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Palestine 48 - 17 mars 2012
Par Fida Jiryis
Fida Jiryis est un écrivain palestinien originaire du village arabe de Fassuta, en Galilée. Elle est l'auteur d'un ouvrage à paraître, "My Return to Galilee", qui raconte son retour de la diaspora en Israël.
L'article de l'ambassadeur Michael Oren, "Israël et la situation tragique des Chrétiens au Moyen-Orient", présente Israël comme une démocratie tolérante, une colombe de la paix, ce que les faits démentent. Je suis une de ces Chrétiens palestiniens qui vivent à l'intérieur d'Israël auxquels Oren se réfère. A aucun moment dans ma vie je n'ai ressenti le "respect et l'estime" de l'Etat juif dont Oren parle avec enthousiasme. La minorité chrétienne d'Israël est marginalisée exactement comme sa minorité musulmane, ou au mieux, tolérée. Nous subissons les mêmes discriminations lorsque nous essayons de trouver un travail, lorsque nous allons à l'hôpital, lorsque nous faisons une demande de prêt bancaire et lorsque nous montons dans un autobus - de la même manière que les Musulmans palestiniens.
Le fondement d'Israël est celui d'un Etat raciste bâti pour les Juifs seuls, et la majorité de la population juive ne se soucie guère de notre religion si nous ne sommes pas Juifs. Dans mes rapports quotidiens avec l'Etat, tout ce que j'ai ressenti est la grossièreté et le mépris manifeste.
La déclaration d'Oren, que "l'extinction des communautés chrétiennes du Moyen-Orient est une injustice d'une ampleur historique" est carrément choquante pour quiconque connait l'histoire de la création d'Israël. J'aimerais rappeler, à lui et aux autres, que cette création a expulsé des milliers de Chrétiens palestiniens de chez eux en 1948 et les a déplacés, soit en les forçant à fuir de l'autre côté de la frontière ou en faisant d'eux des réfugiés intérieurs. Le nettoyage ethnique des Palestiniens qu'a constitué la création d'Israël est lui aussi une injustice d'ampleur historique. Un homme vivant dans une maison de verre - ou une maison volée aux Palestiniens - devrait y songer à deux fois avant de jeter la pierre.
Le mari de ma cousine, Maher, vient de Iqrith, un village à quelques kilomètres du mien en Galilée. Sa famille, et tous les habitants de Iqrith, ont été expulsés de leur village en 1948 et Iqrith a été rasé par les forces israéliennes la veille de Noël 1950, en une sorte de "cadeau de Noël" spécial à sa population. Le moment de cette destruction fait s'interroger sur le but du message. Maher est né plusieurs années après que sa famille ait trouvé refuge à Rama, village voisin en Galilée. Aujourd'hui, il se bat pour trouver un endroit où construire une maison pour lui, sa femme et leurs enfants. La politique israélienne qui restreint drastiquement les zones constructibles dans les villes et villages arabes entraîne une pénurie de terre qui empêche l'extension naturelle de la population. Limiter la terre aux habitants d'une ville ou d'un village signifie que les réfugiés palestiniens intérieurs sont soumis à une sévère discrimination vis-à-vis du logement.
Israël a rendu impossible le retour de gens comme Maher, car l'Etat refuse de négocier sur le droit des réfugiés à revenir dans leur patrie. Si Oren est tellement préoccupé par les Chrétiens palestiniens, peut-il avoir l'amabilité de donner le feu vert au retour des réfugiés chrétiens de Iqrith, Bir’im, Tarshiha, Suhmata, Haifa, Jaffa, et des dizaines d'autres villes et villages palestiniens d'où nous avons été expulsés en 1948 ? Je puis vous assurer que la réponse est non. Beaucoup de ces réfugiés vivent dans des camps de réfugiés dans les pays limitrophes, où Israël et Oren sont heureux de les laisser.
Les terroristes auxquels la déclaration d'Oren fait allusion, "Israël, bien qu'il lui soit nécessaire de protéger ses frontières contre les terroristes, permet l'accès pendant les fêtes aux églises de Jérusalem aux Chrétiens de Cisjordanie et de Gaza," sont en fait les Chrétiens palestiniens qui vivent sur la terre qu'Israël a occupé - en violation flagrante de toutes les conventions sur les droits de l'homme - et d'où il refuse de retirer ses soldats et ses colons illégaux. Applaudir Israël parce qu'il donne l'autorisation de voyager à des gens dont c'est le propre pays, selon le droit, est le comble de l'arrogance.
Son affirmation selon laquelle "A Jérusalem, le nombre d'Arabes -et parmi eux les Chrétiens- a triplé depuis la réunification de la ville par Israël en 1967" omet de mentionner la politique acharnée d'attaques sur Jérusalem : construction sans fin de colonies ; construction d'un mur de séparation qui passe à travers la ville, coupant les familles, les quartiers et les commerces et touchant durement son économie arabe ; confiscation des terres arabes et expulsion des familles qui y vivent depuis des générations ; révocation de la citoyenneté de tout résident palestinien qui voyage à l'étranger depuis trop longtemps. Imaginez le tollé si un citoyen américain partait à l'étranger pendant deux ans et découvrait à son retour que sa citoyenneté a été révoquée et qu'il a perdu sa carte d'identité et son passeport américains.
Les responsables israéliens se moquent de savoir si les Palestiniens qu'ils discriminent sont Chrétiens ou Musulmans. Il est vrai que les conflits inter-religieux sont en hausse dans une région ravagée par la pauvreté, et pour laquelle l'Occident porte une grosse responsabilité pour avoir aidé les nombreux dictateurs de la région.
La fausse tolérance et les larmes de crocodile d'Oren sur la situation critique des Chrétiens ne trompent personne. Et s'il est sincère, je lui conseille de regarder de près la politique d'Israël d'occupation et de discrimination raciale.
Comme l'a dit Jésus, "Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?" (Mathieu, 7:3)
(1) "Israël and the Plight of Mideast Christians", Michael Oren, The Wall Street Journal, 9 mars 2012.
Une interview de Fida Jiryis avec "The Palestine Monitor", 19.01.2012 (10'58, en anglais).
Source : The Palestine Chronicle
Traduction : MR pour ISM
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