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Israël - 26 février 2014
Par Yazan al-Saadi, Chloé Benoist
Article publié le 21 février 2014
La Knesset d'Israël doit se prononcer [le projet de loi a été adopté hier 26 février, ndt] sur un projet de loi qui identifierait les Palestiniens chrétiens ayant la citoyenneté israélienne comme "non-arabes", suscitant un tollé dans et hors la Palestine 1948. Le projet a été proposé par Yariv Levin, président de la coalition conservatrice au pouvoir Likud-Yisrael Beitenu en janvier 2014. "Mon projet de loi accordera une représentation et un cadre de référence distincts à la population chrétienne, qui les distingueront des arabes musulmans," avait dit Levin à l'époque. "C'est une étape importante et historique qui peut introduire un équilibre dans l'Etat d'Israël, et pour nous [les juifs] avec les chrétiens," avait-il ajouté. "Je veille à ne pas faire référence à eux en tant qu'arabes, parce qu'ils ne sont pas arabes."
Le Père Ibrahim Shomali (au centre), prêtre de la paroisse catholique romaine de Beit Jala (Bethléem), conduit une messe en plein air pour protester contre la décision israélienne de construire une nouvelle section du mur de séparation à travers la Vallée de Crémisan, le 24 janvier 2014 (Photo: AFP-Musa al-Shaer)
Le 19 février, le projet de loi a été adopté en deuxième et troisième lectures à la commission Travail, Santé et Affaires sociales de la Knesset israélienne, et il doit être discuté par les députés à une date non encore fixée dans un avenir proche. Si le projet est adopté, ce sera la première fois que la législation israélienne sépare en deux communautés distinctes les arabes chrétiens et musulmans.
L'opinion de Levi sur le statut de non-arabe des Palestiniens chrétiens a été vivement condamné par les organisations palestiniennes et chrétiennes que Al-Akhbar a pu joindre sur ce sujet.
"Tout d'abord, les chrétiens et les musulmans palestiniens sont les mêmes," a dit à Al-Akhbar Mustafa Barghouti, fondateur et secrétaire-général de l'Initiative nationale palestinienne.
Barghouti a fait remarquer que certains des défenseurs les plus éminents du nationalisme arabe et du mouvement palestinien de libération étaient chrétiens, comme George Habash et Edward Said.
"Nous sommes tous fiers de gens comme Edward Said, qui fut à l'avant-garde de la lutte contre l'occupation, le colonialisme et l'occupation," a dit Barghouti.
"C'est une action arrogante et une violation des droits fondamentaux. Israël utilise la pratique coloniale habituelle du diviser pour régner," a-t-il dit, ajoutant qu'Israël fait de la "provocation" pour "détourner l'attention des questions principales."
"Ce que fait Israël est la pire forme de racisme et d'orientalisme. Ils n'ont pas le droit de parler au nom des Palestiniens chrétiens, et il ne fait aucun doute que les Palestiniens chrétiens y répondront," a ajouté Barghouti.
Diviser pour régner
Une des justifications sur lesquelles s'appuie Levin pour faire passer la loi est qu'elle représente une forme de protection pour les chrétiens contre "les musulmans extrémistes," et il prend également exemple sur le système confessionnel du Liban comme un exemple positif d'harmonie religieuse et de stabilité de l'Etat.
"[Les chrétiens] ne se voient pas comme des arabes. Ils disent, 'Nous ne sommes pas arabes, nous sommes séparés.' Pendant 60 ans, l'Etat a traité toutes les minorités comme un groupe homogène, et c'était une erreur."
"Regardez au Liban, il n'y a pas de Levin là-bas, et leur droit stipule que le président doit être un chrétien maronite, le président du parlement un chiite et le premier ministre un sunnite," a-t-il argumenté.
Mais les chrétiens palestiniens, que la loi "protègerait", ont carrément rejeté le raisonnement de Levin.
"Moi et ma famille nous refusons cette distinction. Il n'y a que très peu de chrétiens qui l'acceptent. La plupart des arabes vivant en Israël sont liés à la Palestine," a déclaré à Al-Akhbar Julius, palestinien de 19 ans qui vit à Haifa.
"Les Israéliens essaient de nous séparer du reste de la communauté palestinienne, à un moment où la mobilisation arabe contre l'Etat israélien grandit, et ça les inquiète," en référence au mouvement croissant de protestation des Arabes de 1948 contre le nettoyage ethnique en cours mené par les autorités israéliennes contre les communautés bédouines du désert du Naqab.
"Nous sommes au courant de leur plan. Il vise à nous faire oublier notre identité et à dresser les chrétiens et les musulmans les uns contre les autres," dit Julius.
Dans les enclaves occupées et fracturées de la Cisjordanie , les membres de la communauté palestinienne chrétienne reprennent le sentiment de Julius.
"[Israël] cherche activement à diviser la solidarité. Nous avons tous vécu, et nous vivons tous sous l'occupation, la colonisation, les bombardements et plus. Ils essaient de concocter une nouvelle idée pour faire des discriminations entre nos communautés," dit Osama Awwad, Palestinien chrétien qui vit à Bethléem, où il est journaliste et où il travaille au Holy Land Trust.
Awwad dit qu'en fin de compte, le projet de loi est illusoire, parce que "Israël veut être reconnu comme un Etat juif, ce qui signifie que toute personne qui n'est pas juive n'aura aucun droit tangible."
"Par ces lois, il est clair qu'Israël essaie de faire progresser sa politique d'apartheid à tous les niveaux, de la division de la terre à l'origine ethnique et à la religion," a-t-il ajouté.
