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Le « nettoyage ethnique » de qui ? L’appropriation du récit palestinien par Israël

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26.03.2017 - Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a récemment affirmé, dans une vidéo (*) postée sur sa page Facebook, que la revendication palestinienne de démantèlement des colonies israéliennes illégalement installées en territoire palestinien constituait un acte de « nettoyage ethnique » contre les colons juifs israéliens.

Le « nettoyage ethnique » de qui ? L’appropriation du récit palestinien par Israël

Tag inscrit sur la porte d’une maison palestinienne dans le centre-ville d’Al-Khalil/Hébron
Le terme, qui a été utilisé à l’origine comme un euphémisme pendant la campagne serbe contre les Bosniaques, n’a pas tardé à décrire des pratiques violentes extrêmes, des massacres et des déplacements forcés pendant les conflits et les guerres. Il a également été utilisé par de nombreux chercheurs, ainsi que dans le discours public pour se référer aux pratiques sionistes contre la population palestinienne dans la période précédant et pendant la Nakba de 1948. Ces pratiques comprennent la destruction de plus de 500 villages palestiniens et l’expulsion d’environ 730.000 palestiniens de chez eux.

L’application du terme aux colons israéliens par Netanyahou a recueilli plus d’un million de vues sur sa page Facebook, et a attiré des millions d’autres par le partage de la vidéo sur les réseaux sociaux. La réflexion [de Netanyahou] a choqué de nombreux analystes, elle a provoqué un débat intense dans les médias internationaux et elle a été condamnée, si l’on en croit les « likes » obtenus par le secrétaire général des Nations Unies à ce moment-là Ban Ki Moon, qui l’a jugée « inacceptable et scandaleuse ». Pourtant cette rhétorique, bien plus incendiaire que d’habitude, n’est que le dernier exemple de la stratégie israélienne d’appropriation d’un récit victimaire pour s’attirer le soutien de l’opinion publique.

Cet article retrace l’histoire de la prétention israélienne à ce récit, des premières campagnes du mouvement sioniste au début du 20ème siècle à nos jours. Il montre la façon dont cette stratégie rhétorique a été utilisée pour justifier les actions d’Israël au détriment des Palestiniens. Il se conclut par des recommandations sur la façon dont les dirigeants, les intellectuels, les journalistes et les militants palestiniens peuvent s’opposer à la stratégie israélienne pour poursuivre leur quête pour l’auto-détermination et les droits humains des Palestiniens.

Récits victimaires dans leur contexte

Dans tout conflit, les acteurs ont recours à des récits victimaires pour justifier l’agression, l’invasion et même le meurtre de civils. Cette rhétorique vise à établir des lignes binaires du bien contre le mal, de la victime contre le bourreau, pour mobiliser des sympathisants contre « l’ennemi ». Comme nous le voyons avec Israël et dans d’autres conflits, les récits victimaires servent à légitimer des actes violents et souvent préventifs contre « l’ennemi », perpétuant ainsi indéfiniment le cycle de violence et de victimisation.

En revanche, les récits palestiniens victimaires s’appuient sur l’injustice inscrite dans la Déclaration Balfour de 1917 qui a commencé à être mise en œuvre avant et pendant le Mandat britannique de 1923 et depuis le plan de partition de l’ONU de 1947. Ces sentiments continuent à ce jour et sont exacerbés par la mauvaise volonté de la communauté internationale et du monde arabe à faire respecter le droit international et les droits humains fondamentaux. On ne peut donc pas débattre du récit victimaire des Palestiniens en dehors de ce contexte et des actions politiques et militaires israéliennes continuelles contre les Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés. La situation représente un rapport de forces inégal étant donné qu’Israël est la puissance la plus forte et l’occupant, avec, du côté palestinien, un grand nombre de victimes, dont des enfants, du fait des actions et des attaques israéliennes, le contrôle israélien de l’espace et des territoires, ainsi que des ressources et de la circulation.

En conséquence, alors que l’analyse de la façon dont l’histoire des persécutions et du statut de victimes des juifs fut – et est – utilisée pour justifier les actions de l’Etat d’Israël ne doit jamais perdre de vue les faits et le contexte de ces très réelles persécutions, il est en même temps nécessaire d’examiner la mobilisation de ce récit pour comprendre comment un groupe – les juifs israéliens – s’est vu accorder le statut de victime, contrairement à un autre – les Palestiniens -, renforçant un déséquilibre des forces dans lequel les droits des Israéliens juifs sont privilégiés au dépens des droits palestiniens.

