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Naplouse - 27 décembre 2004
Par Rim al-Khatib
S. Nassif peut rester des heures et des heures à parler, pour raconter tous les détails de son histoire avec l'armée israélienne. Des pages sont nécessaires pour décrire la brutalité, les actes humiliants et sauvages de cette armée d'occupation envers cette famille de Naplouse.
Ce qu'a subi S. Nassif n'est pas unique, sauf peut-être dans la durée.
Des dizaines de familles, dans la ville de Naplouse, les environs et même dans le camp de Balata, ont dû supporter l'arbitraire le plus total sous la menace des armes consistant à violer l'intimité de leurs maisons et de leurs familles.
M. Nassif et sa famille, la grande famille, la mère, les frères et leurs épouses, les enfants, soit une trentaine de personnes pour quatre familles, habitent sur une colline, surplombant la ville et les camps de Naplouse. De belles maisons, construites récemment, dans la zone appelée Naplouse la neuve (Nablus al-jadida), située au sud-ouest de Naplouse.
Il y a deux semaines, le mercredi 15 plus précisément, l'armée israélienne débarque chez eux.
A 2heures du matin, à l'heure où les gens dorment, les soldats arrivent. Ils cognent aux portes. Il y a environ 10 portes. Et ils cognent sur toutes les portes. Devant chaque porte, une vingtaine de soldats, avec des mitraillettes équipées de lampes à laser. C'est la terreur. Les soldats entrent, se précipitent aux fenêtres et s'installent. Les familles sont réunies dans une seule pièce d'une des maisons et doivent passer toute la nuit et la journée du lendemain dans cette pièce en attendant que les soldats s'en aillent. Cette maison fait partie de celles qui servent de points de surveillance de l'armée d'occupation.
Le 15 décembre dernier, c'était la nième fois que l'armée occupait leur maison
Cela a commencé quatre mois avant l'invasion en avril 2002, dès novembre 2001.
Le bloc de maisons a été occupé 30 fois, pour un total de 14 mois.
Par trois fois, les familles ont été expulsées de leurs maisons et elles ont dû louer des appartements pendant que l'armée utilisait leurs maisons comme caserne militaire. Lors de l'invasion en avril 2002, mille soldats se sont retrouvés sur les lieux, occupant les quatre maisons et l'espace aux alentours, fermé par des barbelés. En avril, ils étaient restés une vingtaine de jours.
Une autre fois, les 30 membres de ces familles ont dû rester deux mois ensemble, dans un salon, pendant que les soldats, sous le commandement du chef Yoda, utilisaient tout l'espace restant.
Les maisons de la famille Nassif sont devenues une caserne supplémentaire pour l'armée d'occupation, qui l'utilise quand elle le veut. A tout moment, le commandant Yoda peut débarquer, s'installer avec ses soldats, et les familles n'ont qu'à se plier. Elles assurent l'eau et l'électricité et l'espace.
Mais cela ne suffit pas aux soldats qui trouvent une occasion pour piller : par centaines, les objets disparaissent, lors de leur départ. Objets convoités par les soldats qui ne peuvent s'empêcher de les prendre au passage. Ils ne sont pas venus pour cela, mais ils ne peuvent s'empêcher de voler, même les robinets, sans compter le pillage organisé pendant la première occupation, consistant à voler les bijoux, l'argent, tous les objets précieux.
Comment décrire ces mois de double occupation (occupation du pays et de la maison) sinon par l'enfer pour la famille Nassif ?
Une caserne militaire : les soldats sont partout, dans les maisons et autour des maisons. Il y a aussi des chars et des barbelés autour de l'espace occupé.
La nuit, il leur arrive de s'entraîner.
Imaginez des visages recouverts de peinture noire, qui courent autour du lieu où vous êtes enfermés, qui ont pris votre espace pour des champs de tirs, qui hurlent comme s'ils étaient après des résistants (eux les appellent terroristes), tout cela en plein milieu de la nuit. Imaginez des soldats dans votre maison, avec un grand réchaud installé dans votre cuisine, pour faire le repas de la compagnie, alors que vous n'avez plus accès à cet espace.
Vous les regardez allongés sur votre sol, sur vos canapés, avec leurs vêtements militaires et leurs armes.
Ils occupent votre espace, vos chambres, vos salles de bains, utilisent vos meubles, comme si cela se faisait partout dans le monde.
Vous ne pouvez rien faire, sauf subir.
S. Nassif explique : "Nous avons nettoyé et changé le mobilier à chaque fois qu'ils partaient. Nous avons perdu environ 150.000 dinars jordaniens (le dinar est un peu plus élevé que l'euro) en mobiliers, mais nous ne pouvions pas faire autrement. Il y a une question d'hygiène et de propagation des maladies. Si nous voulons estimer toutes les pertes, avec l'eau que nous leur achetons, l'électricité que nous payons, les vols, les dégâts causés aux maisons et à la route qui relie la rue principale au bloc de maisons, à la portière, du fait du passage des chars, le changement de mobilier, les couvertures qu'ils nous ont prises et traînées dans les chars, nous donnons le chiffre d'un million de dollars."
Dans le centre ville où se trouvent leurs magasins et autres bureaux, la famille a subi des pertes : l'occupant a détruit 3 magasins sur 4, et la banque d'un des frères a été démolie.
