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12 août 2002
Par Edward Said
Le Terrorisme, et son obsédante poursuite, sont devenus un cercle vicieux, s’acquittant de meurtres et de mort lente des ennemis qui n’ont pas le choix et qui n’ont rien à dire, écrit Edward Said
Mis à part les problèmes physiques, être malade pendant une longue période remplit d’un terrible sentiment d’impuissance, mais aussi permet des périodes de clarté d’analyse, qui, évidemment, doivent être conservées.
Lors des trois derniers mois, j’étais plus ou moins en permanence à l’hopital, avec des jours marqués par des traitements longs et douloureux, des transfusions de sang, des tests san fin, des heures et des heures de temps improductif dépensé à regarder le plafond, épuisé de fatigue dûe à l’infection, l’impossibilité d’effectuer un travail normal, et penser, penser, penser.
Mais, il y a aussi des passages intermittents de lucidité et de réflexion qui parfois donnent à l’esprit une perspective sur la vie au quotidien qui permet de voir les choses (sans être capable de faire quoi que ce soit à leur sujet) sous une dimension différente.
Lire les informations en provenance de Palestine et regarder les terribles images de mort et de destruction à la télévision : cela a été une expérience qui m’a rendu complètement fou et consterné par rapport à la politique du gourvernement Israélien, plus particulièrement au sujet de ce qui s’est passé dans l’esprit de Sharon.
Et quand, après le récent bombardement de Gaza par l’un de ses F16 lors duquel neuf enfants ont été massacrés, il a déclaré qu’il fécilitait le pilote et il s’est vanté d’un grand succès Israélien, j’ai pu me faire une idée plus claire de ce qu’un esprit pathologiquement dérangé était capable de faire, non seulement en terme de ce qu’il planifie et commande, mais comment il s’arrange pour entrainer les autres à penser de la même façon abérrante et criminelle. Entrer dans l’esprit d’un responsable Israélien est une expérience, bien qu’atroce, qui en vaut la peine.
En Occident, néanmoins, il y a tant de répétitions et tellement peu d’attention aux attentats suicides Palestiniens qu’en réalité une grossière déformation a complètement caché ce qui est bien pire : Les officiers Israéliens, et peut-être l’exceptionnel Mal Sharonien sont venu rendre visite au peuple Palestinien de façon délibérée et méthodique.
Une attaque suicide est condamnable mais, à mon avis, c’est le résultat direct et sciemment programmé d’années d’abus, d’impuissance et de désespoir. Dire que les arabes ou les musulmans ont une tendance pour la violence est aussi ridicule qu’un homme sur la lune.
Sharon veut le terrorisme, pas la Paix, et il fait tout ce qu’il peut pour en créer les conditions.
Mais pour toutes ses horreurs, la violence Palestinienne, réponse d’un peuple désespéré et horriblement oppressé, a été dénuée de son contexte et de la terrible souffrance de laquelle elle avait émergée : une violation, une atteinte à l’humanité, ce qui ne la rend pas moins terrible mais qui la situe dans sa véritable histoire et sa véritable géographie.
Cependant la situation de la terreur palestinienne – bien sûr c’est de la terreur – n’a jamais permis à un moment de chance d’apparaître, la focalisation sur celle-ci ayant été aussi impitoyable en la montrant comme un phénomène à part, un véritable Mal gratuit qu’Israël, agissant soi-disant en pure bonté, a vertueusement combattu par ses différentes actions épouvantables d’une violence disproportionnée contre une population de trois millions de civils Palestiniens.
Je ne parle pas seulement de la manipulation d’opinion effectuée par Israël, mais également de l’exploitation Américaine faite par sa campagne contre le Terrorisme qui, sans elle, n’aurait jamais permis à Israël de faire ce qu’il a fait. (En fait, je ne peux pas penser qu’un autre pays sur Terre, au regard des audiences télévisuelles nocturnes, aurait réussi de tels miracles de sadisme détaillé contre une société entière et obtenu qu’il l’emporte au Paradis).
Ce Mal a fait partie délibérément de la campagne contre le Terrorisme de George Bush, grossissant de façon irrationnelle les fantasmes américains et ses fixations avec une facilité extraordinaire, ce qui n’est pas une petite partie de son effet destructeur aveugle.
