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Cisjordanie - 28 juillet 2013
Par ISM
Témoignage de l'équipe Naplouse d'ISM
Les militants de l'ISM ont eu une conversation avec Wael Dawabsheh, psychologue clinicien au Centre de réadaptation des victimes de la torture en Cisjordanie. Il nous a parlé de son travail.
International Solidarity Movement (ISM) : Pouvez-vous nous parler du Centre et de votre travail ?
Wael Dawabsheh (WD) : Notre Centre a ouvert en 1999, il a continué tout au long de l'Intifada en 2002 et jusqu'à maintenant. Nous sommes un groupe de psychiatres, de travailleurs sociaux et de psychologues. Nous travaillons avec des personnes arrêtées, des gens qui ont été emprisonnés dans les prisons israéliennes et des gens qui ont subi la torture, ainsi que leurs familles. Nous travaillons aussi avec des blessés et les familles de martyrs.
Wael Dawabsheh, psychologue clinicien Centre de réadaptation des victimes de la torture
Nous avons deux programmes - sur place et en milieu ouvert, ce qui veut dire que certaines des personnes avec qui nous travaillons viennent dans nos locaux tandis que nous voyons d'autres chez elles. Nous travaillons dans de nombreux endroits en Cisjordanie , du nord au sud, à Jenine, Naplouse, Hébron, Ramallah et autour de Jérusalem.
Notre centre travaille avec des personnes qui ont été exposées à la torture de nombreuses façons différentes. Je pense que notre centre est le premier à s'occuper des gens de Cisjordanie qui ont souffert de la torture. Nous essayons de rencontrer chaque cas, mais à cause de l'étendue géographique et du grand nombre de personnes qui ont été emprisonnées, il nous est impossible de tout couvrir. En conséquence, nous établissons des priorités et nous nous occupons des cas les plus difficiles et de ceux qui souffrent le plus.
Nous sommes en relation avec le ministère des Prisonniers et le ministère de la Santé et ils nous envoient quelquefois les cas les plus difficiles. Nous travaillons avec des groupes d'enfants et d'adultes, hommes et femmes, mais l'essentiel de notre travail se fait avec des individus. Nous avons également une unité de sensibilisation, qui organise des ateliers dans les villages et dans les camps de réfugiés. Nous expliquons notre travail et ensuite nous commençons à travailler avec quiconque a expérimenté les questions dont on parle et qui a besoin d'aide.
ISM : Quelles sont les méthodes de torture les plus couramment utilisées par Israël sur les Palestiniens ?
WD : Les types de torture utilisés par les Israéliens sont physiques et psychologiques. Je pense que la principale méthode de torture que les Israéliens utilisent en ce moment est l'isolement des prisonniers dans une cellule petite, sale et sombre, pendant des jours et des semaines. Pendant la durée de ce confinement, les gardiens et les soldats insultent continuellement les prisonniers. Au début, lors de l'arrestation, ils leur attachent les mains et leur couvrent le visage avec des sacs sales ou ils leur bandent les yeux. Les effets psychologiques sont très lourds.
Une autre méthode de torture utilisée couramment est ce que nous appelons, en arabe, le shabih. Ils attachent les mains des prisonniers dans le dos et ils les obligent à s'assoir sur une petite chaise très basse - s'ils font le moindre geste, ils tombent. Ils mettent les gens dans cette position pendant de nombreuses heures.
Illustration de la torture du shabih
Une autre méthode consiste à obliger la personne à endurer longtemps des conditions très inconfortables - ils obligent le prisonnier à se tenir debout au soleil ou sous la pluie, selon la saison, pendant de longues périodes. Ensuite, ils accentuent l'effet en lui imposant les mêmes conditions dans les cellules - s'il fait chaud, ils ouvrent la porte, idem s'il fait froid.
Les Israéliens utilisent de très nombreuses méthodes pour torturer les Palestiniens - ils n'autorisent pas les prisonniers à voir leurs avocats ou leurs familles pendant plusieurs semaines ou mois. Certains prisonniers n'ont pas vu leurs familles depuis plusieurs années. La nourriture est répugnante, en particulier au début de l'arrestation parce qu'ils mettent tous les jeunes dans de très petites cellules où ils ne peuvent pas préparer leurs propres repas. Donc les gardiens leur apportent les plats et ils ne sont ni bons ni sains. Les prisonniers n'ont pas de toilettes dans ces petites cellules - ils doivent utiliser autre chose, comme un seau. Les gardiens ne les autorisent pas non plus à prendre une douche pendant plusieurs jours, et même quand ils les autorisent, c'est juste pendant quelques minutes, sans intimité parce que les cabines de douche n'ont pas de porte.
