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Gaza - 10 septembre 2011
Par Michele Giorgio
Edition de vendredi 9 septembre 2011 de il manifesto
Gaza ville - Ils sont enfermés dans la cage des accusés, quatre des six jeunes accusés d’avoir enlevé et assassiné Vittorio Arrigoni. Mahmoud Salfiti, Tamer Hasasnah, Khader Jram et Amer Abbu-Ghloula. Ce sont les survivants de la (présumée) cellule salafiste (deux autres membres, parmi lesquels le Jordanien Abdel Rahman Breizat sont morts dans un affrontement armé avec les forces spéciales du Hamas) qui croyait, en prenant en otage l’activiste italien, pouvoir libérer le cheikh jihadiste al Maqdisi, arrêté par la police de Gaza en début d’année.
Ils ont ensuite tué Vittorio, brutalement, après l’avoir immobilisé et tabassé. Ont-ils agi seuls ou avaient-ils quelqu’un derrière eux ? Le doute est fort. Mais à présent ils sont là, devant nous. Et nous les observons attentivement. Il semble impossible que des jeunes qui ont à peine plus de vingt ans aient pu ôter la vie à un jeune Italien qui avait dédié sa vie à leur terre martyrisée. Mais c’est comme ça.
Salfiti semble tranquille, il a un tee-shirt à raies bleu et bleu marine horizontales et il cherche du regard ses proches assis dans le public. A côté de lui Hasasnah, chemise noire et pantalons kaki, ne dit pas un mot. Jram est plus tendu, il demande conseil à son avocat, puis retourne s’asseoir. C’est lui qui a suggéré à ses compagnons de séquestrer Vittorio. Les deux s’étaient connu devant le « Abu Ghalion », un immeuble sur le front de mer de Gaza où Vik a longtemps vécu. Jram rendait service à la station des pompiers située en face, à côté de l’entrée du port où Vittorio se rendait souvent pour sortir en mer avec les pêcheurs dans l’espoir de pouvoir les protéger, avec sa « présence passive », des intimidations menaçantes de la marine militaire israélienne. Vik lui faisait confiance, comme à tout le monde à Gaza.
La mère de Jram répète que son fils est un brave garçon. « C’était un ami de l’italien, il voulait seulement lui faire peur, pas le tuer », répète la femme en essayant de donner une image plus positive de son fils. Les enquêtes par contre ont asserté que le « choix » de Vittorio par ses ravisseurs est dû surtout à son insistance.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir l’estomac retourné. Sont présents dans la salle délabrée (sic) du tribunal militaire de Mashtal (Gaza City) divers amis de Vik, Italiens et Palestiniens. Paolo ne gère pas la tension, lui il a les quatre juste devant lui, à quelques mètres de distance : à un moment il se lève, il sort de la salle. Peut-être pour fumer une cigarette. Ebaa n’arrive pas à dire un mot. Meri, Valentina et Adriana écoutent attentivement la traduction en italien de ce qui se dit dans le tribunal, garantie par Sami, technicien dentaire de Khan Younis. Les journalistes présents, italiens et palestiniens, sont moins de dix. Les média locaux ont ignoré la nouvelle du procès -mais ils étaient peu nombreux à la connaître, étant donné que les autorités ne l’ont jamais annoncée publiquement. « Debout, la Cour » hurle (sic) un militaire en tapant avec force sur le pupitre. Le président de la Cour Ata Abu Mansour, est en uniforme tout comme le procureur (assisté par une collègue femme). Il lit à haute voix (sans hurler ? NdT) les noms des accusés, trois desquels sont résidents du camp de réfugiés voisin de Shate. Les deux premiers sont accusés d’avoir participé directement à l’opération -un, Salfiti, a été pris au cours d’un blitz où ont été tués les « chefs » de la cellule salafiste Abdel Rahman Breizat et Bilal al Omari, Jram et Ghpoula ont des responsabilités pénales mineures.
Les accusés risquent jusqu’à la peine de mort mais, comme nous a expliqué avant l’audience le procureur militaire Ahmad Atallah, la famille Arrigoni aurait dans ce cas le droit de demander la non exécution de la condamnation. En tout cas, la peine de mort dans l’ordonnancement palestinien ne peut être exécutée qu’avec l’approbation écrite du président de l’Autorité Nationale. Mais vu que la Cisjordanie et Gaza sont séparées (élégante façon de dire que l’AP ne reconnaît pas le gouvernement -Hamas- élu de Gaza, NdT), dans la Bande ce rôle est maintenant joué par le conseil des ministres (à majorité Hamas, NdT).
Derrière le parquet sont assis les avocats du PCHR, chargés par la famille Arrigoni de la représenter au procès (en l’absence aussi de l’avocat italien Gilberto Pagani, encore dans l’attente d’entrer à Gaza par le passage de Rafah) (on en déduit que l’avocat italien n’a pas eu la même chance que l’auteur qui peut entrer à Gaza en venant d’Israël, où il réside comme correspondant permanent du manifesto, que je sache depuis 10 ans que je lis -et traduis certains de- ses articles, NdT). Coup de théâtre : l’avocat Mohammed Najar, qui assiste Khader Jram, objecte que la constitution de parties civiles n’est pas prévue dans la procédure pénale des cours militaires. Le juge accueille la remarque et invite l’avocat Eyal al-Alami à s’asseoir avec le public, en ne pouvant jouer que le rôle d’observateur (voir note en fin de texte, NdT).
