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Bethléem - 30 décembre 2011
Par Sarah Morand
Sara Morand est une activiste d'ISM ; son nom a été changé.
A première vue, Al Jab'a apparaît comme un village palestinien idyllique, et quand vous êtes assis dans un joli jardin sous de magnifiques oliviers, c'est comme une escapade parfaite à la campagne : des maisons blanches, des gens amicaux, une belle nature et une vue splendide... jusqu'à ce que vous jetiez un coup d’œil à 500m de la limite du village.
Al Jab'a, au sud-ouest de Bethléem, est encerclé par des colonies illégales (le bloc de Gush Etzion, les colonies Neveh Geva’ot, Bat Ayin et Kfar Etzion), un camp militaire, un barrage routier, le mur en construction ainsi qu'un checkpoint permanent qui bloque l'accès aux terres de Jab'a et au village voisin, Surif. Avec seulement un millier d'habitants, Jab'a n'a ni hôpital, ni marché, ni collège, et à cause des restrictions de circulation imposées par l'occupation israélienne, chacun doit faire deux ou trois kilomètres à pied pour faire les courses, aller à l'école, au travail, ou se faire soigner. Et quelquefois, même ça, c'est impossible.
Al Jab'a (photo Palestineremembered)
"Quand ma femme enceinte a été sur le point d'accoucher, ils ne nous ont pas laissés traverser le checkpoint. Ils nous ont obligés à rebrousser chemin et ma femme a accouché à la maison," dit Naser, habitant du village.
Tandis que Naser guide les activistes d'ISM à travers le village, le barrage routier obstruant la libre circulation du village est bien visible. Une femme nous explique que parce son mari est malade et qu'elle ne veut pas laisser les enfants seuls, elle les emmène à pied tous les quatre jours pour faire les courses et acheter le lait pour son bébé.
La restriction de mouvement doit aussi être vue dans le contexte du harcèlement israélien quotidien, qui vise à rendre la vie des gens tellement insupportable qu'ils quittent le village. De nombreuses maisons sont sous le coup d'ordres de démolition, de même les arbres, les plantes, les clôtures, les murets, les boites aux lettres en sont pleines. La grande pancarte qui accueille les visiteurs à l'entrée du village en a un, ainsi que les deux petites plantes qui poussent à côté d'elle.
"Ils disent que c'est pour la sécurité, mais je ne vois pas ce qu'une pancarte a à voir avec la sécurité. C'est comme s'ils voulaient montrer au monde que nous ne sommes pas civilisés," dit Naser.
Un petit muret sur le côté d'une maison va être détruit, l'ordre de démolition dit que si le propriétaire ne le détruit pas, ils enverront un bulldozer et il devra payer la facture de la démolition de son propre bien.
Pourquoi tant de pression sur un si petit village ?
Situé en plein milieu de colonies illégales, Al Jab'a a une importance stratégique. Sans Al Jab'a, toutes les colonies environnantes pourraient être reliées en une seule grosse colonie, ce qui signifierait une prise de contrôle totale et une future expansion sur la terre palestinienne.
Comme dans tous les autres cas où les Palestiniens doivent traiter avec la bureaucratie israélienne, c'est un processus long et épuisant lorsqu'on leur demande de fournir les documents qui prouvent qu'ils sont propriétaires de la terre et des maisons. La Palestine ayant été sous régime ottoman puis sous mandat britannique, des méthodes différentes ont régi la conservation des dossiers dans la courte histoire du transfert de la Palestine d'un occupant à l'autre. Les seuls documents reconnus par Israël sont ceux qu'ils ont inventé quand l'Etat sioniste a été créé, et ils refusent maintenant de les donner.
"Les gens sont là depuis si longtemps qu'ils savent simplement que là, c'était la terre de mon grand-père, qui l'avait héritée de son grand-père, et ainsi de suite. Nous le savons parce qu'elle a été transmise de génération en génération, et que nous avons grandi ici. C'est comme ça que nous le savons," dit un villageois qui a souhaité garder l'anonymat.
La restauration de la route principale du village est à moitié terminée. Les villageois nous explique que la route est elle aussi sous le coup d'un ordre de démolition, ce qui les a obligés à interrompre les travaux.
"Les soldats devraient être contents que nous voulions rendre la route plus praticable, puisqu'ils viennent régulièrement dans le village et s'en servent plus souvent que nous," ironise Naser. "Ils arrivent en pleine nuit et font sortir tous les hommes dans la rue, quelquefois pendant toute la nuit, quelquefois ils nous emmènent à la mosquée. Chaque fois qu'ils viennent, ils cherchent à nous humilier d'une manière ou d'une autre."
Un résident du village a à lui seul 7 ordres de démolition pour diverses structures, dont le pylône de télécommunications pour Jawal (la compagnie palestinienne de télécommunications) qui est construite sur sa terre. Sans elle, les communications seraient plus difficiles et le village perdrait 2 ou 3 emplois. Dans un village où il est dur de trouver du travail, 2 ou 3 emplois sont très importants et leur perte toucherait de nombreux villageois, dont nombre d'entre eux ont été obligés de déménager pour trouver du travail ailleurs.
