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Israël - 4 août 2008
Par Mohammad Bakri
Je ne l'ai pas fait parce que j'étais un héros, mais seulement parce que j'étais obligé. C'est comme ça que j'ai fait mes trois documentaires. Je dis "obligé" parce que je suis acteur, pas réalisateur. Néanmoins, j'aime mes trois films comme un père aime ses enfants.
J'y ai été obligé parce que dans ces films, j'étais simplement une personne défendant son récit interdit (son récit officieux) parce que pendant 60 ans, Israël a raconté sa propre histoire, qui nie et contredit la mienne.
Mon premier film, en 1998, était sur les 50 ans après la Nakba. Le deuxième, en 2002, "Jenin, Jenin", parlait des gens du camp de réfugiés de Jenin, qui racontaient ce qui leur était arrivé pendant l'invasion israélienne d'avril 2002.
Le dernier, "Depuis que tu es parti", raconte ce qui nous est arrivé, à moi et à nous les Palestiniens, depuis le décès de mon ami et professeur, feu l'auteur et intellectuel palestinien Emile Habiby. Dans ce film, je vais sur sa tombe, dans sa ville bien-aimée de Haifa, et je lui parle, d'ami à ami, de tout ce qui s'est passé depuis qu'il est mort.
Lorsque "Jenin, Jenin" est sorti en 2002, il a été interdit par le bureau israélien de la censure cinématographique. Deux années après, j'ai réussi à obtenir de la Haute cour israélienne une autorisation qui rejetait l'interdiction. Au cours des six années qui ont suivi 2002, cinq soldats israéliens m'ont traîné devant les tribunaux, m'accusant de mensonges, de diffamation et de destruction de leur "noms". Ils me demandent de payer 2,5 millions de shekels (463.000 €) de dédommagement !
Ces soldats prétendent qu'ils n'ont fait que prendre part à l'invasion comme réservistes. Mais je ne les connais pas et ils ne sont ni mentionnés ni montrés dans le film. Ils clament que "Jenin, Jenin" leur a porté tort et a nui à leur réputation !
Récemment, la Cour a finalement rendu une décision qui rejette leur plainte. Mais parmi d'autres, la décision de la Cour dit que je ne peux pas prouver que le film est véridique et que j'aurais dû traîner devant un tribunal israélien ceux qui y apparaissent pour qu'ils jurent qu'à l'écran, ils ont dit la vérité et rien que la vérité. La Cour a également dit que j'ai menti lorsque j'ai dit que j'ai fait le film avec de bonnes intentions ; au contraire, ils ont dit que je l'avais fait avec de mauvaises intentions ! Mais la cour a décidé que néanmoins, la loi israélienne me protégeait puisque la diffamation visait l'armée israélienne dans son ensemble et pas seulement les cinq soldats !
Mon Dieu, merci, Ô loi israélienne ! Je pose la question – lorsqu'un soldat israélien a ouvert le feu sur une collègue, actrice de théâtre (Valentina Abu 'Aqsa), qu'est-ce que j'étais censé faire ? Je ne suis pas un soldat qui la défend les armes à la main. Je me suis retrouvé allant dans le camp de Jenin après l'invasion avec ma caméra. Le soldat a-t-il ouvert le feu parce que nous manifestions contre l'invasion au checkpoint al-Jalma, au nord de Jenin ?
Israël a soulevé une tempête au sujet de ce film. Il a recruté tous ses ambassadeurs pour le combattre et pour l'empêcher d'atteindre les écrans du monde. Et ils ont réussi. Sous les menaces et les pressions, ils ont réussi à empêcher la diffusion du film, programmée le 1er avril 2003 sur la chaîne satellitaire Arte.
Israël a diffamé ma réputation sur ses écrans, dans ses journaux et depuis le podium de la Knesset, m'accusant de terrorisme. Pour certains, je ne valais pas mieux que Bin Laden ! Moi qui me bats pour la paix depuis 35 ans ? Jetez un coup d'œil à mon histoire et à mes films. Regardez "Private", "Au-delà des Murs", "Hanna K.", "Le Mas des Alouettes", "Cup Final", "Haifa", "The Pessoptimist", parmi d'autres.
En plus de tout ça, l'empire médiatique sioniste a produit des douzaines de films qui me visaient et je ne me suis pas précipité au tribunal. Mon seul crime a été de répondre en réalisant trois films (j'étais obligé, et pas un héros). Israël a réalisé trois films pour réfuter "Jenin, Jenin", et les a diffusés aux heures de grande écoute. Le premier était "Carnets de réservistes" (dans lequel apparaissent trois des cinq soldats qui m'ont poursuivi en justice). Le deuxième, "La Route pour Jenin", par un réalisateur français qui a pris un pseudo : Pierre Rahuf. Le troisième, par un réalisateur canadien juif, était intitulé : "Jenin : massacrer la vérité". Ces films ont été présentés à maintes reprises à une population israélienne qui a déjà subi tromperies et lavage de cerveau.
En attendant, mon film est toujours interdit et attaqué, jusqu'à aujourd'hui, en dépit du fait qu'au tribunal, j'ai gagné trois fois – deux fois contre la censure israélienne et la troisième contre cinq vaches sacrées.
Mohammad Bakri
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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