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Jérusalem - 4 mars 2004
Par Annalee
Je me suis demandée combien on en avait semé aujourd’hui, de graines de la Paix, et si elles allaient trouver un sol fertile pour pousser.
En toute honnêteté, je pense que si la bonne volonté peut se partager entre deux peuples, le "Bethoor Al Salaam" a été emporté par le vent, la Graine de Paix aura besoin de nous tous pour les réunir de nouveau (les peuples) et de faire pression sur nos gouvernements pour relancer le processus d’ensemencement.
Ce qui fera tomber tous les Murs et fera revenir les oliviers.
Carte de Beit Surik avec le tracé du Mur prévu et celui de la ligne de chemin de fer
Vendredi 20 février
Trois jours avant la première audience de la Cour Internationale de Justice sur la légalité de l’infâme Mur d’Apartehid, je suis allée à Beit Surik, un village palestinien d’environ 3500 habitants au nord-ouest de Jérusalem.
J’accompagnais un groupe d’internationaux, dont la plupart étaient des voyageurs venus soutenir les villageois de Beit Surik, Biddu, Beit Ijsa, Al Qubbaiba, Qatanna et Beit Duqqu dans une marche contre le tracé de ce qu’on appelle le Mur d’Apartheid.
Avec trois véhicules, nous sommes arrivés à une route fermée qui nous aurait conduits directement à Beit Duqqu. Cette interruption de notre trajet est typique de ce qui se passe dans les territoires palestiniens.
Nous avons eu un avant goût de ce que les Palestiniens vivent chaque jour. Au barrage, nous sommes sortis du véhicule, nous sommes passés de l’autre côté de la clôture et avons grimpé dans d’autres véhicules de service, appelés « véhicules partagés ».
Quand nous sommes arrivés à Beit Surik School, environ un quart d’heure avant l’heure prévue pour la marche, plusieurs grandes banderoles nous ont accueillis avec des messages comme "Oliviers = Paix. Ne déracinez pas nos Oliviers".
La plupart des hommes du village étaient encore en réunion à la mosquée. Pendant que nous les attendions, beaucoup d’internationaux ont pris des photos, et ceux qui avaient des appareils digitaux ont rapidement été entourés par des jeunes garçons qui voulaient voir leur image. D’autres garçons ont traversé la foule qui s’accroissait et expérimentèrent leur anglais en répétant : "Comment tu t’appelles ?". Ils devenaient plus confiants à chaque fois. Les adolescents les plus calés ont sauté sur l’occasion pour pratiquer leur art de la conversation.
Des villageois ont sorti des cartes et des feuilles d’information écrites en Arabe et en Hébreu. Abed, professeur et fermier, m’a dit que deux mois plus tôt, le village s’était réveillé pour trouver des copies de ces cartes que le vent poussait dans la rue.
Bien que la plupart des villages palestiniens aient leur structure interne d’administration - c’est typique du mode de communication de l’armée israélienne avec la plupart des villages palestiniens. Comme me l’ont expliqué quelques hommes un peu plus tard, c’est un exemple de plus de leur total mépris envers la société palestinienne.
Sur la carte d’Abed, le tracé du Mur est très net. Il encercle le village et le coupera de toutes les sources d’approvisionnement en eau.
Les cinq sources principales d’où le village tire son eau se trouveront de l’autre côté du Mur. Les sources ont été surlignées en jaune.
Sur la carte, on voit aussi les anciens lieux historiques romains et islamiques auxquels le village n’aura plus accès.Ils sont mis en valeur par des carrés..
Des triangles indiquent les endroits destinés aux ordures. Ces endroits encore se retrouveront de l’autre côté du Mur.
"Et où enterrerons-nous nos morts ?" demande-t-il.
La surface totale du village est de 13000 dunums. Un dunum = 1 000 mètres carré
Avec le Mur, il ne restera plus aux villageois de Beit Surik que 1400 dunums - l’espace sur lequel vive la majorité des gens. C’est en conformité avec la stratégie israélienne mise en œuvre en Cisjordanie et à Gaza pour créer des zones surpeuplées, ou des ghettos.
Le plan israélien pour le village comprend la confiscation de 1000 dunums destinés à la construction d’ une voie ferrée de de 100 à 120 km le long de la frontière. 300 dunums d’oliviers, de figuiers, et d’arbres fruitiers ont déjà été déracinés.
