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ISM France - Archives 2001-2021

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Article lu 2011 fois

Jénine -

Je leur ai construit un terrain de football en plein milieu du camp

Par

Moshe Nissim, surnommé "Kurdi Bear" (1), le conducteur du D-9 qui est devenu la terreur des habitants du camp de réfugiés de Jénine, parle sans censure de son heure de gloire.
Je suis entré à Jénine par folie, par désespoir, je sentais que je n'avais rie à perdre, que même si "j'y restais", ce n'était pas grave.
"J'ai dit mon épouse : 'S'il m'arrive quelque chose, au moins quelqu'un prendra soin de toi !". J'ai commencé mon service de réserves dans les pires conditions possibles. C'est peut-être pour ça que je m'en foutais. Des charges explosives, des tirs.

"J'étais dans une grosse merde depuis un an et demi. Depuis près de six mois, j'étais suspendu de mon poste comme inspecteur à la municipalité de Jérusalem.

"J'y travaillais depuis 17 ans, jusqu'à ce que ce maudit jour, le 20 janvier, le jour de mon 40ème anniversaire, quand la police est venue m'arrêter.

"Ils ont dit que mes collègues et moi de l'équipe d'inspection étions suspectés d'avoir été achetés des entrepreneurs et d'autres chefs d'entreprises, qu'en fait, nous étions un groupe corrompu.
"C'est une terrible injustice. Je suis un type très sympa, et dans ce travail, on se mélange aux personnes qu'on inspecte. Mais corrompu ? Moi ?

"J'étais endetté de plusieurs centaines de milliers de Shekels depuis bien avant toute cette histoire. Si j'avais reçu des dessous de table, j'aurais de l'argent, mais je ne pourrais pas même payer l'avocat. Depuis lors je suis suspendu. Mon épouse a été virée aussi, et j'ai quatre enfants à élever.

"Ce n'était pas ma première mésaventure. Quelques mois plus tôt, j'avais été blessé gravement au dos, mon femme était virée, et mon fils avait été renversé et il avait dû être opéré pour sauver sa jambe.

"Aujourd'hui, il va bien, mais son grand rêve et le mien, devenir un jour un joueur dans l'équipe du Betar à Jérusalem, ce rêve a probablement disparu pour toujours. Dommage. Il était vraiment doué. Je lui avais déjà promis qu'il entrerait dans l'équipe des enfants du Betar.

Pendant deux ans, ça a été emmerdes sur emmerdes. Je n'ai pas gagné un sou, mais j'aime les gens. Je ne peux pas être indifférent. Pendant les fêtes, je distribue des paquets de nourriture aux gens dans le besoin. Même à Pâques. Je courrais comme un fou. Et puis, j'ai commencé à recevoir des appels téléphoniques de mecs qui me disaient : "Kurdi, nous sommes tous recrutés pour faire le service de réserves, mais tu n'es pas appelé."

La vérité c'est que je comprenais mes commandants. Hé, j'avais fait mon service de réserves pendant 16 ans, et j'étais inutile. Je n'avais rien fait sauf poser des problèmes."

Pendant mon service régulier obligatoire (2), j'étais constamment condamné à de la prison, parce que je refusais d'être électricien sur les engins. Dans mon unité, dans l'unité , j'étais aussi censé être électricien d'engin, mais en réalité, je ne faisais rien, je faisais juste chier. Si j'avais été dans l'unité, j'aurais immédiatement ouvert une table de jeu et une bouteille. Si un officier avait osé m'envoyer faire la garde, je l'aurais d'abord renvoyé promener. Kurdi en a toujours fait qu'à sa tête.

"Quand je savais que j'allais à un match de football du Betar, ou que je rentrais à la maison, personne ne pouvait m'arrêter. Je démarrais la voiture et je partais.

La vérité c'est qu'ils ne me connaissaient même pas. Quand on me donne une responsabilité, je peux agir différemment.
Dans le désastre de "Versailles" (3), j'étais responsable de toute une équipe d'inspection sur le terrain. Quand l'un des types de mon unité militaire m'a vu, il a été choqué. Il m'a dit : "Dans l'armée, tu ne peux même pas attacher tes lacets, et ici tu es un grand chef !"

