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Naplouse - 28 mars 2005
Par Hava Halevi
Hava Halevi est membre de l'organisation non-violente israélienne, Mahsomwatch, qui est spécialisée dans l'observation des checkpoints installés par l'armée d'occupation en Cisjordanie. Traduit de l'hébreu en anglais par Mark Marshall
C’est le printemps sur les routes de Cisjordanie, du vert tendre se mêle à des carrés bruns, le long des routes, les laboureurs se déplacent avec des ânes et des charrues en bois.
Les anémones sont déjà revenues dans leurs bulbes, et par endroit fleurissent les renoncules et les adonis.
De temps en temps, un lapin passe près du flanc de la colline.
C’est le printemps en Cisjordanie et aux checkpoints.
Tout ce qui reste d’Huwarra Sud est une sculpture environnementale laide et géante, mais à Huwarra Nord, les soldats continuent les mêmes exercices.
Dès que nous arrivons sur place, Ahmad coure vers nous, le garçon qui traverse le checkpoint avec une cariole à main et livre des paquets.
Ce garçon, têtu, obstiné et en sueur, traverse toujours le checkpoint dans les deux sens dans les rapports de toutes les équipes à Huwarra.
Ils lui ont déjà pris son chariot, lui ont rendu, lui ont confisqué de manière permanente et lui ont rendu, l’ont prévenu, peut-être même l’ont-ils puni, et il revient.
Cette fois, Ahmad coure vers nous, indiquant dec sa main la benne à ordures verte installée près du checkpoint et montre sa bravoure et son héroisme avec les mots immortels suivants en Hébreu : "Fils de pute, fils de pute."
Le but de cet ode lyrique est de nous expliquer avec concision ce que les soldats ont décidé pour calmer son ardeur* en jetant son chariot dans la benne mais il n’abandonnera pas.
Et en effet, à l'intérieur de cette benne géante des ordures du checkpoint - des restes de nourriture, des boites de conserves et des sacs en plastique pour la plupart - le chariot d'Ahmad a été miraculeusement placé.
Comment est-ce arrivé?
La benne a un grand couvercle en métal avec deux petites ouvertures et le chariot est grand. Le garçon coure autour de cette grenouille (la benne à ordures), lui donne des coups de poings, la tire, la pousse et jure.
Périodiquement, il se tourne vers les passants pour mobiliser un peu de participation à sa situation difficile et à sa colère et revient encore vers la grenouille.
Il frappe et tire le lourd couvercle en fer, saute dessus et regarde son chariot qui a été mis là, entier et indemne, les poignées sur les ordures, les roues vers le ciel et le fond plat tordu et amoché.
Tout d'abord, comment est-il entré là et deuxièmement - comment l’en sortir ?
Pour les commandants du checkpoint, c'est une bonne idée de commencer par des injustices qui sont petites, clairement évidentes et inoffensives.
C'est-à-dire, des étapes de mise en confiance.
Amalia est allé voir le commandant avec cette petite injustice clairement évidente et inoffensive, il s'avère que le commandant vient juste de commencer sa permanence, il ne sait rien au sujet de ce qui s'est passé avant lui et il est d'accord avec Amalia que ce n'est pas BIEN.
Non seulement ça, mais il assigne également deux soldats (de notre armée) pour aller aider le garçon à sortir le chariot de la benne à ordures verte. Et pendant que les soldats manoeuvrent toujours le couvercle de fer coincé et que le garçon coure autour d'eux, la routine atroce du checkpoint fait rage dix mètres plus loin.
Là-bas, ils n'ont pas encore entendu parler du printemps ou d’atténuer la pression. Des centaines de personnes sont coincées sur les voies en béton dans le goulot d'étranglement derrière les tourniquets.
Dans chaque aile du tourniquet (60 centimètres de long), trois hommes sont coincés, et ils ne peuvent pas être sauvés parce que la foule pousse derrière eux et devant eux, une soldate impose les ordres, actionnant le tourniquet et hurlant à la foule en effervescence devant elle des mots que nous pensions ne plus entendre : "irja “irja’ la-wara, wahad wahad” ("Reculez, un par un" en Arabe).
