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Palestine occupée - 7 avril 2019
Par Zena Agha
Zena Agha est spécialiste de politique des États-Unis pour Al-Shabaka. Ses domaines d'expertise incluent la construction de colonies de peuplement par Israël dans le territoire palestinien occupé, avec une attention particulière sur Jérusalem, l'histoire moderne du Moyen-Orient et les pratiques spatiales. Auparavant, elle a travaillé à The Economist, à l'ambassade d'Irak à Paris et à la délégation palestinienne à l'UNESCO. Outre les articles d'opinion dans The Independent et The Nation, Zena a écrit des articles pour BBC World Service, BBC Arabic et El Pais. Elle a reçu la bourse Kennedy pour étudier à l'Université Harvard, où elle a terminé sa maîtrise en études du Moyen-Orient.
Le changement climatique est l'une des plus grandes menaces auxquelles l'humanité est confrontée. Ses effets sont globaux, de grande ampleur et répartis de manière très inégale. Bien que Palestiniens et Israéliens habitent le même terrain physique, les Palestiniens sous occupation subiront plus durement les effets du changement climatique.
Février 2017, inondation à Jabaliya, le plus grand camp de réfugiés de la bande de Gaza avec 110.000 habitants, après que des pluies torrentielles se sont abattues sur la région
L'occupation israélienne en cours - depuis cinquante-deux ans maintenant (en Cisjordanie , ndt) - empêche les Palestiniens d'accéder aux ressources et de prendre des mesures pour soutenir l'adaptation au changement climatique, entendue ici comme un ajustement des systèmes humains ou naturels en réponse aux effets du changement climatique. (1)
Cet article examine l'impact environnemental et politique du changement climatique sur la Palestine-Israël, en particulier dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). Il commence par un aperçu du changement climatique dans la région avant de se concentrer sur la manière dont l'occupation israélienne accroît la vulnérabilité des Palestiniens à ses effets par l'appropriation des terres et des ressources naturelles, ainsi que par des restrictions à la libre circulation. Il aborde également le rôle paradoxal joué par l'Autorité palestinienne dans cette affaire. L’article examine ensuite les effets environnementaux du changement climatique, en particulier en ce qui concerne l'eau et l'agriculture (*), et conclut en proposant des recommandations pour une adaptation politique et pratique au changement climatique. (2)
Vulnérabilité palestinienne, préparation israélienne
Parmi les indicateurs clés de l’impact local du changement climatique mondial, on peut citer l’élévation accélérée du niveau de la mer et l’évolution des précipitations dans la région. La diminution des précipitations devrait être l'effet le plus significatif sur la Palestine-Israël au cours de ce siècle, accompagné d'une hausse significative des températures moyennes. La combinaison de la diminution des précipitations et de la hausse des températures entraînera une augmentation de la demande en eau (une ressource déjà surexploitée) qui sera de plus en plus rare et qui pourrait conduire à une insécurité hydrique. L'agriculture, pierre angulaire de l'économie des TPO, en souffrira également.
Le projet ClimaSouth, une organisation soutenant l'atténuation du changement climatique et l'adaptation à celui-ci dans plusieurs pays méditerranéens, prévoit une réduction des précipitations annuelles allant jusqu'à 30% dans la région de la Méditerranée orientale d'ici la fin du siècle par rapport à la période 1961-1990. Pendant ce temps, au cours des quatre dernières décennies, les températures moyennes ont augmenté de 0,5°C dans la région de la mer Méditerranée. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat prédit que le sud et l'est de la Méditerranée se réchaufferont à un taux supérieur à la moyenne mondiale au cours du XXIe siècle - entre 2,2 et 5,1°C - ce qui entraînera des modifications extrêmement bouleversantes, voire catastrophiques, du climat de la région, y compris une désertification accrue. (3)
Le paysage politique fragmenté de la Palestine pose l'un des plus grands défis pour faire face au changement climatique. Trois entités différentes et souvent en conflit régissent le territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée : le gouvernement israélien (qui préside l'État moderne d'Israël, Jérusalem occupée, les hauteurs du Golan occupées, la zone C de facto et la vallée du Jourdain à l'ouest), l’Autorité palestinienne (zones A et B en Cisjordanie ) et le Hamas (bande de Gaza). Cette réalité politique et sociale différenciée a entraîné un vaste déséquilibre entre les expériences des effets du changement climatique, la capacité de s'y attaquer et la capacité de produire des évaluations harmonisées et des évaluations de ses effets en raison d'une collecte de données faible et incohérente. (4)
De plus, bien que les effets du changement climatique soient globalement similaires sur l’ensemble du territoire, une grande partie de l’orientation politique et de la recherche disponible traitent à tort le territoire palestinien occupé comme étant séparé de la Palestine historique. Non seulement cette délimitation ignore le corps politique palestinien, mais elle place également la Palestine occupée - un État à statut non souverain - dans l'étrange position de "devoir représenter l'avenir d'une structure qui tente de les effacer", comme l’écrit Stamaptopoul-Robbins.
