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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine occupée -

Nous, Chrétiens de Palestine, disons « Allahu Akbar »

Par

L’Archevêque Sebastia Théodosios (Atallah Hanna), 49 ans, est le seul archevêque chrétien orthodoxe de Palestine à être en poste à Jérusalem et en Terre Sainte, tandis que tous les autres évêques du Patriarcat de Jérusalem sont des Grecs.
Les autorités israéliennes l’ont plusieurs fois maintenu en détention, l’ont arrêté à la frontière ou ont confisqué son passeport. Parmi tous les ecclésiastiques de Jérusalem, il est le seul qui ne jouisse pas du privilège de passer par la porte VIP à l’aéroport – à cause de sa nationalité. « Pour les autorités israéliennes je ne suis pas un évêque, mais plutôt un Palestinien, » explique son Éminence.

Nous, Chrétiens de Palestine, disons « Allahu Akbar »

Quand il parle au téléphone, il utilise beaucoup de mots qui sont d’habitude entendus de la part de Musulmans : « Alhamdulillah, Inch’Allah, Macha’Allah ».

Il parle l’Arabe, et le mot arabe pour « Dieu » est Allah, que vous soyez chrétien ou musulman.

Il est interviewé, pour Russia Today par Nadezhda Kevorkova, correspondante de guerre qui a couvert les événements du Printemps Arabe, des conflits militaires et religieux autour du monde, ainsi que le mouvement anti-mondialisation. Traduit par  Global Relay Network.

Nadezdha Kevorkova (NK) : Votre Éminence, qu’est-ce que cela fait d’être le seul évêque palestinien de Terre Sainte ?

Théodosios (Hanna) de Sebastia (TS) : Tout d’abord, je souhaite confirmer que je suis le seul évêque palestinien du Patriarcat orthodoxe de Jérusalem. Un collègue évêque officie dans la ville d’Ibrid au nord de la Jordanie, et il y a aussi de nombreux prêtres palestiniens.

Je suis fier d’appartenir à cette grande institution religieuse qui a plus de 2000 ans.
Mon église a protégé la présence chrétienne en Terre Sainte et les objets sacrés en rapport avec la vie du Christ et l’histoire de l’Église Chrétienne.

Je suis fier de ma religion et de ma nationalité, je suis fier d’appartenir à ma patrie. Je suis un Palestinien, et j’appartiens à ce peuple religieux qui combat au nom de sa liberté et de sa dignité à réaliser ses rêves et ses droits nationaux.

Je soutiens les Palestiniens musulmans, et partage leur cause comme leurs ennuis. Nous, les Chrétiens orthodoxes palestiniens, ne sommes pas détachés de leurs souffrances.

La question palestinienne en est une qui nous concerne tous, Chrétiens comme Musulmans. C’est un problème pour tout individu intellectuellement libre aspirant à la justice et à la liberté en ce monde.

Nous, les Chrétiens de Palestine, souffrons avec le reste des Palestiniens de l’occupation et des difficultés de notre situation économique. Les Musulmans et les Chrétiens souffrent de la même manière, puisqu’il n’y a pas de différence dans la souffrance pour n’importe lequel d’entre nous. Nous vivons tous dans les mêmes circonstances compliquées, et surmontons les mêmes difficultés.

Nous protégeons ces gens en tant qu’église et en tant qu’individus, et espérons que le jour viendra où les Palestiniens auront leur liberté et leur dignité.

NK : Pour ceux qui viennent visiter la Terre Sainte, il y a peu d’opportunités pour constater à quel point la situation des Palestiniens est difficile. Qu’avez-vous à dire à ceux qui désirent mieux comprendre le problème palestinien ?

TS : Les autorités israéliennes traitent le peuple palestinien d’une façon que nous ne pourrons jamais accepter ou tolérer, d’abord et avant tout parce qu’Israël traite les Palestiniens comme des étrangers, comme si nous étions des étrangers sur notre terre.

Les Palestiniens n’ont jamais été des étrangers que ce soit à Jérusalem ou dans tout l’ensemble de la Terre Sainte. Israël est une force d’occupation qui nous traite comme si nous étions des visiteurs ou quelque espèce de résidents temporaires. Mais nous sommes le peuple natif de cette terre. Nous ne sommes pas arrivés ici, nous y avons toujours été. Par contraste, Israël est apparu hors de nulle part.

