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Vallée du Jourdain -

30 Mars 2011 : Une Nakba à petit feu dans la vallée du Jourdain

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A propos de la Journée de la Terre, je veux parler de ce qui s'est passé dans la vallée du Jourdain. La semaine dernière je m'y suis rendue pour continuer mon travail avec Activestills sur le déplacement forcé des populations. Mon séjour aurait pu être presque idyllique, à dormir dans une tente avec une famille palestinienne, dans un cadre magnifique. Le printemps pointe son nez, la vallée est très verte et couverte par endroit de fleurs. La plupart des habitants de la vallée du Jourdain sont des Bédouins. Ils ont une vie simple mais rendue de plus en plus difficile par les restrictions à la liberté de mouvement. Pour que leur bétail puisse avoir assez de pâturage, ils avaient l'habitude de bouger entre plusieurs endroits mais désormais, c'est presque impossible entre les zones prises par les colons, celles déclarées « zone d'entrainement militaire » ou « zones naturelles », il ne reste plus grand chose aux Bédouins et beaucoup ont été obligés d'abandonner leur mode de vie traditionnel et de partir dans des villes.

30 Mars 2011 : Une Nakba à petit feu dans la vallée du Jourdain

Certains pourtant résistent et refusent de partir ou de travailler dans les colonies. C'est la cas de la famille Daraghme. Nabil est un Bédouin. Il vit dans une tente avec ses 4 enfants et sa femme une partie de l'année sur une terre qui appartient à l'Église et sur laquelle il réside régulièrement depuis 15 ans.

Mardi dernier, je me trouvais dans la vallée avec le groupe Jordan Valley Solidarity quand nous avons appris que pendant la nuit, des colons étaient venus installer une tente à quelques mètres seulement de celle de Nabil. Nous nous sommes rendus sur place. Nabil nous a raconté comment il avait déjà été menacé les jours précédents par l'armée et la police israéliennes qui lui ont ordonné de partir, et cela sans présenter aucun papier officiel. Mais Nabil a refusé, et comme par hasard les colons ont débarqué en masse un peu après au beau milieu de la nuit. La technique est assez simple : les colons installent une tente, l'armée israélienne arrive et pour des raisons de « sécurité » évacuent tout le monde. Au bout du compte bien sur la terre est laissée vacante et sera bientôt récupérée par les colons.

Je suis restée avec la famille, avec d'autres volontaires, toute la journée du mercredi et la nuit. Les colons ne cessaient de faire des allers et venues, armés bien évidemment. Les soldats sont aussi venus en fin d'après-midi en disant encore à Nabil qu'il doit partir et que s'il ne démolissait pas sa tente lui-même, ils allaient s'en charger le lendemain.

La nuit a été assez agitée. Les colons avaient braqué les projecteurs sur la tente des Palestiniens et faisaient le plus de bruit possible. A un moment, un colon aussi armé a essayé d'inciter son chien à attaquer les chiens des Palestiniens. Pendant la nuit ils ont attaqué les animaux en leur jetant des pierres. Nous pouvions entendre les colons rigoler et marcher tout près de la tente. Ils ont aussi uriné sur les réservoirs d'eau des Palestiniens. Le lendemain, j'ai dû partir mais Keren, une autre photographe du groupe, m'a remplacée. Elle est restée avec la famille et m'a appelée le lendemain pour me dire que la tente avait été démolie. La famille qui a refusé de laisser la tente a été trainée dehors par les soldats ainsi que les quelques activistes israéliens et internationaux qui étaient avec eux. Tout le monde a été repoussé jusqu'à la route et la zone a été déclarée zone militaire fermée jusqu'au lendemain 7 heures. La famille était donc "à la rue" sans aucune de ses affaires. Avec l'aide des volontaires, ils ont essayé de reconstruire une tente mais la police israélienne est tout de suite venue pour leur dire que c'était interdit. Les colons étaient eux aussi partis avec leur tente mais ils ont bien obtenu gain de cause : l'expulsion forcée d'une famille palestinienne d'une terre qu'ils convoitent. La famille Daraghme a passé la nuit dans la tente qui sert d'école. Le lendemain je les rejoignais pour la triste tâche de récupérer leurs affaires sous la tente détruite et de partir ailleurs. Toute la famille a grimpé la colline et en silence a récupéré ses affaires et les a amassées dans un tracteur. Ils ont aussi récupéré la structure de la tente mais certaines parties avaient été cassées. Les tomates et les concombres, la petite gazinière, tout était encore en place sous la bâche. Les enfants étaient d'un calme remarquable et aidaient de leur mieux. Puis nous sommes partis à quelques kilomètres à Al Maleh. La mère palestinienne devancée par ses enfants portant des sacs a marché depuis la route pour rejoindre leur nouveau campement. Les regardant, je ne pouvais que repenser à ces images des Palestiniens en 1948 quand ils ont été chassés de leurs villages et ont pris les routes avec quelques affaires. La Nakba, la catastrophe comme les Palestiniens la nomme, continue aujourd'hui mais d'une manière plus insidieuse, à petit feu.