Bien que ce document se concentre principalement sur les effets du changement climatique en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, il reconnaît les incohérences dans la production de connaissances qui isolent le TPO de son contexte politique et géographique plus large. Désormais, le terme "Palestiniens" désigne les Palestiniens sous occupation en Cisjordanie et à Gaza.
La vulnérabilité au changement climatique est déterminée par une combinaison de risque climatique et de préparation à l'adaptation - en d'autres termes, le niveau de risque du changement climatique par rapport à la capacité à mettre en œuvre des réponses à court et à long terme, qui dépendent des conditions socio-économiques et politiques. Dans le cas de Palestine-Israël, la vulnérabilité devrait être comprise dans le contexte de sept décennies de déplacement, de dépossession, d'oppression et de mauvaise gouvernance des Palestiniens.
Même en l'absence de changements dans l'environnement naturel, des millions de Palestiniens sont déjà des réfugiés qui dépendent fortement de l'aide de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies et d'autres organisations humanitaires, dont des millions sont au-delà de la compétence de l'Autorité palestinienne. Les Palestiniens à Gaza sont sans aucun doute les plus vulnérables en raison du siège militaire et des sanctions imposés par Israël, depuis maintenant 12 ans.
Le TOP est unique en ce que les planificateurs du climat doivent utiliser le cadre de vulnérabilité pour évaluer l'incertitude des risques climatiques et de l'occupation. L'évaluation de la vulnérabilité dans le Plan national d’adaptation (PAN) 2016 de l'AP présente une gamme de risques, notamment la sécurité de l'eau et la sécurité alimentaire et le manque de données quantitatives permettant d'identifier et de hiérarchiser les vulnérabilités et les options d'adaptation. Une vulnérabilité quelque peu négligée dans le PAN est la croissance démographique rapide et l’urbanisation ; la forte densité de population entraîne une forte exposition aux changements environnementaux et une concentration accrue des risques climatiques. La densité de population moyenne en Cisjordanie est de 468 habitants au km2, supérieure à celle des pays voisins.
En 2017, il y avait environ cinq millions de Palestiniens dans les TPO (environ trois millions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et 1,8 million dans la bande de Gaza). On estime que la population atteindra 14 millions d’ici 2050 - voire davantage, si des réfugiés actuellement en exil sont en mesure d’exercer leur droit de retour. La population est également jeune : près de 40% des Palestiniens ont moins de 14 ans et le taux de chômage est extrêmement élevé : 27% au total (18% en Cisjordanie et 42% à Gaza) en 2016. Le PIB par habitant dans les TPO au moment de l'écriture de cet article est seulement de 1.997$ contrairement à 34.134$ en Israël
Néanmoins, le principal risque non environnemental auquel sont confrontés les Palestiniens des territoires palestiniens occupés est l'occupation israélienne, dans la mesure où le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) le considère comme un « risque » environnemental, selon son propre droit. Les restrictions à la libre circulation des personnes et des biens, le mur d'apartheid, l'accaparement des terres, l'expansion des colonies de peuplement et la violence des colons, ainsi que la mauvaise gouvernance de l'Autorité palestinienne menacent tous la sécurité de l'eau et de la sécurité alimentaire des Palestiniens et accroissent par conséquent la vulnérabilité au changement climatique. Les Palestiniens ont mis au point des méthodes d’adaptation à court terme en réponse à ce contrôle israélien omniprésent. À Gaza, par exemple, l’utilisation d’eaux usées non traitées pour l’irrigation agricole et le forage de puits a retardé une catastrophe imminente ; cependant, cela s'est fait au détriment de la durabilité à long terme et aux risques extrêmes pour la santé publique.