Comme les escadrons d’intellectuels américains avides (à mon avis complètement corrompus) qui tissent d’énormes structures de mensonges au sujet de l’intention bienveillante et de la nécessité de l’impérialisme Américain, la société Israélienne a poussé de nombreux universitaires dans l’administration, des intellectuels politiques à penser aux tanks, et maintenant des ex-militaires en liaison avec la Défense – aux Affaires de Relations Publiques, le tout pour rationaliser et rendre convaincante la politique de punition inhumaine qui est supposée être à la base des besoins de Sécurité pour Israël.
La sécurité Israélienne est maintemant une fable idiote. C’est comme une licorne, traquée sans fin et jamais trouvée, restant, éternellement, l’objectif d’une future opération. Pendant ce temps, Israël est devenu moins sûr et plus inacceptable pour ses voisins ce qui ne mérite guère un moment d’attention.
Mais alors qui conteste l’idée que la sécurité Israélienne doive définir la morale du monde dans lequel nous vivons ? Certainement pas les dirigeants arabes et palestiniens qui pendant 30 ans ont tout concédé à la sécurité Israélienne. Cela n’aurait-il jamais dû être remis en question, étant donné qu’Israël a infligé plus de dommages aux Palestiniens et aux autres pays arabes voisins qu’un autre pays dans le monde ? Israël avec son arsenal nucléaire, son aviation, sa Marine et son armée soutenue de façon illimitée par le contribuable américain.
En conclusion, le compte-rendu des évènements dans lesquels les Palestiniens doivent vivre au quotidien est caché et, plus important, il est recouvert par une logique d’auto-défense et la poursuite du terrorisme (infrastructure terroriste, niches terroristes, usines de fabrication de bombes, suspects terroristes – la liste est infinie) ce qui va parfaitement à Sharon et au lamentable George Bush. Des idées au sujet du terrorisme qui nous ont mené vers leur propre logique ou leur explication rationnelle, légitimisée et re-légitimisée sans preuves.
En considérant par exemple la dévastation de l’Afghanistan d’un côté, et de l’autre les assassinats « ciblés » de presque 100 Palestiniens (pour ne pas parler des milliers de « suspects » rassemblés et toujours emprisonnés par les soldats Israéliens) : personne ne demande si ces personnes tuées étaient en fait des terroristes, si cela a été prouvé ou étaient-ils disposés à devenir des terroristes. Ils sont tous supposés être dangereux par des actes simples, affirmations incontestées.
Tout ce dont vous avez besoin est un ou deux porte-paroles arrogants, comme les rustres Ranaan Gissin, Avi Pazner, ou Dore Gold, et à Washington un perpétuel apologiste de l’ignorance et de l’incohérence comme Ari Fleisher, et les cibles en question sont juste bonnes à tuer.
Sans hésitation, sans question ou sans réserve.
Pas besoin de preuves ou de toute délicatesse barbante. Le Terrorisme, et son obsédante poursuite, sont devenus un cercle vicieux, s’acquittant de meurtres et de mort lente des ennemis qui n’ont pas le choix et qui n’ont rien à dire.
A l’exception de reportages faits par quelques journalistes et écrivains intrépides comme Amira Hass, Gideon Levy, Amos Elon, Tanya Leibowitz, Jeff Halper, Israël Shamir et quelques autres, le discours public dans les médias Israéliens manque terriblement de qualité et d’honnêteté.
Le Patriotisme et le soutien aveugle au gouvernement ont remplacé la réflexion sceptique et la morale.
Disparue l’époque d’Israël Shahak, Jakob Talmon et Yehoshua Leibowitch. Je pense à quelques universitaires et intellectuels Israéliens – des hommes comme Zeev Sternhell, Uri Avneri, et Ilan Pappe, par exemple – qui sont assez courageux pour se démarquer du débat imbécile et avilissant au sujet de la « sécurité" et du « terrorisme ».
Cela semble avoir gagné les partisans de la Paix Israéliens, ou même a diminué rapidement l’opposition de Gauche. Des crimes sont commis chaque jour au nom d’Israël et du Peuple Juif, et cependant les intellectuels discutent d’un retrait stratégique, ou peut-être de conserver ou non les colonies, ou si l’on doit continuer de bâtir cette monstrueuse barrière (As-t’on pris conscience du côté insensé de cette idée de mettre, de nos jours, plusieurs millions de personnes dans une cage et dire qu’ils n’existent pas ?) d’une manière seyante à un général ou à un politicien, plûtot qu’aux intellectuels et aux artistes avec un jugement indépendant et avec une peu de morale.