Je pense que ce sont les méthodes principales - par le passé, ils utilisaient le secouage, ils saisissaient le cou ou la tête du prisonnier et ils le secouaient - c'était très dangereux, une personne est morte après avoir été torturée de cette façon, je pense. Ensuite, les Israéliens ont arrêté cette méthode mais pas complètement, ils continuent de le faire de temps en temps. Un autre problème est que les gens souffrent de nombreuses maladies qui ne sont pas traitées en prison - ils ne les emmènent voir le médecin que lorsqu'ils sont très malades. Je ne connais pas le nombre de prisonniers qui sont morts dans les prisons israéliennes parce que leurs maladies n'ont pas été soignées.
ISM : Comme vous le dites, les Israéliens recourent à des tortures psychologiques et physiques. Y a-t-il une différence entre les méthodes de torture utilisées pendant les interrogatoires et en prison ?
WD : Les premières semaines sont les plus dangereuses et les plus difficiles pour les prisonniers, parce que le recours à la torture est massif. Les Israéliens utilisent les méthodes que j'ai mentionnées plus haut, et généralement ils mettent les prisonniers dans une petite cellule d'isolement - que nous appelons zenzana en arabe - parce qu'ils veulent leur tirer des informations. Après cette période, peut-être de deux mois ou un peu moins, ils les envoient dans une autre prison, avec un groupe plus important de prisonniers. Après ça, il y a moins de torture physique.
Cependant, ne pas pouvoir voir sa famille, ne pas pouvoir consulter un médecin et ne pas pouvoir avoir ce dont on a besoin peut aussi être considéré comme de la torture. Tout le monde a entendu parler des grévistes de la faim palestiniens - certains prisonniers ont cessé de s'alimenter pendant des semaines ou des mois parce qu'ils avaient besoin de quelque chose qu'Israël leur interdisait.
ISM : De quels traumatismes souffrent les gens dont vous vous occupez ?
WD : La plupart de nos patients souffrent d'un syndrome de stress post-traumatique (SSPT), en particulier les femmes et les jeunes de moins de 18 ans. Certaines personnes souffrent de dépression et un petit nombre d'autres de schizophrénie. Nous rencontrons également des cas de trouble obsessionnel compulsif (TOC) et d'épilepsie, parce que pendant les séances de torture, ils ont été frappés à la tête ou que les Israéliens ont diffusé de la musique très bruyante dans leur cellule.
La majorité des gens avec lesquels nous travaillons souffrent de SSPT ou de dépression ; généralement nous les suivons pendant trois ou quatre mois, sur douze sessions - ou plus selon leur niveau de souffrance. Nous travaillons en équipe - psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux. Nous prescrivons des médicaments à certains, si nécessaire ; les psychiatres voient ces cas et leur prescrivent les médicaments appropriés. Mais c'est une minorité et généralement, nos patients prennent des médicaments pendant un laps de temps court - disons de trois à six mois.
ISM : Comment les gens qui ont besoin de votre aide connaissent le Centre de réadaptation des victimes de la torture ?
WD : Certains de nos cas ont entendu parler du centre par les médias. Toutes les semaines nous diffusions un petit communiqué à la télévision ou à la radio où l'un d'entre nous venait parler de son travail. Quelquefois, nous parlions de nos cas au téléphone pendant l'émission pour que les gens entendent combien c'était efficace. Toutefois, à cause du manque de fonds, nous avons dû arrêter ça récemment. Depuis environ neuf ans, nous faisons une lettre d'information mensuelle sur notre travail, sur le centre et nous parlons de certains cas, avec leurs photos s'ils nous donnent leur accord.
Nous organisons aussi des ateliers dans les villages - par exemple, je vais dans un village comme Burin et je parle au centre culturel, ou à la municipalité, ou à un autre groupe. Nous les informons que nous allons bientôt venir faire un atelier avec les gens qui ont fait de la prison ou ont été insultés par les soldats. Alors ensuite nous arrivons, nous expliquons notre travail dans l'atelier et nous parlons aux gens - ensuite, ils nous posent de nombreuses questions sur la façon dont nous pouvons les aider et nous leur donnons notre adresse et notre numéro de téléphone.
