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Gaza - 18 décembre 2011
Par Pam Bailey
Pam Bailey, de Washington, est une militante pour la paix et professionnelle dans la communication. Son article a été publié sur The Electronic Intifada le 14 décembre 2011.
Le 19 décembre, le second groupe de prisonniers palestiniens faisant partie de l'échange avec le soldat israélien capturé doit être libéré. 550 hommes pourront enfin goûter à la liberté après des années - des décennies pour certains - derrière les barreaux. Leurs histoires seront certainement semblables à celles des 447 libérés en octobre. Les autorités carcérales israéliennes ont pratiquement tout fait pour effacer l'ancrage des détenus à la réalité et à leur culture, à leurs familles et à leurs compagnons de détention - par les interdictions de visites pendant plusieurs mois d'affilée, les changements répétés de prison pour parasiter toute nouvelle amitié, l'isolement solitaire, des années durant. Certains prisonniers n'ont pas supporté. Un prisonnier libéré que j'ai rencontré pendant ma récente visite à Gaza est resté en isolement pendant 15 ans ; il semble incapable de soutenir une conversation, et se parle tout seul, doucement, sans interruption.
Loai Odeh (à gauche) avec Samer Abu Seir (Shahd Abusalama / The Electronic Intifada )
Mais ce qui ressort aussi, malgré ces conditions d'une dureté inimaginable, est la ténacité des prisonniers à trouver des moyens, petits mais puissants, pour résister et s'accrocher à leur sentiment d'identité et à leurs buts. Voici l'histoire de Samer Abu Seir et Loai Odeh - deux hommes qui se sont rencontrés en prison et sont restés amis depuis - mais ils parlent pour tant d'autres.
Abu Seir a grandi à Jérusalem Est, pendant la tourmente de la Première intifada. Le symbole indélébile du soulèvement des années 1980 est un jeune homme ou un enfant jetant des pierres aux troupes israéliennes avançant dans des chars, et Abu Seir était l'un d'entre eux. A 16 ans, il a rejoint le Front populaire de Libération de la Palestine (FPLP) marxiste.
"Le mouvement n'était alors pas très bien organisé," se souvient Abu Seir le 1er décembre, assis dans un appartement provisoire dans la Bande de Gaza, avant de déménager dans sa nouvelle maison fournie par le gouvernement Hamas. "Nous étions répartis en cellules, et à l'époque, on ne savait pas aussi bien que maintenant travailler de façon 'invisible'. Tout le monde connaissait nos noms."
A 22 ans, sa cellule FPLP a tué deux soldats israéliens d'une unité qui envahissait son quartier ; Abu Seir n'était pas personnellement impliqué, mais il a été pris dans la rafle. En pleine nuit, des troupes ont soudain surgi chez lui après avoir enfoncé la porte, et l'ont frappé à coups de poings et de pieds avant de le traîner hors de chez lui. Sa mère - qui avait élevé seule ses trois fils et ses deux filles car son mari était mort quand les enfants étaient petits - était à ce moment-là en Jordanie. Quand elle a appris que son fils avait été capturé, elle est rentrée précipitamment et a attendu pendant des heures devant le centre d'interrogatoire où Abu Seir était détenu. Elle n'a pourtant jamais pu le voir. Abu Seir a été interrogé pendant 15 jours et détenu pendant 3 mois avant son procès.
"Ils voulaient les noms d'autres personnes avec qui j'étais impliqué, alors le traitement a été très dur," se rappelle-t-il. "Ils m'ont fait mettre en sous-vêtements et m'ont forcé à m'allonger sur le sol glacé, ou dehors sous la neige. C'était l'hiver."
Conflit interne
Quand il ne gelait pas dehors, les Israéliens avaient recours à ce que Abu Seir appelle "le frigo" - une petite pièce où l'air conditionné soufflait à plein régime. Quand on reste là pendant plusieurs jours, sans vêtements ni couverture, c'est une forme de torture, dit-il. Le froid pénètre dans les os des prisonniers et semble s'y installer de façon permanente.
