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ISM France - Archives 2001-2021

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Ramallah -

Retour à Ramallah

Par

Katie et moi avons quitté Hébron dans un taxi collectif, un plus grand cette fois, et nous avons refait la route que j'avais prise la nuit précédente.
Il faisait nuit lorsque j'étais arrivé mais là, c'est le jour, et j'ai avec moi quelqu'un qui peut m'expliquer ce que je vois à mesure que nous roulons. Elle me montre tous les vergers détruits.
De chaque côté de la route, les champs pleins des souches de ce qui étaient des oliviers.
Je ne sais pas s'ils ont été brûlés, mais ils me semblent noircis.

Il ne s'agit pas de quelques rangées proches de la route, mais de vergers entiers qui ont été détruits, et les revenus des fermiers en même temps, j'imagine. Mais là où il y a eu destructions, il y a aussi quelques pousses vertes qui pointent.

Nous passons devant un groupe de caravanes délabrées et d'abris provisoires, sur les flancs d'une colline, entouré d'une grille haute. C'est comme cela que débute une colonie – ou un poste illégal. "Illégal" au sens de "selon la loi israélienne" bien sûr, puisque toutes les colonies sont illégales selon la loi internationale.

Mais les gens peuvent arriver là, installer quelques constructions provisoires, s'armer et créer une colonie. En fin de compte, ils deviennent un tel casse-tête pour le gouvernement israélien que ce dernier les légitime, et c'est la naissance d'une nouvelle colonie officielle.

Sur la route, nous sommes passés devant d'autres structures provisoires – des constructions en tôle ondulée de type bidonville, avec des animaux courant ça et là au milieu des gens. Je les avais déjà vues en venant mais je ne savais ce que c'était. Katie m'explique maintenant que ce sont les Bédouins qui vivaient là, ou ce qu'ils sont devenus.

Traditionnellement, ils sont nomades mais les restrictions de l'occupation rendent impossible leur manière de vivre ancestrale et Israël les empêche de bâtir des structures permanentes. Alors ils montent ces petits bidonvilles qui sont périodiquement démolis par l'armée, les laissant sans maison une fois de plus.

A mes yeux, c'est la pire des conditions de vie que j'ai pu voir en Cisjordanie .


Au checkpoint

Le voyage s'arrête lorsque nous remontons du côté de la vallée qui mène, au sommet, à un checkpoint. Une file de voitures immobiles s'étire. Si nous devons être détenus à un checkpoint, c'est celui-là le meilleur. Pas à cause d'un traitement spécial que nous aurions de la part des soldats, mais simplement parce que sa situation donne une excellent vue sur la vallée.

Autant avoir quelque chose d'intéressant à observer pendant que vous êtes retenus et interrogés, non ?

Le taxi collectif s'est d'abord arrêté dans la file et pendant un moment, nous en avons profité pour sortir et marcher un peu au soleil, pour nous dégourdir les jambes.

Cependant, notre chauffeur a fini par en avoir assez d'attendre et a décidé de prendre les choses en main en quittant la file, la remontant par le bas-côté de la route et se réinfiltrant dans la file en haut de la côte où les soldats étaient en train de fouiller les véhicules.

Cela peut paraître surprenant mais la manœuvre n'a semblé gêner personne, même pas les Israéliens.

Les soldats ont terminé la fouille de la voiture devant nous et se sont intéressés à notre minibus. Ils ont demandé à voir les papiers de chacun. Sur le moment, je n'ai pas vraiment réalisé ce qui se passait – je pensais que les fouilles étaient faites pour vérifier si les gens, pendant leurs trajets, portaient des armes.

Ce que je n'avais pas réalisé, c'est qu'Israël ayant divisé la Cisjordanie en petits morceaux, la circulation n'est pas autorisée sans le permis adéquat. C'est ça qu'ils étaient en train de vérifier et comme Katie et moi ne sommes pas Palestiniens, nous avons montré nos passeports – le sien, des Etats-Unis, le mien de Grande-Bretagne.

