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Palestine -

Le keffieh palestinien : Tout ce que vous devez savoir sur ses origines

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Morceau de tissu à carreaux noirs et blancs typiquement palestinien, le keffieh est décrit par certains comme le drapeau non officiel de la nation. Longtemps synonyme de la cause palestinienne, ce simple tissu d'un mètre carré, traditionnellement plié en triangle et porté drapé sur la tête par les paysans palestiniens, est aujourd'hui solidement attaché au cou des militants des droits de l'homme, des manifestants anti-guerre, des stars du sport et des célébrités, transcendant le genre, la religion et la nationalité.

Le keffieh palestinien : Tout ce que vous devez savoir sur ses origines

Jeunes palestiniens près de Naplouse, 22 mai 2021
Muhammad Walid, 49 ans, de Jérusalem, dit que du plus loin qu’il se souvienne, il a vu son père et ses oncles porter le keffieh.
"Les générations plus anciennes le portaient sur la tête", dit-il. "J'ai commencé à le porter à l'adolescence, mais autour du cou. Pour moi, il représente la lutte et la cause palestiniennes."

L’histoire de Riad Halak, 62 ans, également de Jérusalem, est la même, et il déclare : "C'est une tradition de la Palestine. J'ai commencé à en porter un quand j'avais 11 ans, et je le porte encore aujourd'hui lors de journées spéciales comme la Nakba. Il fait partie de mon identité."

Si le statut du keffieh en tant qu'icône de la nation palestinienne est incontesté, ses origines se trouvent plus à l'est, dans ce qui est aujourd'hui l'Irak.

Le mot lui-même signifie "relatif à Kufa", en référence à une ville irakienne située au sud de Bagdad, le long de l'Euphrate, mais on sait peu de choses sur les origines du keffieh.

Un récit suggère qu'il est apparu au VIIe siècle, lors d'une bataille entre les forces arabes et perses près de Kufa. Les Arabes auraient utilisé des cordes en poils de chameau pour fixer leurs coiffures et reconnaître leurs camarades dans le feu de la bataille. Après leur victoire, ils auraient conservé la coiffe en souvenir de leur triomphe.

D'autres affirment que le tissu, parfois appelé hata au Levant, a des origines antérieures à l'islam et remonte à la Mésopotamie, où il était porté par les prêtres sumériens et babyloniens il y a environ 5.000 ans.

"Ses origines laissent le champ libre à toutes sortes de spéculations", explique à Middle East Eye Anu Lingala, auteur de A Socio-political History of the Keffiyeh. "Jusqu'à très récemment, ce type d'objets conçus n'était pas pris au sérieux en tant que sujets de recherche universitaire. L'exception concernait ceux associés au statut d'élite et à la richesse, alors que le keffieh était traditionnellement associé aux classes populaires."

Une abréviation de la lutte

Bien qu’elles ne soient plus liées au statut social, les racines modernes du keffieh en Palestine se trouvent chez les fellahs, ou paysans, ainsi que chez les Bédouins. Ces deux groupes le portaient sur la tête pour couvrir l'arrière de leur cou et se protéger de la chaleur du soleil l'été et du froid l'hiver.

Selon Lingala : "Se couvrir la tête était un principe important dans la culture traditionnelle palestinienne.(…) Le keffieh permettait de respirer grâce aux poches d'air créées par les plis du tissu", explique-t-elle.

Les Palestiniens les plus éduqués et urbains, ou effendi, portaient le fez ou le tarboush, un chapeau de feutre rouge foncé popularisé par le souverain ottoman Mahmud II et adopté par les habitants comme une forme standard d'habillement.

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Une Palestinienne d’une tribu bédouine se tient devant ce qui reste de la maison de sa famille après le passage de l’armée d’occupation près de Jéricho, dans la Vallée du Jourdain, en 2017 (Archives AP)


L'historienne de la culture Jane Tynan a écrit sur l'importance du foulard dans son livre Fashion and Politics. Elle explique : "Les codes vestimentaires de l'Empire ottoman avaient pour effet de gommer les identités ethno-religieuses, mais les habitants des villes le portaient comme une norme."

