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France -

Réponse à la CNT, suite à son droit de réponse à mon article "Les spahis de la gauche coloniale et le soutien à Gaza"

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Le 29 avril, nous publiions le Droit de Réponse de la CNT à l’article de Nadjib Achour, paru le 14 février 2009 : "Les spahis de la gauche coloniale et le soutien à Gaza".

Hormis des erreurs et des faits historiques sur lesquels nous reviendrons, il convient tout d’abord de procéder à une analyse de la posture de la CNT parfaitement explicite au travers de son argumentaire. La CNT n’invente absolument rien, elle ne fait que perpétuer, conformément à l’esprit de la gauche coloniale un rapport de domination paternaliste avec les minorités. Ce rapport de domination nous le connaissons depuis plus de 80 ans.

De ce fait, conformément à une sinistre tradition, bien ancrée au sein de cette mouvance polymorphe de la gauche coloniale, ceux qui oseront contester son « fraternalisme », se verront automatiquement taxer de fasciste, de suppôt de l’extrême droite…

La plume de la CNT n’a fait que réactualiser un argumentaire suranné qui avait déjà été naguère utilisé contre les nationalistes algériens de l’Etoile Nord-Africaine, puis du PPA… par les colonialistes de gauche, en raison de leur refus du tutorat idéologique qui leur était imposé. Le leader du PPA, Messali Hadj, répondant à des accusations devenues traditionnelles stigmatisant les nationalistes algériens comme fascistes, déclarait aux lendemains des massacres du Constantinois du 8 mai 1945 : « Démocrates, nous sommes opposés à toutes les formes de fascisme quelles qu’elles soient, et nous ne sommes donc pas racistes. Nous sommes fiers d’être arabes, mais cela ne nous oblige pas à haïr les autres peuples. J’ai été à la fois l’agent d’Ibn Seoud, de Staline, de Mussolini, d’Hitler, de Doriot et du gouvernement général d’Algérie. Je pense que cette énumération se passe de tout commentaire. » [1]

Toute volonté autonomiste, toute critique émanant de la minorité arabo-musulmane à l’égard de ceux qui se considèrent de facto comme nos protecteurs devant nous instruire, sont et seront stigmatisées par des accusations de fascisme. Pour éviter cet anathème nous sommes dans l’obligation d’obéir au diktat idéologique et de sanctifier les actions de nos « guides-protecteurs », qui seuls sont habilités à penser, se prenant pour l’esprit et la conscience des musulmans. Les musulmans étant dans leur optique un corps, confinés à des tâches subalternes.

Mais comme l’affirmait l’ancien leader des Blacks Panthers Huey Newton pour le peuple afro-américain, « les musulmans ont aujourd’hui un esprit et nous aspirons à être les acteurs de notre propre histoire ». Nous sommes les seuls aptes à déterminer les objectifs politiques qui sont nôtres, et au regard de ces impératifs le combat de nos « guides » de la CNT nous parait abstrait. Nos aspirations ne sont nullement celles de bourgeois rebelles qui passé l’âge de la révolte, auront leur place dans la société capitaliste néocoloniale, il ne suffira pas, pour nous autres musulmans, de se laisser pousser les cheveux et arborer un costume européen pour vivre décemment et bénéficier des dividendes du système capitaliste qui nous exploite et nous opprime. Les musulmans luttent avant tout pour leur dignité et notre émancipation ne peut être que de notre seul fait. Nous refuserons désormais que quiconque joue le théoricien paternaliste de notre communauté, et c’est ce qui semble justement déranger la CNT, car nous ne sommes plus disposés à jouer les cobayes de leurs lubies politiques immatures. Pour parvenir à cette émancipation, il convient comme l’a préconisé Frantz Fanon, de tourner définitivement la page du jeu européen et de ne pas singer l’Europe.

