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Gaza - 1 février 2008
Par Martin Kramer
"Voilà qui pourrait ressembler à une bénédiction". C'est par ces mots qu'un responsable israélien anonyme a accueilli la destruction par le Hamas d'un morceau de la barrière frontalière qui sépare Gaza de l'Egypte, et qui a été suivie par un flot incontrôlé de centaines de milliers de Palestiniens de Gaza passant de Gaza en Egypte. "Il y a des gens au Ministère de la Défense, au Ministère des Affaires Etrangères et au bureau du Premier Ministre que ça rend très heureux. Ils disent : 'Enfin, le désengagement commence à fonctionner.'"
A l'évidence, une frontière brisée entre l'Egypte et Gaza est un problème sécuritaire majeur pour Israël. Mais le matériel de guerre et l'argent destinés au Hamas passaient la frontière de toutes façons.
Une frontière ouverte dédouane effectivement Israël de sa responsabilité sur la population de Gaza et peut le pousser à se séparer de son infrastructure restante et à couper les liaisons de ravitaillement à Gaza. Une grande partie de la responsabilité envers Gaza serait déplacée d'Israël à l'Egypte, ce qui pourrait expliquer les murmures de satisfaction entendus à Jérusalem.
Mais les conséquences de la grande brèche vont au-delà. Etant donné que Gaza et la Cisjordanie ne sont pas près d'être réunies, la question de la viabilité propre de Gaza comme entité séparée est obligée de refaire surface. Dans les années 90, les économistes parlaient des chances de succès de Gaza en fonction des aspects économiques : un investissement massif pourrait la transformer en un Singapour avec de hauts immeubles.
Mais dans un article écrit à l'été 1991, un géographe de pointe a expliqué que ce n'était pas faisable, et qu'il faudrait plus de terre pour rendre Gaza viable. La plupart de cette terre, a-t-il déclaré, devrait venir d'Egypte.
"Viabilité de Gaza : le besoin d'agrandissement de sa base terrestre" – tel était le titre d'un article de Saul B. Cohen, géographe américain distingué et ex-président du Queens College et de l'Association des Géographes américains.
Cohen commence par affirmer : un Gaza aux hauts immeubles "serait un désastre écologique… Pour réussir à devenir un mini-Etat, un qui servirait de "porte d'entrée" (…), Gaza aura besoin de terre supplémentaire." Cohen a calculé qu'un Gaza viable aurait besoin d'environ 1.000 km² de territoire, ce qui requiert 650 km² supplémentaire.
Voici comment il a cartographié sa proposition :
L'Egypte fournirait une bande côtière sur la Méditerranée de 30 km (200 km²), faisant de Gaza une bande côtière sur la Méditerranée d'environ 75 km. L'Egypte fournirait également une partie de la plaine nord du Sinaï (300 km²), et Israël donnerait un morceau de son côté de la frontière (150 km²). Cela ferait une surface suffisante, écrit Cohen, "pour soulager la surpopulation de Gaza, garantir des réserves de terre agricole et naturelle et déployer des activités urbaines (dont des petites villes et des hôtels) pour fournir un paysage culturel unique d'immeubles peu élevés." L'Egypte fournirait l'eau (par une extension du canal des eaux du Nil depuis El Arish) et l'énergie (par une conduite de gaz naturel).
Cohen pensait aussi que les colonies israéliennes de Gush Qatif "devraient à long terme être retirées". Le long terme n'a pas pris tant de temps.
Les Accords d'Oslo ont éclipsé l'idée d'un mini-Etat de Gaza. Gaza était supposé trouver ses débouchés en Cisjordanie , par un couloir sécurisé. L'idée d'un Gaza étendu a été reprise peu de temps après le retrait unilatéral israélien par un géographe israélien (et ancien recteur de l'Université Hébraïque), Yehoshua Ben-Arieh. Il est parti de cette affirmation : un couloir vers la Cisjordanie ne suffirait pas à soulager la pression croissante à Gaza. Gaza ne pourrait être viable que si elle devenait un carrefour ou une porte, ce qui nécessiterait un port en eau profonde, un aéroport et une nouvelle ville.
Ben-Arieh a proposé un échange à trois flux. L'Autorité Palestinienne recevrait de 500 à 1.000 km² du nord Sinaï égyptien. Israël donnerait à l'Egypte 250 à 500 km² le long de leur frontière commune à Paran, et donnerait aussi à l'Egypte une route couloir vers la Jordanie. En Cisjordanie , l'Autorité Palestinienne cèderait à Israël la même superficie de territoire (500 à 1.000 km²) reçue de l'Egypte. C'est ainsi que Ben-Arieh dressait la carte sud de son plan.
Ben-Arieh a présenté son idée et ses cartes au Premier Ministre d'alors Ariel Sharon, qui, selon Ben-Arieh, a qualifié le plan de prématuré, mais ne l'a pas rejeté. "Peut-être qu'un jour ce sera une idée", aurait-il dit.
Pour quiconque connaît les complexités des politiques, ces plans semblent grotesques. Mais alors que les géographes ratent souvent les détails diaboliques, ils savent ce que comporte de réellement provisoire la carte du Moyen Orient. C'est une représentation schématique d'autres forces, et si la puissance de ces forces change, la carte finira par le montrer. Il y avait 350.000 palestiniens à Gaza en 1967. Ils sont maintenant 1,3 millions, qui poussent le carcan des frontières étroites de Gaza avec une force croissante. Israël a le pouvoir et la détermination de les repousser. L'Egypte ne l'a pas, et c'est pour cette raison que le carcan a explosé à cet endroit là.
Cette pression ne va pas se relâcher, et puisque le Hamas cherche à la canaliser dans un "droit au retour sur les ruines d'Israël", ce que les Etats-Unis rejettent, la question est : où Washington propose-t-il de dévier cette pression ? Son "processus de paix", maintenant entièrement focalisé sur la Cisjordanie , peut-il dévier quoique ce soit ? A moins que la Maison Blanche n'arrive à faire changer le cours de l'eau, il est peut-être temps de revisiter les alternatives des géographes, et de demander honnêtement si elles sont plus grotesques que la politique actuelle.
Source : MESH
Traduction : MR pour ISM
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