La vérité c'est que quand je décide enfin de faire quelque chose, je suis un type obstiné. Je vais jusqu'au bout. Cette fois, c'était l'un de ces moments.

Que n'ai-je pas fait pour qu'ils me prennent ? J'ai envoyé les gars tordre le bras du commandant de bataillon, j'ai téléphoné au commandant de la compagnie, je les ai rendu fous. "Je promets de travailler", ai-je supplié le commandant de bataillon. Pour finir, il a accepté de me donner une chance.
Il m'a dit : "Kurdi, tu ne peux pas les laisser tomber. Plus de conneries !

Celui qui parle, c'est Moshe Nissim, c'est-à-dire "Moshe Nissim - Betar Jerusalem".

Dans le camp de réfugiés de Jénine, il était appelé à la radio de l'armée : "Kurdi Bear".

Kurdi, parce que c'était le nom auquel il tenait. Bear, après que le D9 qu'il conduisait ait démoli maison après maison.
Il n'y avait pas un soldat à Jénine qui n'ait pas entendu son nom.
Kurdi Bear était considéré comme le conducteur le plus dévoué, le plus brave et probablement le plus destructeur. Un homme à qui le comité d'enquête sur le camp de Jénine aimerait bien parler.
Pendant 75 heures, sans coupure, il fût assis sur un énorme bulldozer, des charges explosives éclatant partout autour de lui, et il a rasé maison après maison.

Son histoire qu'il raconte ouvertement et sans inhibitions, est loin d'être un mythe de guerre habituel. Des médailles, semble-t'il, ne lui seront pas attribuées pour ça. (En fait, plus tard sa compagnie a reçu une citation pour service exceptionnel.)


L'expérience

"Ce qui es drôle, c'est que je ne savais même pas conduire un D9. Je n'avais jamais été conducteur de D9. Mais je les ai suppliés de me donner une chance d'apprendre.

"Avant, nous étions allés à Shekhem (Naplouse). J'avais demandé à l'un des gars de m'apprendre. Il s'est assis avec moi pendant deux heures. Ils m'ont appris comment conduire et rendre une surface plane. "J'ai appris sans problèmes et je leur ai dit : "Voilà. Ecartez-vous et laissez-moi travailler."

"C'est aussi ce qui est arrivé à Jénine. Je n'avais jamais démoli une maison avant, ou même un mur. Je suis monté dans le D-9 avec un ami à moi, un Yemenite. Je l'ai laissé travailler pendant une heure, et alors je lui ai dit : "Ok, j'ai une idée."
Mais les choses sérieuses ont commencé le jour où 13 de nos soldats ont été tués dans cette ruelle dans le camp de réfugiés de Jénine.

Quand ils nous ont amenés, je savais que personne ne voulait travailler avec moi. Ils avaient peur d’être avec moi dans le bulldozer. Non seulement j’avais une réputation de fouteur de merde, mais aussi d’un gars qui n’a peur de rien, et ils avaient raison là-dessus.Je n’ai vraiment peur de rien.

Ils savaient que je n’avais peur de rien, que j’en ai rien à foutre, et que je peux aller n’importe où, sans poser de questions, sans escorte de tanks ou d'APC ou de quoi que ce soit.

Une fois, à Jénine, j’ai laissé le char qui nous escortait partout. Je voulais faire le tour du camp, voir ce qui se passait. Gadi, l’autre conducteur qui était avec moi, a failli s'évanouir. Il est devenu dingue : "Fais demi-tour", criait-il, "nous n'avons pas d’escorte !", mais je voulai mieux connaître les lieux, trouver une sortie, juste au cas où on en aurait besoin. Je n’avais pas peur de mourir. Au moins, j’étais assuré. Cela aurait aidé ma famille."


Le drapeau

Quand nous sommes arrivés dans le camp, les D-9 attendaient déjà. Ils avaient été amenés en camion depuis Shekhem (Naplouseà. J’ai eu le gros D-9L, avec le Yéménite, mon partenaire. La première chose que j’ai faite, ça a été d’attacher le drapeau de l’équipe du Bétar. Je l’avais préparé à l’avance. Je voulais que ma famille puisse m’identifier.

