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Syrie - 10 février 2012
Par Rim al-Khatib
Ils sont apparus sur le terrain en Syrie, mais également dans les tribunes de l’ONU, dans les médias, dans les coulisses et sphères politiques internationales. Ce sont les nouveaux bataillons musulmans, engagés non pour participer à la libération de la Palestine et de sa capitale al-Qods, non pour desserrer l’étau qui enferme la bande de Gaza ou pour mener une attaque contre les prisons sionistes et libérer les prisonniers palestiniens et arabes. Non, tout cela ne les intéresse pas ou plus, ils en sont loin, ces jours-ci. Ils se sont engagés, corps et âme, comme ils ne l’ont jamais fait, pour participer à la nouvelle guerre coloniale engagée contre un pays arabe, la Syrie, en vue de le détruire. Ce pays arabe, qui même fragile de par la nature de son régime, a réussi à s’opposer pendant vingt ans à la politique américaine dans la région, à l’heure où le monde entier courbait l’échine, signait les traités de la capitulation et ouvrait grandes ses portes à la domination impérialiste unilatérale sur le monde.
Les nouveaux bataillons musulmans engagés sous la houlette états-unienne et européenne, surtout française et britannique, ne cachent pas leur désir de s’emparer du pays et de le réduire à un bastion hostile aux ennemis d’Israël. Certains porte-paroles de ces bataillons ne le cachent pas, d’autres évitent la question, comme si elle les dérangeait parce qu’elle les oblige à réfléchir sur leur engagement et à modérer leurs paroles. Il n’est plus question de modération vis-à-vis de la Syrie, l’heure est venue pour l’engagement total et démesuré contre le nouvel ennemi, le ‘alaouite, le shi’ite, le persan, le safavide, représenté par l’alliance stratégique entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.
En France, Nabil Ennasri n’hésite pas, alors qu’il préside un conseil de musulmans et que ses paroles engagent son mouvement, à mobiliser ses troupes pour la nouvelle guerre coloniale, sans mentionner bien évidemment la politique officielle française, ni les enjeux internationaux de cette nouvelle guerre. Se barricadant derrière « les massacres de civils », ce que font d’ailleurs toutes les sphères internationales pour justifier l’intervention impérialiste, il essaie de justifier sa haine irraisonnée en mentionnant l’Iran et le Hezbollah. Selon lui, ce n’est pas la fatwa de sheikh Qardawi qui appelle à former les bataillons de combattants pour « libérer » (détruire) la Syrie qui pose problème, mais plutôt la déclaration du guide Khamena’i et du Hezbollah qui auraient agité « le devoir religieux » pour soutenir le régime syrien, alors que leurs déclarations très claires ne font que réclamer la fin de l’intervention étrangère pour entamer les réformes promises par le régime et l’entente entre Syriens. Mais Nabil Ennasri, comme tant d’autres musulmans, a trouvé dans la guerre menée contre la Syrie un nouveau terrain pour affirmer autre chose, la « pureté » de son Islam et de sa doctrine. Dans le paysage colonial français, il est bon d’affirmer « un islam modéré » (à la manière qatarie), mais il est surtout bon de se démarquer de l’Iran et du Hezbollah, que l’Occident cherche d’ailleurs à détruire en leur prêtant des paroles rapportées par des chaînes (encore qataries ou saoudiennes, ou même occidentales, c’est kif-kif), car le cercle des « amis de la Syrie » est large. Cela permettrait peut-être d’y avoir sa « petite place », d’autant plus que l’argent coule à flot.
