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Hébron - 28 mars 2016
Par ISM
Je voulais en savoir plus sur Laila depuis que je l'ai rencontrée, le jour de mon arrivée ici. Elle est la seule femme à tenir un magasin dans le souk et elle loue également des chambres. Un soir je l'ai vue tenir tête aux soldats qui ne voulaient pas la laisser passer pour rentrer chez elles. J'ai pu mesurer à quel point sa fermeté et sa confiance sont impressionnantes en réalisant cet entretien avec elle.
Dans le magasin de Laila, on trouve les mêmes beaux produits palestiniens traditionnels que dans beaucoup d'autres, dans le souk, mais les siens sont le produit d'une coopérative rurale de femmes gérée par sa sœur Nawal. Laila sert le thé et nous nous installons pour parler. A côté de moi il y a des boîtes de perles, d'argent et de pierre dans lesquelles, assise près d'elle, je fouine.
Laila ne vient pas d'une famille d'Hébron : elle a grandi dans un des villages des collines et elle parle avec lyrisme de son enfance là-bas, dans ce qui a dû être une éducation à la dure. L'hiver, ils vivaient dans le village, dans une grotte avec les animaux, et en été sous une tente près des cultures : quand elle était enfant, sa famille vivait sur un petite parcelle, seul vestige de la terre dont elle avait été propriétaire avant 1948 et la Nakba.
"Quand tu connais nos vies, tu te demandes comment nous avons survécu. Nous avons survécu avec de petites choses. Je me souviens, quand nous étions enfants, notre nourriture venait du jardin, nous cuisinions des légumes, nous attrapions des oiseaux. C'était une vie simple. Nous avions un feu pour la cuisine, de l'eau dans les puits ou à la source. Il y a des gens pour qui c'est très dur, mais pour nous, nous aimions beaucoup cette vie, bien plus qu'à la ville."
Puis après 1967, avec l'arrivée des colonies, est arrivée la peur, et elle était justifiée ; au fil des ans, les colons ou les soldats ont brûlé la majorité des oliviers du village. Les gens ont perdu encore plus de terres dans la dernière décennie lorsque le mur de séparation a découpé des secteurs pour que son trajet soit "droit", et ils n'ont plus pu aller dans leurs oliveraies pour faire la récolte.
"Au début, ils ont laissé quelques personnes entrer, pas beaucoup, pour cueillir les olives, mais après ils ont brûlé les arbres. Maintenant la terre est vide, ils s'en sont emparés et ils s'en servent pour l'agriculture, ils ont beaucoup de vaches dans ce village de colons." Récemment aussi, les colons qui ont été évacués de Gaza en 2005 ont été installés dans de nouvelles maisons construites à proximité de leur village. "Ça rend nerveux et triste de voir comment ils prennent votre terre. Ils ont tout ; et en même temps, vous ne pouvez même pas acheter 200m² de terre pour construire une maison pour votre enfant."
Aujourd'hui Laila vit au coeur d'une ville complexe et dangereuse, mais ce n'est pas ainsi qu'elle veut vivre.
"Maintenant la vie est plus compliquée, il faut tout acheter ; il faut acheter l'eau, il faut acheter la nourriture, tout est moderne et ça coûte plus cher que ce que nous pouvons payer. La vie d'avant me manque, je voudrais que mes enfants aient la même vie que celle que j'ai eue."
La nécessité de gagner sa vie a conduit Laila et son mari en Jordanie pendant 3 ans mais elle a tellement détesté cette expérience qu'ils ont dû rentrer. Elle a travaillé ensuite pendant de nombreuses années dans une coopérative de femmes à Jérusalem, jusqu'à ce que le gouvernement israélien construise le mur de séparation et qu'elle ne puisse plus aller travailler. C'est à ce moment là que sa nouvelle vie à Hébron a commencé : sa soeur Nawal lui a demandé de s'occuper du magasin de sa coopérative rurale de femmes, dans le souk, et malgré les objections de Laila parce qu'elle ne parlait pas anglais, Nawal lui a confié la boutique pour des périodes de plus en plus longues jusqu'à ce qu'elle s'en occupe entièrement.