Ensuite, certains viennent au centre, ou d'autres préfèrent continuer le programme en milieu ouvert, à leur domicile. Certains préfèrent cette solution parce qu'ils ne veulent pas qu'on sache qu'ils viennent dans notre centre. Pour certains jeunes, c'est difficile de venir nous voir, en particulier à cause du risque d'être à nouveau arrêté à un checkpoint.
Nous proposons souvent des thérapies de groupe aux enfants avec lesquels nous travaillons - la semaine dernière, nous avons fait un camp d'été à Jenin pour les enfants que nous suivons. Cette année, cependant, faute d'argent, nous n'avons pu organiser qu'un seul petit camp d'été. Ces enfants souffrent surtout de SSPT - généralement parce que leurs pères sont en prison en Israël et ils sont traumatisés par le manque et par les visites en prison tous les deux ou trois mois. A 4h du matin, ils prennent un autobus pour aller au sud d'Israël, dans la prison du Naqab ou celle de Bir Saba, ou loin vers le nord - c'est un long trajet, très dur pour eux. Ils nous parlent des checkpoints, des cages dans la prison. Lorsqu'ils voient leurs pères, il y a une vitre entre eux, ils ne peuvent se parler que par téléphone.
Un prisonnier retrouve sa fille, par téléphone et séparés par une vitre
Ils ne peuvent serrer leurs pères dans leurs bras ni leur serrer les mains pendant des années, c'est interdit. Je pense que les enfants de moins de cinq ans sont autorisés à voir leur père sans la vitre tous les trois ou quatre mois. Ces enfants ont beaucoup de problèmes, ils font par exemple des cauchemars.
ISM : Travaillez-vous également avec des enfants qui ont été arrêtés et interrogés, et qui ont fait eux-mêmes l'expérience de la torture ?
WD : Oui, mais cette année et depuis deux ans, il n'y en a pas eu un grand nombre. Cependant, ça dépend du secteur ; par exemple, dans et autour de Jérusalem et à Hébron, il y a beaucoup d'arrestations d'enfants parce que le nombre de soldats israéliens y est très important. Donc, de temps en temps, nous travaillons en effet avec des enfants qui ont été arrêtés dans ces secteurs.
En 2012, nous avons travaillé avec de petits groupes d'enfants du secteur de Naplouse. La plupart d'entre eux avaient 16 ou 17 ans. Ils avaient passé six ou sept mois en prison. Nous avons travaillé avec certains d'entre eux pendant deux mois, et les Israéliens les ont ré-arrêtés.
Nous travaillons avec des enfants qui ont été arrêtés lorsqu'ils avaient 16 ans et qui, à leur libération, avaient 25, 26 ans, après avoir passé six ou sept ans en prison. Actuellement, le nombre est moins élevé qu'avant. Je pense qu'actuellement, il y a 236 enfants dans les prisons israéliennes.
ISM : Pouvez-vous nous parler de l'état des prisonniers palestiniens en général ?
WD : Tous les mois nous visitons des prisonniers palestiniens ou nous prenons de leurs nouvelles. Il y a trois ou quatre ans, il y avait plus de 10.000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. Aujourd'hui, il y en a 5.000, dont 256 enfants et 33 ou 34 femmes. 120 prisonniers sont détenus depuis avant les accords d'Oslo de 1993. Maintenant, j'entends des infos selon lesquelles pendant le Ramadan, ils vont libérer 40 d'entre eux parce que l'Autorité palestinienne a dit qu'elle ne reprendrait les négociations que si Israël arrête la construction de colonies et libère ces prisonniers. Ils sont en prison depuis plus de 20 ans, avant les accords d'Oslo. C'est très mauvais pour nos présidents palestiniens, ils auraient dû les faire libérer par le passé. Avant 1996, il n'y avait pas de relations entre Israël et la Palestine et il n'y avait pas d'Autorité palestinienne. Lorsque les Accords d'Oslo ont été signés, les Israéliens auraient dû libérer tous les prisonniers mais, comme vous le savez, après ça, les années ont passé et après 2000, l'Intifada a démarré et tout a été arrêté.
Des soldats de l'occupation sioniste posent de manière obscène devant une jeune palestinienne menottée et les yeux bandés
ISM : Sur le site du Centre de réadaptation, vous dites que vous voulez éliminer la culture d'impunité ressentie par les bourreaux ; comment le faites-vous et quels obstacles rencontrez-vous ?
WD : Nous rédigeons des rapports sur les cas dont nous nous occupons, et nous disons combien les Palestiniens souffrent à cause de la façon dont ils sont traités dans les prisons israéliennes. Par le passé, nous les envoyions à de nombreux avocats avec qui nous étions en contact en Cisjordanie .