Ils nous traitent comme si nous étions arrivés ici d’ailleurs, comme si nous avions récemment et par accident erré jusqu’à cette terre. Mais nous en sommes les propriétaires légitimes. Nous n’avons pas envahi Israël. Israël a envahi nos vies en 1948, et en 1967 a occupé Jérusalem-Est. Nous avions été ici bien longtemps avant Israël. Lorsque Israël a fini par arriver ici, nos ancêtres avaient vécu ici pendant des siècles.

C’est pourquoi nous ne pouvons accepter qu’Israël nous traite comme des étrangers dans notre patrie. Je vais être franc et vous le répéter : les Chrétiens et les Musulmans souffrent de la même manière, aux mains des autorités israéliennes.

NK : Visiter Jérusalem est-il aussi difficile pour un Chrétien palestinien de Cisjordanie que pour un Musulman ?

TS : Ils ne demandent pas si une personne arrivant de Beit Jala ou de Ramallah vers Jérusalem est chrétienne ou musulmane. Ils ne posent qu’une seule question, « Avez-vous un laissez-passer pour entrer dans Jérusalem ou pas ? »

Le laissez-passer autorisant un Palestinien à pénétrer dans Jérusalem est délivré par Israël. Personne ne peut passer sans en avoir un. En perpétuant sa politique raciste envers les Palestiniens, Israël dédaigne plusieurs confessions. Nous sommes tous pareillement ciblés. Tout dépend de l’obtention d’un laissez-passer, que vous soyez chrétien ou musulman. Nous sommes tous leurs cibles.

Pour couronner le tout, Israël a pris le contrôle de beaucoup de propriétés appartenant à l’Église chrétienne orthodoxe, et interfère dans les affaires internes de l’Église. Ils font pression sur les Chrétiens palestiniens de toutes sortes de façons, essayant de les pousser à partir.

Il n’y a qu’une seule cause à la souffrance, à la fois pour les Chrétiens comme pour les Musulmans en Terre Sainte.

NK : La récente attaque sur le journal satyrique français à déclenché une vague de manifestations anti-musulmanes en Europe. Netanyahou a défilé au premier rang d’une telle manifestation. Quelle est votre réaction face à ce qui s’est passé ?

TS : Nous dénonçons les attaques de Paris qui ont été commises par des gens représentant prétendument une religion particulière. Mais ils ne représentent aucune religion – ce sont des assassins.

Cette attaque a été perpétrée par des gens qui prétendent avoir la foi, mais ils ne représentent aucunement l’Islam ni ne peuvent agir au nom de l’Islam, ils ne font que nuire et faire du tort à l’image de l’Islam à travers leurs actes.

Pareillement, nous dénonçons tout autant les opérations terroristes en Syrie et en Irak, que les attaques terroristes à Paris.

Ceux qui ont commis les attaques terroristes de Paris et d’ailleurs appartiennent aux mêmes groupes qui se livrent au terrorisme en Syrie et en Irak et attaquent des lieux saints, profanent des églises et kidnappent des dirigeants religieux.

Ils attaquent des femmes et des enfants en Syrie, au Liban et en Irak.

Nous avons été témoins de l’acte de terreur, à Tripoli au Liban il y a seulement quelques jours qui a tué des douzaines de personnes innocentes dans un café.

Nous condamnons les attaques terroristes de Paris et nous condamnons également toutes les attaques similaires partout dans le monde. Nous sommes fermement opposés à l’idée d’une connexion de ces attaques avec l’Islam.

Nous sommes actuellement en préparation d’une conférence internationale à laquelle prendront part des personnalités religieuses – Chrétiennes, Musulmanes et Judaïques – de plusieurs pays pour affirmer que nous, les représentants des trois religions monothéistes, sommes contre la terreur, le fanatisme et la violence utilisés sous des slogans religieux. La conférence aura peut-être lieu à Amman, en Jordanie.

NK : Pour un esprit occidental, « Allahu Akbar » ressemble à une menace. Qu’en pensent les Chrétiens de Terre Sainte ?

TS : Nous, les Chrétiens, disons aussi « Allahu Akbar ». C’est une expression de notre entendement que le Créateur est grand. Nous ne voulons pas que cette phrase soit mise en relation avec le terrorisme et avec des crimes. Nous refusons d’associer ces mots à des massacres et à des meurtres.

