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Ramallah - 20 août 2006
Par Eliza Ernshire
L'armée israélienne est arrivée dans notre rue à 2h hier matin.
Depuis ces deux dernières semaines, ils étaient venus à Ramallah chaque nuit et nous savions que c'était seulement une question de temps avant d'expérimenter leur stratégie d'invasion.
Chaque matin, nous parlions de l'endroit où ils étaient allés la nuit précédente et de combien de dégâts ils avaient infligé.
Nous parlions de qui avait été arrêté et de qui était parvenu à s'échapper.
Nous écoutions avec la plus grande sympathie les histoires de ceux qui avaient été pris dans les immeubles qui avaient été fouillés : des femmes qui n'avaient pas eu le temps de se couvrir décemment, leurs maris pris en chemise de nuit et sans chaussures.
Nous écoutions les explosions des secteurs voisins de Ramallah et nous nous demandions quand notre rue serait visée.
Ce fût le 14 août à 2h du matin
Le seul avertissement que nous ayons reçu, ce fût un appel téléphonique 10 secondes avant l'arrivée de l'armée, nous disant que les Israéliens étaient au Conseil Législatif, 5 minutes plus tôt.
Nous étions déjà debout parce que ma colocataire devait partir à 5h30 du matin et nous étions en train de faire ses bagages et nous parlions de problèmes de visa et de ce qu'elle devrait faire si son visa était refusé.
L'appel téléphonique et puis le bruit horrible de 10 jeeps et de 2 tanks et d'un fourgon d'arrestation.
Et immédiatement des projecteurs et des tirs et des explosions.
Puis des pierres lancées contre notre porte (Les jeunes palestiniens ne sont-ils pas emprisonnés pendant des années pour avoir jeté des pierres ?), et quatre soldats israéliens à la porte avec leurs visages peints et tous pointaient des M-16 sur nos têtes. Ils nous hurlaient dessus en Hébreu, ils nous ordonnaient de sortir.
Nous avons décidé de les distraire ainsi cela pourrait peut-être donner au pauvre homme recherché un peu de temps pour s'échapper.
Nous avons également soulagé nos voisins en donnant la voix à leur colère ; un privilège pour lequel ils se seraient fait tirer dessus.
Au bout de 10 minutes, les soldats des deux jeeps à notre seuil étaient malades d'avoir affaire à nous et lorsque les fusées éclairantes ont explosé au-dessus de nos têtes et que des tirs importants ont été entendus dans le pré à côté de notre maison, ils ont commencé à nous crier de rester à l'intérieur.
Nous sommes rentrées et nous nous sommes assises dans la véranda donnant sur le pré sous lse projecteur sde trois autres jeeps tandis que les soldats ratissaient le terrain avec des balles. Ils criaient vers le pré vide en croyant vainement et de façon arrogante qu'un homme recherché apparaîtrait soudain et qu'ils recevraient une promotion pour sa capture. Nous criions en réponse.
Ils ont dit : "Sortez !" et nous l'avons fait.
Nous avons descendu les escaliers et nous avons dit à la jeep postée à l'extérieur que nous étions appelées par les soldats dans la rue voisine. Ils ont commencé à nous hurler que les soldats ne nous disaient pas de sortir mais nous les avons assurés que c'était certainement à nous qu'ils criaient, parce que si une personne s'était cachée dans le pré vide, elle aurait été assassinée depuis longtemps.
Les soldats étaient furieux de notre interruption et nous en étions très contentes.
Quand nous avons vu que nous les avions poussés aussi loin que nous le pouvions dans les circonstances et réalisé que nos genoux tremblaient tellement qu'ils étaient sur le point de s'écrouler sous nous, nous sommes retournées à l'intérieur pour nous effondrer en larmes dans le salon, en nous demandant s'il y avait réellement un homme qui saignait à mort dans le pré que nous ne pourrions pas atteindre.
Pendant une autre heure, les jeeps et les tanks ont tourné autour de notre bloc d'immeubles. En tirant un déluge de tirs de mitrailleuses et en lançant des explosifs sur chaque arbuste et buisson.
Et puis, ils sont partis
Ils n'avaient pris personne et nous en étions heureuses.
L'heure suivante s'est passée dans un silence de mort. C'était étrange d'être assises dans l'obscurité et de savoir que tout le monde dans la rue faisait exactement la même chose que nous. Assis, sans sommeil et silencieux, effrayés, en attendant la lueur du jour pour apporter une certaine normalité à une situation cauchemardesque.
Une heure s'est passée. Dans un demi sommeil j'ai entendu un bruit à l'extérieur de la fenêtre et je me suis précipitée pour voir ce que c'était. C'était un bruit étrange et je ne pouvais pas établir quelle sorte d'appareil Israël utilisait pour produire un bruit aussi singulier.
Alors que je me tenais perplexe à la fenêtre, j'ai soudain réalisé que le bruit était un chant d'oiseau ; qui accueillait la première lueur du jour. Il était installé dans l'arbre à l'extérieur de la fenêtre, allant de branche en branche, et en chantant. En fait, il chantait !