Comme la plupart des villageois sont des fermiers, les séparer de la terre dont ils dépendent pour leur alimentation est criminel. Un millier et demi de dunums de la terre d’Abed ont été confisqués par l’armée pour construire le Mur.
C’est une violation directe du traité international (Charte des Nations Unies, art.2.4) Le village a contesté l’ordre de construction devant le Tribunal et la construction est temporairement interrompue.
Les villageois de Beit Surik disent de la situation actuelle que c’est "la troisième catastrophe".
• La première a eu lieu en 1948 quand dans toute la Palestine, les Arabes ont été obligés, par la force, de quitter leurs maisons et leurs terres afin de faire de la place pour les arrivants sionistes. Beaucoup de Palestiniens se cramponnent encore à l’idée qu’ils pourront un jour retrouver leur résidence historique. Selon Abed, beaucoup de villageois de Beit Surik y sont revenus après avoir été déplacés.
• La seconde catastrophe a eu lieu en 1967 quand la moitié de la population a été envoyée en en Jordanie. Trois des oncles d’Abed sont encore là-bas.
Il est inquiet à l’idée que la troisième catastrophe ne culmine par un nouveau transfert forcé de Palestiniens.
Abel m’explique avec passion qu’ils veulent arrêter la construction du Mur, arrêter l’Occupation, arrêter la confiscation des terres et l’emprisonnement des gens. Laisser la terre aux fermiers et à ceux qui, dans le village, travaillent en Israël.
"Quand nous aurons le Mur, nous ne pourrons plus sortir. Tel que c’est maintenant, là où on ne mettait qu’un quart d’heure pour aller à Ramallah, on met deux heures à cause des barrages.
Les gens crèvent. Ce n’est pas un mur pour la sécurité.
Les Palestiniens n’ont ni armes, ni tanks. Il n’y a pas non plus d’Autorité palestinienne.
Et comment y en aurait-il une quand notre président est à Ramallah et ne peut aller nulle part ailleurs."
Abed en a gros sur le cœur. Il m’a aussi montré des documents. L’un s’intitule "Appel pour assistance à propos du prochain Mur de Séparation qui encercle le village de Beit Surik", un autre, un communiqué de presse et un troisième "Appel au Secrétaire Général des Nations Unies".
A ce moment là, il m’a regardé droit dans les yeux et m’ a demandé : "Dis-moi, si nous envoyons cette lettre aux Etats-Unis ou aux Nations Unies, sera-t-elle lue, en tiendront-ils compte ?"
Pour la seconde fois aujourd’hui, j'ai été bouleversée. Je lui ai dit qu’honnêtement je n’en savais rien. J’ai essayé de me souvenir d’un exemple qui aurait pu lui donner un espoir.
"Que puis-je faire ?" me suis-je demandée. Finalement j’ai décidé que je pouvais faire connaître aux gens de chez moi, y compris à mon député (membre du Congrès) ce qui se passe ici.
"Tu es notre espoir. Tu es notre voix pour la Liberté. Le peuple libre d’Amérique est notre ami, mais le gouvernement américain sûrement pas. En cent ans, ce conflit aurait pu être résolu. Si chacun veut vivre mieux dans le monde, nous devons résoudre ce problème. Dites à Israël de respecter les Lois".
Maintenant, des milliers d’hommes commencent à sortir de la mosquée et envahissent l’endroit. Au moment où on a annoncé le début de la marche, je me suis retournée vers un homme à côté de moi que j’avais repéré à cause de son sourire amical, de ses vêtements corrects et professionnels quoique décontractés. Il paraissait 35 ans.
Je lui ai demandé s’il était allé à la mosquée et si oui, de quoi on y avait parlé.
Dans un anglais maladroit, il m’a dit que le Conseil du village avait expliqué en détail le plan du Mur. Il m’a dit aussi que l’Imam, l’ecclésiastique musulman local, avait encouragé le village à résister.
Je lui ai demandé ce que ça voulait dire exactement.
L’homme m’a dit qu’il était professeur à Abu Dis. Il ne pouvait plus aller à son école. Sa plus grande inquiétude, c’était pourtant les dégâts à la terre. "Nous vivons sur et de la terre – nous dépendons des fruits et des légumes de la terre".