J’ai dit à ma famille et aux enfants : "Vous verrez mon bulldozer à la télé. Quand vous verrez le drapeau du Bétar, ça sera moi". Et c’est exactement ce qui s’est passé.

"Je sais que ça a l'air dingue, mais pour moi, c'était complètement normal d'accrocher ce drapeau. Comme manger. Ici, regarde ce pendentif du Betar autour de mon cou. Je ne l'enlève jamais. Mes enfants n'ont plus ne l'enlèvent jamais. Je mets des drapeaux du Betar partout où je vais. Regarde ma voiture, elle est couverte de ces drapeaux.

Je suis comme ça. Je vais toujours aux matchs du Betar, dans un Galabia (robe portée par les hommes Arabes)aux couleurs du Betar, et à un gros tambour des Kurdes du Castel.

Un jour, après notre premier championnat national, j'ai fait la route sur le toit d'une voiture, en portant le tambour, jusqu'à Jérusalem

Le Bétar, c’est un truc dans mon cerveau. Il n'y a pas d'autre façon de l’expliquer. Après ma famille, c’est la chose la plus importante dans ma vie, et la seule chose qui puisse me tuer. A Jénine, je n’ai pas eu peur un seul moment, mais je ne peux plus aller aux matches du Bétar depuis six mois.

Le suspense me tue, et j’ai tout le temps peur d’avoir une crise cardiaque. Parfois, je peux marcher autour de Teddy (le principal stade de Jérusalem) avec un billet pour le match à la main et je ne peux pas entrer.

Lors d'un match, à Beit Shean, je me suis évanoui après l'égalisation. Je sais que ça a l'air bizarre mais c'est comme ça. Incurable. A la maison, ils savent qu'il ne vaut mieux pas me parler si le Betar perd un match.

Alors maintenant, vous comprenez pourquoi le drapeau du Bétar était sur mon bulldozer à Jénine. Quelqu’un m’a dit que mon commandant voulait l’enlever. Mais pas question. Si j'avais eu un mot à dire sur le sujet, il y aurait eu un drapeau du Bétar en haut de la mosquée du camp.
J'ai tenté de convaincre un officier des Golani (une brigade d'infanterie de l'armée israélienne) pour qu'il me laisse y monter et l'accrocher, mais il a refusé. Il a dit qu'il me tirerait dessus si j'essayais. Dommage.

Le drapeau était l'objet le plus marquant dans le camp. Les réservistes qui sont rentraient à la maison pour une courte période revenaient avec des drapeaux du Bétar, juste pour m'imiter.


Il a fait beaucoup de bruit, mon drapeau. Les soldats de la Golani étaient stupéfaits. "T’as ramené le Bétar ici", me disaient-ils.

Et je leur ai dit : "Je vais construire un stade Teddy ici, ne vous en faites pas."

A la radio, ils voulaient m’appeler "Moshe Bea"r, mais j’ai insisté pour Kurdi. J’ai dit aux Golanis : "Je suis Kurdi, et je me répondrai pas si vous m’appelez par un autre nom." C’est comme ça que Kurdi Bear est né. C’est mon nom et je suis tétu.

Chezq les Réservistes, ils étaient déjà habitués à ma signature : "Moshe Nissim Betar Jérusalem". Pendant un moment, ils m'ont demandé d'arrêter, mais finalement ce sont eux qui ont abandonné."


Attaquer

Au moment où je suis entré dans le camp avec le bulldozer, quelque chose s’est passé dans ma tête. Je suis devenu dingue. Tout le desespoir causé par ma situation personnelle a disparu d'un coup. Tout ce qui restait, c’était la colère de ce qui était arrivé à nos gars. Encore maintenant, je suis convaincu, comme tous les autres, que si on nous avait laissés entrer dans le camp plus tôt, avec toutes forces, 24 soldats n’auraient pas été tués dans le camp.

Quand je suis entré dans le camp, pour la première fois, je ne pensais qu'à la façon d'aider ces soldats. Ces combattants. Des enfants de l'âge de mon fils. Je ne pouvais pas comprendre comment ils travaillaient, avec le risque d'explosion d'une charge à chaque pas que tu fais.