"Vous êtes pris dans un conflit interne," explique-t-il. "J'étais très jeune et les interrogateurs m'ont dit que certains de mes meilleurs amis, qui avaient été incarcérés avant moi, avaient déjà tout dit à mon sujet... Alors pourquoi ne pas dire tout ce qu'ils voulaient ? Mais je n'ai cessé de penser à ma famille, je ne voulais pas qu'ils soient à ma place." A la fin, Seir a signé un papier "d'aveux" sur les actions de la cellule, collant à ce que les Israéliens savaient déjà. Il a été condamné à perpétuité. "Seulement une perpétuité," dit-il avec un léger sourire. Tant de ses compagnons de prison ont été condamnés à de multiples perpétuités.
Au cours des 24 années qui ont suivi, Abu Seir pense avoir été déplacé dans chacune des prisons israéliennes. Le séjour le plus long qu'il a passé au même endroit, dit-il, fut de trois ou quatre ans. Et à un moment donné, il a été placé en isolement pendant trois ans et demi.
Bien que les visites familiales étaient supposées autorisées tous les trois mois, ce "privilège" a souvent été annulé en punition du moindre signe de désobéissance. Abu Seir a pu attendre jusqu'à 10 mois avant qu'une visite ne soit autorisée.
Et même quand les visites étaient permises, le processus était humiliant. Sa mère et ses frères et sœurs devaient traverser de nombreux checkpoints pour se rendre à la prison, puis c'était des heures d'attentes et de fouilles au corps intrusives avant d'être autorisés à voir leur fils et frère (rappelons que l'article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit le transfert forcé d'une population en dehors d'un territoire occupé).
Aucun des gardiens de prison avec lesquels Abu Seir a été en contact pendant toutes ces années n'a montré de réelle sympathie - ce qui n'est pas surprenant, pense-t-il, puisque pour ce poste, on choisit les citoyens israéliens qui penchent le plus à droite. Mais les pires semblent avoir toujours été les Américains transplantés, dit-il avec une étincelle dans les yeux en me regardant.
Malgré tous leurs efforts, cependant, les Israéliens furent finalement vaincus sur ce qui compte le plus : Abu Seir et ses compagnons ont continué de résister.
"Le but de l'emprisonnement est de nous isoler de notre éthique et de notre morale pour provoquer un conflit interne, pour nous pousser à céder pour obtenir un meilleur traitement," explique-t-il. "Nous vivions en prison, oui. Mais la prison ne vivait pas en nous."
Les prisonniers -habituellement regroupés à huit par section - élisaient un représentant qui trouvait des façons inventives de se mettre en réseau avec les autres représentants dans la prison. Les différents chefs de file prenaient les décisions pour toute la population carcérale. Lorsqu'ils choisissaient de prendre position - que ce soit pour une requête ou une grève de la faim - ils le faisaient en tant que groupe, sans exception aucune.
Quelquefois, c'était sur des petites choses énervantes - comme l'époque où les gardiens israéliens leur ont ordonné de ne pas regarder la télévision pendant le comptage des détenus, un rituel conduit trois fois par jour. C'était insignifiant, juste une manière de plus pour les Israéliens d'exercer leur domination. Les prisonniers ont choisi de refuser, qu'ils regarderaient la télévision de toutes façons. La réponse ne se fit pas attendre - aucune visite familiale ou pause pour les exercices quotidiens. Mais, dit Abu Seir, c'était d'autant plus important que les prisonniers montrent qu'ils étaient toujours décidés à agir en tant que groupe.
Trouver une nouvelle force
"La vie en prison vous renforce," dit-il. "Quand vous êtes en grève de la faim, et sans nourriture jour après jour, vous trouvez des capacités et une force que vous ignoriez avoir. Quand il s'agit de défendre notre identité même et notre culture, Israël ne sera jamais plus fort que nous."
Une preuve concrète de l'échec des tentatives d'Israël de briser le lien des Palestiniens les uns avec les autres est Loai Odeh, un autre prisonnier libéré qui a rejoint Abu Seir pour l'entretien.
Odeh s'est "radicalisé" lorsqu'il a été arrêté pour la première fois, alors qu'il venait d'avoir 11 ans, pour avoir porté le drapeau palestinien dans les rues de Jérusalem Est - un acte déclaré illégal par les forces occupantes. Il a ensuite été arrêté à deux reprises avant d'être incarcéré pendant la Deuxième Intifada, et condamné à 28 ans de prison. Il se souvient de sa mère tentant de le protéger de son corps lorsque les Israéliens sont venus le chercher. Elle a cependant été obligée de s'écarter lorsque les soldats ont utilisé un autre parent comme bouclier humain.