Il est essentiel de souligner ici que les TOP sont soumis au droit international en matière d’occupation belligérante. Israël, en tant que puissance occupante, est juridiquement responsable de répondre aux besoins de la population occupée qui, selon la Convention de La Haye, inclut la tutelle des ressources naturelles. En outre, la quatrième Convention de Genève interdit la destruction et l'appropriation arbitraires de biens, ainsi que la destruction, le retrait et l'invalidité d'objets civils indispensables à la population civile, notamment les zones agricoles, les installations d'eau potable et les travaux d'irrigation. Sur le plan juridique, le PNUD cite la tension actuelle causée par l'occupation israélienne concernant les infrastructures hydrauliques et agricoles palestiniennes en tant que « violations à première vue du droit international humanitaire, nécessitant une enquête indépendante de la communauté internationale ».
L'occupation a donc conduit à des politiques et pratiques inadaptées qui sapent la résilience et la préparation des Palestiniens à la menace du changement climatique. En revanche, Israël est bien placé pour s'adapter aux effets du changement climatique et est donc moins vulnérable. Selon l’indice de pays ND-GAIN qui résume la vulnérabilité d’un pays au changement climatique ainsi que sa « volonté » d’améliorer sa résilience, Israël est le 19ème pays le moins vulnérable et le 32ème pays le plus prêt à faire face au changement climatique (les TOP ne figurent pas). La disparité d'adaptation entre Israël et l'Autorité palestinienne est purement politique.
La préparation d'Israël est en partie le résultat d'une décision contraignante prise par le gouvernement en 2009 d'établir un plan national d'adaptation. Ce processus a donné naissance au Centre d’information sur les changements climatiques d’Israël (ICCIC), qui rassemble des connaissances scientifiques et des documents d’orientation pour alimenter la planification nationale. L'objectif déclaré de l'ICCIC est « d'intégrer les stratégies d'adaptation dans les plans directeurs et les plans d'action dans des domaines tels que l'eau, l'énergie, la biodiversité, l'agriculture, la santé publique, la construction durable, etc. », en collaboration avec 16 ministères compétents.
Les politiques climatiques d’Israël ne se limitent pas à l'adaptation. En prévision de la Conférence de Paris sur les changements climatiques en 2015, Israël a annoncé l'objectif de réduction des émissionsd'ici 2030, qui prévoyait une réduction de 17% de la consommation d'électricité et la production de 17% de l'électricité consommée à partir de sources d'énergie renouvelables, ainsi qu'une réduction de 20 % de réduction des émissions liées au transport. En 2016, le gouvernement israélien a approuvé un plan national visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à accroître l'efficacité énergétique.
Ces disparités nettes, causées par l'homme, entre Israël et les TPO sont trop souvent négligées. La communauté internationale considère Israël comme un pays technologiquement avancé et un pionnier de la gouvernance verte. Mais cette réputation est en contradiction avec les politiques environnementales défavorables infligées à la population palestinienne occupée et le vol continu de ressources.
Le paradoxe de l’Autorité palestinienne
L'Autorité palestinienne n'a aucune juridiction souveraine sur ses ressources naturelles ni sur de larges étendues de son territoire et n'exerce aucune volonté politique indépendante sur la manière de gérer les risques climatiques. Pourtant, paradoxalement, elle est chargée de lutter contre le changement climatique. Cela rend les efforts d'adaptation de l'Autorité palestinienne largement insignifiants et contre-productifs.
Sur le plan interne, l'Autorité palestinienne est mal équipée pour soutenir l'adaptation à long terme, un défi qui nécessite un soutien politique, une collaboration interministérielle et des ressources budgétaires considérablement plus importantes que celles actuellement disponibles. Elle est également confrontée à d'importants problèmes de gouvernance en ce qui concerne la planification de l'adaptation au changement climatique, allant des capacités limitées des agences nationales aux autorités locales faibles.
En outre, la division politique entre le Hamas à Gaza et le Fatah en Cisjordanie et la division du pouvoir dans les territoires palestiniens aggravent la stagnation et la faiblesse de la gestion. Cela est aggravé par le fait que de nombreux États, donateurs et agences de l'ONU ont une politique de contact limité ou sans contact avec le gouvernement du Hamas à Gaza. En conséquence, ils mettent généralement en œuvre des projets avec des officiers de l'Autorité palestinienne à Gaza et des ONG, entravant la capacité de mener des programmes d'adaptation. La collecte de données fiables pose également d'importants problèmes, en particulier à Gaza, où l'accès aux statistiques et aux travaux d'experts est extrêmement difficile.