Moment de tension, parce que Katie a eu quelques problèmes avec son passeport et nous espérons que le soldat ne le réalisera pas. Heureusement, c'est le mien qui l'a beaucoup plus intéressé.

"Où allez-vous ? ", demande-t-il.

"Ramallah", je lui réponds.

"Et qu'allez-vous faire lorsque vous serez à Ramallah ? "

Euh, je ne m'attendais pas à cette question tout de suite. J'avais plutôt préparé une réponse à "Que faites-vous ici ?".

Absolument pas prêt, j'ai fait précisément ce qu'on m'a dit de ne jamais faire en pareille situation. J'ai ouvert la bouche pour dire la stricte vérité.

"Je vais m'asseoir et boire un thé."

Pour une fois, c'était la seule bonne réponse à faire. Le soldat m'a regardé, a vérifié le visa sur mon passeport et nous les a rendu, sans vérifier celui de Katie. Le taxi collectif est reparti, et avec beaucoup de soulagement, nous avons vu le checkpoint disparaître au loin.



Invitation à un mariage

Si, avant mon arrivée, vous m'aviez demandé ce que je m'attendais à trouver en Palestine, je vous aurais répondu : des Arabes, des colons, des soldats, la police, etc. mais je n'aurais pas dit : des anglicans.

Pourtant quelques heures après, je me suis retrouvé, avec Katie, assis sur un banc d'église, attendant l'arrivée de la mariée.

Un joli banc traditionnel, dans une jolie église traditionnelle. Il y a des vitraux, des fleurs, un prêtre, un orgue et l'organiste de service, et une congrégation qui aurait pu venir de n'importe quel conté d'Angleterre.

Si j'avais pris une photo, cela aurait été bien difficile de dire que ce n'était pas une église moderne, quelque part au Sussex.

C'est très difficile de décrire ce qui est habituellement "un mariage anglais" organisé par des Palestiniens, presque entièrement en Arabe, y compris les hymnes joués à l'orgue et que je connais si bien pour les avoir appris à l'école.

Je suis anglais, et je suis habitué à la version "décaféiné" du chistianisme en cours dans mon pays.
Je ne me serais jamais décrit comme Chrétien – pourtant, je réalise en Palestine que j'en suis un, en dépit de mon athéisme.

La foi n'a pas d'importance – mais ce sont mes points de référence, c'est le cadre de mon système de valeur et en conséquence, c'est la minorité sociale visible à laquelle j'appartiens.

Je ne peux rien y changer, cela fait partie de moi, c'est simplement que je n'avais pas réalisé avant. Quelquefois, c'est important de voir les choses hors de leur contexte (ou même dans un meilleur contexte) pour comprendre.

C'est un très beau service. J'adore les mariages – j'ai réussi à échapper au cynisme qu'affichent la plupart de mes amis.

Les mariages me rendent heureux, et en particulier ici, avec toutes les souffrances infligées à ces gens, voir un couple capable de faire quelque chose de si positif est très réjouissant. J'espère sincèrement qu'ils vont être très heureux ensemble.


Faire ses courses dans une prison 5 étoiles

Après la cérémonie, Katie doit rentrer chez elle pour travailler –elle fait des caricatures politiques pour un journal palestinien -, alors je passe le reste de l'après-midi avec Neta, l'amie de Katie, et ses enfants. Nous allons acheter des livres et des bonbons pour les enfants. C'est très agréable de passer du temps avec Neta, et de discuter avec elle, car elle est la seule Israélienne que j'ai rencontrée en Cisjordanie .

Elle me raconte son enfance en Israël, et comment elle a rencontré son futur mari lors d'un programme de rencontres entre Israéliens et Palestiniens, pour encourager la compréhension et la confiance.

Dans son cas, ça a marché au-delà de toutes espérances puisqu'elle vit maintenant en Palestine, avec son mari et leurs enfants.

C'est aussi la seule occasion que j'ai d'entendre l'histoire d'un point de vue israélien, même très limité. Elle me raconte comment, en Israël, elle a grandi dans le conditionnement de la peur des Arabes, dans la croyance qu'ils voulaient tous attaquer et tuer les Israéliens, et qu'il lui a fallu des années pour surmonter ça, même après avoir épousé un Palestinien et avoir déménagé dans les Territoires occupés.

