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Gaza - 22 août 2013
Par Shahd Abusalama
20.08.2013 - Je suis partie très tôt le matin, avec ma plus jeune sœur Tamam, vers le poste frontalier de Rafah pour la soutenir autant que je pouvais. Ayant moi-même fait auparavant l'expérience de l'attente à la frontière, qu'on ne peut décrire que comme une torture, je sais très bien le véritable cauchemar qu'elle représente (1). Tamam est rentrée de Turquie après 9 mois d'étude de la langue turque. Il y a un an, elle a obtenu une bourse d'étude pour son diplôme de journalisme à Ankara. Après avoir passé trois semaines à la maison, il lui a fallu repartir à Ankara, puisque ses congés d'été touchaient à leur fin et que de nombreuses démarches l'attendaient pour son inscription au premier semestre d'études de premier cycle.
Des personnes âgées tirent leurs bagages pour repartir chez elles après avoir appris que Rafah est fermé
En fait, il était prévu qu'elle sorte hier par la frontière de Rafah. Suite à l'annonce que des foules de gens avaient essayé en vain de traverser pendant des jours, sinon des semaines, et aux restrictions que l'Egypte a imposées à la frontière de Rafah, nous avons décidé de rester à la maison. Quelques heures de plus de sommeil nous feraient plus de bien que des heures gâchées à attendre à la frontière. Hier, le côté palestinien a autorisé cinq autobus à entrer mais l'Egypte n'en a autorisé qu'un.
Aujourd'hui, nous avons décidé d'y aller, espérant que Tamam aurait la chance de traverser la frontière. Tandis que nous mettions sa valise dans la voiture, nous nous sommes mises à rire sur l'impasse de notre situation, puisque nous savions pertinemment au fond de nous-mêmes que nous finirions par devoir rentrer à la maison. Mais nous avons tenu à aller voir de nos propres yeux. C'était difficile d'imaginer à quel point la situation à la frontière et la crise des voyageurs empirent, en particulier pendant cette période difficile que traverse l'Egypte.
Ma sœur n'avait pas réalisé qu'une décision normale, comme celle de revenir chez elle, pouvait la menacer de perdre sa bourse et de l'enfermer à Gaza. Elle ne savait pas qu'elle aurait dû réfléchir à cette décision mille fois avant de se décider. Cette décision est censée être normale dans une situation normale, mais pas dans notre cas, qui est loin d'être normal.
Tandis que nous arrivions dans le hall où les voyageurs se rassemblent dans l'espoir d'entendre appeler leur nom pour pouvoir prendre l'autobus qui les emmène à l'intérieur de la frontière, nous avons été choquées de voir le nombre de personnes qui attendaient déjà, certaines depuis le lever du soleil et elles essayaient de traverser depuis plus d'une semaine. La plupart étaient des étudiants voyageant pour leurs études ou des malades sortant pour des raisons médicales.
J'ai pris cette photo à l'intérieur du hall de Rafah, où les voyageurs attendent qu'on appelle leur nom.
Les scènes d'enfants étendus par terre ou endormis sur des chaises, ou celles de personnes âgées qui pouvaient à peine tenir debout étaient les plus déchirantes. Des personnes âgées criaient sur les officiers de police qui formaient une barrière devant les bureau de la coordination de voyage. Ils étaient impuissants et n'avaient rien à dire ou à faire, mais contenaient de leur mieux la colère et la frustration des gens, pour maintenir un semblant de discipline.
Nous avions honte de nous plaindre de tout, juste assises à observer des gens à bout de souffle. Nous en avons rencontré qui essayaient de traverser depuis deux semaines.
Vers 13h, la police a dit, par haut-parleur, "Nous demandons à chacun de rentrer chez soi. On vient de nous prévenir que la frontière de Rafah est complètement fermée, et pas un seul Palestinien ne pourra passer à cause de la mort de 22 soldats égyptiens dans le Sinaï. Nous ne savons pas quand la frontière rouvrira. Continuez à suivre les informations sur le site en ligne du ministère de l'Intérieur."
Je pensais que les gens allaient se révolter, forcer le barrage de la police et mettre le hall en pagaille. Mais ils ont juste tourné le dos, trainé leurs bagages et sont rentrés chez eux. J'en ai entendu beaucoup dire, "Au moins ils nous ont dit quelque chose. Au moins on n'a pas eu à attendre jusqu'au coucher du soleil." Pour beaucoup, ce scénario s'était répété tellement de fois qu'ils pensaient que ça allait continuer.
Ma sœur a parlé de son expérience en quelques mots émouvants qu'elle a écrit sur sa page Facebook. En voici ma traduction :
"J'ai trainé ma valise très tôt ce matin vers la seule sortie de Gaza vers le monde extérieur, bien que j'étais sûre que je ne pourrais pas traverser. Papa m'a regardé de loin et finalement, il s'est approché et m'a dit, "Que Dieu facilite ta route, ma chérie". J'ai beaucoup pleuré. Plus précisément, nous avons pleuré tous les deux. Je me suis demandé pourquoi je pleurais, malgré mon fort désir de quitter cette ville après un séjour de 3 semaines qui avait été plus fatiguant que joyeux, tout en m'inquiétant de la situation à la frontière de Rafah. Cette ville compliquée est de plus en plus étouffante. Elle nous fait pleurer de bonheur et de chagrin. Elle restreint notre liberté. Elle nous force à apprendre à nous adapter à l'inadaptable. A ce stade de la frustration et de la pensée négative, je ne trouve pas la moindre raison pour laquelle nous sommes si attachés à cette ville mystérieuse. Néanmoins, on ne peut s'empêcher d'avoir toujours envie de revenir à Gaza."
Le vol de ma sœur doit quitter Le Caire pour Istanbul jeudi. Il est très vraisemblable qu'elle va le manquer, comme beaucoup d'autres Palestiniens qui vivent à Gaza.
Pourquoi Tamam ou n'importe quel autre voyageur qui vit à Gaza doit-il payer le prix pour tout ce qui se passe dans les pays voisins ? Combien de rêves vont être détruits et combien d'autres patients vont mourir avant d'avoir un moyen permanent et sûr de voyager ? Vivrons-nous un jour une vie normale ? Cette situation est complètement folle et inhumaine. La politique des châtiments collectifs doit cesser.
(1) http://palestinefrommyeyes.wordpress.com/2011/06/23/pure-hell-at-the-rafah-crossing/
Source : Palestine from my eyes
Traduction : MR pour ISM
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Shahd Abusalama
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