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Cisjordanie occupée - 7 juin 2017
Par Abdul-Hakim Salah
Abdul-Hakim Salah est le directeur du bureau en langue anglaise de l’Agence de Presse Ma’an.
« Dieu bénisse le bon vieux temps, lorsque nous avions tous de la nourriture saine et en abondance que nous produisions nous-mêmes, sans avoir besoin d’argent, » dit en soupirant Khadijah Balboul, 84 ans, ou Umm al-Abed comme elle aime se nommer.
Septembre, la saison de la récolte des goyaves à Habla, Qalqilia, Cisjordanie occupée (photo Saib Shoaib)
Ce sont mes nombreuses récriminations sur le coût élevé de la vie et sur le paiement irrégulier de mon salaire qui ont suscité les vieux souvenirs de ma mère lorsque je suis allé la voir dans son village de Al-Khader, dans le district de Bethléem, au sud de la Cisjordanie , pour boire un thé avec elle et sa voisine Rabiha Issa, ou Umm Ali, âgée de 78 ans.
Je n’attendais pas que les deux femmes, qui n’ont pas reçu une éducation formelle, définissent la sécurité ou la stabilité alimentaire, mais involontairement, le sujet a touché la corde sensible.
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture identifie la sécurité alimentaire ainsi : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».
Selon une étude menée en 2014 par l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), les ménages palestiniens dépensent environ 38,6 pour cent de leur revenu mensuel pour la nourriture et les boissons, un pourcentage important étant donné que la même étude estime que le revenu moyen se situe entre 1.500 et 3.500 shekels (entre 375 et 870 €).
Umm al-Abed et Umm Ali ont parlé de leur vie il y a plusieurs décennies, à une époque, elles en sont certaines, l’écrasante majorité des Palestiniens étaient mieux lotis en terme d’accès à une alimentation saine, en particulier dans les zones rurales.
Ma mère se souvenait que chaque famille, à la campagne, possédait des terres agricoles sur lesquelles elle investissait soigneusement le temps et l’énergie nécessaires pour produire suffisamment de récoltes pour elle et le bétail.
Elle et Umm Ali se rappelaient avec enthousiasme « les aliments sains et naturels » d’il y a soixante et soixante-dix ans, s’interrompant mutuellement pour évoquer les tomates, les aubergines, le raisin et les prunes délicieuses, ainsi que les confitures faites à la maison, les produits laitiers et les « danseurs de rue », l’expression familière qui désignait les poulets élevés dans les cours des maisons.
« Presque tous les légumes, les fruits et les céréales que nous mangions provenaient de nos terres, et nous n’utilisions pratiquement pas de pesticides ni d’engrais chimiques, » a dit Umm Ali.
« Si vous parlez des années 1970 et du début des années 1980, » ai-je objecté, « je me souviens de cette époque quand j’étais enfant et adolescent, et beaucoup de gens étaient pauvres. »
« Si par pauvres tu veux dire que les gens n’avaient pas beaucoup d’argent, tu as raison, » m’a répondu Umm al-Abed. « Très peu de gens étaient riches, dans ce sens-là, mais personne n’était pauvre quand il s’agissait de l’accès à la nourriture. »
Si la situation semblait si idyllique à l’époque, qu’est-ce qui a provoqué un effondrement si dramatique de la sécurité alimentaire palestinienne ?
Un rapport de 2015 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) déclare que l’occupation israélienne « impose de graves contraintes au développement du secteur agricole palestinien, et, bien sûr, à l’économie toute entière, » en rendant la tâche d’un développement agricole durable sur le territoire palestinien « presque impossible ».
Les problèmes centraux, selon le rapport de la CNUCED, viennent en grande partie des restrictions israéliennes à l’accès à la terre et à l’eau palestiniennes, au commerce et à la liberté de circulation, qui ont entraîné « des incitations plus faibles pour l’investissement dans l’agriculture. »
La perte de terres pour la construction par Israël des colonies illégales et le mur de séparation illégal est un autre facteur majeur qui entrave l’agriculture palestinienne.