Du statut de victime au nettoyage ethnique

La persécution des juifs en Europe est enracinée dans l’antisémitisme et dans les nombreuses manières dont les communautés juives ont été impactées à différents endroits et à différents moments. En ce qui concerne les récits de persécution, ils remontent à la fin du XIXè siècle, quand Théodore Herzl, le père du sionisme, s’est appuyé sur l’histoire de la persécution juive en Europe pour légitimer le projet nationaliste de l’Etat israélien et ses projets de colonisation de peuplement. Après la Seconde Guerre mondiale, l’histoire de ces persécutions fut à nouveau invoquée pour justifier la création de l’Etat d’Israël. En effet, la Déclaration d’indépendance d’Israël dit que « la catastrophe nationale qui s’est abattue sur le Peuple juif, le massacre de six millions de Juifs en Europe, a montré l’urgence d’une solution au problème de ce peuple sans patrie par le rétablissement d’un État juif qui ouvrirait ses portes à tous les Juifs et referait du Peuple juif un membre à part entière de la famille des Nations. »

A maintes reprises depuis la création d’Israël, les hommes politiques israéliens ont utilisé les récits historiques qui valorisent la victimisation juive sur les vies et les droits palestiniens. Le Premier ministre Golda Meir a commenté, par exemple, que les juifs ont un « complexe Masada », un « complexe pogrom » et un « complexe Hitler », et l’ancien Premier ministre Menahem Begin a établi des parallèles entre les Palestiniens et les nazis.

Des travaux universitaires suggèrent que les dirigeants israéliens et sionistes ont manipulé la mémoire des persécutions juives, en particulier en relation à l’Holocauste, comme outil diplomatique dans leur façon de traiter les Palestiniens. Par exemple, l’historien israélien Ilan Pappe, dans son livre « The Idea of Israël », argue que ces dirigeants ont construit un sentiment des Israéliens comme victimes, une image de soi qui les empêche de voir la réalité palestinienne. Ceci, dit-il, a empêché une solution politique du conflit arabo-israélien.

Ces dernières années, de nouvelles preuves et études ont commencé à remettre en question les affirmations dominantes du mouvement sioniste. En même temps, le mouvement mondial de solidarité en faveur des Palestiniens a grandi, en partie grâce à des plateformes numériques qui donnent au public mondial un accès direct aux histoires palestiniennes et à leur réalité vécue. Ce qui a incité les dirigeants, les responsables de relations publiques, les porte-paroles israéliens et leurs médias à privilégier diverses stratégies pour maintenir leur emprise sur l’opinion publique occidentale.

Parmi elles, l’utilisation d’un discours – comme l’utilisation du nettoyage ethnique par Netanyahou – pour se référer aux citoyens juifs et israéliens comme victimes de la persécution continuelle des Palestiniens, sachant que ces termes ont une signification juridique particulière, et, selon le droit international, sont considérés comme des crimes contre l’humanité. Mais ce sont des significations analogiques et émotives du terme, en particulier si elles sont destinées à agir comme des rappels de la longue histoire de persécution des juifs, qui servent à promouvoir la victimisation juive israélienne au détriment des expériences palestiniennes d’oppression. L’Occident n’utilise toujours pas officiellement le terme de nettoyage ethnique à propos de la Nakba, ce qui permet à Israël de se l’approprier.

A peu près à la même époque que la déclaration de Netanyahou sur le nettoyage ethnique, le ministère israélien des Affaires étrangères a republié
une vidéo sur sa page Facebook qui avait initialement été publiée en 2013. Intitulée « Bienvenue chez le peuple juif », elle est présentée comme une brève histoire des juifs. Elle suit les affres d’un couple juif, Jacob et Rachel, quand leur maison (la « Terre d’Israël ») est envahie par divers groupes, dont les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs, les Arabes, les Croisés, l’Empire britannique, et – enfin – les Palestiniens. Elle avance donc que les juifs ont survécu à toute une série d’invasions brutales, et les seuls envahisseurs restants sont les Palestiniens. Elle a provoqué de fortes réactions des militants palestiniens et des défenseurs de leurs droits en raison de sa tentative évidente de réécrire l’histoire du conflit, définissant les juifs israéliens comme des victimes plutôt que les Palestiniens, et employant un langage raciste et violent dans sa description de ces derniers.

La vidéo de Netanyahou sur le nettoyage ethnique est la dernière d’une série de vidéos planifiées et réalisées par David Keyes, le porte-parole de Netanyahou auprès des médias étrangers, qui a été nommé en mars 2016. Keyes a été un stratège de premier ordre à qui l’on doit l’augmentation des campagnes de marketing pro-Israël dans les réseaux sociaux. Depuis sa nomination, huit vidéos de Netanyahou abordant diverses questions ont été publiées. Toutes ont trouvé un large public parmi ses partisans en Israël et aux Etats-Unis.

