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Israël -

Antisémitisme et terrorisme : Des concepts volontairement vagues pour dissimuler la violence d'État d'Israël

Par

Le Dr Taceddin Kutay est chercheur à l'Université turco-allemande (TAU). Ses recherches portent sur la psychologie politique, les théories de la sécularisation, la religion et la science, et la culture occidentale. Compte Twitter : @Taceddin_Kutay

Israël est une entité informe qui ne ressemble à aucun autre État dans le monde en raison de sa structure, qui est construite de telle manière que la race, la religion et l'État sont complètement imbriqués. Cette singularité lui permet de s'offrir le luxe de posséder des mécanismes de défense que le reste du monde n’a pas.

Antisémitisme et terrorisme : Des concepts volontairement vagues pour dissimuler la violence d'État d'Israël

Le mécanisme de défense propre à Israël repose sur trois types de violence distincts. Le premier type de force est la « violence de l'action ». Israël, qui se paie le luxe de recevoir les fruits les plus mûrs de l'industrie moderne de l'armement avant même qu'ils ne soient disponibles sur le marché mondial, est un État si gâté qu'il peut utiliser ces armes contre des populations civiles en toute impunité, grâce au fait que le monde occidental le reconnaisse comme un acteur dont la légitimité est absolue, et ne peut être remise en question. C'est le pouvoir de l'action d'Israël basé sur la force brute. Les médias occidentaux la décrivent au reste du monde comme invincible. Le fait que le Dôme de fer, longtemps présenté comme invincible, se soit avéré ne pas l'être autant que ça a sérieusement terni l'image d'invincibilité produite sur la scène internationale. Mais aussi ternie que soit cette image, le véritable fondement du pouvoir de l'action d'Israël est qu'il est considéré comme un État qui a intrinsèquement le droit de jouir du privilège d'utiliser des armes conventionnelles sans discrimination et sans conséquence. Les taux constamment élevés de victimes civiles et d'enfants dans ses attaques, ainsi que le fait que cela dure depuis des décennies, indiquent que les meurtres en question ne sont pas commis par erreur, mais plutôt dans le cadre d'une stratégie délibérée. Cette absence de responsabilité se transforme en un multiplicateur de force, qui renforce la capacité d'action d'Israël.

Le deuxième type de force sur lequel Israël construit son mécanisme de défense est ce que nous pourrions appeler la « violence instrumentale ». Je dois préciser que j'utilise les termes susmentionnés sur la base de la classification établie par le célèbre sociologue allemand Heinrich Popitz. La violence instrumentale est utilisée pour décrire un type de pouvoir qui a été acquis en effrayant les adversaires par des menaces et des intimidations plutôt que par la personne ou l'institution impliquée qui projette ce pouvoir elle-même. Ce qui permet à ce pouvoir d'exister de cette manière, c'est qu'Israël bénéficie constamment d'un crédit infini de la part de la communauté internationale, dont les acteurs clés absorbent et neutralisent l'impact de toute critique ou menace dirigée contre Israël avant même qu'Israël n'ait à réagir.

La troisième force sur laquelle Israël construit son mécanisme de défense est la « violence autoritaire » [le pouvoir faisant autorité]. Ce type de violence, qui est fondé sur l'acceptation de l'existence de certaines normes, vise à empêcher les gens de franchir certaines limites. Aujourd'hui, la composante la plus puissante du mécanisme de défense d'Israël est la défense autoritaire.

Il existe deux termes particuliers utilisés pour faire face à toutes sortes de critiques et de défenses dirigées vers Israël. Ces termes sont également utilisés pour condamner toute personne qui tente de se défendre physiquement ou moralement contre la violence d'État à laquelle se livre Israël. Ces deux termes sont « antisémitisme » et « terrorisme ». Il n'est pas nécessaire d'expliquer en détail la puissance de ces concepts et la sévérité des sanctions qu’ils peuvent entraîner. Ce que nous devons comprendre et ce à quoi nous devons donner un sens, en revanche, c'est la source du pouvoir de ces concepts.