Où sont les Israéliens comparables à Nadine Gordimer, Andre Brink, Athol Fugard, ces écrivains blancs qui s’exprimaient sans equivoque et avec une clarté sans ambiguité contre les maux de l’Apartheid Sud Africain ?
Ils n’existent tout simplement pas en Israël, où le discours public des écrivains et des universitaires ont sombré dans l’équivoque et la répétition de la propagande officielle, et où réellement la plupart des écrits de bonne qualité et la réflexion ont disparu même dans les instances universitaires.
Mais pour en revenir aux pratiques Israéliennes et la mentalité qui a saisi le pays avec autant d’inflexibilité pendant les dernières années, pensez au plan de Sharon. Il nécessite rien de moins que la destruction de la population entière à petit feu, des méthodes systématiques de suffocation, des meurtres purs et simples, et l’étouffement de la vie quotidienne.Il y a une remarquable histoire écrite par Kafka, dans la Colonie Pénitentiaire, au sujet d’un fonctionnaire devenu fou qui exhibait une fantastique machine de torture sofistiquée qui était capable d’écrire sur tout le corps de la victime, en utilisant un système complexe d’aiguilles pour graver des petites lettres sur tout le corps du prisonnier ce qui entrainait la mort après s’être vidé de son sang. C’est ce que Sharon et ses troupes de bourreaux consentants sont en train de faire aux Palestiniens, avec seulement la plus limitée et la plus symbolique opposition.
Chaque Palestinien est devenu un prisonnier.
Gaza est entourée par une clotûre grillagée et électrifiée des trois côtés, emprisonnés comme des animaux, les gazaouites sont incapables de voyager, incapables de travailler, incapables de vendre leurs légumes ou leurs fruits, incapables d’aller à l’école. Ils sont exposés aux avions et hélicopères Israéliens et se font tirer dessus comme des dindons par des tanks et des fusils automatiques.
Appauvrie et affamée, Gaza est un cauchemar humain. Chacun de ces évènements – comme ce qui est installé à Erez, ou près des colonies – implique des milliers de soldats dans l’humiliation, la punition, l’intolérable avilissement de chaque Palestinien, sans égard à l’âge, le sexe ou la maladie.
Le ravitaillement Médical est entravé à la frontière, les ambulances se font tirer dessus ou sont retenues. Des centaines de maisons sont démolies, et des centaines de milliers d’arbres et de terres agricoles détruits dans des actions systématiques de punition collective contre des civils, la plupart d’entre eux sont déjà des réfugiés de la destruction de leur Société par Israël en 1948.
L’Espoir a été éliminé du vocabulaire Palestinien, il ne reste seulement que le mépris brut, et Sharon et sa cour de sadiques babillent encore sur l’élimination du terrorisme par l’occupation toujours grandissante qui dure maintenant depuis 35 ans.
Que la campagne elle-même, telle que toutes les brutalités coloniales, futiles, ou ce qu’elle a comme effet de rendre les Palestiniens simplement plus méfiants, au lieu du contraire, n’entre pas en compte dans l’esprit de Sharon.
La Cisjordanie est occupée par 1000 tanks Israéliens dont le seul but est de tirer et terroriser les civils. Les couvre-feux sont imposés pendant des périodes de plus de deux semaines, sans répit. Les écoles et les Universités sont également fermées ou il est impossible d’y accéder.
Personne ne peut voyager, non seulement entre les neufs principales villes, mais à l’intérieur des villes. Chaque ville est aujourd’hui une terre désolée de batiments détruits, de bureaux pillés, les systèmes d’alimentation en eau et les réseaux électriques délibérément saccagés. Le commerce est terminé. La Malnutrition atteint 50 % des enfants.
Les deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté avec seulement 2 Dollars par jour. Les tanks à JENINE (où la démolition du camp de réfugié par les blindés Israéliens, crime de guerre majeur, n’a jamais fait l’objet d’une enquête parce que les lâches bureaucrates internationaux tels que Koffi Annan font marche arrière quand Israël menace) tirent et tuent des enfants, mais cela n’est qu’une goutte dans le torrent sans fin des morts civils Palestiniens causées par les soldats Israéliens qui entretiennent l’occupation militaire illégale Israélienne en faisant leur service de façon loyale et sans poser de questions.
