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8 mai 2006
Par Toni Judt
Extrait du livre "The Country that wouldn't grow up", sorti le 2 mai 2006, publié par Ha'aretz. Tony Judt est historien britannique. Il a enseigné l'histoire à Oxford et Berkeley. Il est Professeur d'histoire à l'Université de New York.
Très récemment encore, l’image soigneusement polie d’une société ultra-moderne – construite par des survivants et des pionniers et composée de démocrates épris de paix – prévalait dans l’opinion internationale. Mais aujourd’hui ? Quel est le symbole universel d’Israël, reproduit à travers le monde dans des milliers de journaux et de caricatures politiques ? L’Etoile de David décorant un tank.
(…) Quelques temps après la guerre de 1967, ces sentiments restèrent inchangés. L’enthousiasme pro-palestinien des groupes radicaux et des mouvements nationalistes d’après les années 60, concrétisé par des camps d’entraînements joints et des projets partagés d’attaques terroristes, fut occulté par la reconnaissance internationale grandissante de l’Holocauste dans l’enseignement et les médias : ce qu’Israël perdait par son occupation continue des terres arabes, il le gagnait par son identification étroite avec la mémoire recouvrée de la mort des Juifs d’Europe.
Même l’inauguration des colonies illégales et la désastreuse invasion du Liban, qui pourtant renforçaient les arguments de critique d’Israël, n’équilibraient pas l’opinion internationale. Dans les années 90, la plupart des gens dans le monde avaient vaguement conscience de la « Cisjordanie » et de ce qui se passait là-bas.
Même ceux qui promouvaient la cause des Palestiniens dans les forums internationaux concédaient qu’ils n’étaient pratiquement pas écoutés. Israël pouvait continuer à faire ce qu’il voulait.
Mais aujourd’hui, tout est différent.
Rétrospectivement, nous constatons que la victoire d’Israël en juin 1967 et son occupation continue des territoires conquis alors représente la propre Nakba de l’Etat juif : une catastrophe morale et politique. Les exactions d’Israël en Cisjordanie et à Gaza sont exposées à la vue du monde. Couvre-feux, check-points, bulldozers, humiliations publiques, destruction de maisons, vol des terres, tirs, assassinats ciblés, mur de séparation : seule une minorité de spécialistes et de militants connaissait auparavant cette routine de l’occupation et de la répression.
Aujourd’hui, quiconque possède un ordinateur et une antenne peut les observer en temps réel – ce qui signifie que le comportement d’Israël est scruté chaque jour par des centaines de millions de personne à travers le monde. Il en résulte une changement complet de l’opinion internationale sur Israël.
Très récemment encore, l’image soigneusement polie d’une société ultra-moderne – construite par des survivants et des pionniers et composée de démocrates épris de paix – prévalait dans l’opinion internationale. Mais aujourd’hui ? Quel est le symbole universel d’Israël, reproduit à travers le monde dans des milliers de journaux et de caricatures politiques ? L’Etoile de David décorant un tank.
Aujourd’hui, seule une petite minorité d’étrangers voit les Israéliens comme les victimes. Les véritables victimes, reconnues comme tel partout dans le monde, sont les Palestiniens. Bien sûr, les Palestiniens ont remplacé les Juifs comme minorité emblématique persécutée : vulnérable, humiliée et sans Etat.
Cette distinction non recherchée ne fait pas plus avancer la cause palestinienne qu’elle n’aidât les Juifs, mais elle redéfinit Israël à tout jamais. C’est devenu un lieu commun de comparer Israël au mieux à un Etat colonisateur, au pire à l’Afrique du Sud des lois racistes et des bantoustans. Et même la souffrance de ses propres citoyens provoque peu de sympathie : les morts israéliens – comme les quelques sud-africains blancs assassinés dans les zones d’apartheid, ou les colons britanniques abattus lors de révoltes des natifs – ne sont pas perçus à l’étranger comme des victimes du terrorisme mais comme les dommages collatéraux des politiques de leur propre gouvernement.
De telles comparaisons sont mortelles pour la crédibilité morale d’Israël. Elles sapent ce qui fut son fort : la revendication d’être un îlot vulnérable de démocratie et de bienséance dans un océan d’autoritarisme et de cruauté ; un oasis de droit et de liberté au milieu d’un désert de répression. Mais les démocrates n’encagent pas dans des bantoustans un peuple impuissant qu’ils ont dépossédé de sa terre et les hommes libres n’ignorent pas les lois internationales ni ne volent les maisons d'autrui.
Les contradictions de l’auto-présentation israélienne - « nous sommes forts / nous sommes vulnérables », « nous contrôlons notre destin / nous sommes les victimes », « nous sommes un Etat normal / nous demandons un traitement spécial » - ne sont pas nouvelles : elles ont fait partie de l’identité particulière du pays pratiquement depuis son origine.
Et l’emphase insistante israélienne sur son isolement et son caractère exceptionnel, sa revendication d’être à la fois la victime et le héros, firent partie de son attrait pour David version Goliath » (…)
Source : Ireland Palestine Solidarity Campaign
Traduction : MR pour ISM
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