Certains rapports sont devenus des études de cas, avec des photos des prisonniers. Nous les traduisons en anglais et nous mettons les informations en ligne sur notre site, et nous présentons ces études de cas lors de conférences en Europe, Australie, Amérique du Sud et Afrique. Nous en envoyons également beaucoup aux Nations Unies, et d'autres centres du monde entier sont venus ici pour voir ces cas, et les ont interviewés.
Nous avons porté quatre ou cinq cas devant les tribunaux israéliens, avec des dossiers complets qui montraient que ces personnes souffraient parce qu'elles avaient été emprisonnées. Nous avons témoigné en tant que psychologues, travailleurs sociaux ou psychiatres, disant que nous avons traité cette personne dans notre centre et que notre rapport dit qu'elle souffre de "1), 2), 3)". C'est ce que nous pouvons faire pour lutter contre l'impunité dans les tribunaux. Les procédures des cas que nous avons présentés sont toujours en cours - elles ne sont pas terminées.
Mais le plus important, c'est de faire des études de cas sur les gens avec lesquels nous travaillons et de les envoyer aux médias, aux conférences et de les fournir aux groupes qui viennent nous voir. Le projet principal a eu lieu avec les Nations Unies, en 2002. Cependant, notre centre a des difficultés en ce moment et nous avons dû mettre un terme à beaucoup de ces projets. Actuellement, nous nous cantonnons au traitement des gens parce que depuis deux ou trois ans, nous ne sommes que sept ou huit travailleurs sociaux et psychologues, et nous n'arrivons pas à couvrir tous les secteurs et aller voir tous les gens. Il faut une grosse équipe pour le faire.
ISM : Et pourquoi est-il si important qu'il n'y ait pas d'impunité pour la torture ?
WD : La torture est interdite dans le monde entier, nous devons donc montrer au monde que "l'Etat démocratique" d'Israël pratique la torture sur les Palestiniens dans ses prisons, parce qu'ils présentent régulièrement les Palestiniens comme des terroristes dans les médias. Mais maintenant, le monde sait que nous vivons sous occupation israélienne et nous devons montrer que notre peuple est torturé par les Israéliens.
ISM : Est-ce que beaucoup de victimes de la torture portent plainte dans le système juridique israélien ?
WD : La plupart d'entre elles ne vont pas devant les tribunaux israéliens, seul un petit nombre entreprend cette démarche. Certaines ont des attestations des hôpitaux israéliens disant qu'elles ont été torturées. Mais les gens ne sont envoyés que dans des hôpitaux israéliens et si la torture a été particulièrement dure, pendant les premières heures de l'arrestation.
Je travaille avec quatre ou cinq jeunes qui souffrent d'épilepsie parce que les Israéliens les ont frappés à la tête avec leurs fusils, ou contre un mur. Un garçon a été frappé à la tête avec une matraque lors de son arrestation à un checkpoint. Il a perdu conscience et est tombé sur le sol. Il n'a pas été correctement soigné en prison - ils ne lui ont donné aucun médicament, et depuis qu'il est sorti, il fait des crises d'épilepsie toutes les trois semaines, à cause du traumatisme. Alors dans notre centre, nous lui donnons des médicaments contre l'épilepsie. Mais la plupart de ces cas continuent de souffrir, parce que nous ne pouvons pas soigner complètement l'épilepsie.
Un des cas que je suis a utilisé les rapports israéliens remis quand il était en prison et il a porté plainte au tribunal il y a quatre ans. Ils l'ont emmené dans un hôpital israélien pour l'examiner pendant deux-trois jours, et il a eu un nouveau certificat. Quand il est rentré chez lui, les Israéliens l'ont appelé et lui ont dit, "nous te donnons 200.000 shekels si tu interromps la procédure juridique" mais il a refusé. Après ça, ils sont venus l'arrêter à nouveau. Ils l'ont emmené au camp d'Huwwara pendant des heures et ils ont essayé de lui faire peur en le menaçant, "on va te remettre en prison", "on va te tuer", "tu vas mourir". Mais il a maintenu sa plainte, ce n'est pas fini. Certaines affaires prennent des années.
ISM : Pensez-vous que la principale raison pour laquelle Israël utilise la torture est pour soutirer aux arrêtés des informations ?
