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ISM France - Archives 2001-2021

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Cisjordanie -

Les jeunes palestinien-ne-s nous apprennent actuellement comment résister

Par

La génération palestinienne qui a connu la première intifada durant les années 1980 a souvent décrié ses successeurs.
Plusieurs fois, nous avons accusé les jeunes générations d’être apolitiques et politiquement incultes. Je ne sais plus le nombre de fois où j’ai entendu l’accusation selon laquelle les jeunes palestinien-ne-s sont égocentriques ; qu’ils ne comprennent pas le sens de la résistance collective et du sacrifice.

Les jeunes palestinien-ne-s nous apprennent actuellement comment résister

À l’écoute de ces plaintes, vous seriez excusé-e de croire que l’idée même de résistance populaire n’a pas existé jusqu’à ce que ma génération arrive. Mais les événements récents en Palestine nous ont montrés à quel point ces critiques étaient fausses et injustes : il n’y avait rien d’unique au sujet de la génération qui a connu la première intifada.
Comme l’a enseigné le philosophe Frantz Fanon, la lutte populaire puise dans les conditions mêmes du colonialisme, au sein des différentes façons dont elle empiète sur – et dégrade régulièrement – les conditions de l’existence quotidienne.

Certes, certaines choses ne changent jamais. La réponse du gouvernement israélien aux événements récents découle clairement d’une inébranlable et inflexible mentalité coloniale. Ainsi, en vertu du fait que les indigènes ne peuvent pas avoir d’exigences politiques, les administrateurs coloniaux israéliens ont jugé les « troubles » actuels comme étant une question de « maintien de l’ordre ».
L’ordre et la tranquillité seront ramenés une fois que la population indigène sera en prise avec une force brutale – après tout, c’est la seule langue qu’« ils » peuvent comprendre. Pour les Palestinien-ne-s, ces mots sont d’une lassante familiarité, comme ceux de Benjamin Netanyahu et Moshe Yaalon font partie d’une lignée coloniale que l’on peut remonter à Yitzhak Rabin et au-delà.
Au cours de la première intifada, Rabin, alors ministre de la Défense, a appelé l’armée israélienne à « briser les os » des manifestant-e-s palestinien-ne-s ; aujourd’hui, les administrateurs actuels de la puissance coloniale appellent effectivement à la même chose.

Défis
Mais certaines choses changent indéniablement. En dehors de toute autre chose, les défis auxquels sont confronté-e-s les jeunes palestinien-ne-s sont beaucoup plus imposants que ceux rencontrés par ma génération. Au cours de la première intifada, notre principal adversaire était l’armée israélienne.
La colonisation de la Cisjordanie était encore limitée et la participation des colons dans la première intifada était tout aussi limitée. Aujourd’hui, de nombreuses nouvelles colonies sont construites à proximité de centres de population palestiniens.

En outre, pendant la première intifada, les militant-e-s palestinien-ne-s jouissaient d’une relative liberté de mouvement et étaient en mesure de voyager à travers les villes, les villages et les camps de réfugié-e-s pour organiser des sit-in, des veillées, des grèves, et des séminaires.
L’opinion arabe et internationale était également plus favorable. Des groupes de solidarité israéliens ont apporté leur aide à notre lutte et ont travaillé à changer l’opinion publique dans leur société.

Des changements dans tous ces domaines ont introduit de nouvelles dimensions à la question de la lutte palestinienne.
La jeune génération a trouvé des façons novatrices de répondre à cette réalité qui a changé. Elle a identifié de nouvelles façons de créer de la conscience politique et sociale – « Résister pour exister » était un slogan particulièrement frappant que j’ai vu posté sur Facebook l’autre jour.
Les images d’incarcération, de brutalité et de déshumanisation circulent désormais grâce aux réseaux sociaux, créant de nouvelles solidarités et de nouveaux vocabulaires de lutte. Les deux éléments s’impliquent l’un l’autre : à mesure que les réalités politiques s’ajustent, les formes de résistance en font de même.

Cependant, les défis auxquels sont confronté-e-s les jeunes palestinien-ne-s ne sont pas que d’ordre géographique ; ils sont aussi politiques. L’autonomie politique palestinienne limitée, avec la création d’une entité politique autonome – l’Autorité palestinienne – est devenue l’une des façons dont l’occupation a renforcé et consolidé son emprise sur le territoire et la population.
À la lecture et à la vue des entrevues avec de jeunes palestinien-ne-s, je suis souvent frappée par la façon dont leur mentalité politique diverge profondément de celle de ma propre génération.
Nous cherchions à formuler notre lutte dans un vocabulaire politique internationalement accepté et à nous aligner avec les dynamiques politiques plus larges ; nous cherchions à ce que la Direction nationale unifiée coordonne les tactiques et les stratégies de résistance au jour le jour au cours de la première intifada, et à ce que l’Organisation de libération de la Palestine soit l’incarnation symbolique de la lutte nationale palestinienne.

Dans un contraste direct et saisissant, un membre de la jeune avant-garde a récemment déclaré à l’Agence Ma’an News que « nous ne nous soucions pas des dirigeants. Nous serons les leaders », tandis qu’une autre personne interrogée a brutalement fait référence à l’Autorité palestinienne comme à des « traîtres ».
Les développements en cours en Cisjordanie correspondent à une crise prononcée de leadership politique palestinien. L’antagonisme actuel semble être autant dirigé contre l’un des mécanismes centraux de la puissance coloniale – une direction politique palestinienne discréditée qui a effectivement perpétué une sous-traitance de l’occupation – que contre son point d’origine.

Gestion stratégique
Dans un certain nombre de points clés, toute distinction entre les deux est, bien sûr, redondante. En plus de son formidable éventail d’instruments de coercition et de force, l’occupation est par ailleurs garantie par des formes plus subtiles d’influence politique qui cooptent et gèrent stratégiquement la configuration [agency] des partenaires locaux – l’Autorité palestinienne étant un cas d’espèce.
De ce point de vue, le processus de paix formel peut être analysé rétrospectivement comme une reconfiguration des rapports de domination et de contrôle : le « compromis » a renforcé l’occupation ; l’ « auto-gouvernance » a sanctifié l’inefficacité et la corruption ; la « paix » est devenue synonyme de dégradation morale et politique.
Tout cela va peut-être expliquer en partie pourquoi je n’ai pas entendu la jeune génération émettre le moindre appel vers la direction politique palestinienne.

Il est temps pour celles et ceux d’entre nous qui étions de la première intifada d’admettre notre essentielle non-pertinence. Non seulement parce que les circonstances ont changé, mais aussi parce que les stratégies et les approches que nous avons préconisées ont depuis lors été profondément discréditées.
Pour tous nos efforts, sacrifices et avancées limitées, nous avons finalement contribué à un règlement politique qui a renforcé et consolidé les conditions et les relations de l’occupation. Nous avons perdu de vue le fait essentiel selon lequel, comme l’avait observé Fanon, « le colonialisme ne donne jamais rien pour rien ».
Loin d’inculquer à la nouvelle génération de Palestinien-ne-s des « leçons » à propos de notre lutte, c’est ma génération qui devrait chercher à apprendre.



Photo de couverture : des étudiant-e-s palestinien-ne-s manifestent à Rafah, au sud de la bande de Gaza, le 14 octobre 2015 (Abed Rahim Khatib / APA images).

Source en anglais : The Electronic Intifada

Source : Etat d'Exception

Traduction : Traduit de l’anglais par SB, pour Etat d’Exception.

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