C’est un coup dur, après la fatigue énorme dépensée par les Arrigoni pour faire arriver à Gaza le document de mandat officiel au PCHR selon les critères fixés par le procureur militaire. Pour le moment, la fonction précise que pourront jouer les avocats du PCHR n’est pas claire (voir pour plus de clarté le rapport d’ISM, NDT). « A notre grande surprise -nous dit Khalil Shahin, directeur adjoint du Centre pour les droits humains- nous avons appris que le gouvernement du Hamas a récemment modifié par décret la procédure pénale dans les cours militaires, en interdisant la constitution des parties civiles. Nous ne pensons pas qu’il l’ait fait pour nous toucher vraiment nous mais dans tous les cas, c’est une décision prise en secret (sic) que nous rejetons comme toutes les modifications des codes à Gaza advenues après 2007 » (en d’autres termes le PCHR rejette toutes les modifications apportées par le gouvernement largement et démocratiquement élu à Gaza, NdT).
L’audience se poursuit quelques minutes encore. La cour dispose le renvoi au 22 septembre après que le procureur annonce l’introduction de nouveaux éléments de preuves et d’un CD avec les confessions des accusés. Matériel contre la présentation duquel la défense s’oppose -n’ayant rien reçu auparavant- et que les juges se sont réservés d’admettre ou non avant la seconde audience, quand les avocats auront eu le temps d’en prendre vision. Le procès est ajourné. « Debout, la cour se retire », hurle ( ! NdT) le même militaire en tapant avec encore plus de force qu’avant sur le pupitre (oui, c’est écrit tel quel ; quand on vous dit que c’est des sauvages, ces gens du Hamas... NdT). Nous sortons de la salle, comme tout le monde, avec un goût très amer à la bouche.
Notes de la traductrice :
J’ai décidé de traduire cet article -en restant au plus près des termes employés par l’auteur- après avoir lu le compte-rendu d’audience des membres d’ISM -organisation à laquelle appartenait Arrigoni- vivant à Gaza et présents aussi dans la salle.
J’ai fait cette traduction, le plus fidèlement possible, pour que le lecteur, en comparant avec l’autre compte-rendu d’audience rapporté ci-dessous, se fasse lui-même une idée de la façon peu objective, plusieurs fois inexacte voire trompeuse (et parfois grotesque dans sa partialité) dont l’envoyé permanent de il manifesto en Israël a rendu compte de la première audience du procès. On verra sur les photos publiées par ISM -mais pas par il manifesto- l’état de la salle, qualifié de « fatiscente » dans l’original : tombant en ruines, menaçant ruine, croulant, délabré, selon mon dictionnaire.
On remarquera aussi au passage que dans l’article de M. Giorgio, il semble que l’avocat italien n’arrivera jamais à entrer à Gaza...? L’auteur connaît sans doute les difficultés ou impossibilité -à moins d’avoir la bonne carte de presse- qu’il y a à entrer dans Gaza en venant d’ « Israël ».
J’ai ajouté dans le texte et ici les commentaires que je destine aussi à l’auteur et à ses camarades à Rome qui ne se privent pas, et pas que pour cet article, de modifier les textes à leur gré pour la publication. Ici, M. Giorgio m’a fait remarquer ensuite -et je reproduis sa phrase- que « le titre n’est pas de [lui] » et qu’il « n’a pas écrit que la constitution de partie civile a été refusée mais qu’elle n’est pas prévue ». Il n’a pas non plus demandé qu’on modifie le titre et ne m’a pas fourni l’original.
Bref, tous ceux qui savent lire apprécieront.
J’ajoute, en fin de commentaire, une note juridique apportée par Maître Gilles Devers que j’ai interrogé au sujet de ce qui était écrit dans cet article sur la cour militaire. J’envoie aussi bien sûr cette note à l’auteur et à quelques rédacteurs du manifesto (service Internazionale).
m-a patrizio, 10 septembre 2011.
Précisions apportées le 9 septembre 2011 par Maître Gilles Devers, avocat à Lyon, qui a, en janvier 2009, avec 400 associations internationales, déposé à la CPI la requête pour crime de guerre et crime contre l’humanité contre les dirigeants israéliens de l’opération Plomb durci.
"La possibilité de se constituer partie civile au procès pénal est une pratique juridique minoritaire. Ce n’est pas une question propre aux tribunaux militaires, mais une question générale.
Dans la plupart des Etats, il y a une séparation stricte de l’action publique, conduite par le procureur, et de l’action civile, qui vise à la défense des intérêts de la victime.
La France, l’Italie, l’Espagne connaissent le régime, la victime participant au procès pénal. Mais ce système est ignoré aux USA, au Royaume Uni, en Allemagne, dans la très grande majorité des Etats, et je crois dans tous les systèmes juridiques arabes.
La constitution de partie civile a des avantages et des inconvénients, mais il n’existe aucun principe ni aucune jurisprudence pour dire que la constitution de partie civile lors du procès pénal est une nécessité du procès équitable.
Je comprends du compte rendu que le PCHR a pu très facilement, en qualité d’association, participer comme observateur, et avoir accès la procédure. C’est une possibilité qui serait très discutée en droit français, car cette association a un but très général, et non pas lié à la défense des intérêts, directs ou indirects de la victime. Une ONG « généraliste » peut bien sur assister au procès, qui est public, mais elle n’a aucun droit d’accès au dossier."
Source : Il Manifesto
Traduction : Marie-Ange Patrizio
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