WD : Je pense que la torture n'est pas seulement utilisé pour les informations. C'est aussi pour punir les gens, pour détruire leur personnalité et leur résistance et pour punir leurs familles. Certaines personnes ne font rien et pourtant ils les emprisonnent. En arabe, nous appelons ça idari, ce qui signifie "sentence illimitée". En anglais, c'est "détention administrative". Certaines personnes vont devant le tribunal, elles prennent six ans et puis elles sont libérées. Mais pour d'autres, ils les mettent en prison pendant trois mois, puis trois mois de plus, six mois - parce qu'ils prétendent qu'ils sont dangereux. C'est comme ça que certains passent des années dans les prisons israéliennes sans procès, parce qu'ils peuvent mettre n'importe qui en prison sans procès.
ISM : Est-ce que quelquefois des gens font de faux aveux s'ils sont torturés, et donnent de fausses informations simplement pour que la torture s'arrête ?
WD : Certains disent des choses qu'ils n'ont pas faites, surtout les enfants. En prison, ils sont terrorisés parce que c'est la première fois et ils sont jeunes, ils n'ont pas d'expérience antérieure. Les Israéliens les punissent et disent, "On va mettre ta famille en prison", "on va saccager ta maison", alors ils sont terrifiés et admettent n'importe quoi qu'ils n'ont pas fait. Mais dans leur grande majorité, ils sont forts lorsqu'ils sont confrontés à la torture ; mais nous sommes tous humains.
ISM : Il y a une affaire récente de cinq garçons à Hares qui ont reconnu sous la torture avoir jeté des pierres sur la voiture d'un colon. Ensuite, au tribunal, ils se sont rétractés (pour agir pour les jeunes d'Hares, cliquez ici). Est-ce que ce genre de cas se produit régulièrement ?
WD : Ça arrive. Au tribunal, ils disent qu'ils ne l'ont pas fait et qu'ils ne l'ont admis que parce qu'ils étaient torturés. J'ai entendu des histoires similaires dans la région d'Hébron, avec un jeune de dix-sept ans. Un conducteur israélien avait eu un accident de voiture et il était mort. Les autorités israéliennes ont dit que des enfants avaient jeté des pierres, et donc il était mort à cause des pierres. J'ai lu dans les journaux qu'ils voulaient donner à un des enfants 25 ans de prison parce qu'il avait tué une personne, mais au tribunal, l'avocat palestinien a dit que si cela s'était produit, il n'avait pas eu l'intention de tuer lorsqu'il avait lancé la pierre, c'était donc un accident.
Il y a beaucoup d'histoires dures et dangereuses. Certains passent de nombreuses années en prison sans avoir fait quoi que ce soit. En 2001, 2002 et 2003, la situation était très mauvaise et à l'intérieur d'Israël, tous les jours, il y avait des morts ; des gens allaient en Israël poser des bombes dans les bus. Pendant cette période, les tribunaux israéliens ont condamné tous les prisonniers à de lourdes sentences. Certains avaient fait quelque chose qui aurait mérité un an ou deux de prison, mais le juge donnait dix ans. Il y a des cas à Burin, leurs familles m'en ont parlé et ils sont toujours en prison, pour douze ou treize ans.
ISM : En tant psychologue clinique, pourquoi avez-vous choisi de travailler avec les victimes de torture ?
WD : Je fais partie des gens qui ont subi la torture. Quand j'ai terminé le lycée, en 1992, je voulais continuer des études de dentiste en Russie mais les autorités israéliennes ne m'ont pas autorisé à passer la frontière. Ils m'ont renvoyé et m'ont dit, "demain tu dois aller voir l'armée israélienne". Je suis revenu au passage frontalier tous les jours pendant un mois, et tous les jours, ils nous mettaient dans un camp et prenaient nos papiers d'identité, du matin à 16h - et ensuite, ils nous disaient, "reviens demain".
La dernière fois que je me suis présenté, ils m'ont demandé, "où vas-tu ?", "pourquoi vas-tu étudier là-bas ?" et beaucoup d'autres questions. Après que j'ai répondu, ils ont dit, "tu n'as pas le droit de sortir, mais si tu nous aides, tu auras l'autorisation." J'ai refusé et je suis resté ici et j'ai fait mes études de psychologue à l'Université An-Najjah, à Naplouse.
Pendant que j'étais à l'université, les Israéliens m'ont arrêté deux fois, une fois pendant six mois puis à nouveau pendant deux mois. C'était la même chose pour chacun d'entre nous, on nous disait, "tu as fait quelque chose à l'université, dans les mouvements politiques." Lorsque j'ai fini mes études, j'ai obtenu mon diplôme et j'ai commencé à travaillé au Centre de Réadaptation en 2003, ça fait 10 ans.