En s'y mettant tous, la tente a été montée en quelques heures, une partie reste manquante car des barres ont été cassées. Une bâche a été donnée pour remplacer celle déchirée.

Nabil se semblait pas tranquille pour autant, il savait évidemment que l'armée risquait de revenir. Et en effet dans l'après midi elle nous a rendu visite. L'armée a d'abord essayé de jouer l'intimidation : « Vous avez 10 minutes pour partir et démolir la tente ! » Un soldat a aussi dit à Nabil qu'ils le surveillent 24h sur 24 et qu'ils détruiront sa tente peu importe où il décidera de la planter : il doit aller à Tubas. Tubas est la ville la plus proche, et Nabil a une vingtaine de vaches : où sont-elles censées restées ? L'armée a aussi essayé d'amadouer Nabil en lui faisant croire qu'au bout de deux semaines il pourrait revenir.

Mais Nabil n'a pas été dupe et a refusé de partir. Et quand nous avons demandé à l'armée de montrer l'ordre de démolition, le soldat nous a répondu qu'il l'apporterait le lendemain. Les soldats agissent décidément comme des cowboys, brutaux et arrogants. Ils pensent qu'il suffit d'aboyer pour que les Palestiniens partent de leurs terres, incapables de voir combien leurs racines sont profondes.

Je passe encore une nuit sous la tente avec la famille. Tous nos matelas sont collés les uns aux autres, comme si cela allait nous protéger davantage, à moins que cela ne soit qu'une manière de se tenir chaud. La nuit est calme, les étoiles sont magnifiques, et tout serait parfait si ce n'était la crainte d'être réveillée par les soldats. Je suis repartie le lendemain, en me demandant si je vais revoir la famille une nouvelle fois marcher avec leurs sacs jusqu'à leur prochaine destination, laissant la place à des colons et des soldats qui ne peuvent même pas laisser une famille de 6 personnes, leurs 20 vaches, leur cheval et leur mulet en paix.

Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres mais qui multiplié finit par indiquer une politique claire : celle d'un déplacement forcé de population des zones « C » (zones des territoires palestiniens contrôlées selon les accords Oslo par les Israéliens), vers les zones « A », zones qui sont contrôlées avec l'aide active de l'autorité palestinienne.

Je viens d'apprendre que trois familles bédouines ont aussi reçu des avis d'évacuation. Demain je retourne dans la vallée.



Pour plus d'info, voir aussi le site du groupe Jordan Valley Solidarity.

Lire le premier reportage d'Ann Paq sur l'expulsion de cette famille : "Des colons installent une tente pour expulser une famille de bédouins palestiniens dans la Vallée du Jourdain", ISM-France, 27 mars 2011.



Source : Chroniques de Palestine

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