Ismail Issa, adjoint au maire d’al-Khader, où vivent Umm al-Abed et Umm Ali, a déclaré que les autorités israéliennes ont confisqué plus de 20% des terres agricoles du village depuis 1967. Sur 22.000 dunams (2.200 ha) de terres arables de la région, les agriculteurs en ont perdu environ 5.000 dunams (500 ha) à cause des constructions israéliennes illégales, colonies, avant-postes, routes de contournement et zones de sécurité autour des colonies, d’après son estimation.
Bien que les deux femmes aient convenu que les politiques israéliennes d’occupation furent un facteur majeur, elles ont abordé l’histoire sous un autre angle de vue que les nombreuses études sur l’économie et la sécurité alimentaire palestiniennes n’évoquent pas toujours.
Umm al-Abed et Umm Ali se souvenaient que les agriculteurs palestiniens emmenaient leurs produits au marché Machane Yehuda, à Jérusalem, au début des années 1970 pour les vendre « un très bon prix » aux clients israéliens.
Cependant, les Israéliens ont commencé à encourager les Palestiniens à travailler avec eux sur des chantiers de construction dans et autour de Jérusalem, a ajouté Umm al-Abed. Elle se souvient qu’au début, les gens étaient réticents à travailler avec « l’ennemi » mais petit à petit, ils ont été attirés par les bons salaires qu’on leur offrait.
« Ce fut le début de nos problèmes agricoles, car les agriculteurs, en particulier la jeune génération, ont été détournés de leurs terres et ont couru après l’argent qu’ils pouvaient obtenir, » dit Umm al-Abed.
A la suite de l’occupation israélienne du territoire palestinien en 1967, le nombre d’ouvriers palestiniens en Israël a nettement augmenté – de 20.000 à 66.000 entre 1970 et 1975, selon l’étude de 1998 de l’Institut de recherche sur les politiques économiques de Palestine-MAS.
Selon le Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), l’agence israélienne chargée d’appliquer les politiques du gouvernement israélien dans le territoire palestinien occupé, plus de 75.000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie ont obtenu le permis d’aller travailler en Israël en 2016 – sans compter les milliers d’autres qui travaillent en Israël sans permis ou qui sont employés dans les colonies israéliennes illégales.
Pour dire les choses simplement, soupire Umm Ali, les Israéliens ont fait d’une pierre deux coups.
« L’occupation israélienne a bien joué, » dit-elle. « Ils se sont servis des Palestiniens pour construire leur Etat et leurs colonies, et en même temps ils ont encouragé beaucoup d’entre eux à déserter leurs terres agricoles, que les Israéliens ont ensuite confisquées sous prétexte qu’elles étaient désertées. »
Selon le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS), la superficie totale cultivée en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza est passée d’environ 1.851 km² en 2002 à 932 km² en 2011. Il n’a pas été possible de trouver des statistiques fiables sur les terres cultivées en Palestine avant l’année 2000, bien qu’une étude de l’Université islamique de Gaza ait suggéré que les terres agricoles en Palestine avant 1948 s’élevaient à 6.300 km².
L’UNRWA, le PCBS, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le Programme alimentaire mondial ont conclu, dans une déclaration conjointe de 2014, que l’insécurité alimentaire en Palestine ne pourrait être réduite de manière durable qu’en traitant les causes profondes de la crise, à savoir le blocus en cours de Gaza et l’occupation de la Cisjordanie .
Pendant ce temps, pour Umm al-Abed et Umm Ali, tant que l’Autorité palestinienne ne soutient pas suffisamment le secteur agricole en aidant les agriculteurs à accéder à leurs terres et à commercialiser leurs produits, et tant que les jeunes générations de Palestiniens n’apprennent pas à aimer et à s’occuper de leurs terres, la question de la sécurité alimentaire restera sans solution.
Source : Maan News
Traduction : MR pour ISM
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