En 2011, l'autorité de la qualité de l'environnement de l'Autorité palestinienne a élaboré une « stratégie nationale d'adaptation au changement climatique » avec le soutien du PNUD, de la London School of Economics et d'autres agences de l'Autorité palestinienne, avec une version mise à jour - le PAN - publiée en 2016. Le rapport mis à jour estime que le coût total des options d’adaptation de l’agriculture et de l’eau qu’il propose dépassera 3,5 milliards de dollars au cours des dix prochaines années. La provenance de cet argent n’est pas claire ; le rapport indique que l'Autorité palestinienne espère obtenir « un soutien financier substantiel des donateurs internationaux ». Jusqu'à présent, le financement s'est avéré difficile à obtenir, malgré le soutien international croissant et la reconnaissance des efforts d'adaptation palestiniens. L'État de Palestine (reconnu comme État observateur non membre par la résolution 67/19 de l'Assemblée générale des Nations unies) est devenu partie à la CCNUCC en mars 2016 et a ratifié l'accord de Paris en avril 2016 ; l'Autorité palestinienne a ensuite soumis le plan national d'adaptation à la CCNUCC en novembre 2016. Toutefois, cette relation entre l'Autorité palestinienne et la communauté internationale mérite d'être examinée de près : en appliquant le même indicateur pour évaluer la volonté de l'Autorité palestinienne et d'Israël de faire face au changement climatique, les agences normalisent l'occupation au lieu de la traiter comme une structure anormale et incapacitante.
En outre, un « glissement épistémologique de l'occupation en tant qu'injustice à une occupation en tant que risque » s'est développé, l'occupation étant de plus en plus présentée comme un problème apolitique lié à la pauvreté, au lieu d'une obstruction intentionnelle des droits de l'homme et de l'autodétermination. Cela dépolitise et décontextualise à la fois les réalités du changement climatique dans les TPO, faisant de l’occupation une simple vulnérabilité « ordinaire » parmi d’autres dont l’AP doit s’occuper.
Un autre paradoxe est que, malgré son incapacité à anticiper ou à freiner l'occupation, l'Autorité palestinienne tente de planifier des décennies dans le futur. Selon Stamaptopoulou-Robbins, les projets d'adaptation sont un exercice de gouvernance, qui permet aux ingénieurs palestiniens, aux chercheurs et aux bureaucrates de dicter la « forme, les limites territoriales et la vie économique » de l'avenir des TOP et d’affirmer qu'elle est prête pour un statut d’Etat. Ils le font en décidant de ce qui constitue des questions « importantes » dans les enceintes internationales telles que l'ONU et en présentant l'occupation comme un élément constitutif de toute réalité future - tout en étant un État sans souveraineté ni certitude.
Eau
Le changement climatique affectera la plupart des secteurs de l'économie des TOP, mais l'une de ses principales victimes sera la disponibilité et la qualité de l'eau. Premièrement, les ressources en eau douce - eaux de surface et souterraines - vont se raréfier à mesure que les précipitations diminuent. Cela rendra plus difficile la reconstitution des aquifères pendant les périodes de forte croissance démographique tout en intensifiant simultanément la concurrence pour l'eau provenant de l'agriculture palestinienne, des colonies israéliennes illégales et de l'industrie. La réduction des précipitations rendra également l'extraction de l'eau plus coûteuse et consommatrice d'énergie. Des températures plus élevées et une augmentation des sédiments peuvent menacer la qualité de l'eau potable, compte tenu du nombre limité d'installations de traitement.
Deuxièmement, étant donné que le changement climatique augmente la probabilité de précipitations intenses et courtes, par opposition à une saison humide prolongée, il est très probable que des crues éclair se produisent. L'infrastructure existante des TPO n'est pas en mesure de supporter des pluies abondantes, ce qui pourrait entraîner des inondations dans les zones urbaines en partie à cause de systèmes de drainage et d'égout inadéquats.
L'eau n'est pas une ressource apolitique. L'occupation pèse lourdement sur les ressources en eau et affecte des domaines allant de la santé à l'industrie. La principale source d'eau potable des Palestiniens sont les eaux souterraines stockées, et les Palestiniens dépendent énormément des aquifères. Les aquifères de l'ouest, du nord-est et de l'est se trouvent en Cisjordanie , tandis qu'à Gaza, l'aquifère côtier est la seule source d'eau. Il a fait l'objet d'une surexploitation et d'une pollution qui risque de s'épuiser dès l'année prochaine. Cela s’ajoute à l’élévation du niveau de la mer et à l’infiltration d’eau de mer, étant donné que Gaza se trouve sur la côte méditerranéenne.