"A ISM, il y a une fille que je ne l'oublierai jamais, elle est venu au magasin tous les jours. Elle voulait apprendre l'arabe, je voulais apprendre l'anglais. Nous avons commencé à écrire l'une pour l'autre et cela m'a encouragé à parler un peu, et je me suis mise à écouter les gens qui parlent. J'apprends tous les jours."
Maintenant, même s'il est personnel, son anglais est bon, comme ses compétences entrepreneuriales ; elle ne fait pas pression sur les clients (contrairement à d'autres qui sont désespérés en ces temps difficiles) et les gens aiment revenir chez elle pour acheter.
Elle a récemment étendu ses activités à l'exploitation d'une location dans le souk, sur Air B'nB (si vous venez à Hébron : https://www.airbnb.com/rooms/2148561?s=LVjE97o5). Là aussi les militants d'ISM l'ont aidée. Quand leur appartement de Tel Rumeida est devenu une "zone militaire fermée" il y a quelques mois, Laila les a dépannés.
"Un ami m'a aidée à proposer mon appartement sur Airbnb. Les gens qui séjournaient chez moi m'apprennaient à m'en servir. Et après ça, j'ai commencé à proposer des repas à des gens, à des groupes. Grâce au bouche-à-oreille ils me connaissent, ils aiment et ils le disent à d'autres."
Ce degré d'indépendance et d'initiative est surprenant dans l'environnement très masculin du souk. Et alors Laila me dit quelque chose auquel je ne m'attendais pas :
"J'aime faire des choses que les femmes ne peuvent pas faire, qui sont réservées aux hommes. J'aime me mettre à une place où je peux être forte." Je lui demande pourquoi.
"Je ne sais pas. Peut-être parce que quand j'ai grandi avec mon père, il m'a toujours appris à être forte : quand tu as des problèmes, parles-en. Il a été très clair avec moi. Vraiment, il m'aime plus que les garçons. Et les gens dans le village n'ont jamais dit que j'étais une fille. Je ressemblais à un garçon, pas à une fille. Et je continue comme ça. Je respecte les hommes mais je ne suis jamais intimidée dans les endroits où ils sont. Allah ne peut pas leur donner plus qu'il me donne. Il donne pareil. Je suis une femme devant Allah, mais je sens que je peux faire ce qu'ils font. J'aime ça."
Puis nous parlons de la vie à Al-Khalil/Hébron, et elle me met les larmes aux yeux lorsqu'elle me dit, "nous ne devons pas pleurer, nous devons être patients". Ses deux fils ont été arrêtés plusieurs fois. Un a jeté des pierres aux soldats lorsqu'il avait 15 ans et a fait de la prison. L'autre a tenté de travailler en Israël sans permis et a été emprisonné 3 fois, pendant 45 jours, 3 mois et 6 mois. Ils sont tous les deux au chômage mais elle ne veut pas qu'ils aillent travailler à l'étranger.
"Lorsque mon fils a été arrêté, j'ai eu les mêmes sentiments que toutes les mères et à partir de ce moment là j'ai commencé à lutter. Si je les vois arrêter des garçons ou des enfants, je leur demande : 'Pourquoi les fouillez-vous ? Soyez corrects avec eux.' Certains sont très agressifs avec moi. Ils nous font vraiment peur et nous ne savons pas ce qu'ils peuvent nous faire, mais ça m'est égal s'ils veulent me tuer. Si Allah veut prendre mon âme, ce n'est pas par leurs mains. C'est que votre temps est terminé. C'est Allah qui décide. C'est ce que pensent les mères des enfants tués par les soldats, elles pensent que leur temps est terminé : je ne peux pas dire 'c'est haram s'il est mort', parce que c'est la volonté d'Allah. C'est comme ça que nous continuons. Allah donne la patience. Tu ne crois jamais que tes enfants vont mourir, quand tu commences à y penser, tu deviens folle. Tu ne crois pas que tu pourras continuer et pourtant nous devons continuer avec la nourriture, l'air, l'eau, ça nous suffit pour continuer."
Source : Palsolidarity
Traduction : MR pour ISM
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