Naser décrit les difficultés de ses voisins :
"Tout ce que nous construisons est détruit par l'armée, ou ils nous envoient un ordre de démolition. Les gens ne peuvent rien prévoir puisqu'ils n'ont pas le pouvoir de décider quoique ce soit pour notre village et notre vie ici. Nous avons un proverbe arabe qui dit, 'si le juge est ton ennemi, auprès de qui vas-tu porter plainte ?'. Les gens pensent que quoiqu'ils fassent, ils nous mettront en prison, démoliront nos maisons, déracineront nos arbres ou tueront nos enfants."
Un fermier montre les souches de ce qui étaient ses oliviers. "Les soldats ont coupé mes oliviers alors même que je leur avais montré le document qui prouve que ma famille est propriétaire de cette terre. Ils ont coupé mes arbres et les ont enterrés derrière ma maison. Les voir couper mes arbres était comme voir mon fils tué. Mon père m'a légué cette terre, elle est passée de génération en génération."
Les oliviers sont une partie essentielle de l'identité palestinienne. Dans un village, par exemple, on a offert de l'argent aux villageois pour la terre et les oliviers, entre 100 et 200 NIS (entre 20 et 40 €) pour un arbre, mais, comme l'explique Naser, "ce n'est pas une question d'argent. L'argent n'est pas ma carte d'identité et l'argent ne représente pas qui je suis. Mais le lien à mes arbres et à ma terre, oui. Quand les gens veulent savoir qui je suis, ils ne demandent pas, 'Où est son argent ?', mais 'Où est située sa terre ?'".
La tour de guet israélienne qui surveille le village
Une grande partie de la terre qui appartient au village est devenue inaccessible à cause des colonies et de la construction du mur, et ce qui était jadis le verger du village est maintenant une terre vide. Il y a un an, des activistes sont venus aider à planter une centaine d'arbres pour protéger les terres palestiniennes contre les colons. Cependant, si la construction du mur continue selon le tracé prévu, les propriétaires de la terre devront faire un grand détour pour contourner le mur, en traversant des villes et villages voisins pour y accéder. Il est difficile d'imaginer qu'un trajet qui prend normalement 10 minutes depuis le village sera remplacé par un trajet en autobus de 2 heures. Et en plus, la totalité de la zone de 400m qui borde le mur deviendra une "zone de sécurité", donc une zone interdite aux Palestiniens.
"Quand le mur sera terminé, il y aura certainement une barrière, ouverte à certaines heures du jour, et nous aurons besoin d'un permis pour entrer et sortir," dit Naser.
Au total, le village a déjà perdu 4200 dunums (420ha) sur 6000 (600ha). Quand le mur sera terminé, il ne restera aux habitants de Al Jab'a que 200 dunums (20ha) pour vivre.
Outre le harcèlement quotidien des soldats, il y a la violence des colons. Nabil Ibrahim Abdel Hamden marchait avec ses chèvres lorsque des colons armés sont arrivés et lui ont tiré dessus après avoir déclaré que la terre était à eux. Quand des cousins sont venus de Al Jab'a pour chercher son corps, des soldats ont arrêté 12 d'entre eux, avec pour explication qu'ils ne voulaient pas qu'ils se vengent sur la colonie. Des enfants ont été tabassés soit par les soldats soit par les colons à plusieurs occasions. Beaucoup de jeunes du village souffrent du stress provoqué par le harcèlement constant et les incertitudes de la vie dans le village.
"Vous savez, quand les enfants sont petits, ils pensent que leurs parents peuvent les protéger de tout. Comment leur expliquer que vous ne pouvez pas les protéger des soldats parce que ce sont eux qui ont le pouvoir ?" interroge Naser.
Alors, de quoi l'avenir est-il fait ?
Interrogée sur l'avenir du village, une femme répond. "Il sera dur mais je ne quitterai jamais la Palestine, c'est ma terre. C'est mon pays. Même s'il ne nous reste que nos mains, nous sommes déterminés à rester."
Et Naser affirme :
"Occupation veut dire une terre pour un peuple, sans aucune place pour les Palestiniens. Ce qui se passe ici, c'est une manière de nous rendre la vie insupportable, ils veulent que nous abandonnions et que nous partions pour prendre tout ce qui reste de notre terre. Partout dans le monde, les gens parlent du nouvel ordre mondial, de paix et de droits de l'homme pour tous, mais comme vous pouvez le voir, ici en Palestine, ils savent ce qui se passe mais ils s'en fichent."
Depuis le checkpoint principal, on voit clairement la frontière avec Israël et le drapeau israélien, mais pour les écoliers palestiniens du village, lever leur drapeau dans la cour de l'école est interdit. Tout signe d'existence des Palestiniens est réduit, effacé ou démoli.
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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