Nous nous exprimons contre l’usage de cette phrase dans ce contexte. Ceux qui s’en servent insultent notre religion et nos valeurs religieuses. Ceux qui se servent de ces mots en commettant des actes irréligieux, païens et barbares nuisent à la religion.

« Allahu Akbar » est une expression de notre foi.

Il ne faut pas utiliser ces mots dans des buts sans rapport avec la religion pour justifier la violence et la terreur.
 
NK : Les gens disent-ils « Allahu Akbar » à l’église ?

TS : Bien entendu.

Pour nous, « Allah » n’est pas un terme islamique. C’est un mot utilisé en Arabe pour signifier le Créateur qui a fait le monde dans lequel nous vivons. Donc quand nous disons « Allah » dans nos prières, nous entendons par là le Créateur de ce monde.

Dans nos prières et nos requêtes, dans nos cérémonies religieuses chrétiennes orthodoxes, nous nous servons précisément de ce mot. Nous disons, « Gloire à Allah pour l’éternité ». Nous disons beaucoup « Allah » au cours de notre liturgie. C’est une erreur de penser que le mot « Allah » n’est utilisé que par les Musulmans.

Nous, les Arabes chrétiens, disons « Allah » dans notre langue arabe comme moyen d’identifier et de nous adresser au Créateur dans nos prières.

NK : Tout ceci a-t-il un rapport avec le Christ? Est-ce lui qui a provoqué un schisme religieux en Terre Sainte? Les Chrétiens et les Musulmans reconnaissent que Jésus Christ est né, et ils attendent son second avènement et le jour du jugement. Les Juifs par contre le récusent, et attendent leur Messie.

TS : Nous Chrétiens croyons que Jésus est déjà venu. Nous avons récemment célébré Noël comme rappel que Jésus est venu en ce monde, qu’il est né à Bethléem, et a entamé son chemin ici en Terre Sainte pour le bénéfice de toute l’humanité et pour la rédemption du monde. Donc en ce qui nous concerne, Jésus est déjà venu.

Les Juifs croient qu’il n’est pas encore venu, et s’attendent à son avènement. C’est le désaccord principal entre les Juifs et nous. Nous croyons que Jésus est déjà venu, alors qu’ils n’y croient pas.

Malgré cela, nous ne sommes pas en guerre contre les Juifs. Nous n’exprimons pas d’antagonisme envers les Juifs ou qui que ce soit au monde, en dépit de différences dans nos croyances. Nous prions pour ceux qui sont en désaccord avec nous.

Lorsque Jésus est venu en ce monde il ne nous a pas dit de haïr, d’ignorer, ou d’être en guerre les uns contre les autres ; il ne nous a pas dit de tuer celui-ci ou celui-là. Il nous a donné une instruction très simple : de nous aimer les uns les autres. Quand Jésus nous a dit de nous aimer les uns les autres, cet amour ne dépendait pas de la manière d’être d’une personne, ou de ce qu’elle faisait. Si nous sommes réellement de vrais Chrétiens, c’est notre dette d’aimer tous les êtres et de les traiter positivement, et avec amour.

Quand nous voyons quelqu’un être mauvais, perdu, et loin d’Allah et de la foi, quelqu’un qui agit mal, alors il est de notre devoir de prier pour lui, même s’il est peut-être différent de nous et de notre religion. Quand nous avons des désaccords religieux avec des gens, nous prions qu’Allah les guide sur le bon chemin. La haine, la colère et l’accusation de détenir une foi erronée ne font pas partie de notre éthique en tant que Chrétiens. C’est là le désaccord central et la différence entre la religion juive et la nôtre. La religion juive qui avait existé avant le Christ est celle de gens qui attendaient la venue du Christ. Beaucoup de Juifs l’ont suivi, pourtant il y a eu ceux qui n’ont pas cru en lui, et qui l’ont rejeté.

Nous savons que Jésus fut persécuté, et les premiers Chrétiens le furent aussi. Par exemple, le roi Hérode tua des milliers de bébés à Bethléem en pensant que Jésus serait parmi eux. Le livre des Actes des Apôtres, ainsi que la tradition sacrée, parlent de nombreux exemples de persécution des premiers Chrétiens.