"Avec la première mission que l'on m'a donnée, ouvrir un chemin à l'intérieur du camp, j'ai compris quel genre d'enfer c'était.

Ma première mission, où j'étais volontaire, fût d’amener à manger aux soldats. On m’a dit : "La seule façon d’amener de la nourriture là-bas, c’est avec le D-9".
Ils n’ont pas mangé depuis deux jours. On ne pouvait pas mettre le nez dehors. J’ai rempli le bulldozer jusqu'au toit et j’ai conduit le bulldozer jusqu’à la porte de leur poste, pour qu’ils n’aient pas à faire un pas à l'extérieur de leur abri. Un pas, c’était suffisant pour perdre un bras ou une jambe.

On ne pouvait pas savoir où se trouvaient les charges. Ils (les combattants palestiniens) creusaient des trous dans le sol et y mettaient des charges.

On commençait juste à conduire, et on touchait une canalisation de 8 cm de large, soudée de chaque côté. Quand on les touchaient, elles explosaient. Tout avait été piégé.
Mêmes les murs des maisons. Il suffisait de les toucher, et ils sautaient.

Ou bien ils vous tiraient dessus au moment où vous entriez. Il y avait des charges dans les rues, sous les planchers, entre les murs.

A chaque fois qu’on perçait un trou, quelque chose sautait. J’ai vue une cage à oiseaux exploser dans une animalerie, en ouvrant un passage. Une cage à oiseaux volante. J’étais désolé pour les oiseaux. Ils mettaient des charges partout.

Pour moi, dans le D-9, ce n'était rien. Je n'y prêtais pas attention. On entend seulement les explosions. Même 80 kilos d'explosifs font seulement vibrer la lame du bulldozer. Il pèse trois tonnes et demi (4). C'est un monstre. Un tank peut être touché au r ventre. Leur ventre est sensible. Avec le D-9, vous devez seulement faire attention aux RPG ou à 50 kilos d'explosifs sur un toit. Mais je n'y pensais pas à ce moment-là. La seule chose qui a importé était que ces soldats ne devaient pas prendre de risques pour manger ou boire quelque chose.

J'étais tombé amoureux de ces enfants. J'étais prêt à faire tout ce qu'ils me demandaient avec mon bulldozer. Je suppliais du travail : "laissez-moi terminer une autre maison, ouvrir un autre chemin."

"En retour, ils me protégeaient. Je sortais du bulldozer sans armes, rien. Je marchais, c'est tout.

Ils m'ont dit que j'étais fou, mais j'ai dit : "Laissez-moi seul. De toute façon, le gilet de protection ne me sauvera pas." Voilà comment j'ai travaillé. Même sans chemise. A moitié nu.

Savez-vous comment j’ai tenu pendant 75 heures ? Je ne suis pas sorti du bulldozer. Je n’avais pas de problèmes de fatigue, parce que je buvais du whisky tout le temps. J’avais tout le temps une bouteille dans le bulldozer. Je les avais mises dans mon sac à l’avance. Tout le monde emportait des vêtements, mais je savais ce qui m’attendait là-bas, alors j’avais emmené du whisky et de quoi grignoter.

"Des vêtements ? Il n'y en avait pas besoin. Une serviette suffisait. De toute façon, je ne pourrais pas sortir du bulldozer. Vous ouvriez la porte, et vous receviez une balle. Pendant 75 heures, je n'ai pas pensé à la maison, à tous problèmes. Tout était effacé. Parfois des images d'attaques terroristes à Jérusalem me venaient à l'esprit. J'avais été témoin de certaines d'entre elles.


La pureté de nos armes

Que veut dire "ouvrir un chemin" ? Vous rasez des bâtiments. Des deux côtés.

Il n’y a pas d’autre choix, parce que le bulldozer était beaucoup plus large que leurs ruelles. Mais je ne cherche pas d’excuses ou quoi que ce soit. Vous devez les raser. Je m'en foutais de démolir leurs maisons, parce que ça sauvait les vies de nos soldats. J’ai travaillé là où nos soldats avaient été masssacrés. Ils n’ont pas dit toute la vérité sur ce qui s’est passé.
Ils avaient percés des trous dans les murs, des trous pour des canons des fusils. Quand on échappait aux charges, on était abattu à travers ces trous.