Israël a créé une bureaucratie complexe de licences, de permis et de droits d'accès conçue pour contrôler et restreindre de manière sélective l'accès des Palestiniens aux eaux souterraines. Il le fait en vertu des pouvoirs conférés par l’Accord Oslo II de 1995 - initialement conçu comme un accord quinquennal, toujours en vigueur 24 ans plus tard - qui donnait à Israël le contrôle d’environ 80% des réserves d’eau de la Cisjordanie . L'Autorité palestinienne, invoquant les inégalités inscrites dans les accords d'Oslo, essaie d’obtenir le droit à l’eau sur les aquifères de montagne.
Israël exerce le contrôle de l’eau par le biais du Comité mixte sur l’eau (Joint Water Committee, JWC), qui interdit toute décision relative à l’eau sans approbation israélienne. Les eaux de surface (des rivières, des ruisseaux, des cours d’eau, des lacs et des réservoirs) proviennent de la vallée du Jourdain, de la Mer Morte et du Jourdain, auxquelles le JWC interdit l'accès aux Palestiniens et dont le débit devrait diminuer considérablement au cours des prochaines années. Les Palestiniens sont également des riverains du Jourdain, ce qui leur confère le droit à l'eau. Cependant, depuis qu'Israël a le plein contrôle des sources du Jourdain, les Palestiniens n'y ont pas accès. Le JWC a également refusé d’autoriser les Palestiniens qui voulaient capturer les eaux de ruissellement des barrages.
En attendant, il n’y a que quelques installations de traitement des eaux usées en Cisjordanie et pratiquement aucun m3 d’eau traitée n’est réutilisé dans l’agriculture. Il est extrêmement difficile de développer de nouveaux accès à l'eau ou de réparer les infrastructures : Israël accorde peu de permis et démolit les bâtiments et les puits construits sans son autorisation.
En plus d'empêcher l’entrée de suffisamment d'eau potable dans la bande de Gaza, Israël empêche toute tentative de construction ou de maintenance d'infrastructures d'approvisionnement en eau, telles que des réservoirs, en limitant les importations de matériaux de construction fondamentaux. Les résultats sont meurtriers : 90 à 95% de l'eau à Gaza est contaminée et impropre à la consommation ou à l'irrigation. L'eau contaminée représente plus de 26% de toutes les maladies signalées à Gaza et est l'une des principales causes de mortalité infantile, avec plus de 12% des décès d'enfants.
Le résultat de ces mesures est notable. Selon Applied Research Institute – Jerusalem (ARIJ), seulement 81% des localités palestiniennes de Cisjordanie sont connectées au réseau d'alimentation en eau, ce qui laisse 65% d'entre elles dépendre de citernes, dont l'eau coûte de trois à six fois plus cher que l'eau courante et souvent de mauvaise qualité, collecte des eaux pluviales, eau en bouteille et des puits. Même les ménages connectés au réseau dépendent souvent de ces autres sources en raison de l’irrégularité de la fourniture d’eau. ARIJ estime que seulement 50,9% des ménages en Cisjordanie ont accès à l'eau quotidiennement. À Gaza, seuls 30% des ménages bénéficient d'une alimentation en eau quotidienne, qui s'arrête souvent complètement en temps de guerre.
Tous ces éléments conjugués signifient que les territoires palestiniens occupés disposent d'une des disponibilités en eau par habitant parmi les plus faibles au monde, avec 72 litres par habitant et par jour en Cisjordanie et 96 litres à Gaza, tous deux inférieurs au minimum de 100 litres recommandé par l’Organisation mondiale de la santé. Les Palestiniens qui ne sont pas raccordés à un réseau d’approvisionnement en eau - telles que les communautés situées dans la zone C sous contrôle israélien - ne disposent souvent que de 10 à 20 litres par personne et par jour pour tous les usages.
À l'inverse, les 600.000 colons israéliens utilisent six fois plus d'eau que l'ensemble de la population palestinienne de Cisjordanie , soit environ trois millions de personnes. Les colonies utilisent jusqu'à 700 litres par habitant et par jour pour un usage domestique (ou plus, pour des équipements tels que des piscines et des pelouses). De plus, les actions destructrices des colons, qui dévastent fréquemment les biens et les infrastructures palestiniens, renforcent encore la vulnérabilité des Palestiniens.
