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Palestine occupée - 14 février 2014
Par Harriet Sherwood
L'article original, en anglais, est paru sur The Guardian le 8 février 2014.
Nawal Jabarin veut devenir médecin quand elle sera plus grande. Actuellement, elle vit dans une grotte, avec 14 frères et sœurs, dans la crainte constante des raids militaires. Nous avons rencontré des enfants palestiniens vivant sous l’occupation israélienne.
Nawal Jabarin, 12 ans, et ses frères, Issa, deux mois, et Jibril, deux ans, dans leur foyer en Cisjordanie .
Photo : Quique Kierszenbaum, pour The Guardian.
La piste rude tourne imperceptiblement dans un paysage primitif de cailloux et de sable sous un vaste ciel de cobalt. Notre jeep est ballottée entre des blocs de pierre et des buissons d’ajoncs couverts de poussière, avant d’entamer une descente à se rompre les os depuis une crête élevée jusque dans une profonde vallée. Un camp militaire israélien apparaît, puis le minuscule village de Jinba : deux bâtiments, quelques tentes, un éparpillement d’enclos à bêtes. Deux hélicoptères de l’armée survolent l’endroit bruyamment. L'air sent le mouton.
Au bout de cette piste, dans le sud de la Cisjordanie, Nawal Jabarin, douze ans, vit dans une grotte. Elle est née dans l’obscurité, sous le plafond bas, irrégulier, de même que ses deux frères et que son père, une génération plus tôt. Le long de la piste encombrée de cailloux qui relie Jinba à la route pavée la plus proche, la mère de Nawal a donné naissance à un autre bébé, sans avoir pu rallier l’hôpital à temps ; sur la même bande de terre aplatie, le père de Nawal a été battu par des colons israéliens sous les yeux de sa fille horrifiée.
La grotte et une tente adjacente servent de foyer à 18 personnes : le père de Nawal et ses deux épouses et 15 enfants. Les 200 moutons de la famille sont dans des enclos tout autour. Un ancien générateur qui fonctionne au diesel – cher – fournit au maximum trois heures d’électricité par jour. L’eau est puisée aux puits des villages ou livrée par tracteur à 20 fois le prix de l’eau de la conduite. En hiver, des vents âpres balaient le paysage désertique, s’infiltrant sous la tente et obligeant toute la famille à se masser dans la grotte pour un peu de chaleur. « En hiver, nous sommes empilés les uns sur les autres », m’explique Nawal.
Elle quitte rarement le village. « J’accompagnais mon père dans sa voiture. Mais les colons nous ont arrêtés. Ils ont battu mon père devant moi, en blasphémant et en disant de sales mots. Ils ont pris nos affaires et les ont balancées hors de la voiture. »
Même à la maison, on n’est pas en sûreté. « Les militaires entrent [dans la grotte] pour fouiller. Je ne sais pas ce qu’ils cherchent », dit-elle. « Parfois, ils ouvrent les enclos et font sortir les moutons. Pendant le ramadan, ils sont venus et ont emmené mes frères. J’ai vu les soldats qui les battaient avec la crosse de leurs fusils. Ils nous ont obligés à quitter la cave. »
Malgré les duretés de sa vie, Nawal est heureuse. « C’est ma patrie, c’est là où je veux être. C’est dur, ici, mais j’aime ma maison et la terre et les moutons. » Mais, ajoute-t-elle, « je serais encore plus heureuse si nous pouvions rester. »
Nawal fait partie de la deuxième génération de Palestiniens nés sous l’occupation. Sa naissance s’est produite 34 ans après qu’Israël s’est emparé de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est lors de la guerre des Six-Jours. La loi martiale fut imposée à la population palestinienne et, peu après, Israël s’est mis à construire des colonies sur les terres occupées et sous la protection de l’armée. Jérusalem-Est a été annexée et cette action a été déclarée illégale par les lois internationales.
La première génération – les parents de Nawal et leurs semblables – approchent aujourd’hui de l’âge moyen et leur vie tout entière est dominée par le labeur quotidien et par les humiliations que subit un peuple occupé. Quelque quatre millions de Palestiniens n’ont connu qu’une existence délimitée par des checkpoints, des réquisitions de carte d’identité, des raids nocturnes, des détentions, des démolitions de maisons, des déportations, des violences verbales, des intimidations, des agressions physiques, l’emprisonnement et la mort violente. C’est toute une mosaïque cruelle : rassemblés, d’innombrables fragments apparemment sans rapport entre eux créent une image de puissance et d’impuissance. Pourtant, après 46 ans, c’est aussi devenu une espèce de normalité.