Les arguments de la déclaration de Netanyahou s’appuient sur ceux proposés dans un document de 2009 de Israël Project, un groupe pro-Israël, préparé par Frank Juntz, consultant politique américain affilié au Parti républicain des Etats-Unis. Dans ce manuel de communication de propagande, Luntz détaille les diverses tactiques et terminologies, ainsi que des conseils de marketing et de légitimation des discours, tout en mettant l’accent sur les valeurs partagées avec l’Occident comme « démocratie », « liberté » et « sécurité ».

Avec une telle focalisation sur l’Occident, ce n’est peut-être pas une surprise si Netanyahou communique en anglais dans la vidéo sur le nettoyage ethnique et dans d’autres, avec des sous-titres en hébreu et en arabe.

S’opposer à la stratégie rhétorique d’Israël

L’histoire de la persécution des juifs est une question qui touche profondément les Israéliens et, plus largement, la communauté internationale, en particulier les Européens. Cependant, l’utilisation par Israël de termes tels que nettoyage ethnique – par les Palestiniens – dépeint à tort Israël comme une victime et les Palestiniens comme un agresseur. Une telle rhétorique peut être dangereusement utilisée pour considérer toute critique des actions israéliennes comme antisémites ou hostiles envers Israël, ce qui contribue à paralyser les initiatives des Palestiniens et des mouvements de solidarité pro- Palestiniens pour faire rendre compte Israël de ses actes, comme les assassinats extrajudiciaires et la construction de colonies dans les territoires palestiniens occupés.

Compte tenu du fait que les batailles sur les récits sont de plus en plus fréquentes et visibles à l’ère numérique, et compte tenu de la façon dont on peut manier un langage particulier pour détourner l’attention de ce qui se passe sur le terrain, on ne peut ignorer l’utilisation affutée du discours victimaire qu’en fait Netanyahou.

Il est d’autant plus crucial de concentrer son attention sur cette évolution, dans la conjoncture actuelle où l’on connait le projet d‘Israël d’étendre les colonies et éventuellement d’annexer de nouveaux territoires occupés, et la détermination et la capacité internationales à résoudre le conflit plus molles que jamais. D’autant également que c’est une année stratégique, avec l’anniversaire de la Déclaration Balfour, de cinq décennies depuis la guerre de 1967 et detrois décennies de la Première Intifada palestinienne.

L’appropriation israélienne du discours autour du statut de victime exige un engagement plus efficace des porte-paroles, des élites politiques et des militants palestiniens dans la sphère publique pour dénoncer la réalité des actions israéliennes et susciter un soutien international pour la Palestine et les Palestiniens. Cela ne signifie pas de prendre part à la bataille futile sur qui mérite d’être appelé la victime réelle dans le conflit, mais de construire une campagne coordonnée pour réfuter les affirmations israéliennes en avançant des preuves.

Cette campagne doit contrer les discours israéliens en utilisant des images et le langage des droits de l’homme auxquels font référence les opinions publiques et les dirigeants occidents. Elle doit toujours être fondée sur des preuves et des faits et contextualisée de manière à contrecarrer les tentatives de désinformation et les actions de camouflage. La campagne doit également former les élites politiques palestiniennes et le personnel diplomatique à l’usage du discours politique en direction des Palestiniens, au plan régional et international, en veillant à ce que le discours ne légitime pas le discours sioniste en utilisant par exemple, par inadvertance, des tropes antisémites. Les Palestiniens qui dirigent la campagne et les groupes de la solidarité internationale doivent utiliser Twitter et autres réseaux sociaux pour cibler les grands médias avec la situation de la vraie vie dans le territoire palestinien occupé, ainsi que celle des citoyens palestiniens d’Israël et des refugiés et exilés palestiniens, en utilisant le langage des droits de l’homme et du droit international.

Enfin, la campagne devrait engager des professionnels des médias pour former les Palestiniens et groupes de défense sur la façon de contrer les récits et déclarations de propagande, ainsi que la manière d’utiliser les médias numériques pour atteindre les auditoires à l’échelle mondiale.

Ce n’est qu’avec ces efforts concertés que la stratégie d’Israël de s’approprier le récit palestinien peut être mise en contexte et révéler ainsi que c’est une rhétorique destinée à dissimuler la violence du colonialisme de peuplement israélien.

(*) https://www.youtube.com/watch?v=G8CUFSHB114




Source : Al Shabaka

Traduction : MR pour ISM

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