Les machines à rayon X naturellement ne marchent pas et les gens les traversent ou les contournent. Un autre investissement superflu.
"C'est de leur faute," dit le commandant du checkpoint, un garçon agréable et gentil. S'ils se tenaient sur une seule file, il n’y aurait pas une ligne comme ça."
Des dizaines de mains nous faisaient des signes avec des documents - des certificats médicaux, des cartes d'étudiant, des livres d'école, des permis, et des dizaines de personnes en colère nous hurlaient : "Dis-lui, dis-lui", et "Où est la paix?" (nous avons répondu que c’était le même endroit avec des mesures pour atténuer la pression) et pendant que les petits enfants s'accrochaient aux plis de la robe de leurs mères et pleuraient de peur, les efforts conjoints pour sortir le chariot d'Ahmad de la benne à ordures continuaient sur le côté du checkpoint.
Une tige de fer apparaît de quelque part, les soldats déployés par l’IDF prennent leur mission très au sérieux et ils lèvent de toute leur force, bloquent, tirent, libèrent, désengagent, sautent, et à la fin, le lourd couvercle de la grenouille à ordures verte s’écarte et l’IDF rend le chariot à Ahmad et évacue pour tourner leur attention vers d'autres sujets.
La réprobation de l’ardeur n'a pas fonctionné avec Ahmad.
Vers la fin de la permanence, nous avons questionné Nir, un soldat qui nous avions connu lors de nos précédentes venues, qui est également un bon garçon et aussi loyal qu'il peut, sur le camion installé de l'autre côté de la route, sur lequel, il est écrit en trois langues: "Point Humanitaire."
Nir s’est donné la peine d'aller voir le commandant du checkpoint, a demandé la clef et nous a montré l'intérieur de ce point humanitaire. Il s'avère que c’est un minuscule hôpital et il y a tout à l’intérieur : une civière pour des lésions dorsales et une bouteille d'oxygène, un dispositif de transfusion de sang, des garrots, tout ce qui est nécessaire pour la respiration artificielle, un purificateur d’eau et quelque chose qu’ils appellent "Philadelphi", et diverses autres choses et un bon nombre de pillules pour chaque affliction et douleur.
Nir nous a tout montré et a dit : "Pour sûr, c’est seulement pour les Palestiniens. Tout. Et oui, il y aura également un docteur d'ici dix minutes."
Et moi, qui me suis souvenu des femmes qui donnent naissance et des bébés qui meurent aux checkpoints, et des malades cardiaques, des personnes paralysées dans les fauteuils roulants qui ne sont pas autorisées à passer pour aller à l'hôpital, des malades de thalassémie qui ont été forcés de subir des inspections d'entrée par le soldat au point d'inspection, du joueur de violoncelle de Beit Iba sur qui un soldat a tiré dans le coude et tous ceux dont je n'a pas entendu parler et dont je ne connais pas les noms, ceux qui ont été battus et blessés et à qui les soins médicaux et l'accès à l'hôpital ont été retardés, j'ai voulu me tenir au milieu du checkpoint et chanter à toute voix : Venez ici vous tous qui êtes malades et souffrez, chaque femme enceinte et malade du coeur, chaque personne handicapée et blessée venez ici, dorénavant, ils vous guériront ici au checkpoint".
Ce soir, je sais, ils manifesteront à Tel Aviv en faveur du Désengagement. En y pensant, le désengagement ressemble au chariot d'Ahmad, qu'ils ont dû extrairee, à l'aide de l’IDF, d'un endroit où il n’aurait pas dû, d’abord, se trouver, alors que l’occupation continue de toutes ses forces à dix mètres.
* "Calmer l’ardeur" “Consciousness-searing”: une tactique, épousée par l'ancien Chef-d’Etat-Major de l’IDF, Moshe Ya'alon, pour imposer des punitions exemplaires aux Palestiniens "pour les calmer [ dans ] leur ardeur" l'idée qu'ils ne gagneront rien par la violence - traduction.
Source : http://www.kibush.co.il/show_file.asp?num=1152
Traduction : ISM
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