De l’autre côté de la planète, en Palestine précisément, et dans les même bataillons, un journaliste apprécié par les militants occidentaux, parce qu’il écrit en anglais dans des termes mesurés, contre l’AP et les sionistes, ne retient plus sa haine contre… les shi’ites. Là, il est plus que virulent, il est insultant, déchaîné. Il a ôté tous les gants du savoir-vivre et du savoir-écrire. C’est Khaled Amayreh, le chroniqueur apprécié de Al Ahram Weekly, qui écrit : « le régime « assadien » est un régime impie, criminel, fasciste, terroriste, qui ressemble au régime nazi dans une grande mesure, il faut détruire ce régime, même s’il faut pour cela le martyre d’un million de Syriens. Le régime représente le cancer qui, s’il n’est pas arraché par le peuple syrien, déracinera le peuple syrien, car la Syrie est devenue une ferme iranienne, la mosquée omeyyade est devenue une « hussayniya » où se pratiquent les lamentations, l’éventration des corps humains, l’adultère, les jeux de hasard, que Dieu nous en préserve ». On se demande, à la lecture de ces descriptions, de quoi sont formés les phantasmes de certains musulmans… Ce genre de « littérature » anti-shi’ite a fleuri, ces jours-ci, en même temps que se prépare la guerre coloniale, par bataillons musulmans interposés. Nous l’avions déjà lu, ici et là, et il n’y a pas longtemps encore, lorsque le Fateh et le Hamas sont entrés en conflit, mais c’étaient les « enragés » du Fateh qui accusaient les membres du Hamas de ces « crimes moraux ». Ce qui signifie que quelque soit le conflit interne, on agite l’épouvantail iranien, shi’ite, safavide, persan etc. pour se donner une légitimité ou faire avaler son histoire. Le criminel, c’est toujours l’iranien, le safavide, le shi’ite, et on remonte à l’histoire, une « histoire » que l’on fabrique, selon le moment et l’intention. Et les cercles impérialistes approuvent, diffusent, engagent des chercheurs, publient. Là encore, il y a de l’argent.
Telle littérature a toujours existé, mais après les efforts de nombreux ulémas, shi’ites et sunnites, de nombreux instituts religieux dont le prestigieux al-Azhar, en Egypte, ces forcenés agités par les plus bas instincts de leur être ne trouvaient qui les écouter, à l’exception de leurs cercles étroits dans les bas-fonds de l’ignorance et de la bêtise. Aujourd’hui, ce sont ces écrits et ces appels qui mobilisent les bataillons musulmans de la guerre coloniale, une haine démesurée qui fait appel à une histoire distordue (n’est-ce pas Nabil Ennasri qui écrit à une collègue que « Khomeyni a insulté le calife ‘Umar », et devant l’insistance de la collègue à connaître ses sources, il renvoie à une vidéo d’un obscur sheikh qui le dit…), et à des instincts malfaisants et malades.
Les bataillons musulmans de la guerre coloniale, sur le terrain ou dans les médias ont leurs appuis, financiers d’abord (le Qatar aurait versé un milliard de dollars pour ce faire), mais aussi étatiques et institutionnels (les centres de recherches prestigieux de Qatar, par exemple), dans les métropoles impérialistes. Il n’est plus question de parler de la Palestine et de sa libération, c’est devenu vieux jeu, une guerre d’antan et le fait de rappeler cette question centrale dans la conscience populaire arabe est vu par ces bataillons comme un prétexte pour détourner l’attention du vrai enjeu en cours : la guerre contre le « régime impie syrien, ‘alaouite, allié ou même devenu shi’ite, iranien, persan, safavide ». C’est pour cette guerre fratricide que sont envoyés des centaines de combattants arabes, venus de Libye, du Liban, de Jordanie, du Qatar, et probablement des pays européens. Dans le nord du Liban, des camps d’entraînement rassemblent des milliers de ces « volontaires musulmans » pour la nouvelle guerre coloniale, supervisés par des officiers britanniques et français.
A ces appels à la mobilisation des bataillons musulmans, une certaine « gauche anti-impérialiste » s’est jointe. Elle réclame, comme tout Européen qui se respecte et n’aime pas « se mouiller », la traduction du président syrien devant ce qui se déclare Cour Pénale Internationale. Il faut dire que les Européens et autres occidentaux continuent à se croire le centre du monde et à considérer que leurs cours ou organisations ou autres fadaises fondées pour nous empêcher d’arracher nos droits ont une certaine légitimité pour nous. En fait, et en réalité, non. Plus rien de ce qui est concocté dans leurs capitales, que ce soient des chartes de droits de l’homme ou des chartes de vie civile ou urbaine, ou des chartes de chasseurs ou d’écologistes, ne nous intéressent. Au fur et à mesure que nous avançons, dans notre chemin vers la libération de la Palestine et de nos pays, nous prenons conscience que ce sont précisément ces « chartes », ces « organisations internationales », et tout ce qui va avec, qui sont des entraves et non des moyens, pour notre libération.
Vous nous avez eu en 1947 (partage de la Palestine), vous nous avez eu en 1916 (Sykes-Picot), vous ne pourrez plus nous avoir en 2012, d’autant plus que le monde devient multipolaire, que de nouvelles puissances émergent, et que ni l’Europe, ni les Etats-Unis ne peuvent imposer leurs diktats. Vous voulez la guerre et le martyre d'un million de syriens pour renverser cette réalité ?
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