D'après les statistiques de la CIA, 123.000 arabes chrétiens vivent en Palestine occupée, et 226.000 autres résident en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.
Malgré l'affirmation de Levin qu'Israël est le seul endroit qui "protège" les Chrétiens, les églises de Cisjordanie sont régulièrement la cible des attaques "prix à payer" lancées par les colons israéliens fanatiques.
De plus, les Palestiniens, qu'ils soient dans les frontières de 1948 ou au-delà, sont fréquemment victimes d'incidents racistes par des Israéliens, et les autorités israéliennes poursuivent rarement leurs auteurs.
"Même s'il est vrai que nous sommes vulnérables ailleurs dans la région, nous sommes les mêmes par le sang, la langue, la culture et les traditions sociales. La religion est la seule différence," a dit Julius de son expérience personnelle.
Et en Israël, Julius a ajouté, "Nous vivons avec presque aucun droit. Nous sommes privés d'opportunités comme les emplois parce que les employeurs veulent des juifs plutôt que des arabes. Beaucoup de formes de discrimination ont cours."
Pratiques d'apartheid
"Si vous demandez à quelqu'un qui vit en Terre sainte d'où il vient, il vous dira qu'il est d'abord palestinien. Ensuite il mentionnera sa religion. Il y a une distinction entre la citoyenneté et la foi. Ils disent, 'Nous sommes un peuple en tant que Palestinien, et il y a de la diversité au sein de la communauté palestinienne,'", a dit le Père Paul Lansu, prêtre catholique romain et conseiller politique principal pour Pax Christi International, dans une brève conversation téléphonique avec Al-Akhbar.
Le Père Lansu visite la Palestine de nombreuses fois par an depuis qu'il y a posé le pied, en 1981, il y a plus de trente ans.
"J'imagine que certains hommes et groupes politiques israéliens plaident pour ce type de pensée parce qu'ils veulent séparer les Palestiniens en différents groupes. Par exemple, les Israéliens essaient de faire entrer les chrétiens dans l'armée."
"Nous regrettons vraiment qu'ils dressent les gens les uns contre les autres. Nous sommes opposés à la fragmentation et à la division, ça ne favorise personne."
Levin justifie le projet de loi par sa conviction personnelle que les arabes chrétiens et musulmans sont fondamentalement différents. Il avait tenté précédemment de séparer de manière similaire la communauté druze vivant en Palestine 48 de la communauté arabe au sens large sur le plan législatif, avec des degrés divers de réussite.
La tentative actuelle de Levin fait partie d'un contexte historique plus large de manœuvres israéliennes visant à semer la division entre les différents groupes palestiniens en Palestine 1948, l'exemple le plus notable concernant les druzes palestiniens.
Dès les premières années de l'Etat israélien, les druzes ayant la citoyenneté israélienne ont eu des droits et des devoirs différents des autres Palestiniens, Israël mettant l'accent sur "la communauté de destin" et "l'alliance de sang" entre druzes et Juifs, d'une manière similaire aux tentatives actuelles de Levin de "renforcer nos liens avec les Chrétiens."
Les druzes sont soumis au service militaire obligatoire dans l'armée israélienne depuis 1956, et un statut juridique distinct de celui des autres citoyens palestiniens d'Israël leur a été accordé un an après, ce qui leur donne le statut, selon le droit israélien, de "non-arabes".
Après des décennies de discriminations entre les druzes et les autres citoyens palestiniens d'Israël, les druzes de 1948 accordent un soutien plus affirmé à l'Etat sioniste. Mais malgré les tentatives d'assimilation d'Israël, ils n'ont pas tous oublié leurs identités arabe et palestinienne. En 1958, l'Organisation populaire des jeunes druzes libres, rejointe plus tard par le Comité d'initiative druze en 1972, sont apparues comme des organisations de soutien aux objecteurs de conscience qui refusaient de participer à "l'exploitation des soldats druzes pour des actions militaires d'oppression contre les fils du peuple palestinien." Les cas de transfuges druzes ont fait les grands titres au cours des dernières années, montrant que la politique d'Israël n'a pas totalement réussi à dresser les Palestiniens de 1948 les uns contre les autres.
Depuis sa création brutale, Israël, en tant qu'Etat sioniste, a une relation compliquée avec l'identité. Pour maintenir le projet sioniste, il a essayé, avec agressivité, de nier tout récit alternatif ; de la tentative d'effacer l'identité palestinienne indigène qui existait avant le nettoyage ethnique de 1948 jusqu'à la falsification des diverses identités juives contemporaines et historiques afin d'assurer la domination du récit sioniste européen.
La nature du système peut conduire à des situations absurdes, et même des affrontements avec les désirs des citoyens israéliens eux-mêmes.
Un exemple récent illustre cette volonté désespérée des autorités israéliennes d'imposer une identité particulière globale qui soit conforme avec le sionisme européen.
En octobre 2013, 21 citoyens israéliens sont allés devant les tribunaux pour exiger que l'Etat reconnaisse leur souhait d'être considérés comme des "ressortissants israéliens" au lieu de les classer selon un groupe ethnique. Leur demande a été catégoriquement rejetée.
La démarche actuelle de reclasser les Palestiniens chrétiens est enracinée dans une tentative historique, sans fin et vaine des autorités israéliennes de maintenir un Etat artificiel, en particulier à un moment où le sionisme est considéré par de plus en plus de gens comme une idéologie obsolète et discriminatoire.
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
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