Après la perte par l'empire turc de ses territoires du Proche-Orient pendant la Première Guerre mondiale et la révolte arabe contre la domination coloniale britannique en 1936, les nationalistes palestiniens ont également utilisé le keffieh comme moyen de se couvrir le visage pour cacher leur identité et éviter d'être arrêtés, ce qui a incité les Britanniques à demander en vain son interdiction. Au contraire, dans un "moment charnière de la culture palestinienne", les Palestiniens se sont unis pour adopter le tissu en signe de solidarité. Le symbole est resté une icône incontournable de la nation palestinienne après la Nakba et la création de l'État d'Israël.

"Les Palestiniens de toutes les classes sociales ont abandonné le fez et se sont unis autour du port du keffieh, rendant difficile l'identification des révolutionnaires", explique à Middle East Eye Maha Saca, responsable du Centre du patrimoine palestinien à Bethléem.

Tynan, professeur adjoint en histoire et théorie du design à la Vrije Universiteit Amsterdam, affirme que "depuis sa fonction dans la révolte comme outil pour dissimuler l'identité du porteur aux autorités britanniques, le keffieh est devenu une abréviation de la lutte palestinienne".

Lingala fait un constat similaire : "Alors que l'identité collective des Palestiniens et leur droit à la terre continuaient à être de plus en plus menacés (...) ils ont cherché à se raccrocher à des objets qui représentaient une 'continuité culturelle'."

Des années plus tard, dans les années 1960, le défunt leader palestinien Yasser Arafat a popularisé le vêtement auprès du monde entier. Selon M. Saca, "Abu Ammar [Arafat] ne se montrait jamais sans lui lors d'un événement".

Son keffieh était toujours soigneusement positionné sur sa tête, l'extrémité la plus longue du tissu étant placée sur son épaule droite - certains disent qu'il était disposé de manière à ressembler à une carte de la Palestine d'avant 1948.

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Lorsque les autorités d'occupation israéliennes ont interdit le drapeau palestinien de 1967 jusqu'aux accords d'Oslo en 1993, le foulard a pris un symbolisme puissant, selon Ted Swedenburg, professeur d'anthropologie à l'université de l'Arkansas.

"Les symboles portables et visibles" étaient importants pour les Palestiniens, explique Swedenburg, ajoutant qu'avec le drapeau interdit par l'occupation pendant près de 30 ans, le keffieh, "auquel tant de symbolisme et d'histoire étaient attachés, a servi d'expression visuelle quotidienne, portable, de l'identité palestinienne".

Blé, olives et miel

La broderie noire distincte sur le keffieh en coton blanc a, dit-on, de nombreuses significations symboliques et, bien qu'aucune n'ait été vérifiée, les Palestiniens ne manquent pas d'interprétations.

On l’a décrit comme "un filet de pêche, un rayon de miel, des mains jointes, ou les marques de la poussière et de la sueur essuyées sur le front d'un travailleur". D'autres suggèrent que le dessin représente des épis de blé, en référence à Jéricho, l'une des premières villes connues pour la culture de cette céréale.

L'artiste de scène palestinien Fargo Tbakhi ajoute le "fil barbelé" à la liste, expliquant que le motif pourrait représenter "ce symbole omniprésent de l'occupation", bien qu'il s'attache surtout au motif du filet de pêche, également appelé fatha (ouverture).

"Je le vois comme un symbole de notre identité, une façon d’être palestinien, il exprime un avenir possible pour notre peuple", écrit-il dans le Los Angeles Review of Books.

"Un filet de pêche est une image du collectif, de l'enchevêtrement et de la dépendance : dans un filet, les brins singuliers deviennent quelque chose de plus grand, de plus fort. En tant que brin, j'aspire toujours à être noué à d'autres, afin que nous soyons mieux à même de tenir, de prendre."