Une gamme d'options d'adaptation pour les TOP est possible, y compris des plans d'urgence en cas d'inondation, la protection des dunes de sable côtières à Gaza (ce qui protégerait l'aquifère de la salinisation), la réhabilitation des puits et autres sources d'eau et la limitation des fuites des canalisations - car les pertes en eau résultant de fuites et de connexions illégales sont élevées.
Selon les données de l'OCDE, la communauté internationale a financé des projets liés à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement dans les territoires palestiniens occupés ; en 2017, il y avait 19 projets de ce type. Pourtant, aucun projet n’aura d’impact durable tant que l’occupation se poursuivra. La réaffectation des droits à l'eau des Israéliens aux Palestiniens est une première étape essentielle, tout comme la levée du siège de Gaza pour permettre l'importation d'eau potable et de matériaux de construction pour les usines de traitement des eaux usées et de dessalement.
Le dessalement de l'eau de mer est souvent présenté comme une technologie attrayante pour lutter contre la diminution des ressources en eaux souterraines : il augmente la qualité et la quantité d'eau disponible et élargit les possibilités de recyclage des eaux usées. Israël a un programme de dessalement bien développé sur sa côte méditerranéenne pour approvisionner ses citoyens. Cependant, le dessalement consomme beaucoup d’énergie et d’émission, tout en étant coûteux - il est donc peu probable que les Palestiniens puissent se le permettre. En outre, il est interdit aux Palestiniens de Gaza d'importer les matériaux nécessaires à la construction d'usines de dessalement, via la liste des produits à double usage, tandis que l'Autorité palestinienne de Cisjordanie se heurte à des obstacles liés à l’approbation de projets imposés par le JWC et les restrictions de forage de puits imposées par les accords d'Oslo. Le dessalement soulève également des préoccupations concernant l'asymétrie de pouvoir dans les solutions technologiques, à savoir qui contrôle la technologie et comment elle est répartie.
Agriculture
L'agriculture est un fondement de la société palestinienne. Environ 60% de la population de la Cisjordanie vit dans 500 villages ruraux qui sont moins connectés à une infrastructure centralisée et plus dépendants de la périphérie pour leur productivité économique.
Sur le plan économique, l'agriculture représente 11,5% de l'emploi et 21% de toutes les exportations, soit 21% du total des terres (85,6% en Cisjordanie et 14,4% à Gaza). Les olives (et leurs dérivés dans les aliments, le savon, le carburant et l'artisanat) sont une denrée de base dans les foyers palestiniens : en 2010, les oliveraies représentaient 85,3% de tous les arbres de l'OPT et le secteur des olives représentait 15% du revenu agricole total. Culturellement, l’agriculture est profondément symbolique de l’identité palestinienne, l’agriculteur (fallahi) et l’olivier représentant l’enracinement des Palestiniens à la terre.
La modification des régimes pluviométriques due au changement climatique fait peser un risque important sur la productivité agricole de l'OPT, car un équilibre approprié entre l'eau, la chaleur et la lumière du soleil est indispensable pour une croissance efficace des cultures. Environ 85% de l'agriculture palestinienne est arrosée par la pluie et environ la moitié de l'eau extraite des puits d'eau souterraine est utilisée pour l'agriculture. L'augmentation de la sécheresse et de la désertification affectera donc directement la productivité des cultures et du bétail, tandis que des saisons de croissance plus courtes et une augmentation des besoins en eau entraîneront une hausse des prix des denrées alimentaires.
Ces effets sont particulièrement dangereux car l’insécurité alimentaire est déjà généralisée dans l’OPT (5). En 2014, environ 26% des ménages étaient considérés comme souffrant d'insécurité alimentaire « grave ou marginale », ce nombre atteignant 46% à Gaza. À Gaza, l'élévation du niveau de la mer et l’infiltration d'eau salée vont nuire à l'agriculture côtière de faible altitude, qui représente 31% de la production agricole totale de Gaza, et menacer la sécurité alimentaire dans l'enclave déjà vulnérable. Les agriculteurs et les éleveurs verront également leurs revenus et profits diminuer, menaçant leur mode de vie agraire et augmentant le risque d'endettement et de pauvreté structurelle.
L'occupation nuit à l'agriculture palestinienne par le vol de terres et le contrôle de la population. Les colonies israéliennes en expansion et les routes réservées aux colons sont délibérément construites dans des endroits stratégiques, notamment sur des terres arables de la zone C. Les restrictions imposées par Israël à la circulation et l'accès contrôlé aux pâturages sont une autre cause du rendement relativement faible des TPO, inférieur à la moitié de la Jordanie voisine. Outre plus de 400 points de contrôle ou barrages routiers en Cisjordanie , un système de permis complexe et le mur de l'apartheid, les agriculteurs palestiniens ont non seulement moins de terres disponibles pour l'agriculture, mais se voient également refuser l'accès pour les travailler.