C'est au début de ses dix années d'emprisonnement qu'Odeh a rencontré Abu Seir, puis ils ont été séparés pour le reste de leurs peines.
"Vous commencez à vous sentir faible quand vous vous sentez abandonné, et les Israéliens font tout ce qu'ils peuvent pour que vous ressentiez ça," dit Odeh. L'époque où il se souvent avoir le plus ressenti qu'il perdait ce sentiment de "lien" à la société, derrière les barreaux, fut lorsqu'il a entendu les informations, à la radio israélienne, de la scission du gouvernement d'union entre le Hamas et le Fatah en 2007. "Je me suis demandé si tout ce pourquoi j'avais lutté allait être perdu dans les affrontements internes," se rappelle-t-il.
"Le plus grand défi, c'est d'être capable de résister soi-même, de vaincre ce désir de liberté et de votre famille, qui vous rend faible et vous donne envie d'abandonner," dit-il. "J'ai cherché des manières, même petites, de réaffirmer mon propre sentiment d'identité et de contrôle. Il y a toujours un moyen, même s'il est insignifiant. Par exemple, lorsque les gardiens ont interdit de fumer pendant que nous attendions nos familles les jours de visite, j'ai décidé d'arrêter de fumer. J'ai cessé ce jour là, pour que mon ennemi ne gagne pas."
Adeh et Abu Seir se sont aussi servis de l'enseignement comme forme de résistance. Bien que le Comité international de la Croix Rouge n'ai mis à la disposition des prisonniers qu'un choix limité de livres, l'enseignement officiel a été interdit jusqu'à 1996. Ensuite, les prisonniers palestiniens ont été autorisés à poursuive des études en autodidactes dans une gamme étroite de sujets grâce à un programme d'enseignement à distance. Odeh aurait aimé apprendre la psychologie, et Abu Seir voulait apprendre le génie mécanique ; la sociologie fut cependant le seul programme qu'on leur a offert. Lorsqu'un soldat israélien a été capturé par les combattants de la résistance palestinienne en 2007, ce programme a été interrompu lui aussi.
Aujourd'hui, les deux hommes sont réunis dans la Bande de Gaza. Bien qu'originaires de Cisjordanie , ils n'ont pas été autorisés à y revenir dans l'accord d'échange négocié avec le gouvernement israélien. Après que leurs mères aient pu leur rendre une brève visite, ils sont désormais seuls, apprenant à s'insérer dans une nouvelle communauté.
Ce que leur réserve l'avenir est encore incertain, et ils reconnaissent que ce ne sera pas un ajustement facile. Ils ont été accueillis avec les 131 autres prisonniers "déportés" à Gaza, avec force célébrations pour "le retour des héros". L'administration Hamas à Gaza a aidé les prisonniers libérés en leur trouvant et en leur payant un logement. Mais Abu Sfeir compare cette première étape de transition à une "fête". Une fois l'attention retombée, le travail difficile va commencer.
"Je veux passer mon baccalauréat, trouver du travail, fonder une famille," dit Abu Seir. "Mais mes compagnons restés en prison [dont il reste plus de 5000] resteront dans mon esprit à jamais. J'ai essentiellement été élevé et éduqué par certains d'entre eux. Nous n'aurons pas de repos tant qu'ils ne seront pas libres eux aussi.<:i>"
Odeh, qui se bat pour retrouver sa fiancée, une Palestinienne qui vit à Haifa, a ajouté qu'il ne pourra jamais vraiment trouver le repos jusqu'à ce qu'il revienne dans sa véritable maison, à Jérusalem. Pour lui, et les autres Palestiniens à Gaza, la Cisjordanie et sa population de frères palestiniens sont si proches, et pourtant si lointain - divisés par une barrière dont Israël s'est de fait servi pour séparer le frère du frère, la femme de son mari.
"Jérusalem restera mon rêve ultime," dit Odeh. "Et je ne cesserai jamais de chercher à y revenir."
Source : Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM
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