L'auteure palestinienne Susan Abulhawa explique à Middle East Eye que les motifs du keffieh "parlent de la vie des Palestiniens, de la même manière que les motifs des tatreez [broderies palestiniennes] sont un langage à part entière, racontant des histoires de lieu, de lignée, d'occasion et de signification historique".

La broderie noire est parfois appelée nid d'abeille, en reconnaissance des apiculteurs de la région ; certains paysans syriens (où le keffieh est également porté) disent que le motif symbolise la jonction des mains et les marques de poussière et de sueur essuyées sur le front d'un travailleur.

Un récent tweet incluait une autre interprétation du dessin, une représentation des oliviers de Palestine, qui montrent "force et résilience" :

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Abulhawa est d'accord : "Les motifs "en forme d'oiseau" le long de la bordure sont des feuilles d'olivier interconnectées, faisant référence à l'importance de l'olivier dans la vie des Palestiniens."

Les olives, sous toutes leurs formes - huile d'olive, produits à base d'huile d'olive (comme le savon) et bois d'olivier - sont des aspects extrêmement importants de la vie culinaire, sociale et économique des Palestiniens, explique Abulhawa.

"Les oliviers ne fournissent pas seulement un moyen de subsistance et un revenu, mais les soins apportés aux arbres et la saison des récoltes sont à l'origine d'événements sociaux et nationaux importants dans notre société. Les olives sont présentes dans notre poésie, nos chansons, nos tatreez, notre nourriture, notre folklore et nos traditions familiales. Enfin, les longues bordures géométriques du keffieh indiquent les routes commerciales qui importaient et exportaient des produits vers et depuis la Palestine."

Pas toujours noir et blanc

Le keffieh - également appelé shemagh en Jordanie et en Syrie, et ghutra dans les pays du Golfe - reste typiquement arabe mais n'est pas religieux, puisque les chrétiens arabes, les musulmans, les druzes et les laïcs le portent dans toute la région, dans des couleurs et des motifs différents.

Si le keffieh palestinien et syrien est noir et blanc, d'autres ont leurs propres motifs.

Les pays du Golfe comme le Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar préfèrent une ghutra blanche unie, un vêtement en coton léger immaculé qui agit comme une barrière contre la chaleur tout au long de l'année. Pendant les mois d'hiver plus frais, un tissu plus lourd, dans des tons plus sombres, remplace le couvre-chef d'été. Il est généralement drapé sur la tête et fixé avec un cordon noir, igal, et les hommes plus jeunes peuvent choisir d’enrouler la ghutra dans un style de turban connu sous le nom de hamdaniya (ci-dessous).

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Les Saoudiens et les Jordaniens portent un shemagh à damier rouge et blanc, qui aurait été influencé par les Britanniques.

Selon les universitaires Widad Kawar et Ezra Karmel, le général britannique John Bagot Glubb aurait conçu cette coiffe dans les années 1930, afin de distinguer les Arabes fidèles au régime britannique. Fabriquée dans les filatures de coton britanniques, elle a rapidement fait partie de l'uniforme de la force de police de la Palestine, l'autorité coloniale britannique.

Une version dépourvue des glands jordaniens distincts est ensuite entrée en Arabie saoudite, où il est également enroulé et torsadé dans différents styles.

La liberté à la mode

Les étudiants et les militants anti-guerre du monde entier ont commencé à adopter le keffieh palestinien dans le cadre du mouvement anti-guerre des années 60 et 70. Selon M. Swedenburg, c'est à cette époque qu'il a transcendé le monde arabe pour devenir un accessoire vestimentaire de choix parmi les manifestants politiques et les défenseurs de la lutte contre les missiles, ainsi qu'un symbole de résistance porté par d'autres anti-impérialistes, comme le défunt leader cubain Fidel Castro.

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Castro l'a porté, et Nelson Mandela aussi. Swedenburg déclare : "Pratiquement toutes les forces de gauche étaient solidaires de la lutte palestinienne... Che [Guevara] a visité la bande de Gaza quelques années avant sa mort."