J'ai déjà entendu ça de la part d'autres personnes, mais jamais de quelqu'un qui a été élevé là-bas. Je lui parle de ce que j'ai vu et nous discutons des checkpoints, de l'occupation et du mur – comment il semble que ce soit tout le pays qu'Israël tente de transformer en prison.

"Oui", dit-elle, "Ramallah est agréable, mais c'est une prison cinq étoiles. Hébron une prison trois étoiles, Gaza une prison à une étoile. Mais ce sont toutes des prisons."

Je regarde autour de moi les gens qui vont et viennent dans les cafés et les magasins. Elle a raison. La vie ici semble possible, mais sans permis pour aller à Jérusalem Est, personne ne peut traverser le checkpoint de Qalandia et s'y rendre, pas plus qu'on ne peut aller à l'aéroport et quitter le pays.

Il faut un permis pour tout, et il est impossible de se les procurer sans une très bonne raison. Mais moi, je ne suis pas en prison, je peux bouger, agiter mon passeport britannique comme une carte magique et traverser les checkpoints avec une relative facilité. Et, plus important, je peux partir d'ici quand je veux.

Les gars de la Mersea et de la Tamise et de la Tyne

Finalement, fatigués de faire les courses, Neta et moi sommes allés au premier étage d'un restaurant pour boire un thé, où nous sommes tombés sur d'autres de ses amis qui étaient aussi invités au mariage. Elle connaît beaucoup de monde.

Je me sens un peu stupide en regardant en arrière – je croyais qu'elle était juste une amie de Katie et maintenant je réalise qu'en fait elle est une des fondatrices d'ISM, une personnalité du militantisme palestinien, et aussi quelqu'un dont j'ai lu de nombreux articles, sur Internet, lorsque je cherchais des informations sur la Palestine avant de venir.

C'est peut-être aussi bien, d'ailleurs, de rencontrer les gens sans rien savoir d'eux, et de les prendre tels qu'ils sont. Pour moi, elle était juste une personne vraiment sympathique avec qui j'avais l'occasion de passer un après-midi et une soirée.

Je me suis donc assis à la table et j'ai commencé à discuter avec les uns et les autres, dont une personne qui travaille pour une organisation humanitaire. Une des choses que j'ai omise en écrivant ces comptes-rendus, ce sont les conversations que j'ai eu avec les autres militants que j'ai rencontrés ici. J

e n'avais réellement entendu parler d'ISM qu'une fois avant de venir, mais à l'intérieur, il semble qu'il y ait un nombre incalculable de petites associations qui travaillent ici, et la première question qu'on vous pose est "De quelle asso. fais-tu partie ? ".

Essayer d'expliquer que je n'étais "avec" personne en soi, que je venais juste voir des amis pour le week-end rendait perplexe.

Chacun semblait beaucoup plus heureux lorsque j'expliquais que mon amie faisait partie d'ISM, comme si ma présence était un non sens, à moins que je ne fasse partie d'une quelconque ONG.

La Cisjordanie semble être bourrée d'internationaux – dont un contingent non négligeable de britanniques, à tel point qu'en deux occasions distinctes, j'ai rencontré des gens qui se souvenaient m'avoir vu en Grande-Bretagne. Petite planète. Il y en a de toutes sortes.

Certains sont comme on s'y attend, jeunes, idéalistes et enthousiastes, et d'autres sont à l'opposé, des gens à la retraite faisant ce qui leur semble être une bonne chose, avec détermination. Tous les gens que j'ai rencontré ont un point commun – ils sont tous bénévoles.

C'est la raison pour laquelle cela m'intéressait beaucoup de rencontrer pour la première fois un travailleur humanitaire dont c'est le métier, et qui avait fait le même travail dans d'autres parties du monde. Nous avons discuté un long moment, jusqu'à ce qu'il dise : "Oui, mais je ne suis pas ici pour "La Cause" ".

