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Gaza - 4 juin 2013
Par Sarah Claude
Sarah Claude fait partie de l'équipe ISM-Gaza.
Un cheval emballé, aiguillonné par la douleur, et sur ce qui reste de la charrette qu'il traine, un jeune homme, dont le fémur vient d'être fracassé par une balle explosive, tentant de le maitriser. Hasard de l'affolement de l'animal, il galope plein Sud. S'il était parti Est, vers la « barrière », son conducteur, Ahmed Hamadin, ne serait sûrement plus en vie. Le cheval va mourir. Ahmed, 21 ans, souffre, allongé sur un lit d'hôpital. Pourquoi ce gâchis ? Pour rien.
Il est tôt, six heures trente, ce dimanche matin 2 juin. Les paysans sont en route vers les champs. Sur la charrette, ils sont cinq ouvriers agricoles qui vont ce matin là récolter les melons d'eau. Le champ jouxte la zone « tampon » décidée unilatéralement par les forces d'occupations israéliennes à l'intérieur de la barrière qui délimite sur trois côtés la bande de Gaza. Imposée par la force des armes et faisant fi des accords internationaux (une no-go zone de 50 mètres de chaque côté de la barrière, disent les accords d'Oslo), cette zone a la particularité supplémentaire d'être à géométrie variable, au caprice de l'armée israélienne. Cela la rend particulièrement meurtrière. Mais ce sont aussi les meilleures terres agricoles de Gaza.
Ce champ a été travaillé depuis des mois, pour être maintenant au moment d'être récolté. Nulle surprise donc pour les véhicules chargées de soldats qui patrouillent inlassablement le long du grillage. D'ailleurs les jeunes gens sont encore sur le chemin sableux qui mène au champ, à quelques 400 mètres de la barrière, estiment-ils, soit en zone « libre » non contestable. Ils ne verront même pas d'où viennent les balles.
Une balle explosive, cela fait un trou d'entrée de la taille d'un ongle, mais une déchirure de sortie de plus de 10 centimètres, après avoir dispersé des éclats tout alentour de son trajet dans la chair. Une très vilaine fracture, malmenée par la course éperdue de la charrette, est maintenant réduite et maintenue par un dispositif extérieur à la jambe. Il faut compter trois mois pour le remplacer par une dispositif interne : Ahmed ne remarchera pas avant longtemps. Ainé des enfants, il était le seul de la famille à avoir un salaire, le père étant cloué par des problèmes de dos. Dix personnes se retrouvent ainsi sans revenus.
Mais à la fin, pourquoi les soldats israéliens tirent-ils sur des paysans, qu'ils peuvent voir au travail tous les jours ? Ah oui, il y avait du brouillard.
Compte tenu de la sophistication technique de la barrière, et de la technologie dernier cri des engins de mort qui patrouillent le long, il est douteux que l'on tienne là une explication. À au moins 400 mètres, dans le brouillard donc, les soldats ont fait mouche deux fois. Jeep, véhicule blindé, ou « la tour » (ces verrues tenant du Moyen-Age et de la science-fiction hérissent tous les quelques centaines de mètres la barrière), quel qu'ait été leur emplacement, les tireurs y voyaient fort bien.
Non. Tout simplement, les soldats tirent parce qu'ils peuvent se le permettre. Le porte-parole de l'armée israélienne fera (a fait) le mensonge traditionnel (« ont tenté d'endommager la barrière » - ils en était à plusieurs centaines de mètres, sur une charrette à cheval, engin de guerre bien connu !), et personne, ni les autorités palestiniennes, ni les instances internationales, ni les États, ni les nombreuses ONG présentes à Gaza, ne demanderont davantage de comptes. Résignation, calcul de pertes et profits, déréalisation de la figure du Palestinien, sentiment d'impuissance, fatigue devant un rapport de force écrasant, jouissance du plus fort, tout une alchimie est en place pour obtenir ce pur monstre : certitude de l'impunité.
Auquel, adressé aux militants venus d'Europe que nous sommes, répond ce cri du père d'Ahmed « Assez de souffrances ! Nous avons droit à la justice ! ».
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Sarah Claude
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