À Gaza, 20% des terres arables ne peuvent pas être utilisées car elles se trouvent dans la zone tampon de sécurité imposée par Israël près de la clôture frontalière avec Israël. Dans de nombreux cas, les agriculteurs et les éleveurs sont obligés d'acheter de l'eau à des endroits plus éloignés, ce qui entraîne des coûts de transport plus élevés et une perte de temps précieux. De plus, les Palestiniens ont un accès limité aux marchés internationaux, aux équipements modernes et aux engrais. (6)
Diverses options d'adaptation sont disponibles pour limiter les effets du changement climatique sur l'agriculture. En Cisjordanie , cela inclut une meilleure utilisation de l'eau et une meilleure planification de l'utilisation des sols. À Gaza, l’utilisation rationnelle de l’eau, ainsi que l’appui et la formation au niveau communautaire contribueraient à atténuer les effets de la surexploitation de ressources limitées, exacerbées par le changement climatique. La communauté internationale (principalement les pays européens) finance divers projets agricoles dans les territoires palestiniens occupés. Un programme 2017 de la Direction du développement et de la coopération de la Suisse, par exemple, visait à garantir le droit des petits producteurs d'avoir accès aux ressources naturelles et aux marchés. Néanmoins, sans la fin de l'occupation et du blocus, les stratégies d'adaptation auront un impact très limité.
Stratégies d'adaptation
Le changement climatique dans les territoires palestiniens occupés doit être traité en priorité. Dans la pratique, cela signifie l'introduction d'une série de mesures provisoires dans le secteur de l'infrastructure d'approvisionnement en eau et de l'agriculture des TPO qui reflètent les réalités politiques et techniques.
Les restrictions imposées par l'occupation israélienne depuis des décennies constituent le plus grand défi auquel les Palestiniens sont confrontés, tant sur le plan économique (absence de libre circulation des biens et des personnes) que sur le plan politique (absence d'autodétermination et de souveraineté palestiniennes), déstabilisant une population déjà vulnérable au climat. La voie la plus claire vers la résilience exige une fin immédiate de l'occupation et la levée du siège à Gaza, ainsi que des efforts concertés pour intégrer les TPO dans le corps politique palestinien au sens large. La position de plus en plus extrémiste de la coalition de droite à la Knesset rend ces suggestions irréalistes à court terme, en particulier parce que l’occupation est une entreprise financièrement rentable qui permet à Israël de monopoliser les ressources naturelles des TPO tout en détruisant et en empêchant la construction de l’infrastructure palestinienne indispensable.
Une première étape cruciale est la réaffectation de l’eau. Cela impliquerait de libérer l'Autorité palestinienne des chaînes de la clause relative à l'eau dans les Accords d'Oslo et d'accorder aux Palestiniens un accès total et sans compromis à leurs aquifères et au Jourdain. Pour ce faire, la communauté internationale doit brider l'agression israélienne à l'égard des ressources naturelles palestiniennes. Seules des pressions politiques extérieures peuvent inciter Israël à changer de politique. La société civile a également le devoir de dévoiler la politique environnementale israélienne à double face qui promeut les réformes environnementales et les nouvelles technologies, tout en privant les Palestiniens de leur eau et de leurs ressources naturelles.
La communauté internationale, l'Autorité palestinienne et les organisations partenaires peuvent prendre des mesures concrètes pour contrer les effets du changement climatique :
1. La communauté internationale doit faire pression sur Israël pour qu'il punisse la violence des colons qui saccagent le peuple et les biens palestiniens, ainsi que pour tracer une ligne rouge à l'expansion des colonies conformément à la résolution 2334 des Nations Unies.
2. L'Autorité palestinienne et la société civile doivent activement promouvoir et favoriser une agriculture durable, une agro-écologie et une économie coopératives susceptibles de favoriser une résilience plus durable. Par exemple, les travailleurs agricoles palestiniens devraient (re)créer des coopératives agricoles pour représenter leurs intérêts et leurs préoccupations et partager les meilleures pratiques pour faire face aux inconvénients des effets du changement climatique sous occupation.