Ces deux concepts qui renforcent la violence autoritaire d'Israël tirent leur force de l'incertitude et de l'ambiguïté. Les limites de ces deux concepts sont extrêmement vagues ; il est difficile de dire où ils commencent et où ils finissent. Par conséquent, tout discours anti-israélien ne peut s'exprimer qu'en prenant un risque énorme face à cette ambiguïté. N'importe qui peut être qualifié d'antisémite dès qu'il fait la remarque suivante : « Israël tue des bébés ». Le concept d'antisémitisme était à l'origine défini comme une hostilité envers la race juive et pouvait être classé dans la catégorie du racisme. Lorsque cette définition, telle qu'elle était à l'origine, s'est avérée insuffisante pour qu'Israël l'exploite comme bouclier, sa portée a commencé à s'étendre indéfiniment. Bien que le terme se soit étendu politiquement, il s'est rétréci en termes de race. Alors que l'hostilité envers les Arabes, qui sont également un peuple sémite, n'est pas incluse dans la définition de l'antisémitisme, les critiques à l'égard d'Israël sont presque invariablement interprétées comme de l'antisémitisme puisque le concept n'a cessé de s'étendre dans le champ politique.

Il en va de même pour le concept de terrorisme. Quiconque se défend contre Israël ou soutient un enfant qui jette des pierres sur un soldat israélien qui lui tire dessus risque d'être qualifié de terroriste. Par conséquent, s'opposer à ces deux concepts vous met dans une position précaire, où vous vous retrouvez à lutter contre des forces invisibles. S'opposer à ces deux concepts ambigus est tout aussi prévisible et calculable que de combattre les démons et les mauvais esprits. Et pour l'individu moderne, qui est si soucieux de sa réputation, critiquer Israël peut être la chose la plus difficile à faire. C'est pourquoi les artistes, les penseurs et les écrivains occidentaux et turcs s'expriment très rarement sur le sujet, et lorsqu'ils le font, c'est généralement sous la forme de vœux de paix d'une neutralité sans signification. Une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête du monde et elle protège Israël en utilisant des termes ambigus.

Fremdschämen & Schadenfreude [honte d’autrui & joie d’infliger la destruction]

La protection d'Israël par des termes aussi ambigus s'inscrit dans un contexte culturel eurocentré. Le mot allemand Fremdschämen signifie « avoir honte des actes d'autrui ». Ce mot est unique à l'allemand, car toute autre langue aurait besoin d'un mot composé ou d'une phrase pour exprimer ce concept. En même temps, ce mot, en tant que concept, a un impact puissant sur la culture allemande. Le processus inhumain initié par le gouvernement du Parti national socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), notoirement connu sous le nom de Parti nazi, a entraîné la mort de millions de juifs innocents. Les procès de Nuremberg ont révélé que de nombreux anciens nazis ne regrettaient guère les atrocités qu'ils avaient perpétrées.

L'après-guerre a été marqué par un long processus de réflexion, au cours duquel on s'est demandé comment un tel état d'esprit meurtrier avait pu émerger. Beaucoup ont reconnu que la modernité et le positivisme radical avaient joué un rôle indéniable dans les meurtres. En raison de l'évolution de la société et de la pensée occidentales au cours de la première partie du vingtième siècle, toute la douleur et la souffrance ont été attribuées non seulement aux nazis allemands et autrichiens, mais aussi à une vision du monde. Le positivisme radical a subi un coup dur, et les sociétés occidentales ont dû partager le même niveau de culpabilité que leurs « partenaires du positivisme radical », c'est-à-dire les Allemands et les Autrichiens. En fin de compte, la mort de 50 millions de personnes ne pouvait pas être expliquée par l'état de développement du monde moderne. Il s'agissait d'une traduction « pratique » du mot allemand Fremdschämen dans d'autres langues occidentales.

