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ISM France - Archives 2001-2021

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Gaza -

Le vent n'est pas un simple vent

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Mais le vent n'est pas un simple vent ici, il transporte le vide des maisons détruites aux abords de la vill, et le sable plat, qui , aussi obscène qu'une porte ouverte, permet à un invité non-désiré d'entrer. Et les flaques ne sont pas innocentes mais ramènent à l'esprit des images d'eaux usées remontant en surface, après que des tanks aient défoncé les rues et que des bulldozers aient brisé les canalisations.

Chaque fois que j'écris, je m'étonne de voir combien d'heures cela me prend pour dépasser l'intimidation initiale de mon écran d'ordinateur, afin de mettre des mots sur ce que je ressens sur Rafah. Les jours glissent, brusquement, à grande vitesse dans l'hiver. Le soleil, comme une carte postale d'anniversaire qui s'ouvre et se ferme gaiement dans les mains distraites d'un enfant, se glisse derrière les nuages.
Certains jours, il pleut juste suffisamment pour que des gouttes d'eau s'étalent sur les fenêtres du taxi et je cours entre deux mondes, me blotissant dans le souvenir de la pluie et des arrêts de bus pluvieux à la maison, le vent soufflant dans mes vêtements. Mais le vent n'est pas un simple vent ici, il transporte le vide des maisons détruites aux abords de la ville, et le sable plat, qui, aussi obscène qu'une porte ouverte, permet à un invité non-désiré d'entrer. Et les flaques ne sont pas innocentes mais ramènent à l'esprit des images d'eaux usées remontant en surface, après que des tanks aient défoncé les rues et que des bulldozers aient brisé les canalisations.

Alors que le vent se glisse à travers la porte sans y avoir été invité, Abu Jameel se laisse pousser la barbe depuis le premier jour de Ramadan, et ne l'a pas rasée pour l'Eid. J' ai vu des photos de lui prises il y a des années, et sur toutes, il est proprement rasé et souriant.

Dans les nuits calmes de septembre, j'ai dopé Mohammed lors de longues promenades ventées à la périphérie de Rafah, à la recherche de quelque exutoire pour l'énergie mortelle d'apres midi brûlants, recevant des conférences informelles sur la culture de Rafah sous occupation, présentée vue sous l'angle du fils aîné d'une famille palestinienne. La barbe naissante de Mohammed surgit en dessous de ses pommettes , au grand dam de sa mère, dont il ne satisfait pas les demandes qui sont celles visant l'aîné de la famille, en refusant de se raser chaque matin, et d'aller s'asseoir au bureau des chômeurs réservé aux ingénieurs electriciens. Un instant, j'ai imaginé un bureau avec un comptoir propre et une feuille d'enregistrement, des conseillers professionnels de l'autre côté, portant des costumes d'hommes d'affaires. Cette vision s'est effacée en quelques secondes.

"C'est une petite pièce, avec quelques chaises e plastique. Tous ces shebab (jeunes hommes) qui ont passé des années à étudier dans les universités, traversant les checkpoints, pour étudier à Gaza ou à l'étranger, et qui, finalement se sont aperçus que leurs diplômes ne valaient rien, que l'occupation a supprimé tous les emplois qu'ils espéraient trouver, ils viennent ici pour se plaindre de leur situation. Ils fument tous et vous pourriez attraper le cancer, rien que de rester trop longtemps assis dans cette pièce. Les mêmes visages, toujours les mêmes visages. Personne ne trouve de travail à la fin, parce qu'il n'y a pas d'emploi. Personne ne s'habille bien, personne ne se rase. Quand vous vous réveillez le matin, vous vous demandez où vous êtes dans le monde. Si vous trouvez qu'il n'y a pas de futur, pas de possiblité, alors il n'y a pas de raison de se vêtir comme pour aller au travail, pas de raison de vous raser. Si vous vous rasez et mettez de beaux vêtements, vous vous sentirez comme si vous mentiez au monde extérieur, donnant une apparence de gaité extérieure, comme si vous n'étiez pas en train de mourir à l'intérieur. Ma mère me demande pourquoi je ne me rase pas. Elle demande pourquoi je ne vais pas au bureau des chômeurs chaque jour, pour y attendre un travail. Elle ne comprend pas qu'il n'y a pas d'emploi."

Rafah a un taux de chômage de 85% depuis le début de l'intifada, et sa population comprend actuellement 5 600 diplomés des collèges sans emploi.

Le jardin d'Abu Jameel ne lui rend pas, depuis longtemps, l'argent qu'il dépense pour s'en occuper. Les longues heures qu'il passe dans le jardin lui servent à échapper aux conditions d'habitation dévastatrices de sa maison, partiellement démolie en bordure de frontière. Pour échapper de plus en plus à un mariage en faillite, sa femme qui dort plus tard qu'il ne le souhaite et passe ses journées paniquée au point de ne pouvoir garder la maison propre comme il le souhaiterait et ses enfants qui jouent avec leurs jouets, matérialisant leurs peurs, défonçant les meubles, leurs parents, eux-mêmes.

