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Gaza -

Vivre et mourir dans la zone tampon

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La mort arrive vite dans un endroit comme celui-ci. En ces jours d'hiver ensoleillés, quand l'odeur de la pluie nocture est toujours dans l'air, comme si elle avait apporté un peu d'espoir sur la terre de Gaza violée, dénudée, défoncée des centaines de fois par les chars et les bulldozers israéliens. La terre entre les contreforts du village Beit Hanoun et la frontière israélienne, gardée par des tours de contrôle, des soldats, des tireurs d'élite, des hélicoptères et des drones est une terre sur laquelle la mort s'invite souvent.

Vivre et mourir dans la zone tampon


Mais en dépit de tout ça, Shaban Karmout, 65 ans, avait probablement quelque espoir lorsqu'il s'est réveillé, ce matin d'hiver. Sa maison est située dans la bande de 300 mètres de large nommée zone tampon. Il a construit sa maison il y a 40 ans, en 1971, lorsque Gaza était déjà occupée par Israël, et pourtant il a pensé avoir que lui et sa famille pourraient avoir là un avenir. Sheban a commencé à planter des arbres fruitiers, sa terre était couverte de palmiers, de citronniers, d'orangers et d'amandiers. Sa vie était agréable.

Mais en 2003, au moment de la récolte des amandes, les bulldozers israéliens sont arrivés en pleine nuit. Il leur a fallu trois heures pour raser 30 ans de travail. Depuis l'attaque israélienne de fin 2009, il n'a pas pu continuer à vivre à cet endroit, la zone tampon était devenue trop dangereuse, et Israël l'a déclaré "zone de combat rapproché". Depuis, il vivait dans une petite maison en béton qu'il avait louée au milieu du camp de réfugiés, près de Beit Hanoun, à Jababia, entassé avec sa grande famille dans un minuscule appartement.

Il revenait sur sa terre tous les matins, et y travaillait jusqu'au soir. Il fallait bien que lui et sa famille vivent de quelque chose, après tout. Et donc ce matin là, au matin du 10 janvier 2011, il s'est réveillé plein d'espoir, vers 4h du matin, et il est parti vers ses champs. Plein d'espoir parce que lui et ses voisins avaient récemment reçu un nouveau puits, l'ancien avait été détruit par l'incursion d'un char israélien. L'ONG italienne GVC avait creusé le puits, financé par le gouvernement italien.

Ce jour là, une employée de l'organisation lui a rendu visite pour voir comment sa situation s'était améliorée. Elle l'a interrogé et il lui a proposé de venir chez lui parce que dehors, elle ne serait pas en sécurité. Quand elle est partie, il lui a conseillé de prendre plutôt un raccourci, on ne sait jamais. Il lui a dit qu'il devait encore aller dans le jardin pour attacher son âne. Elle arrivait juste au village de Beit Hanoun quand elle a entendu trois coups de feu. Un a touché Shaban au cou, les deux autres dans la partie supérieure du corps. Il est mort sur le coup.

"C'est un véritable cauchemar," a dit l'italienne, abasourdie. "Je ne le reverrai plus jamais. D'ici à la morgue en deux heures."

"Lorsque nous avons discuté peu de temps avant sa mort, il m'a parlé de la situation insupportable dans laquelle il vit. 'C'est comme si on m'avait arraché le cœur', m'a-t-il dit pour me décrire la nuit au cours de laquelle il a perdu tous ses arbres sous les lames de 8 bulldozers. Et il m'a raconté comment lui et les fermiers des champs voisins avaient pris le risque de replanter, il faut bien vivre de quelque chose, après tout, et ils ont fait pousser du blé. Quand il a été prêt à être moissonner, l'armée israélienne l'a incendié. Et il m'a raconté comment lui et les fermiers des champs voisins ont encore une fois eu le courage de replanter, il faut bien que les enfants mangent, après tout, et ils ont essayé de replanter du blé. Quand ils sont arrivés dans les champs pour les semailles, les soldats israéliens leur ont tiré dessus."

"Quand je lui ai demandé d'où il tirait ses ressources maintenant, il m'a dit : 'Je ramasse des pierres et du bois, et je fais pousser quelques cultures dans mon jardin,'. Des cultures pour lesquelles il avait depuis peu de l'eau, grâce au puits donné par le gouvernement italien. Shaban était donc un peu optimiste sur l'avenir, son jardin allait lui rapporter quelques ressources, maintenant qu'il avait un puits. Et c'était sa seule source de revenus parce qu'il était devenu si dangereux d'aller dans ses champs. 'Les bulldozers israéliens peuvent revenir n'importe quand pour détruire ma maison, vous ne savez jamais ce qu'ils font après', m'a-t-il dit. Je lui ai demandé s'il n'avait pas peur. 'Non, je ne crains pas trop les tirs,' m'a-t-il répondu. 'Même s'il m'arrive quelque chose, les humains ne peuvent mourir qu'une fois. Et Dieu seul sait quand je vais mourir.'"

Son neveu, Mohammed Karmout, est resté un peu à l'écart, à la morgue. "Les Israéliens connaissaient très bien mon oncle, il était là tous les jours et tout le secteur est surveillé par des caméras et des drones. Ils savaient qu'il vivait ici."

Il est donc fort peu probable que Dieu ait été le seul à savoir que Shaban allait mourir ce jour-là, pendant qu'il attachait son âne, de trois balles dans le haut du corps.

Shaban Karmout est le troisième civil à mourir sous les balles dans la zone tampon ce mois-ci. A Noël, le berger Salama Abu Hashish, 20 ans, est mort d'une balle dans le dos alors qu'il s'occupait de ses moutons. Depuis le début de l'année dernière, les snipers israéliens ont tiré sur une centaine d'agriculteurs et de fermiers dans la zone tampon. 13 sont morts.

Photo

Source : Palsolidarity

Traduction : MR pour ISM

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