Le conflit qui nous oppose à la gauche coloniale, est la résultante d’une longue histoire opposant les peuples colonisés à ceux qui ont constamment décidé de s’ériger en tuteur idéologique, balayant les rêves indépendantistes portés par les militants nationalistes en lutte contre l’oppression coloniale. Certes, nous ne contestons pas le droit au syndicat anarchiste de se revendiquer du passé révolutionnaire du prolétariat français, qui au passage n’est pas le nôtre, nous aussi nous nous revendiquons du passé militant du prolétariat immigré qui a lutté contre le paternalisme et le racisme de ce même prolétariat français. La plume de la CNT évoque la grève de 1926, mais ne fait nullement référence aux actions des structures politiques de ce même prolétariat qui a fait dissoudre l’ENA, et applaudi aux massacres du Constantinois du 8 mai 1945 précité. Ce même prolétariat révolutionnaire dont se réclame le chroniqueur de la CNT n’a été solidaire du combat des peuples colonisés en lutte contre le colonialisme que dans son imaginaire, car ce prolétariat s’est reconnu dans cette aventure européenne que fut la colonisation. En effet, comme l’écrivait Frantz Fanon « les masses européennes […] il faut qu’elles le reconnaissent se sont souvent ralliées sur les problèmes coloniaux aux positions de nos maîtres communs. » [2] D’ailleurs la CNT n’échappe pas à la règle commune à l’ensemble de la gauche coloniale qui fait qu’elle demeure prisonnière de l’occidentalo-centrisme de ses théoriciens, malgré la réécriture d’un passé mythique par son chroniqueur qui nous narre une épopée anticoloniale mythologique.

Le chroniqueur du syndicat libertaire ignore la date de création de sa propre structure, puisque celle-ci au moment de la guerre du Rif avait déjà plusieurs années d’existence, le syndicat libertaire fut effectivement fondé en 1910 et non en 1919. Tout comme il semble ignorer le souvenir néfaste que sa structure a laissé dans la mémoire des Rifains qui n’ont pas du tout la même vision de son épopée « anticoloniale ».

Le chroniqueur de la CNT semble méconnaître aussi par la même occasion le positionnement de sa structure quant à l’épineux problème du Maroc sous occupation coloniale espagnole. En 1931, lors du congrès de la CNT à Madrid, l’opinion la plus radicale du mouvement anarchiste et qui fut considérée comme la plus anticolonialiste, préconisait purement et simplement l’assimilation, à l’instar des Jacques Soustelle et Robert Lacoste au plus fort de la révolution algérienne. Le militant Angel Pestaña fit la suggestion suivante : « Je propose que la Confédération réclame pour la zone du protectorat en Afrique les mêmes conditions politiques et sociales ; absolument les mêmes que celles qu’auront les autres régions d’Espagne. Que les Arabes du protectorat espagnol soient considérés comme des citoyens comme nous, avec les mêmes droits, les mêmes devoirs, qu’ils soient respectés comme nous. » [3] Il ajoutait : « l’influence de cet accord serait révolutionnaire car cela produirait un malaise constant chez les Marocains qui sont sous la domination d’autres pays. » [4]

Prisonnière de concepts matérialistes pour ainsi mieux nier les réalités de la domination coloniale, la CNT répondit « Il est sur que nous les travailleurs, nous voulons la liberté de tous les peuples et de tous les hommes ; et que le problème du Maroc nous intéresse en tant qu’hommes, mais nous devons discuter ici des questions d’ordre économique, d’ordre moral, et non pas des questions qui sont étrangères aux affaires qui nous occupent et nous intéressent et qui sont inscrites à l’ordre du jour. » [5] Le site internet de la fondation Besnard proche de la mouvance libertaire évoque en des termes peu élogieux la posture de la CNT et de l’ensemble de la gauche espagnole en matière coloniale. Selon ces derniers « L’UGT, le PS, le PC et le POUM ont été aussi peu capables que les cénétistes. Preuve que la conception matérialiste et les écarts culturels - comme le machisme - sont plus difficiles à dépasser que la simple conscience de classe. » [6]

La plume de la CNT évoque le cas d’Algériens qui combattirent les troupes franquistes aux côtés des républicains espagnols. Aussi louable que fut le combat antifranquiste, celui-ci ne concernait en rien les Algériens colonisés par la France qui devaient avant tout se battre pour la libération de leur pays. Les militants nationalistes algériens de l’Etoile Nord Africaine déplorèrent l’utilisation d’Algériens comme chair à canon pour une cause à laquelle ils étaient étrangers et firent campagne auprès des musulmans, comme l’écrit l’ancien militant du PPA, Benyoucef Ben Khedda « pour les empêcher de répondre à l’appel du PCF les invitant à aller volontairement combattre Franco aux côtes des républicains espagnols. » [7] Ben Khedda précise que l’attitude de l’ENA « se justifiait simplement au nom du principe que, s’il fallait mourir, les Algériens mourraient d’abord pour leur patrie. Pourquoi, en effet, iraient-ils aider le Front antifranquiste alors que sa composante socialo-communiste s’était opposée, naguère à l’indépendance du Rif ? » [8]