Pour les jeunes, l’impact d’un tel environnement est souvent profond. Les enfants sont exposés à des expériences qui modèlent leurs attitudes pour toute leur vie et, dans certains cas, ont des séquelles psychologiques tenaces. Frank Roni, un spécialiste de la protection de l’enfance travaillant en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est pour l’Unicef, l’agence des Nations unies pour les enfants, parle du « traumatisme intergénérationnel » de la vie sous l’occupation. « Le conflit en cours, la détérioration de l’économie et de l’environnement social, l’accroissement de la violence – tout cela a un lourd impact sur les enfants », dit-il. « Les murailles psychologiques reflètent les barrières physiques et les checkpoints. Les enfants se constituent une mentalité de ghetto et perdent tout espoir dans le futur, ce qui alimente tout un cycle de désespoir », ajoute Roni.
Mais, inévitablement, leurs expériences varient. Bien des enfants vivant dans les grandes villes palestiniennes, sous un certain degré d’autonomie gouvernementale, entrent rarement en contact avec les colons ou les militaires, alors que ces rencontres font partie de la vie quotidienne des personnes vivant dans les 62 % de la Cisjordanie sous contrôle total d’Israël, c’est-à-dire en zone C. Les enfants de Gaza vivent dans une bande de terre sous blocus, ils grandissent généralement dans un climat économique d’une grande dureté et font l’expérience directe et choquante de ce qu’est une guerre intense. À Jérusalem-Est, une proportions élevée d’enfants palestiniens grandissent dans des ghettos appauvris, envahis en tous sens par des implantations israéliennes en expansion constante ou par des colons extrémistes s’emparant de propriétés au beau milieu de chez eux.
Dans les Collines du sud de Hébron, les bergers qui ont sillonné toute la zone pendant des générations vivent aujourd’hui aux côtés de Juifs motivés dans leur idéologie et leur religion et qui se targuent d’une ancienne connexion biblique à la terre et perçoivent les Palestiniens comme des intrus. Ils ont construit des colonies fermées au sommet des collines, avec des routes pavées, l’électricité, l’eau courante, et protégées par l’armée. Les colons et les militaires ont apporté la crainte aux habitants des grottes : les raids violents contre la population palestinienne locale sont fréquents, de même que les raids militaires et la menace constante d’expulsion forcée de leurs terres.
Le village de Nawal est situé dans une zone que, dans les années 1980, l’armée israélienne a baptisée « Zone de tir 918 », destinée à l’entraînement des troupes. L’armée veut déménager huit communautés palestiniennes sous le prétexte qu’il est dangereux pour elles de rester à l’intérieur d’une zone militaire d’entraînement ; ils ne sont pas des « résidents permanents ». Une bataille juridique autour du sort des villages, lancée bien avant la naissance de Nawal, n’a toujours pas trouvé de solution.
Son école, une structure rudimentaire des trois pièces, est sous un ordre de démolition, de même que l’autre et unique construction du village, la mosquée, utilisée comme local de classe supplémentaire. Toutes deux ont été bâties sans permis officiel israélien, qui n’est d’ailleurs pour ainsi dire jamais octroyé. Haytham Abu Sabha, l’instituteur de Nawal, dit que l’existence de ses élèves est « très dure. Les enfants n’ont pas de récréation. Ils sont privés des choses de base de l’existence : il n’y a pas d’électricité, la malnutrition sévit, il n’y a pas de terrain de jeu. Quand ils sont malades ou blessés, c’est difficile de les faire aller à l’hôpital. Nous sommes forcés d’être primitifs. »
Les enfants sont également forcés d’être braves. Nawal insiste pour dire qu’elle n’a pas peur des soldats. Mais, quand je lui demande si elle a pleuré lors des raids contre sa maison, elle hésite avant d’acquiescer presque imperceptiblement, refusant d’admettre ses craintes. Les psychologues et les conseillers qui travaillent avec des enfants palestiniens disent que cette réticence à admettre et exprimer de vive voix des expériences effrayantes contrebalance les dégâts provoqués par l’événement même. « Les enfants disent qu’ils ne sont pas effrayés par les militaires, mais le langage de leur corps vous dit quelque chose de différent », explique Mona Zaghrout, conseillère en chef au YMCA de Beit Sahour, près de Bethléem. « Ils ont honte de dire qu’ils ont peur. »
Lire la suite de l'article, avec les portraits de Ahed Tamimi, 12 ans, qui vit à Nabi Saleh ; de Waleed Abu Aishe, 13 ans, d'Hébron/Al-Khalil ; de Muslim Odeh, 14 ans, de Silwan, à l'est de Jérusalem/Al-Qods occupée, sur le site de la Plate-Forme Charleroi Palestine.
Source : Plate-forme Charleroi Palestine
Traduction : Jean-Marie Flémal
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