3. L'AP et les organisations partenaires doivent travailler à la collecte, à l'analyse et au partage coordonnés d'informations pertinentes sur le climat. Cela implique de se concentrer sur les données climatiques locales pour fournir des mises à jour et une surveillance en temps réel, l'objectif ultime étant de mettre en place un système de surveillance des impacts climatiques permanent et en temps réel dans l'ensemble du territoire palestinien occupé.
4. L'AP et les organisations partenaires doivent donner la priorité à l'élaboration de politiques et de pratiques minimisant les risques de catastrophes naturelles en tant que « première défense institutionnelle » contre le changement climatique.
5. La société palestinienne étant fortement tributaire des donateurs internationaux, ceux-ci doivent collaborer avec les communautés locales pour financer des projets ciblés visant à contrer ou à prévenir les effets du changement climatique. Toutefois, l’architecture de l’aide et des ONG dans les TPO suscite de nombreuses critiques, et l’intégration de la vulnérabilité climatique dans ce cadre n’est pas sans préoccupations éthiques. Les interventions visant à mettre fin à l'occupation sont primordiales.
6. Les fondements des méthodes et technologies avancées de résilience d’Israël, telles que les meilleures pratiques de dessalement, doivent être partagés avec les parties prenantes palestiniennes, en compensation du vol par Israël de la terre et des ressources palestiniennes et du fait que le changement climatique est un phénomène mondial et que tous technologies adaptatives. Cependant, des mesures doivent être mises en place pour veiller à ce que le transfert de technologie ne favorise pas la dépendance des Palestiniens, ni ne soit utilisé pour saper les droits des Palestiniens à l'eau ou à la terre.
Ces stratégies sont des solutions à court et à moyen terme qui n'ont de sens que si elles sont accompagnées d'efforts soutenus aux niveaux local et international pour mettre fin à l'occupation. Le changement climatique est une menace mondiale aux proportions catastrophiques et les communautés qui en souffriront le plus sont déterminées par des facteurs politiques et économiques créés par l'homme. Pour les Palestiniens, qui commémoreront 71 ans de la perte de leur patrie en mai, le changement climatique n'est ni un phénomène apolitique ni un phénomène d'égalisation, mais un phénomène exacerbé par leur condition de peuple occupé.
(1) L’auteur souhaite remercier Alex Clark, de la Climate Policy Initiative , pour son aide.
(2) Ce document est tiré d'un large éventail de sources, notamment de rapports de l'ONU produits au cours de la dernière décennie, d'indices environnementaux et de publications universitaires. L’évaluation des risques futurs posés par le changement climatique n’est pas une science exacte. De grandes incertitudes entourent les effets régionaux et locaux attendus, rendus encore plus incertains par le manque de données dans les TPO et par les plans et enquêtes israéliens et palestiniens souvent contradictoires. En conséquence, la plupart des projections sont tirées d'interprétations régionales de modèles globaux. Même en tenant compte de cette incertitude, le changement climatique aura presque certainement un impact extrêmement négatif en Palestine-Israël.
(3) La désertification est une menace extrêmement importante, en particulier dans la région de la vallée du Jourdain, mais elle ne sera pas explorée dans le présent document en raison de contraintes d'espace.
(4) Bien que cela dépasse le cadre de cet article, il est important de noter les effets potentiellement déstabilisateurs du changement climatique dans une région déjà instable - en particulier en Jordanie, en Égypte et en Syrie. L'Assemblée générale des Nations Unies a officiellement reconnu le changement climatique en tant que question de sécurité internationale dans une résolution de 2009.
(5) On parle d'insécurité alimentairepour les ménages dont le revenu et la consommation sont inférieurs à 1,60 dollar par habitant et par jour.
(6) Un rapport de 2009 de la Banque mondiale a révélé que si les restrictions imposées par Israël disparaissaient et si l'accès des Palestiniens à l'eau augmentaient, la contribution du secteur agricole au PIB de l'OPT augmenterait de 10% et créerait environ 110.000 nouveaux emplois.
(*) L’impact du changement climatique est déjà très sensible en Cisjordanie occupée, comme le révèle cet article du 16 janvier 2019, véritable cri d’alarme lancé par l’Union des Comités Agricoles (UAWC) par l’intermédiaire du Philistin et publié sur ISM-France : « « Les agriculteurs palestiniens, déjà étranglés par l'occupation, maintenant impactés par le changement climatique ». La récolte des olives 2018 s’est révélée médiocre à cause des pluies de printemps qui ont détruit les fleurs des oliviers.
Source : Al Shabaka
Traduction : MR pour ISM
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Changement climatique
Zena Agha
7 avril 2019