Malgré cela, nous voyons en chaque personne qui n’est pas d’accord avec nous sur la religion un frère, notre congénère. Allah nous a tous créés, il nous a donné la vie, et c’est par conséquent notre devoir d’aimer chaque personne et de prier pour ceux qui sont dans l’erreur ou ne comprennent pas, afin qu’Allah les guide sur le bon chemin.

NK : Est-ce pour cela que les Chrétiens et les Musulmans sont persécutés ?

TS : Nous ne faisons pas de différence entre les Palestiniens sur la base de qui est chrétien ou qui est musulman, qui est religieux et qui ne l’est pas, qui est resté et de quel parti ils sont membres. Nous ne divisons pas les gens en fonction de leurs convictions ou de leur religion.

Pour la résistance cela n’a pas d’importance qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

Quelles que soient leurs opinions politiques, tous les Palestiniens soutiennent activement l’idée que le peuple palestinien doit pouvoir exercer ses droits et accomplir son rêve.

Oui, de nombreux Chrétiens ont été tués depuis 1948 et jusqu’à ce jour. Certains Chrétiens ont été poussés à quitter leurs maisons. Quelques villages chrétiens ont été complètement détruits et maintenant il n’y reste plus une seule maison ou un seul habitant, comme à Al Galil sur le plateau du Golan par exemple.

Beaucoup d’églises ont été attaquées à Jérusalem; il y a eu des tentatives de saisie de leurs biens et de leurs terres.

Il y a des Chrétiens dans des prisons israéliennes – pas autant que des Musulmans, mais il y en a. La communauté chrétienne est plus petite en général, mais nous avons nos propres martyrs à avoir été tués ainsi que des prisonniers qui ont passé de longues années derrière les barreaux.

Les Chrétiens souffrent sous l’occupation israélienne tout comme les Musulmans – toute la population palestinienne souffre sous son joug. Ils ne font pas de distinction entre nous.

NK: Y a-t-il des aspects spécifiques à la vie des Chrétiens en Terre Sainte ?

TS: Voici un des nombreux exemples, en relation avec l’Église Orthodoxe Russe.

La Cathédrale de la Sainte Trinité, située dans la partie occidentale de Jérusalem, appartenait à l’Église Orthodoxe Russe mais après 1948 Israël a tiré avantage de la situation en Russie pour saisir certains des bâtiments autour de la Cathédrale, s’en servant comme locaux pour la police et de prison où fut pratiquée la torture.

Quand quelqu’un dit « moskobiya », se référant à quelque chose en relation au Patriarcat de Moscou, une chose sacrée et spirituelle, les premières choses qui viennent à l’esprit d’un Palestinien vivant à Jérusalem sont la torture, la police, les interrogatoires et la prison.

À Nazareth, par exemple, le mot « moskobiya » est exclusivement associé à la vieille école russe ou l’élite culturelle, scientifique et politique palestinienne avait étudié. Bien qu’elle ait été fermée après la Révolution de 1917 en Russie, sa renommée lui a survécu. Donc c’est seulement pour les Palestiniens de Jérusalem.

NK : Que pensent les Chrétiens palestiniens, je veux dire en premier les Chrétiens orthodoxes, de la crise en Ukraine ?

TS : Globalement, nous sommes profondément inquiets de la division en Ukraine. Nous croyons toujours que tous les Chrétiens ukrainiens doivent rester dans le giron de leur Mère l’Église qui est le Patriarcat de Moscou.

Je souhaite que la crise ukrainienne soit résolue à travers le dialogue pour que nous voyions la réconciliation et la fin de la violence et du sang répandu.

Les Chrétiens n’ont pas besoin de guerres, de tueries et de massacres. La crise politique doit être résolue pacifiquement. L’Église doit travailler dur pour assurer que les divisions soient résolues et surmontées.

L’Église Orthodoxe en Ukraine est forte car la plupart des gens y suivent le Christianisme Orthodoxe.

Les dissensions doivent être guéries. Nous espérons vraiment que les efforts du Patriarcat de Moscou et du Patriarcat de Constantinople nous aideront à réunifier l’Église en Ukraine.

Je crois que le schisme peut être inversé et que ceux qui se sont détachés peuvent revenir. Mais pour que cela ait lieu nous avons besoin d’humilité, de foi et d’une volonté forte.
Nous prions pour l’Église Orthodoxe de l’Ukraine.


Source : Al Manar

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