Mais ce n'est pas une question matérielle. Les dégâts doivent être estimés autrement, car le fils de S. Nassif devait passer son bac (tawjihi) la première année de l'invasion de leur maison, et pendant des mois, les enfants n'ont pu aller à l'école, ni les parents n'ont au travail.
Lorsqu'ils ont pu y aller, il fallait attendre aux barrages, entre autres celui de Huwwara, pour revenir chez eux l'après-midi, entre deux ou trois heures d'attente, alors que les soldats qui occupent la maison les connaissent. Il y a aussi le fait que leur maison est devenue le lieu d'où partent les attaques et une cible de contre attaque pour les résistants.
Dans ces cas, on parle d'otages. Les familles Nassif ont été prises en otages par l'armée d'occupation et le sont à chaque fois que leurs maisons sont occupées.
Mais plus grave encore, les familles Nassif sont aussi des boucliers humains, collectivement, dans leurs maisons, puisque les soldats qui occupent leur espace s'y cachent pour ne pas être visés.
S. Nassif a aussi été utilisé comme bouclier humain lors de l'attaque par l'armée sioniste d'immeubles situés ailleurs dans la ville.
Il raconte : "J'ai été pris comme bouclier humain pour l'attaque de l'immeuble kouni à Rafidia, à Naplouse. Il y avait treize soldats et deux chiens, et je devais les accompagner. Je devais ouvrir les portes, et si je refusais, les chiens m'attaquaient.
J'ai vu un enfant sortir de l'immeuble, alors qu'il y avait couvre-feu, il voulait déposer les détritus dans la poubelle dans la rue.
J'ai crié, lui demandant de retourner tout de suite chez lui, pour le mettre en garde.
Furieux, les soldats se sont mis à me frapper. Je suis resté entre leurs maisons de 11 heures du matin jusqu'à 4 heures de l'après-midi.
L'immeuble avait 7 à 8 étages. Ils ont fait sortir tous leurs occupants et procédé aux fouilles dans tout l'immeuble. »
Concernant les chiens, ils sont entraînés pour répondre à des ordres précis. Ils ont des micros, et attaquent ou se calment selon les ordres donnés, et il faut ajouter qu'ils sont également utilisés dans les maisons des familles Nassif, ce qui explique encore plus pourquoi à chaque occupation par l'armée de leur maison, ils sont obligés de changer le mobilier et tout le reste.
S. Nassif ajoute : "Nous devons résister avec nos moyens : nous laver tous les jours, nous raser, même si nous restons chez nous, enfermés, nous soigner, car plusieurs de nous ont été malades, ma mère, mes frères, les enfants".
"Lorsque nous avons été enfermés dans une seule pièce, tous les trente, cela était très gênant pour nous, surtout pour les femmes qui devaient restées voilées, pour protéger leur intimité. Nous devions demander l'autorisation chaque fois que nous voulons aller aux toilettes.
Pendant deux ou trois jours, nous avons eu faim, nous n'avions pas le droit de sortir pour nous ravitailler, et les vivres ont manqué.
La Croix-Rouge est intervenue, ainsi que l'association israélienne Hamoked, pour nous sauver."
Le cynisme de l'occupant n'a pas de bornes. Alors que l'armée d'occupation occupe tout le bloc de maisons, avec les intérieurs, enfermant les familles dans un minuscule espace, transformant leur vie en un calvaire étouffant, le public israélien n'en saura rien.
A l'occasion de la venue d'un haut gradé militaire, Uzi Dayan, à Naplouse, c'est dans cette maison qu'il débarque, suivi par la presse israélienne.
Mais les journalistes ne peuvent concevoir une telle attitude de leur armée. Pour eux, l'armée d'occupation a loué cette maison.
Ils demandent bêtement à combien s'élèverait le loyer s'ils y passaient quelques jours. Ils n'ont pu comprendre qu'il s'agit d'une maison tout simplement occupée par leur armée.
Parmi les anecdotes que S. Nassif raconte, celle de cette mère d'un jeune soldat qui l'appelle au téléphone pour prendre des nouvelles de son fils, car elle a peur pour lui.
Les moments les plus terribles pour S. Nassif et sa famille, c'est lorsque leurs maisons ont été utilisées comme centre d'interrogatoires et de détention de leurs frères : des jeunes de la famille al-Bizri, dr. Asem Salem, dont été détenus et interrogés dans leurs maisons. C'est dans leurs maisons qu'ils ont été torturés, et cela ils ne peuvent le supporter.
La famille Nassif souhaite que ce calvaire prenne fin.Cela est possible si des pressions internationales sont exercées pour que cesse l'utilisation de leurs maisons comme casernes et centres de surveillance. Elle prend pour exemple ce qui s'est passée pour la famille de Munif al-Masri, dont la maison a été aussi occupée.
Munif al-Masri est également citoyen américain et il "a des liaisons". Après l'intervention directe des Etats-Unis, les soldats ont quitté la maison de Munif al-Masri.
Y a-t-il une possibilité pour exercer une pression aussi forte que celle des Etats-Unis, pour chasser finalement les soldats de la maison de la famille Nassif ?
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