Je n’avais de pitié pour personne. J’aurais écrasé n’importe qui avec le D-9, juste pour que nos soldats ne s'exposent pas au danger. C’est ce que je leur ai dit. J’avais peur pour nos soldats.
On pouvait les voir dormir ensemble, 40 soldats dans une maison, pleine à craquer. J'étais de tout cœur avec eux. C’est pour ça que j’en n’avais rien à foutre de démolir toutes les maisons - et j’en ai démoli beaucoup. A la fin, j’y avais construit le stade de football "Teddy".

Difficile ? Pas du tout. Vous plaisantez. Je voulais tout détruire. Je suppliais les officiers, à la radio, de me laisser tout abattre ; du haut en bas. Tout raser.
Ce n'est pas comme si j voulais tuer. Juste les maisons. Nous ne blessions pas ceux qui sortaient des maisons que nous avions commencé à démolir avec des drapeaux blancs à la main. Nous voulions nous faire seulement ceux qui voulaient se battre.

Personne n’a refusé un ordre d’abattre une maison. Pas question. Quand on me disait d’abattre une maison, j’en profitais pour en démolir plusieurs autres ; par parce que je le voulais, mais parce que lorsqu'on vous demande de démolir une maison, il y a, en général, plusieurs autres qui gênent, donc, il n'y a pas d'autres moyens. Je l'aurais fait même si je ne l’avais pas voulu. Elles étaient sur ma route.

Si je devais abattre une maison, que l’enfer ou les eaux s’en mêlent, je le faisais. Et, croyez-moi, nous en avons démoli trop peu. L'ensemble du camp était jonché de charges explosives.

Ca a, en fait, a sauvé la vie des Palestiniens eux-mêmes, parce que s’ils étaient revenus dans leurs maisons, ils auraient sauté.
Pendant trois jours, j'ai détruit et j'ai détruit. Le secteur tout entier. Chaque maison d'où ils tiraient a été démolie.

Et pour la démolir, j'en mettais plusieurs autres par terre. Ils ont été avertis par haut-parleur de sortir de la maison avant que j'arrive, mais je n'ai donné aucune chance à personne. Je n'ai pas attendu. Je n'ai pas donné un coup, et attendu qu'ils sortent. Je fonçais sur la maison à pleine puissance pour l'abattre le plus rapidement possible. Je voulais démolir les autres maisons. En démolir le plus possible.

D'autres se seraient peut-être retenus, ou c'est ce qu'ils disent. De qui se moquent-ils ?

Tous ceux qui étaient là et qui ont vu nos soldats dans les maisons, ont compris qu'ils se trouvaient dans un piège mortel. J'ai seulement pensé à les sauver. Je me foutais des Palestiniens, mais je n'ai pas tout détruit sans raisons. C'était les ordres.

Beaucoup de gens étaient à l'intérieur des maisons que nous avions commencé à démolir. Ils auraient pu sortir des maisons pendant que nous travaillions. Je n’ai pas vu, de mes yeux, quelqu’un mourir sous la lame du D-9. Et je n’ai pas vu de maison s’effondrer sur des personnes en vie. Mais, si c’était le cas, je m’en foutrais totalement.

Je suis sûr que des gens sont morts dans ces maisons, mais c’était difficile à voir parce qu’il y avait beaucoup de poussière partout, on travaillait beaucoup la nuit. J’étais content à chaque maison démolie, parce que je savais qu'ils s'en foutaient de mourir, mais qu’ils tenaient à leurs maisons.

Si vous abattez une maison, vous enterrez 40 ou 50 personnes pour des générations. Si je suis désolé pour quelque chose, c'est de ne pas avoir démoli le camp tout entier.



Satisfaction

Je ne me suis pas arrêté un instant. Même quand on avait une pause de deux heures, j’insistais pour continuer. Je préparais une rampe, pour détruire un immeuble de quatre étages. Une fois j’ai tourné brutalement à droite, et tout un mur est tombé. Soudain, j’ai entendu crier à la radio : "Kurdi, regarde, c’est nous !"
Il se trouve qu’il y avait des gars à nous à l’intérieu, et qu'ils avaient oublié de me le dire.