La tracé de la vie d'Abu Jameel se déroule tel un drame tragique. Sa rue, la rue d'Abu Jameel, porte le nom de son grand père, autrefois l'homme le plus riche de l'endroit. Le petit fils avait l'habitude de dédaigner les fermiers et de marcher dans la rue, seulement connu de visage, l'homme intouchable en costume. Abu Jameel a hérité des biens de sa famille et a construit une rangée de 40 commerces et de plusieurs appartements avec ses deux cousins, et a épousé une belle égyptienne qui lui a donné un fils et une fille. Il avait coutume de faire visiter les lieux aux étrangers, des Israéliens, hommes et femmes sans foulard sur la tête, qu'il conduisait alentour dans sa Fiat. Une fois, il a conduit une Mercédes d'Allemagne jusqu'en Arabie Saoudite avec un ami d'enfance. Il faisait la collection de vêtements d'Allemagne, d'Italie, de France et d'Israël, où il a travaillé dans un hotel à Herzeliya (dans le Nord d'Israël).

Ces jours s'estompent dans sa mémoire en noir et blanc. Sa femme a divorcé et a emmené ses enfants en Egypte et il leur parle une fois tous les deux mois pendant une demi heure. Il s'est remarié avec Nouria dont la beauté tranquille et le rire délicat n'a pas réussi à remplir le vide laissé par le départ de sa première femme. Les affaires florissantes de la rue - la partie qu'il possédait avec ses cousins- sont redevenues poussière : les gravats de l' immeuble du coin de la rue qui atteignent la maison d'Abu Jameel et qui était supposé loger ses enfants lorsqu'ils se marieraient. Abu Jameel a tout donné jusqu'au dernier centime et puis il a échangé sa Fiat pour une charrette et son travail à l'hôtel pour cultiver la ferme de son oncle. Et, cela aussi, n'a pas marché. Une cagette de (12 kilos) de poivrons verts de Californie cultivés avec amour qui a rapporté 6 shekels - à peu près 1,25 dollars. Et, Abu Jameel continue de travailler la terre, de manière obsessionnelle, même le premier jour de la fête de l'Eid, l'équivalent de la fête de Noel aux Etats Unis. Il se laisse pousser la barbe. Il ne prie toujours pas, il le reconnaît sans crainte.Un jour, j'ai prié chez lui, au milieu d'une invasion, et il a ri avec mépris. "Les gens prient pour calmer leurs angoisses. Je n'ai pas peur."

Il laisse Nouria élever ses enfants, mais quelquefois il joue avec eux , en fin de journée, avec affection, s'il en a l'énergie. Abu Jameel, qui avait l'habitude de recevoir avec empressement les invités internationaux, nous a donné "un rasage sec" (expression arabe qui veut dire repousser) tout récemment, se plaignant des difficultés de nourrir des végétariens, après des mois où il semblait apprécier notre compagnie. Je me souviens de mes premiers mois ici, quand le seul fait de nous avoir chez lui semblait apporter un peu de normalité à la situation.

Ce n'est plus le cas. Sa dépression s'est accrue et depuis le début de Ramadan, il n'a pas voulu recevoir d'invités. La nuit dernière, Noah et moi-même, qui connaissons la famille depuis un certain temps, avons appelé pour voir si nous pouvions passer rendre visite. Il a dit bienvenues, venez quand vous voulez, ne vous faites pas de souci pour l'heure. Nous sommes arrivées chez lui plus tard que nous n'aurions dû le faire. Abu Jameel était malade et dormait, au lit, et Noura est venue à notre rencontre sur le pas de porte pour nous accueillir, et a préparé des pitas avec du fromage égyptien, et nous a servi du thé chaud. Elle semblait soulagée de nous voir, elle trouve encore un peu de réconfort à rencontrer des gens de l'extérieur. Elle s'est assise pour bavarder, et nous avons raconté les évènements de la journée.

Et, das le milieu de la conversation, Abu Jameel a commencé à appeler de son lit, le nom de sa femme. Noura a couru voir ce qui était arrivé; Nancy, la petite de deux ans, avait vomi partout sur les draps. Alors que Noura courait pour nettoyer la saleté, Abu Jameel s'est levé. "Laura", a-t-il dit, " viens ici, écoutes, plus de ces choses là. Tu peux venir rendre visite, pas de problème, mais tu ne peux plus dormir ici. Plus d'étrangers ici. Tu vois Noura? elle est supposée dormir dans le lit des enfants, qu'ils ne soient pas seuls s'ils sont malades. Plus de ces choses là. Tu comprends?" Et il est retourné se coucher, et Noura a laissé le verre rempli de thé et a éteint les lumières, et est allée se coucher avec les enfants.

Noah m'a regardée, et a plissé les coins de sa bouche. "Peut être que c'était prévu qu'il en soit ainsi". Et nous nous sommes couchées, mal à l'aise, les lumières laissées allumées pour signaler la présence de la famille dans la maison, à l'armée stationnée 25 mètres plus loin. Des rafales de tirs nous ont réveillés pendant la nuit, et je me suis retournée et retournée, agitée, ressassant les huit mois de mes contacts avec la famille. Cela était devenu si irréel, que j'ai rangé cela dans une progression en noir et blanc d'instantanés se succédant, comme je me replongeais dans un sommeil sans rêve.

Source : ww.palsolidarity.org

Traduction : MDB

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