Cependant, les frontières de Fremdschämen s'étendaient bien au-delà du monde occidental et des frontières des États qui avaient combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Les sociétés qui n'avaient rien à voir avec la guerre et qui n'avaient pas encore fait l'expérience de la modernité devaient participer à ce Fremdschämen collectif. Des sociétés qui n'avaient aucune idée de ce dont elles étaient responsables ont été contraintes de porter le fardeau de l'Holocauste sur un pied d'égalité avec les Européens. Grâce à ce fardeau, l'humanité entière a finalement été convaincue qu’elle devait garder le silence face à tous les excès commis par Israël. Tous les peuples du monde ont été contraints de plier sous leurs « fautes » et de se livrer à une sérieuse introspection, hantés par un sentiment de « regret », sans pouvoir néanmoins ressentir quelle était cette « faute » qui les accablait intérieurement.

Ce partage de la culpabilité et de la responsabilité avec le monde entier, ainsi que la condamnation du reste du monde à ce Fremdschämen, a poussé des pays comme l'Autriche à devenir pro-Israël à l’excès. En effet, l'esprit autrichien ayant conclu qu'il était aussi responsable que le reste du monde pour les victimes de l'Holocauste, a décidé qu'il ne pouvait être aussi responsable que le reste du monde pour les meurtres israéliens. Alors qu'Israël bombardait les colonies civiles de Gaza, l'Autriche a refusé de rester silencieuse, mais au lieu de condamner ces attaques, le drapeau israélien a été hissé sur le toit du bâtiment de la chancellerie. Ce n'était rien d'autre que la manifestation de l'expression allemande Schadenfreude (la joie d'infliger la destruction), qui est aussi unique dans la langue allemande que Fremdschämen. Ici, l'auteur d'un génocide (qui est un crime collectif) consolide sa propre position en portant le poids de la barbarie sur un terrain collectif. Avec l'émergence d'un nouveau crime collectif, le caractère extraordinaire du crime originel devient moins tangible.

La mémoire culturelle

Ceux qui s'intéressent à la question palestinienne font des prédictions contradictoires sur la façon dont le processus va évoluer à partir de maintenant. Il est évident que la solution du problème, qui est censé avoir atteint dorénavant un moment crucial par des faits accomplis constants, n'est pas aussi simple que d'imposer des faits accomplis, car il y a devant nous une profonde mémoire culturelle qui s'étend sur des milliers d'années et qui ne peut pas être facilement modifiée par des usurpations. La reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d'Israël a donné l'impression que le statut de Jérusalem en tant que tel avait désormais acquis une légitimité internationale. Le problème de la capitale d'Israël, qui a été établie à la suite d'un crime collectif et dont la protection collective a été imposée au monde entier, devait naturellement être résolu collectivement. Pour beaucoup, la permissivité de l'acteur dominant du système, les États-Unis, sur cette question appelait une solution collective au problème. Ceux qui supposent qu'une seule signature de Trump pourrait faire de Jérusalem la capitale d'Israël ne tiennent pas compte du fait que le symbole de Jérusalem, le Dôme du Rocher, est un monument islamique situé à l'intérieur de la mosquée al-Aqsa. Aussi longtemps que le Dôme du Rocher sera là, il continuera à rendre visible l'identité islamique de la ville.

Cette identité continuera à imposer à Israël, qui affirme être un État-nation juif, une psychologie de diaspora jusque dans sa propre capitale. Les Juifs israéliens de Jérusalem continueront à vivre une vie différente de celle qu'ils mènent à Tel Aviv, une ville qu'ils ont construite eux-mêmes. Cette réalité est basée sur le fait qu'Israël ne pourra jamais faire véritablement de Jérusalem sa capitale, même s'il a le soutien total de toute l'opinion publique occidentale et qu'il utilise les trois types de violence que nous avons expliqués précédemment. La mémoire culturelle confrontera toujours Israël à une réalité différente. Le temps prouvera qu'il ne sera pas possible pour un État artificiel créé par l'immigration d'effacer par de simples faits accomplis une création naturelle plus que millénaire.


Article original : https://www.aa.com.tr/tr/analiz/antisemitizm-ve-teror-muphem-kavramlar-israil-devlet-siddetini-perdeliyor/2260292
Traduit du turc par Can Atalay

Source : Anadolu Agency

Traduction : MR pour ISM

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