Les Palestiniens sont tous « des suspects terroristes ».
L’esprit de cette occupation est que les jeunes conscrits israéliens ont plein pouvoir pour soumettre les Palestiniens aux check-points ce qui bien connu pour être une forme de torture privée et d’humiliation. Il y a l’attente sous le soleil pendant des heures, ensuite il y a la confiscation du ravitaillement en médicaments, il y a les insultes et les frappes administrées selon le bon vouloir ;
Le soudain déchainement des jeeps et des soldats contre les civils attendant leur tour par milliers aux innombrables check-points a rendu la vie palestinienne un enfer de suffocation ; faisant mettre à genoux des centaines de jeunes sous le soleil pendant des heures, forçant les hommes à enlever leurs vêtements, insultant et humiliant les parents devant leurs enfants, interdisant au malade de passer sans autre raison qu’une lubie personnelle, arrêtant les ambulances et leur tirant dessus. Et le nombre de morts Palestiniens (quatre fois plus que celui des Israéliens) augmente chaque jour.
Encore plus de « suspects terroristes » ainsi que leurs femmes et leurs enfants, mais « nous » regrettons beaucoup ces morts. Merci
Israël est souvent citée comme une Démocratie. Si cela est, alors il s’agit d’une démocratie sans conscience, un pays dont l’âme a été saisie par une manie de punition du faible, une démocratie qui reflète fidèlement la mentalité psychopathe de son dirigeant, le Général Sharon, dont la seule idée – si cela est le bon mot pour ça – est de tuer, réduire, mutiler, conduire loin les Palestiniens jusqu’à ce « qu’ils craquent ».
Il ne fournit rien de concret comme but de sa campagne, maintenant ou dans le passé, en dehors de cela, et, comme le loquace fonctionnaire dans l’histoire de Kafka, il est fier de sa machine à abuser des civils Palestiniens sans défense ; toujours soutenu monstrueusement dans son mensonge grotesque par sa cour de conseilles, de philosophes et de Généraux, tout comme par l’ensemble de ses fidèles serviteurs américains.
Il n’y a pas d’armée Palestinienne d’occupation, pas de tanks Palestiniens, pas de soldats, pas d’hélicoptères de combat, pas d’artillerie, pas de gouvernement. Mais il y a les « terroristes » et la violence qu’Israël a inventé.
Ainsi leurs propres névroses peuvent être inscrites sur les corps des Palestiniens, sans protestation effective de la majorité accablante des philosophes, des intellectuels, des artistes et des activistes de Paix en Israël. Les écoles palestiniennes, les librairies, les universités ont cessé de fonctionner normalement depuis des mois maintenant : et nous attendons encore les groupes de liberté d’expression de l’Occident et les bruyants défenseurs de la liberté universitaire aux Etats-Unis élever leurs voix en signe de protestation.
J’ai pourant vu une organisation Universitaire en Israël ou en Occident faire une déclaration au sujet de cette importante suppression du droit des palestiniens à la culture, à apprendre, à fréquenter les écoles.
En somme, les Palestiniens doivent mourrir de mort lente ainsi Israël pourra avoir la Sécurité,
Cela est juste au coin de la rue mais ne peut être réalisé en raison de l’insécurité particulière en Israël. Le monde entier doit compatir, pendant que les orphelins Palestiniens pleurent, les vieilles femmes malades, les communautés endeuillées, et les prisonniers torturés, simplement ne rien entendre et ne rien enregistrer.
Sans doute, on nous racontera que ces horreurs servent un but plus important que la seule cruauté sadique. Après tout, « les deux côtés » sont engagés dans un « cycle de violence » qui doit être arrêté dans quelque temps, quelque part.
Une fois de temps en temps, nous devrions faire une pause et déclarer de façon indigné qu’il n’y a qu’un seul côté avec une armée et un pays : l’autre est une population de personnes dépossédées, sans Etat, sans Droits et sans possibilité d’être protégés.
Le langage de la souffrance et la vie quotidienne concrète ont été ou détournés, ou tellement pervertis, à mon avis, dans le but de plus de meurtres et de tortures minutieuses – lentement, soigneusement, inexorablement.. C’est la réalité dans laquelle vivent et souffrent les Palestiniens. Mais de toute façon, la politique Israélienne en fin de compte échouera.
Source : www.counterpunch.org
Traduction : MG
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