Naplouse - 5 septembre 2002

Invasion à Naplouse

Par Jen

Nous avons entendu plusieurs tirs alors que les enfants couraient et se dispersaient dans des ruelles hors de portée. Encore une fois les moteurs du tank grondaient et, alors qu'il descendait la colline dans un nuage de fumée, nous virent 2 soldats courir et se cacher derrière un mur, près d'où étaient les enfants.

Les Forces armées Israéliennes ont creusé la route et y ont installé un barrage routier à l'extérieur de la Prison de l'Autorité Palestinienne qui avait été bombardé par des F16 en Avril dernier à Naplouse.
A l'extérieur de la Mosquée située en face, un tank, un blindé et une Jeep de la Police ont installé un checkpoint au croisement des routes allant au camp d'Askar, au camp de Balata et à la vieille ville de Naplouse.

Nous avons appris cela à notre réunion ce matin et certain d'entre nous ont decide d'aller voir ce qui se passe, alors que la population est effrayée d'aller de la vieille ville aux camps de réfugiés.
Quand nous sommes arrivés, des personnes attendaient de chaque côté du barrage, en groupes, essayant de voir ce qui pouvait être fait. Certains passaient par-dessus le barrage, en majorité des personnes agées et des enfants, Ils installaient des barricades dans les rues environnantes et allumaient des feux sur les routes. Le tank près de la mosquée régla son canon sur nous pendant quelques minutes, pui se retourna.

Certains d'entre nous escortèrent des groupes à travers les barrages et un international décida d'engager les enfants pour construire un chemin à travers le barrage.
Les enfants devinrent énervés et commencèrent à ramasser des pierres et à se diriger vers des endroits où ils pouvaient voir le checkpoint, mais restèrent assez loin à distance des représailles.
Leurs pierres n'atteignaient pas les soldats. Pendant quelques heures, nous avons escorté des personnes jusqu'à ce qu'on apprenne qu'un conducteur d'ambulance de l'United Palestine Medical Relief Centre (UPMRC) avait été sorti de son véhicule et battu. Nous avons décidé qu'il était temps d'aller au checjpoint et de voir ce qui se passait.

Nous avons trouvé le conducteur de l'ambulance assis sous un arbre avec un certain nombre de chauffeurs de camions Palestiniens qui attendaient de voir s'ils seraient autorisés à passer.

Moshe, un soldat Israélien de 22 ans se dirigea vers l'une d'entre nous qui prenait des notes et lui demanda : "Etes-vous journaliste?" La réponse étant oui, il demanda à voir sa carte de presse. Elle la sortit mais refusa de la lui donner : " Pourquoi ne voulez-vous pas me la donner ? Pensez-vous que je suis un Nazi?" demanda-t'il . Les soldats israéliens semblent avoir une façon incroyable à donner des noms aux choses alors que nous ne pourrions jamais imaginer qu'ils puissent le dire.

Un véhicule de la Croix Rouge était à côté, et une femme originaire de Suisse était en négociations sérieuses avec les soldats. Nous étions assis là, et nous pouvions entendre les cris des enfants un peu plus bas. Soudain Moshe et un autre soldat commencèrent à tirer à balles réelles sur les enfants, dont le principal crime était d'être ennuyeux. Ils établirent une nouvelle menace : personne au check-point, et l'utilisation d'une telle force est stupéfiante dans de telles circonstances. J'ai réalisé à quel point nous avions empêché les représailles quand nous étions avec les enfants.

Un des Internationaux, une femme incroyable qui parle 5 langues dont l'Arabe entendit les soldats dire aux chauffeurs de camions que "si vous ne partez pas dans les 5 minutes, nous vous tuerons." Et ces mots sont dans la bouche des soldats qui pensent être en mission pour arrêter l"expansion du terrorisme !

A plusieurs occasions, ils ouvrirent encore le feu sur les enfants, tout en fouillant les ambulances et des voitures des Nations Unies, alors que nous étions là à attendre pendant de longs moments.
Les soldats décidèrent de changer de méthode et le moteur du tank gronda avant de descendre la colline vers les enfants, où il laissa sortir un énorme fumée avant de revenir.

Plusieurs raids furent effectués par la jeep de Police, et nous avons entendu plusieurs tirs alors que les enfants couraient et se dispersaient dans des ruelles hors de portée. Encore une fois les moteurs du tank grondaient et, alors qu'il descendait la colline dans un nuage de fumée, nous virent 2 soldats courir et se cacher derrière un mur, près d'où étaient les enfants.

"Réalisez-vous qu'il y a des internationaux en bas", demanda un homme au conducteur du blindé. "Nous devons riposter". Je vis un homme dans l'embrasure de la porte d'un bloc d'appartements et lui demandai si je pouvais monter sur le toit. "Vous etes le bienvenu", répondit-il et je suis arrivé épuisé et trempé sur le toit situé au 8ème étage. De là, on voyait beaucoup mieux, et nous avons pu appeler d'autres internationaux pour leur faire savoir ce que nous pouvions voir.

Les enfants étaient très proches et les soldats ont bondi de leur cachette et couru vers les enfants, avant d'être stoppés par deux internationaux, deux femmes qui tentèrent de les dissuader de tirer sur les enfants.
L'une d'elles me montra plus tard la balle de M16 qu'ils avaient laissé derrière eux, et l'autre raconta que le grand soldat s'était vanté d'avoir déjà tué 27 enfants Palestiniens. De mes propres yeux, j'ai vu l'utilisation inutile et mortelle de la force contre les enfants, la fouille et les longs retards infligés aux ambulances qui effectuent des missions vitales, le total dédain envers les véhicules des Nations Unies, et quand l'homme sur le toit m'a dit que ce n'était pas seulement le comportement Israélien mais aussi la responsabilité des Américains, je ne pouvais pas ne pas être d'accord : Les armes américaines utilisées depuis 7 ans, les traités internationaux ignorés, les communautés maintenues sous la terreur.

J'ai dû partir alors que la nuit allait tomber, on dit qu'il y aura une operation militaire à Naplouse cette nuit, et la famille qui nous héberge fut rassurée par notre retour. Alors que j'écris, d'autres internationaux sont restés au Checkpoint, attendant que les soldats s'en aillent et que le chauffeur de l'ambulance révèle ce qui lui est arrive.

Si seulement je racontais un incident isolé de soldats perdant son calme - mais non, cela arrive chaque jour dans ce second Intifada, et je vois une génération entière d'enfants, à qui l'on refuse l'éducation en raison du couvre-feu, se radicaliser. Et cela m'effrait que les soldats Israéliens et leur nouveau Chef d'Etat-Major ne soient pas capables de le voir. Il croit que cette ligne dure cassera les Palestiniens. Il se trompe.

A chaque fois, les enfants reviennent encore.