L’historien algérien Mahfoud Kaddache évoque lui aussi l’intense propagande du PCF à destination des travailleurs nord-africains afin que ceux-ci s’enrôlent au sein des Brigades Internationales. « Les nationalistes algériens, écrit-il, ne voulaient pas servir de mercenaires au Front Populaire, dont les hommes ne s’inquiétaient que de leurs propres intérêts et du danger qui pouvait les menacer. Les nationalistes voulaient avant tout se battre mais pour le droit des Algériens. » [9] Le journal de l’Etoile Nord Africaine, El Oumma, se fit l’écho dans un article daté du 28 août 1936, du positionnement des nationalistes algériens quant au conflit espagnol pour lequel ils étaient sollicités « il faut que l’on sache que nous voulons pas rester des éternels dupes ! La guerre de 1914 nous a suffisamment échaudés !! il faut que l’on sache que nous ne sommes pas des mercenaires complaisants. Si nous devons nous battre, nous voulons savoir pour qui et pourquoi nous nous battons. Nous posons la question il faut que l’on nous réponde. Et cela par des actes, non par des promesses. La vie des Algériens est aussi chère que celle des autres. » [10]

A la suite de ce conflit, le 26 janvier 1937, le gouvernement du Front Populaire procéda à la dissolution de l’Etoile Nord Africaine en vertu du décret Régnier sur les ligues factieuses d’obédience fasciste. Dans les faits, la gauche coloniale ne pardonnait pas aux nationalistes algériens non seulement leur programme revendiquant l’indépendance mais aussi leur refus de se faire les supplétifs d’un conflit qui ne les concernait nullement. Amar Imache déclara à la suite de la dissolution de l’Etoile Nord Africaine « le Front Populaire en matière coloniale n’est qu’un mot comme les autres ; il a refusé d’accorder la liberté aux Rifains (allusion au Front populaire espagnol), il a toléré la conquête de l’Ethiopie. C’est le Front populaire français qui dissout notre organisation et applique le bâillon. C’est dans l’ordre et la logique, car c’est toujours la bourgeoisie impérialiste qui gouverne, qu’elle s’appelle la gauche ou la droite. » [11]

Ensuite, il est aisé de voir que sur la question de la révolution palestinienne, nous sommes confrontés au même diktat idéologique. Nous pensons que le combat des Arabes de la diaspora fait partie intégrante de la lutte que mènent les peuples arabes pour leur émancipation, et notre émancipation passe par une solidarité active avec la révolution palestinienne. Affirmer cela ne veut nullement dire, comme le sous-entend la plume de la CNT, que nous cautionnons la manipulation de la cause palestinienne par l’extrême droite raciste, nostalgique de la sinistre période impériale française qui demeure notre ennemi politique. Par ailleurs, nous n’avons nullement limité le soutien de la révolution palestinienne aux seuls Arabes, puisque les derniers événements de Ghaza ont vu d’importantes mobilisations en Turquie, en Iran, en Inde, en Asie du Sud-Est, en Afrique ou en Amérique latine. La révolution palestinienne a permis de mobiliser les masses populaires des pays du Sud, ces « damnés de la terre » évoqués par Frantz Fanon, et dont la révolte demeure la hantise de l’Impérialisme occidental, dans sa version de gauche comme de droite, et de leurs valets réactionnaires du Sud.

Nadjib Achour

[1] Stora Benjamin, Messali Hadj 1898-1974, Paris, Hachette Littératures, 2004, p. 194
[2] Fanon Frantz, Le damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2006, p. 103
[3] “Memoria del congreso ” Madrid, 1932 p. 86
[4] Ibid
[5] Ibid., p. 87
[6] URL : http://www.fondation-besnard.org/article.php3?id_article=618
[7] Benyoucef Ben Khedda, Les origines du premier novembre 1954, Ed. CNERMNR, p. 62
[8] Ibid
[9] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, T 1, 1919-1939, Ed. Paris-Méditerranée, 2003, p. 447
[10] Ibid.
[11] Ibid., p. 449

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