ISM : Est-ce que vous constatez des différences entre les régions de Cisjordanie au sujet de l'usage de la torture ?
WD : Il n'y a aucune différence, nous voyons partout les mêmes cas. Mais cela dépend de la situation dans le secteur - par exemple, pendant l'Intifada, ça allait très mal à Naplouse et au nord, alors à Naplouse, Jenin et Tulkarem, il y avait beaucoup de prisonniers, et moins à Ramallah. A Hébron et dans la région de Jérusalem, il y a beaucoup de jeunes de moins de 18 ans, et donc beaucoup de prisonniers de moins de 18 ans.
Je pense toutefois que partout les méthodes de torture sont les mêmes - souvent les Israéliens font pression sur les détenus pour qu'ils deviennent des espions et travaillent pour eux. C'est surtout le cas avec les enfants, ils les effraient, ils leur disent, "on va t'aider, on va te donner de l'argent". Ils ne leur demandent pas forcément directement d'être un espion, ils leur disent juste, "dis-nous qui jette des pierres, combien il y a de personnes dans la zone et ce qu'elles font". C'est comme ça que certains des prisonniers deviennent des espions.
Je suis allé à Gaza l'an dernier, pour la première fois. Nous sommes en contact avec un centre de réhabilitation sur place et nous y sommes allées pour parler aux gens. A Gaza, ils donnent des autorisations pour aller à l'hôpital en Cisjordanie ou en Israël mais au checkpoint, ils ne laissent pas les gens sortir même s'ils ont les autorisations. Ils essaient d'en faire des espions, ils leur disent, "nous te donnerons un permis pour aller à l'hôpital si tu nous aides." Nous avons beaucoup de témoignages.
ISM : Nous savons qu'Israël a signé des traités qui interdisent la pratique de la torture, y compris la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention des Nations Unies contre la torture. Avez-vous un message aux autorités israéliennes à ce sujet ?
WD : Je voudrais dire aux Israéliens, si vous parlez de démocratie et de droits de l'homme, le gouvernement doit cesser toutes les méthodes de torture contre nous. Le monde sait que vous nous occupez et un jour, Israël devra rendre des comptes devant les tribunaux. Le tribunal sera israélien, palestinien ou européen, et vous serez puni pour votre pratique de la torture contre nous.
En tant que peuple israélien ou juif, vous avez souffert de la torture il y a soixante ans et plus ; si vous avez été des victimes par le passé, comment pouvez-vous être maintenant les bourreaux ? Pourquoi ? Vous occupez notre terre et quiconque est sous occupation a le droit de combattre. Si vous croyez en la paix, vous devez quitter notre terre et être nos voisins.
ISM : Voulez-vous ajouter quelque chose ?
WD : Etant en Palestine, vous voyez tout ce qui se passe ici, comment nous vivons, mais par le passé, c'était encore plus difficile. Par comparaison, aujourd'hui, ça va mieux, on peut circuler d'un endroit à un autre, c'était beaucoup plus difficile il y a quelques années - il y avait davantage de checkpoints.
Mais nous ne pouvons toujours pas aller à Jérusalem, qui est entourée par le mur. Pendant le Ramadan, ils autorisent quelques personnes à y aller les vendredis - les femmes sont autorisées quel que soit leur âge mais seuls les hommes de plus de 40 ans. Il y a huit ans, avant qu'ils commencent la construction du mur, on pouvait se déplacer librement. Maintenant, ils n'autorisent personne à aller à Jérusalem. Beaucoup de jeunes n'ont jamais visité Jérusalem, pas plus que Haifa ou Jaffa. Avant, nous allions à Jérusalem avec nos parents ou nos amis toutes les semaines ou tous les mois, comme nous allons aujourd'hui à Ramallah ou à Naplouse. Mais maintenant, c'est fermé.
Ils parlent de liberté mais ce n'est que pour les médias. Allez à Qalandia et vous verrez comment ils traitent les gens au checkpoint. Mais je pense que ce mur et l'occupation doivent finir, et les Israéliens le savent. Ils savent que leur Etat ne durera pas toujours.
Nous avons des ateliers à Jérusalem et Haifa avec des travailleurs sociaux israéliens appelés "Médecins pour les Droits de l'Homme" et nous discutons de beaucoup de sujets. Certains d'entre eux disent, "oui, nous devons quitter la Cisjordanie et Gaza et être voisins", mais ils ne font rien contre leur gouvernement.
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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