J’ai eu beaucoup de satisfaction. J’ai vraiment adoré. Je me souviens d'avoir fait tomber un mur d’un immeuble de quatre étages. Il est tombé sur mon D-9. Mon partenaire me hurlait de faire marche arrière, mais j’ai laissé le mur nous tomber dessus. Nous devions viser les côtés des bâtiments, et puis les percuter. Si le travail était trop dur, on demandait à un char de le bombarder.

Je ne pouvais pas m’arrêter. Je voulais travailler et travailler encore. Il y avait cet officier des Golanis qui nous donnait des ordres par radio : je le rendais fou. Je n’arrêtais pas de demander de plus en plus de missions.

Le dimanche, quand les combats ont été terminés, nous avons reçu l'ordre de sortir nos D9 du secteur et d'arrêter de travailler sur "notre stade de football", parce que l'armée ne voulait pas que les caméras et la presse nous voient en train de travailler.

J'étais vraiment contrarié parce que j'avais prévu de démolir la grosse pancarte à l'entrée de Jénine - trois poteaux avec une photo d'Arafat. Mais dimanche, ils nous ont faits partir avant que j'aie eu le temps de le faire.

J'ai râlé pour qu'ils me donnent plus de travail. Je leur ai dit à la radio : "Pourquoi voulez-vous que je me repose ? Je veux plus de travail !"
Cette fois, j'étais vraiment malade. J'avais la fièvre. J'étais lessivé quad je suis revenu de Jénine. A la petite cuillère. Le lendemain, j'y suis reparti. Un des gars était malade, et je me suis porté volontaire. Je suis revenu. Le commandant du bataillon était choqué quand il m'a vu. Les autres conducteurs avaient tous pété les plombs et avaient besoin de repos, mais j'ai refusé de partir. J'en voulais plus.

J'ai eu beaucoup de satisfactions à Jénine, beaucoup de satisfactions. C'est comme si j'avais compensé en 3 jours les 18 ans où je n'ai rien fait. Les soldats sont montés et m'ont dit : "Kurdi, merci beaucoup. Merci beaucoup". Et j'avais de la peine pour les 135. Si nous étions entrés dans le bâtiment où ils ont été attirés dans un guet-apens, nous aurions enterré tous ces Palestiniens vivants

J'ai continué à penser à nos soldats. Je ne me suis pas senti désolé pour tous ces Palestiniens qui se sont retrouvés sans abri. Je me suis juste senti désolé pour leurs enfants, qui n'étaient pas coupables. Il y avait un enfant qui avait été blessé par balle par des Arabes. Un infirmier des Golanis est descendu et a changé ses bandages, jusqu'à ce qu'il soit évacué. Nous avons pris soin d'eux, des enfants. Les soldats leur ont donné des bonbons. Mais je n'ai eu aucune pitié pour les parents de ces enfants.
Je me suis souvenu de l'image à la télévision, de la mère qui disait qu'elle porterait des enfants pour qu'ils aillent se faire exploser à Tel Aviv. J'ai demandé aux femmes palestiniennes que j'ai vues là-bas : "N'avez-vous pas honte ?"

Quand j'ai eu terminé le travail, je suis sorti du bulldozer, j'ai empilé quelques vêtements sur le bord de la route, et je me suis endormi. Ils se sont occupés de moi, de sorte que je ne sois pas écrasé par un tank ou autre chose. Toute la fatigue des dernières 75 heures me tombait dessus.

Il y avait beaucoup d'excitation dans ce que j'ai fait. Le fait que j'ai fait un bon travail avec le bulldozer, que les soldats qui sont venus me voir après avoir été partout, m'aient dit : "Merci". C'était suffisant pour moi. Ils me manquent. Je les ai tous invités chez moi pour Kubeh. Leur commandant, Kobi, celui avec qui j'ai travaillé tout au long des 75 heures, était stupéfait par l'invitation.
"Vous voulez que la compagnie entière vienne chez vous ?"
Je lui ai dit : "Pour autant que je sois concerné, amenez le bataillon entier."

"J'ai téléphoné ma mère, depuis le D-9, et je lui ai dit que le bataillon entier allait venir.