Arrêtons nous pour réfléchir un peu. Parce que, en dépit de ce que j'ai dit sur la visite à une amie, je suis ici, à l'évidence, pour La Cause, comme tous les autres bénévoles que j'ai rencontrés. J'essaie de ne pas tout voir en noir et blanc, mais malgré quelques touches de gris, je sais de quel côté je me tiens.

C'est tellement évident pour moi que ce qui se passe ici est "mauvais" que j'ai du mal à imaginer qu'on puisse voir ce que l'on voit et rester neutre. En même temps, ça m'agace un peu, mais maintenant j'essaie de prendre de la distance. Il y a sur cette planète des tas d'endroits où des gens souffrent.

Si vous voulez y aller pour aider à alléger leurs souffrances, vous ne pouvez pas forcément vous investir dans les questions politiques, et vous ne pouvez pas choisir un côté, peut-être pour garder la distance qui vous permet de faire votre boulot, et puis partir ensuite au Soudan pour faire ce qu'il y a à faire.
Se concentrer sur les gens, et ignorer la bataille globale.

J'ai du respect pour cette manière de voir les choses, parce que j'en suis incapable.


Danser et chanter

Je me suis bien sûr retrouvé à la fête du mariage et à ce moment-là, j'ai commencé à prendre un peu conscience de moi-même. Je ne suis pas habillé pour un mariage ; j'ai pour toutes chaussures mes rangers et comme je n'ai pas mes affaires, je porte les mêmes vêtements depuis plusieurs jours et une barbe de quatre jours.

Je ne ressemble à rien de correct et resquiller n'a jamais été mon fort. Mais mes nouveaux amis insistent, me disent que personne ne fera attention, et que je suis très bien comme ça.

C'est comme ça que je me retrouve en ligne avec tous les autres en chemises blanches impeccables, pour serrer la main du couple heureux et des gens de leurs familles, puis dans la salle où sont installés nourriture et rafraîchissements.

Contrairement à une réception anglaise, tout le monde se met immédiatement à danser. Je décide de rester assis, diplomate et discret.

Ceci dure exactement jusqu'à l'arrivée de Neta. Il n'est plus question que je fasse tapisserie et elle me traîne sur la piste de danse. J'essaie de copier les autres et je me mets à bouger en faisant claquer mes doigts au dessus de ma tête. J'espère que je m'en suis à peu près sorti.

En réalité, on s'est énormément amusé – beaucoup plus que lors de nombre de mariages auxquels j'ai participé chez moi. Les gens sont amicaux et se divertissent avec enthousiasme. Le gâteau est arrivé, on l'a coupé avec une épée, pendant que les bougies faisaient de leur mieux pour arroser tout le monde d'étincelles à quelques centimètres des mariés.

Un DJ transmettait les messages des amis absents, et il y a eu un moment surréaliste où la musique locale a été remplacée par des chansons anglaises, vraisemblablement en l'honneur de quelques invités du côté du mari, et tout le monde s'est mis à chanter "I will survive", suivi de "YMCA". Heureusement, on est vite revenu, quelques chansons après, à un rythme plus moyen-oriental.

Nous avons même bu un peu d'alcool – de la bière Taybeh, brassé ici à Ramallah, avec une fière étiquette "la meilleure bière du Moyen Orient". Je suspecte qu'elle n'a pas beaucoup de concurrentes mais je l'ai goûté et elle est vraiment très bonne.

On a aussi bu un alcool très puissant, dont j'ai oublié le nom, mais qui ressemble beaucoup à l'ouzo. Les plats étaient excellents, les gens très amicaux et bavards, et mon complexe de "invité non invité" s'est vite envolé.

La soirée s'est ensuite terminée et je suis partie pour rejoindre Katie en partageant un taxi avec Neta et ses enfants. Pour un jour de contraste, ç'en était un !

J'ai quitté le matin Tel Rumeida toujours sinistre pour finir la journée dans une fête bruyante et heureuse, une bonne antidote au début de la journée, et je suis content d'y avoir participé.

C'était ma dernière nuit à Ramallah. Et demain sera mon dernier jour en Palestine.

Source : ISM

Traduction : MR pour ISM

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8 mai 2007