Je me suis demandée alors à quel point j'étais devenue conditionnée à la situation inhumaine d'ici, je confondais réellement le chant d'un oiseau avec une arme étrange d'Israël. Et j'ai réalisé à quel point je passais à côté de la simple joie d'écouter le "choeur du matin" australien comme nous l'appelons ; une grande cacophonie de bruits qui empêche tout le monde de dormir, tellement que vous maudissez chaque matin mais que, néanmoins, vous aimez. Le bruit des créatures les plus libres sur terre célébrant cette liberté.
Il n'y a pas de liberté à Ramallah. La Cisjordanie et Gaza sont des prisons, et c'est la raison que beaucoup de gens donnent pour l'incapacité du mouvement de la résistance palestinienne à obtenir la même sorte de cessez-le-feu incertain que le Hezbollah est parvenu à réaliser au Liban.
Les gens ici en parlent et se demandent comment le Hezbollah a pu imposer cette cessation des hostilités quand la Palestine n'a pas pu le faire depuis un demi-siècle.
La nuit dernière, j'ai parlé de cela avec deux amis palestiniens et ils m'ont décrit en termes géographiques la principale différence entre la résistance du Hezbollah et celle de la Palestine.
"Ici" a dit l'un d'eux, "C'est la Palestine" et il a posé sur la table deux paquets de cigarettes et deux briquets pour former un carré.
"Au centre. Ici " et il a pointé un paquet au bord du carré : "C'est le Hezbollah. Qu'y a-t'il derrière le Hezbollah ? Rien. Ils combattent Israël et l'Amérique face à face et derrière eux, le terrain est libre, et il y a la Syrie et d'autres Etats Arabes.
Mais, ici c'est la Palestine. Cernée de tous les côtés. Ils ne combattent pas seulement devant eux, mais de chaque côté, l'ennemi est derrière eux et même parmi eux.
Ce sentiment d'emprisonnement et de manque de soutien a pulvérisé le mouvement de la résistance ici jusqu'à ce qu'il ne soit devenu que des cellules de militants isolés qui ne sont pas même soutenus par leurs propres familles.
Avez-vous vu les hommes recherchés, nos combattants de la liberté, qui sont sans foyer ?
Même leurs familles ont peur d'être associées à eux.
Les avez-vous vus quand ils sont seuls, et lorsque le poids de leur situation les frappe ?
Je les ai vus pleurer comme des enfants.
C'est comme cela qu'Israël est en train de gagner la guerre contre la Palestine.
Diviser la population et la terroriser tellement que les gens ne peuvent même pas faire confiance à leurs cousins ; la moitié de la population de la Palestine sont des collaborateurs ; ce sont des collaborateurs parce qu'ils ont été brisés par les forces israéliennes.
Donc, tandis qu'il y avait des fêtes à Al-Minara le jour du cessez-le-feu, les gens avaient clairement conscience que la victoire du Hezbollah ne servirait en aucune façon la lutte palestinienne sauf pour leur donner à nouveau la confirmation que sans soutien des Etats Arabes, cette lutte est condamnée à se poursuivre d'une façon insidieuse et sanglante comme cela existe depuis de nombreuses années.
Et il n'y a pas que le soutien des Etats Arabes qui les aidera. Comme concluait mon ami : "Le Hezbollah est indirectement soutenu par la France et la résistance palestinienne n'est soutenue par aucune nation occidentale."
Ainsi une certaine tristesse enveloppe la ville de Ramallah. Une ville qui a été prise dans une crise qui a été sous les projecteurs du monde, mais qui expérimente des crises nocturnes à une plus petite échelle qui n'arrivent pas à apparaître sur les écrans du monde.
Le population de Cisjordanie est toujours prisonnière, comme elle l'est depuis longtemps.
La seule chose que les Palestiniens ont pour contrer les invasions nocturnes et la stratégie de le terreur des forces israéliennes est leur chanson de la liberté.
Elle peut toujours être entendue si vous vous souvenez de l'écouter.
En dépit de l'humiliation et la méfiance et la toile enchevêtrée de la conspiration qui existe en Cisjordanie et à Gaza, il y a toujours une pure dignité dans la résistance des individus ici.
Je ne suis pas d'accord avec mon ami qui dit que la résistance a été réduite à de petites cellules de militants désespérés regardant toujours par-dessus leurs épaules ; la résistance se retrouve également parmi les musiciens qui organisent des concerts gratuits chaque semaine pour chanter des chansons traditionnelles de la Palestine à vous briser le coeur, elle se retrouve également parmi les professeurs des enfants orphelins qui travaillent pour leur apporter quotidiennement un peu de joie et des études dans leurs vies, elle est même parmi les chauffeurs de bus qui conduiront sur des routes impossibles afin d'aider un passager quelconque à éviter un checkpoint temporaire.
Et ces purs petits messagers de la liberté n'ont pas oublié ces gens. Ils se réveillent et chantent toujours à l'aube pour rappeler le monde existant au delà de la guerre et de l'oppression et des instruments de torture faits par l'homme.
Résistance :
Ecouter une chanson palestinienne sur Hassan Nasrallah dont les cassettes sont recherchées et confisquées par les policiers israéliens à Jérusalem.
Source : http://www.counterpunch.org/
Traduction : MG pour ISM
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