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USA-Israel - 12 juillet 2015
Par Heike Schotten
Heike Schotten est professeur agrégé en science politique à l'Université du Massachussets à Boston. Elle est membre de l'USACBI (US Campaign for the Academic & Cultural Boycott of Israel) et participe activement au mouvement de solidarité pour la Palestine depuis 2006.
Bien avant l'émergence de la "guerre contre le terrorisme" des Etats-Unis, Edward Said écrivait : "En tant que mot et concept, 'terrorisme' a acquis un statut extraordinaire dans le discours américain officiel." Said observait entre autres les façons dont le "terrorisme" avait servi à détourner l'attention des mauvais coups de l'Amérique et à diaboliser un ennemi racialisé regroupé sous les termes de "Arabes et des Musulmans" qui "ont le terrorisme dans les gènes."
Août 2014, à Gaza, un vieil homme embrasse le bras d'un résistant
des Brigades al-Qassam
Tout ceci n'est malheureusement pas nouveau. En 1988, les hommes politiques et les experts américains liaient officiellement le terme "terrorisme" au communisme ; aujourd'hui, il est de façon indélébile lié à l'Islam et au "fondamentalisme" islamique. Son utilisation pour nommer des gens et des actions opposés à l'impérialisme US reste donc inchangée.
Le terrorisme a pris un sens nouveau aux Etats-Unis au lendemain du meurtre, par Dylan Roof, de neuf fidèles afro-américains occupés à étudier la Bible à Charleston, en Caroline du Sud. Beaucoup aux Etats-Unis ont argumenté que l'acte de Roof devait être classé comme attaque terroriste.
Après tout, Roof a fait ce qu'il a fait, selon ses propres termes, pour déclencher une "guerre raciale". Il est l'auteur d'un manifeste raciste et a prétendu que sa tuerie était une mesure préventive pour empêcher la population noire de s'emparer de l'Amérique. Selon un témoignage, il a fait exprès de laisser une personne en vie pour qu'elle puisse rapporter aux autres ce qui s'était passé, en guise d'avertissement.
Selon le FBI, le "terrorisme intérieur" inclut toute activité illégale survenant à l'intérieur du territoire des Etats-Unis qui met en danger la vie humaine et est destiné "à intimider ou à contraindre une population civile" ou le gouvernement. Il semble donc que la définition corresponde.
Toutefois, la question de savoir qui ou quoi est "terroriste" n'a jamais été une simple question expérimentale aux Etats-Unis. Elle a toujours été profondément idéologique et politique, inextricablement influencée par les hommes politiques et les intérêts israéliens.
La vision extrêmement étroite et idéologique du terrorisme comme violence politique perpétrée par des Arabes et des musulmans, si largement partagée qu'elle ne fait plus l'objet d'un commentaire ou d'une controverse, n'a pas commencé avec le 11 septembre, même si son incarnation la plus récemment célèbre fut les condamnations embarrassantes et souvent grammaticalement approximatives de Georges Bush de ce qu'il appelait autrefois l'"islamo-fascisme".
La notion faussée de "islamo-fascisme" selon Bush est en fait un marqueur dans l'histoire du terrorisme et du discours sur le terrorisme aux Etats-Unis, qui s'enracine dans les condamnations post-Seconde Guerre mondiale du totalitarisme et, plus tard, de l'Union soviétique, les deux étant considérés comme des menaces monstrueuses à la "civilisation" et la démocratie occidentale moderne. Amalgamant les nazis avec Staline, le "totalitarisme" est devenu un slogan commode pour nommer tout ce qui s'oppose à la noblesse et à la justesse de l'"American way". Plus tard, comme Reagan l'a rendu célèbre, l'"Empire du Mal" d'Union soviétique était l'ennemi à vaincre.
L'éclatement du bloc soviétique et la chute du mur de Berlin ont cependant laissé les Etats-Unis sans ennemi maléfique à vaincre. C'est alors que le "terrorisme" a réellement pris forme. Grâce en grande partie à une agitation continue des éminences grises - Benjamin Netanyahu en particulier, dont les nombreux livres sur le sujet, la fabrication constante et de longue date et la poursuite de la terreur musulmane que Saïd qualifie d'"obsessionnelle" - un nouvel ennemi international a été forgé : le terroriste musulman.
Concomitant avec l'émergence du détournement d'avion comme tactique politique pour attirer l'attention sur la lutte palestinienne de libération, les Etats-Unis et Israël ont trouvé un levier idéologique permettant de construire leur alliance comme civilisation attaquée : la sauvagerie arriérée du terrorisme musulman.