Elle a dit : "pas de problèmes". Je les attends



Politique

«Je sais que beaucoup de gens pensent que mon attitude vient du fait que je suis un membre du 'Beitar' et du 'Likud' (6). C’est vrai. Je suis fortement à Droite. Mais cela n'a rien à voir avec ce que j'ai fait à Jénine. J'ai de nombreux amis arabes. Et je le dis, si un homme n'a rien fait : ne le touchez pas. Un homme qui a fait quelque chose : pendez-le. Même une femme enceinte : tuez-la sans pitié si elle cache derrière elle un terroriste. C'est ainsi que j'ai pensé à Jénine. Je n'ai répondu à personne. Je n’en avais rien à cirer.

L'essentiel était d'aider nos soldats. Si j'avais eu trois semaines, je me serais encore plus amusé. C'est à dire, s’ils m’avaient laissé démolir le camp tout entier. Je n'ai pas de pitié.

"L’ensemble des organisations des droits de l'homme et l'ONU qui se sont occupés de Jénine, et ont transformé ce que nous avons fait en un tel problème, racontent des conneries et mentent. Beaucoup de murs de ces maisons ont explosé tout seul, dès qu’on les touchait. Cependant, c’est vrai que lors des derniers jours nous avons écrasé le camp. Et oui, c’était justifié. Ils avaient abattu nos soldats. Ils ont eu la chance de se rendre.

"Personne n’a exprimé de réserves contre ce que nous faisions. Pas seulement moi. Qui aurait osé parler? Si quelqu'un avait voulu ouvrir sa bouche, je l'aurais enterré sous le D-9.
C'est pourquoi je n'ai pas fait attention aux centaines (7) que nous avons rasés. En ce qui me concerne, je leur ai laissé un stade de football, comme ça ils pourront jouer. C’était un cadeau pour le camp. Mieux que les tuer. Ils vont rester tranquilles. Jénine ne sera plus ce qu’elle était."


Epilogue

"Deux jours après avoir quitté Jénine, «Kurdi Bear» a été admis à l'hôpital, il souffrait d’une pneumonie. En fait, les 75 heures de suite passées dans son D-9 avaient laissé des traces. Quelques jours après être rentré chez lui, un appel téléphonique l’a réveillé en plein milieu de la nuit.

«J’ai passé une nuit à la maison et, je ne sais pas pourquoi je ne pouvais pas dormir. J'étais mal à l'aise.
"J’étais resté debout jusqu'à 4h du matin, tout à coup le téléphone a sonné :«Êtes-vous le père de Nati ?"

"Je lui ai demandé ce qui se passait." ‘Venez à l'hôpital’. "Dites-moi la vérité" lui ai-je demandé.

"Je dois savoir». Elle a dit : «Ca ne va pas. Venez». Je me suis précipité à l'hôpital Tel Hashomer. Une infirmière et un travailleur social m’attendaient. Ils voulaient me dire que mon fils était mort. Que lorsqu’il était arrivé, il était déjà mort. Terminé. Graves lésions cérébrales. Ils avaient l’intention de me demander de donner ses organes.

"Tout à coup, elle a couru en salle d’opérations, elle est revenue et a dit qu’ils avaient drainé le sang de son cerveau, et qu'elle espérait qu’il allait survivre. Nous le saurons dans les 72 heures. Nous nous sommes précipités pour avoir une amulette du Rabbin Caduri. Il avait aidé l’équipe du Beitar quand nous étions tombés dans une Ligue inférieure. Le vendredi, ils nous ont demandé de revenir à l'hôpital. Ils étaient en état de choc: Le gamin venait d’arracher ses tubes respiratoires. Il s'était réveillé».

Nati Nissim, 20 ans, était allongé sur un lit, au cinquième étage de l'hôpital Beit Levinstein, couvert la tête aux pieds d’un uniforme noir et jaune de l'équipe de foot du Beitar.
"Papa", dit-il soudainement "N’oublie pas. Il faut que j’aille à la demi-finale."
Kurdi Bear, le menton hirsute et les yeux rouges, s’est figé pendant une seconde et a tenté de ramener son fils à la réalité. "Nati", dit-il doucement, "je te l'ai déjà dit, le Beitar a perdu."

