner – mouvements estudiantins, mouvements des femmes, mouvements du travail, mouvements de jeunesse. En essence, les prisons ont devenues les endroits où tous ces aspects de notre mouvement se rencontrent et s’engagent par le biais de la discussion. C’est pourquoi, souvent, les Palestiniens appellent les prisons « les écoles de la révolution ».
Nous ne sommes pas séparés du mouvement de libération en dehors de la prison. Les prisonniers palestiniens viennent de Palestine – Cisjordanie , Gaza, Jérusalem, le triangle, le Néguev, la Galilée, toute notre terre. Nous considérons également les prisonniers politiques palestiniens des prisons américaines et françaises comme faisant partie de notre mouvement, et tout particulièrement Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné en France depuis plus de 34 ans.
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Publié le 11/12/2018 sur Samidoun, Palestinian Prisonners Solidarity Network.
Traduction : Jean-Marie Flémal
Source : Pour la Palestine
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