Il y avait une sympathie généralisée avec les luttes anticoloniales et anti-impérialistes dans le monde en voie de développement.

"En commençant par la lutte vietnamienne," dit Swedenburg, "mais aussi l'expérience socialiste du Chili sous Allende, les luttes armées au Mozambique et en Angola contre le colonialisme portugais, la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud, et ainsi de suite.

"Il y avait donc un segment du mouvement anti-guerre, notamment dans les sections gauchistes et anti-impérialistes, qui était solidaire du mouvement de résistance palestinien, et on voyait donc des keffiehs dans ces cercles."

Le vêtement est facilement devenu à la mode par la suite. Lingala fait référence à un article de Time Magazine datant de 1988 qui traite du keffieh palestinien dans la mode urbaine américaine et en relation avec la première intifada palestinienne, qui a débuté en 1987.

"Les porteurs de keffieh interrogés pour l'article n'étaient pas conscients des appartenances politiques et le portaient plutôt comme un accessoire", affirme Lingala.

Le vêtement a également été présenté dans l'exposition Is Fashion Modern?, organisée en 2017 au Musée d'art moderne de New York. Son conservateur principal a déclaré : "[Le keffieh] est désormais imprégné d'une profonde signification politique. Il est également devenu un accessoire de mode qui est, dans certaines itérations, complètement séparé de son contexte d'origine et utilisé pour ses seuls mérites esthétiques."

Cependant, l'adoption du foulard par le grand public ne s'est pas traduite par un succès pour les fabricants palestiniens. Les usines locales de keffieh palestinien ont fermé leurs portes lorsque le foulard a commencé à être produit en masse dans des pays comme la Chine.

La famille Hirbawi, qui fabrique le keffieh traditionnel depuis 1961, s'est vite aperçue que les versions bon marché étaient moins chères que leurs produits, qui sont fabriqués à Hébron, appelée Al-Khalil par les Palestiniens.

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Capture d’écran du site en ligne de la manufacture Hirbawi


Dans une interview précédente, Abed, l'un des frères dirigeant l'usine, avait déclaré à Middle East Eye : "Lorsque les keffiehs fabriqués en Chine ont commencé à arriver, nos métiers à tisser se sont tus." La demande de keffiehs fabriqués en Palestine a diminué, tout comme la production. Il a fallu encore 15 ans pour qu'elle reprenne.

Cette perception d'une "dévalorisation" du keffieh et d'un dépouillement de ses valeurs symboliques a donné lieu à des accusations d'appropriation culturelle. Outre les produits de grande consommation, des créateurs haut de gamme ont produit leurs propres modèles, notamment la version de Balenciaga en 2007, qui coûtait 3.000 dollars, ainsi que des versions de Chanel et Fendi.

Chanter pour la solidarité

La commercialisation du keffieh n'a en rien diminué sa valeur culturelle aux yeux des Palestiniens.

La rappeuse palestinienne britannique Shadia Mansour, par exemple, a insisté sur le fait qu’il faut reconnaitre et rappeler l'attachement symbolique du keffieh à l'identité palestinienne, et a fait des références au foulard dans son travail. Elle a sorti son premier single Al-Kufiyyeh 3arabeyyeh, qui signifie Le Keffiyeh est arabe, en 2010, comme une ode au vêtement et à son identité.

Un autre artiste palestinien, Mohammed Assaf, a remporté le concours de talents Arab Idol en 2013 avec sa chanson à la gloire du vêtement, Ali al-Kuffiyeh, ou Brandis ton Keffiyeh, qui est devenue un hymne palestinien. Plus récemment, la chanson Filisteen Taj Ala-Raas ou Couronne palestinienne sur la tête, du chanteur palestinien Muhannad Khalaf, met en scène des danseurs portant le keffieh et exécutant la danse traditionnelle debka.





Source : Middle East Eye

Traduction : MR pour ISM

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