Son grand-père lui avait donné sa terre et il envisageait de la donner à ses enfants : "Je refuse que quelqu’un essaie de m’enlever ma terre".
Comme nous allions partir, j’ai entendu un sheik local expliquer à un étranger : "Dans le monde, les murs sont faits pour les animaux, et non pour les peuples. Si nous ne voulons pas être des animaux, nous devons refuser le Mur. Nous sommes sur une terre islamiste, dit-il, nous devons combattre pour notre terre. En tant que Musulmans, c’est notre devoir".
Il a décrit comment il voyait ce que le gouvernement avait imaginé pour prendre la terre arabe et y construire encore plus de colonies pour les Juifs, et développer le programme Sioniste. "Tous les Musulmans feront ce qu’ils peuvent pour préserver cette terre et y survivre " a-t-il dit pour finir.
J’ai parcouru l’assemblée et j’ai vu des panneaux sur lesquels on pouvait lire "Le Mur est un crime de Guerre", et "Nous voulons la paix".
En face des porteurs de panneaux, il y avait 12 femmes d’une quarantaine d’ années et 4 jeunes filles dont le visage montrait la peur. Elles étaient toutes vêtues de robes traditionnelles palestiniennes, ornée de broderies au point de croix et aux couleurs vives ; elles avaient la tête couverte d’un foulard.
Pendant que les gens parlaient amicalement, je me disais que ces villageois étaient en train de faire aujourd’hui un sacré travail.
Comme nous marchions dans la rue, j’ai évité plusieurs flaques. Au dessus de nous, des nuages d’orage s’étaient amoncelés et des groupes de 10 ou 12 personnes, principalement des femmes, s’étaient rassemblées sur tous les toits pour nous voir passer.
Je me suis souvenue de mon enfance quand le 4 juillet, on célébrait le Jour de l’Indépendance aux Etats-Unis. Nous nous réunissions avec mes parents et mes grands-parents sur le toit de leur appartement et regardions les magnifiques feux d’artifice tirés du Capitol des Etats-Unis. Quel contraste avec ce que les enfants d’aujourd’hui voient depuis les toits.
Nous avons dépassé les arbres verdoyants ; les colonies aux toits rouges, et une énorme tour neuf fois plus haute que l’immeuble le plus haut. Une tour d’observation. Une ambulance et un camion de la télé Al Jazeera nous ont dépassés.
Nous avons marché en silence pendant quelques minutes, puis j’ai entendu les chants des hommes. Un conseiller municipal venu de Jérusalem-Est marchait près de moi. Je lui ai demandé ce que les hommes disaient.
"Nous sommes en marche, nous combattons, nous combattrons pour Jérusalem". Il me répéta que les gens de cette région sont déterminés à se battre coûte que coûte.. Il était venu se joindre à la marche par solidarité avec ses voisins.
Il me dit qu’il pensait que les Américains portaient sur les épaules une énorme responsabilité. "Pourquoi ?" ai-je demandé.
Il déclina ses raisons :
• L’Amérique est une super puissance
• L’Amérique a une économie développée
• L’Amérique a une responsabilité morale alors "qu’elle est face à l’Histoire en ce moment. Face au monde, elle ne doit pas imposer ses valeurs, mais les développer avec la communauté internationale. Les peuples du monde entier peuvent échanger leurs cultures, leurs traditions, mais imposer la culture américaine menacerait tout et provoquerait un affrontement entre les cultures".`
Il a continué en me parlant de l’école américaine qui est à côté de chez lui. Des soldats patrouillent dans la région pour empêcher les gens de Jérusalem-Est d’aller à Jérusalem-Ouest. "Si le Mur arrive, il n’y aura plus d’école".
Il m’a dit qu’il n’y avait pas encore eu de résistance de la part des Américains. "Avec la situation qui empire, les enfants sont menacés de ne plus pouvoir aller à l’école. Les Palestiniens sont terriblement en colère et nous avons besoin de faire quelque chose. Peut-être que le mouvement de paix palestinien et les Internationaux peuvent faire un pont pour construire la paix entre nous".
Pendant que j’observais le paysage, un militant israélien avec un bonnet en laine couleur taupe et fumant une cigarette se tenait à proximité. Il fait partie d’un groupe qui se prononce contre le régime militaire. Il était inquiet de cette barrière à l’intérieur de la société qui l’empêche de faire entendre sa voix : "Les gens ne veulent pas imaginer les conséquences de leurs actions".