Il n'est peut-être pas surprenant qu'alors, la figure du terroriste ne soit pas seulement et irrémédiablement arabe et musulmane dans le discours américain, mais aussi palestinienne, tout comme le pirate ou le kamikaze palestinien est la figure du terrorisme par excellence dans l'imaginaire israélien. Le caractère spécifiquement palestinien du "terrorisme musulman" révèle l'influence israélienne sur la politique des Etats-Unis et est l'indicateur du projet impérialiste partagé par les deux pays.
Ce contexte contribue à expliquer pourquoi Dylan Roof n'est pas un terroriste, mais la résistance palestinienne l'est, indépendamment des définitions ou des discours officiels.
Par exemple, avant même qu'il ait connaissance de tous les détails de l'affaire, le directeur du FBI James Comey a déclaré que les actions de Roof n'étaient pas du terrorisme parce que ce n'était pas un "acte politique".
En revanche, nous savons que le simple fait d'être Palestinien est "un acte politique" et que, par exemple, les Palestiniens de Gaza sont toujours-déjà coupables, toujours-déja terroristes, peu importe ce qu'ils font ou ne font pas ou où ils vont ou ne vont pas, ce qui explique pourquoi ils méritent des actions intermittentes et gratuites de massacre et de destruction, ainsi que le siège brutal en cours.
Bien sûr les Palestiniens sont par définition "politiques" dans la mesure où ils refusent de mourir, de partir ou simplement de disparaître entièrement de la terre. Leur existence même fait d'eux des terroristes par leur fermeté, ou sumud, elle contrecarre le programme israélien de prise de contrôle totale de tout ce qui se trouve entre le Jourdain et la Méditerranée.
Plutôt qu'une catégorie empirique de la violence politique qui peut être délimitée, le "terrorisme" dans l'acception US et israélienne doit être compris comme le nom de la violence perpétrée par ceux qui sont plus correctement considérés comme ses objets.
La violence politique commise contre les ennemis de l'Amérique et d'Israël n'est pas du terrorisme mais de l'auto-défense. La violence politique commise par les ennemis de l'Amérique et d'Israël, d'un autre côté, est du terrorisme (dans le cas des Afro-américains, c'est du banditisme - et le fait de placer le "voyou" à côté du "terroriste" met en évidence le contrôle racialisé de la population qui est le but réel du système de justice pénale des Etats-Unis.
C'est la raison pour laquelle Comey ne peut pas considérer Roof comme un terroriste, et pourquoi il ne peut y avoir aucune forme légitime de résistance palestinienne. Selon les diktats moralistes du discours impérialiste US-israélien, les Afro-américains et les Palestiniens sont des voyous et des terroristes, sauvages et violents par nature, contre lesquels la violence est toujours justifiable, sinon vitale, pour la survie de la "civilisation".
Parce que les vies des Noirs, en fait, importent peu, les attaques contre eux ne constituent pas du terrorisme, mais plutôt une pratique ancienne et la politique officielle des Etats-Unis. Pendant ce temps, parce que la détermination des Palestiniens constitue, en effet, une menace pour l'expansion et la colonisation israéliennes, il est évident que leur existence sera inévitablement comprise comme du terrorisme.
Alors soyons clairs : "terrorisme" est un mot-clé de l'empire qui circonscrit les ennemis islamisés de la politique impérialiste US-israélienne, qu'ils soient étrangers ou nationaux, tout comme "voyou" circonscrit les ennemis noirs racialisés de l'ordre intérieur des Etats-Unis.
Continuons à être clairs en ce qui concerne les enjeux attachés au fait d'être Palestinien et d'être solidaires avec la Palestine : cela signifie être un ennemi de l'ordre civilisationnel selon lequel la population noire n'a aucune valeur et les Palestiniens sont des obstacles, de la vermine et l'incarnation de la violence irresponsable.
Nous ne devons par conséquent ni adopter l'étiquette de terroriste pour des gens comme Roof, ni la craindre lorsqu'elle nous est appliquée, à nous-mêmes ou à nos alliés. "Terrorisme" est le nom des gens qui s'opposent aux diktats de l'ordre mondial US/israélien. En ce jour anniversaire de l'attaque génocidaire d'Israël contre Gaza, il y a un an, n'ayons pas peur de dire clairement que c'est exactement ce que nous sommes.
Source : Maan News
Traduction : MR pour ISM
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