Nati rit. "Peu importe! Je vais au match!" dit-il en tentant de se lever. Le père a caché sa frustration et a cessé de lutter. Dans l'accident, son fils avait perdu sa mémoire à court terme.

Tout comme dans le film "Momento", il pouvait se rappeler, avec une étonnante précision, n’importe quel but du Beitar dix ans en arrière voire plus, mais il oubliait en quelques minutes à qui il parlait. «Pourquoi suis-je ici?" demandait-il à ses parents encore et encore, et il penchait la tête avec embarras quand une connaissance lui rappelait une conversation qu'ils avaient eu seulement la veille.

Kurdi s’assoit dans la salle et essaie d’avoir l’air aussi optimiste que possible. Les médecins parlent d'un long processus de guérison. Ils disent qu'ils ne savent pas si et quand la mémoire de Nati sera de retour à la normale.

La situation financière n'est pas brillante non plus. Lui et sa femme, Ronit, peuvent difficilement acheter de l’essence pour sa Subaru cabossée qui tente de faire le trajet entre le quartier Castel et l'hôpital. Kurdi veut construire lui-même une tente en face de l'hôpital. Pour le moment, il dort dans la voiture.

«Jénine m’a rendu plus fort», dit-il. «Cela m'a aidé à oublier mes soucis. J'avais espéré que ce serait un tournant, jusqu'à ce que ceci me frappe. Mais ce qui est arrivé à Nati m'a enseigné ce qui est vraiment important. Je suis vivant maintenant pour mon fils. Le reste n'est vraiment pas important. "
Les amis de son unité de réservistes l’aident.

"Il s'est levé quand c’était vraiment important. Il était là, dans les moments les plus éprouvants», dit Tamam Haim, un soldat qui sert avec lui. "Personne n'a fonctionné comme il l'a fait. Et je ne sais pas si l'un de nous pourrait traverser le cauchemar qui lui est arrivé sans se mettre une balle dans la tête. Il nous surprend tous."

Yeffet Damti, son partenaire du bulldozer à Jénine, a déclaré qu’une chose est certaine: "Sur la prochaine mission, je n’irai qu’avec Kurdi".
Kurdi, pour sa part, remercie ses commandants de lui avoir donné la chance.

Pour l'instant, ils l’entourent d’attention et de sympathie. Ils sont venus ici, à l'hôpital, juste pour être avec lui. Juste pour qu'il ne soit pas seul. Ils parlent de la collecte de fonds pour l'aider. Quand ils le rencontrent à côté de son fils dans le lit, les souvenirs de ces 75 heures reviennent.

Les discussions autour du lit du fils continuent jusqu’à ce que la direction de l'hôpital les appelle pour leur supplier d'arrêter de se vanter de la destruction de Jénine. Il y a des thérapeutes arabes qui pourraient être blessés, et l'un des patients arabes s’est déjà plaint.


NOTES

1 "Bear" est le nom de code de l'armée pour les bulldozers D-9. Kurdi, signifie une personne d'origine kurde

2 En Israël, les hommes sont recrutés à l'âge de 18 ans pour 3 ans de service militaire obligatoire. Après avoir été libérés, à l'âge de 21 ans, ils entrent dans le corps de réserve. Le devoir de réserve exige habituellement 30 jours de service dans l’armée chaque année, jusqu'à l'âge de 45 ans

3 En Janvier 2001, un bâtiment à Jérusalem s'est effondré lors d'un mariage dans une salle appelée Versailles. Quelque 25 personnes ont été tuées.

4 Le D-9 pèse en réalité 48,7 tonnes, sans le blindage. Avec le blindage, il pèse environ 60 tonnes.

5 Le conducteur fait référence à la journée au cours de laquelle 13 soldats israéliens ont été tués par des combattants palestiniens dans une embuscade à Jénine.

6 Deux de mouvement de Droite. Le Beitar, un mouvement de jeunesse, est plus nationaliste. Le Likoud est le principal parti de Droite.

7 Il s’agit de la surface, en mètres, de la partie du camp qui a été totalement démolie.

Source : http://gush-shalom.org/

Traduction : MG pour ISM

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