Il m’a dit que le but de son organisation était de construire des ponts avec le voisin palestinien. Ils ne soutiennent pas le Mur et nombre de leurs membres ont refusé de faire leur service militaire en Palestine. "Nous avons la capacité et la forte détermination de nous asseoir ensemble. Le Mur n’est là que pour créer d’avantage de problèmes. Nous voulons vivre en paix".
Sa solution au conflit, c’est de voir un jeune Israélien et une jeune femme palestinienne partager le gouvernement des deux pays. Il voudrait les implorer d’oublier le passé et d’aller de l’avant. Il espère aussi que la Cour Internationale écoutera la Palestine.
Un palestinien qui écoutait la conversation a pris ensuite la parole et a dit que dans l’actuel (gouvernement d’Israël), il n’y a aucune programme de Paix.
"Les Israéliens ne veulent pas aller à la Haye parce qu’ils n’ont rien à dire. Leur programme, c’est de trouver comment transférer les Palestiniens C’est un fait. Nous acceptons d’adhérer à la Résolution des Nations Unies.
Une terre pour la paix, pas une paix pour une terre. Notre espoir, c’est deux terres/deux peuples..
Nous rencontrons beaucoup d’obstacles mais nous ne voulons pas combattre le peuple israélien, seulement le gouvernement Sharon.
Regardez ces gens (Israéliens). Ils viennent en solidarité. Nous voulons féliciter ces combattants de la paix. Que jamais un Mur ne soit un droit humain. Merci mon ami".
Plus loin en haut de la colline, j’ai écouté les discours. Certains intervenants ont parlé de la politique simple du transfert, d’autres ont exprimé leur opposition au Mur. A un moment, trente femmes ont commencé à chanter "Le Mur est un crime de guerre. C’est un crime de Guerre".
Au bout de trois quart d’heure, nous avons redescendu la colline.
Comme je m’arrêtais pour attendre le reste du groupe, le soleil est apparu. Un adolescent, avec un grand sourire et l’œil brillant, s’est approché de moi.
"Bush est un chien, Sharon est un âne" dit-il. "Je hais Sharon. J’adore Arafat". Maintenant plusieurs garçons m’encerclaient. L’un d’eux, à côté de celui qui avait parlé le premier, dit : "Stupide, il est stupide".
Au bout de quelques minutes de conversations parsemées d’insultes, l’un des garçons m’a demandé : "Tu retournes en Amérique, maintenant ?"
"Non" ai-je dit. Avec des regards perplexes, les gamins railleurs ont réclamé des explications.
"Je vis à Bethléem". Dans un murmure embarrassé, le premier garçon a dit : "Désolé".
Sur le chemin du retour au centre communautaire où les conversations allaient continuer un homme dans les vingt ans est venu entre moi et ses amis. Il m’a demandé d’où j’étais. "Je parle un peu" a-t-il dit de son anglais.
Comme nous dépassions les oliviers parmi les champs verts parsemés de fleurs pourpres et jaunes, des épaves de voitures rouillées, des tapis enroulés, et des cordes à linge avec des jeans d’enfant pendant sur les toits, j’appris qu’il était, qu’il était étudiant de sociologie à l’université de Birzeit.
Je lui ai demandé quel travail il pourrait faire, pas simplement avec son diplôme général, mais parce qu’il est extrêmement difficile de trouver quelque chose. Il m’a répondu que pour l’instant il voulait seulement étudier.
Quand nous nous sommes séparés, il a demandé : "Connais-tu Bethoor Al Salaam" - "Non" ai-je répondu. "Cela signifie Graine de paix".
Je me suis demandée combien on en avait semé aujourd’hui, de graines de la Paix, et si elles allaient trouver un sol fertile pour pousser.
En toute honnêteté, je pense que si la bonne volonté peut se partager entre deux peuples, le "Bethoor Al Salaam" a été emporté par le vent, la Graine de Paix aura besoin de nous tous pour les réunir de nouveau (les peuples) et de faire pression sur nos gouvernements pour relancer le processus d’ensemencement.
Ce qui fera tomber tous les Murs et fera revenir les oliviers.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS pour ISM France
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